Déclaration des anciens Présidents du Tribunal constitutionnel de Pologne

Déclaration des anciens Présidents du Tribunal constitutionnel de Pologne

Après les élections législatives d’octobre 2015, la nouvelle coalition parlementaire structurée autour du parti « Droit et justice » (PiS) a ouvert son mandat par un conflit autour de la nomination de nouveaux juges au Tribunal constitutionnel. Face au refus du Tribunal de valider ses arbitrages, la majorité adopta une réforme du Tribunal en décembre 2015, visant à limiter son action et à approfondir le contrôle de la majorité sur sa composition. Un an plus tard, la crise s’est aggravée. Le gouvernement alimentant un climat délétère à l’encontre des magistrats, refuse de publier les décisions du Tribunal et paralyse de facto son action. Il a semblé utile à Jus Politicum de publier la déclaration des quatre anciens Présidents du Tribunal constitutionnel (Marek Safjan, Jerzy Stępień, Bohdan Zdziennicki et Andrzej Zoll) relative à cette crise.

Ce texte a été publié le 25 avril 2016 dans la Gazeta Wyborcza. Il est ici pour la première fois intégralement publié en français.

Pierre Auriel

Avec l’entrée en vigueur des nouvelles lois sur le Tribunal constitutionnel, la période d’activité du Tribunal constitutionnel en République de Pologne, où le système de contrôle de constitutionnalité a permis de défendre efficacement les principes de l’État de droit démocratique et a systématiquement contribué au renforcement des garanties des droits fondamentaux, prendra fin.

Nous notons avec une extrême préoccupation et en même temps une inquiétude pour l’avenir du système démocratique de la République de Pologne que les actes qui ont lieu depuis de nombreux mois visant à réduire le rôle du Tribunal constitutionnel, à affaiblir son autorité dans l’opinion publique, à limiter ou même paralyser ses activités auront un effet dramatique qui se traduira par la destruction définitive du mécanisme fondamental de garantie du bon fonctionnement de l’État, fondé sur la primauté du droit. C’est principalement parce que, en conséquence de l’entrée en vigueur des nouvelles lois, des personnes n’ayant pas de mandat pour exercer des fonctions judiciaires seront autorisées à siéger au Tribunal constitutionnel en tant que juges. Leur élection a été faite, selon le Tribunal constitutionnel, en violation des dispositions de la Constitution. En revanche, les juges élus conformément à la Constitution demeurent depuis plusieurs mois en dehors de la Cour et ne sont pas en mesure d’assumer leurs fonctions faute d’une invitation par le Président de la République de prêter serment.

Cet état de choses va inévitablement provoquer l’approfondissement de la crise constitutionnelle et la déstabilisation de l’État de droit. Dans cette situation, le préjudice en sera subi en particulier par le citoyen polonais, qui sera privé du principe de la sécurité juridique et de la prévisibilité du droit, mais, surtout, qui sera privé des garanties pour la protection des droits et des libertés tels que définis dans la Constitution, y compris la possibilité d’engager effectivement un recours constitutionnel.

Nous demandons au Président de la République d’empêcher que cela se produise et de permettre aux trois juges dûment nommés au Tribunal constitutionnel de prêter serment ainsi que d’opposer son veto aux lois qui visent à consolider le fonctionnement fictif du Tribunal constitutionnel et le maintien de la situation de non-conformité à la Constitution. C’est le dernier moment où il est encore possible d’éviter toutes les conséquences dramatiques des actes entrepris pour éliminer le contrôle effectif de la constitutionnalité du droit dans notre pays.

En même temps, nous demandons à tous les professionnels du droit, qui sont les mieux placés pour comprendre les conséquences négatives de la crise constitutionnelle en Pologne, de soutenir notre appel. Nous les invitons également à refuser de participer à la légitimation des actes qui pourraient perpétuer l’état de violation permanente de la Constitution.

 

Marek Safjan               Jerzy Stępień             Bohdan Zdziennicki                Andrzej Zoll