L’encadrement des conflits d’intérêts dans l’Administration : de l’urgence à sortir d’une vision uniquement punitive [Par Thomas Perroud]

L’encadrement des conflits d’intérêts dans l’Administration : de l’urgence à sortir d’une vision uniquement punitive [Par Thomas Perroud]

The purpose of the present post is twofold : first to highlight the culture of conflicts of interests in the French public administration and universities and to stress that punitive measures are not enough : we need to change the way me make policies in order to neutralize the effects of these possible conflicts.

 

Le but de ce billet est de mettre en évidence l’existence d’une véritable culture du conflit dans l’administration et l’université française et de montrer que des mesures préventives ou punitives ne seront pas suffisantes : il faut chercher à neutraliser ces conflits en modifiant la manière dont on élabore les politiques publiques.

 

Thomas Perroud, Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)

 

On trouvera ici la contribution issue de l’audition réalisée le 3 octobre dernier par la Mission d’information sur la déontologie des fonctionnaires et l’encadrement des conflits d’intérêts de l’Assemblée nationale.

 

Nous voudrions insister sur un point : la question du conflit d’intérêts dans l’Administration française ne peut être résolue qu’en sortant d’une vision exclusivement punitive. C’est en effet en réfléchissant à l’élaboration des politiques publiques de façon plus générale que l’on pourra en contrôler aussi les effets. Les politiques punitives ou préventives contre les conflits d’intérêts seront en effet inefficaces tant la haute administration française (dans laquelle nous incluons l’université et la recherche) a développé une culture du conflit d’intérêts. Il faut donc chercher les moyens de les neutraliser.

 

1. L’ampleur du phénomène : une véritable culture du conflit d’intérêts dans l’ensemble de l’Administration française

 

Le besoin de recherche

 

Il faut insister d’emblée sur un point : notre connaissance du phénomène est assez parcellaire. Certes, des recherches importantes ont été faites par Luc Rouban [1] pour les grands corps, plus récemment par Antoine Vauchez et Pierre France [2], enfin par Catherine Teitgen-Colly [3]. Il existe aussi des études comparées, auxquelles j’ai participé [4]. Il s’agit de travaux de qualité mais qui ne se concentrent justement que sur les grands corps (et particulièrement le Conseil d’État et l’Inspection générale des finances), ainsi que sur les aspects quantitatifs du phénomène. On connaît peu de choses des autres grands corps de la République et des stratégies, motivations, différences entre corps ou évolutions. On ne connaît rien à la question au niveau local non plus, alors même que la question s’y pose avec une acuité particulière, étant donné la proximité entre l’Administration et les citoyens. On ignore tout des conflits d’intérêts spécifiques à la culture, alors même qu’ils sont patents [5]. Nous parlons donc d’un phénomène dont nous ne connaissons que les scandales.

 

La Parlement ne pourra donc légiférer sainement sur cette question qu’après avoir diligenté des recherches importantes sur l’ensemble de ses aspects – les déterminants du phénomène et surtout ses conséquences –, dans les différentes fonctions publiques, en déclinant ces recherches du niveau national au niveau local et même au niveau international puisque l’action des fonctionnaires français à Bruxelles, par exemple, est en définitive aussi mal encadrée que connue. Nous proposons donc à la Mission d’information une recherche d’ampleur sur ce phénomène.

 

L’ampleur des conflits d’intérêts universitaires constitue un point particulièrement méconnu. Or, l’État ne peut mettre en place de politiques publiques objectives si les experts ne sont pas indépendants. Tel n’est plus le cas aujourd’hui dans de très nombreux domaines comme les domaines scientifiques et le droit.

 

Effets

 

L’ampleur du phénomène n’étant appréhendée que de façon parcellaire, nous n’en connaissons pas bien non plus les effets. Là encore, des recherches devraient être entreprises. À l’étranger, nous disposons de quelques études sur les conséquences des conflits d’intérêts sur les politiques publiques. Si l’on a de ces effets une appréhension et une évaluation limitée, j’ai pour ma part le sentiment qu’ils ne sont pas sans lien avec certaines jurisprudences du Conseil constitutionnel [6]. Toutefois, des études ont été versées dans le débat public au moment d’une affaire très intéressante et qui me semble emblématique du problème français : celle de la nomination de l’actuel gouverneur de la Banque de France. Etaient en lice un économiste reconnu dans son domaine, Benoît Coeuré, et un ancien membre de l’Inspection générale des finances, directeur général délégué de BNP Paribas. C’est évidemment ce dernier qui l’a emporté : on a donc préféré les réseaux à l’expertise indépendante. Les économistes ont à juste titre protesté [7] et des études ont été publiées montrant l’impact du passage dans le privé des banquiers centraux sur la politique de ces banques : le conflit introduit bien évidemment un biais. Le risque n’était bien évidemment pas que le candidat favorise délibérément son ancien employeur mais que la politique de la Banque de France ne favorise, elle, le secteur bancaire. Une étude avait été fournie au débat par Thibault Gajdos [8] tandis que celle de Dennis Veltrop et Jacob de Haan [9], chercheurs à la banque centrale des Pays-Bas, montrent bien les incidences d’un phénomène psychologique sur cette capture du régulateur dans le domaine financier : l’identification sociale des acteurs avec le secteur qu’ils sont chargés de réguler les incline à le favoriser.

 

Nous avons largement besoin d’améliorer notre connaissance du phénomène. Plus nous aurons de recherches dans le domaine, meilleures en seront notre compréhension et nos capacités à le tenir en échec.

 

Une culture du conflit d’intérêts

 

Nous voudrions mettre en évidence l’existence d’une culture du conflit d’intérêts dans l’ensemble des administrations françaises. Ce changement de culture nous semble bien visible à travers l’institution de la « retape » à l’ENA, qui est le moment où les grands corps viennent courtiser les meilleurs étudiants de l’École afin que ceux-ci les choisissent. Il est désormais courant, d’après un entretien que nous avons réalisé, que le Conseil d’État envoie des représentants partis dans le privé. Le message que fait ainsi passer la haute juridiction est clair : venez quelques années au Conseil et vous pourrez ensuite en sortir.

 

Cette culture du conflit est aussi bien visible dans la manière dont le Conseil constitutionnel a contrecarré l’initiative du Parlement consistant à transférer le contrôle du pantouflage à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique [10]. Elle est perceptible également dans le choix des grandes nominations où l’on recherche un profil parti dans le secteur privé (France Télévision, Banque de France, Secrétaire général du Conseil constitutionnel, Caisse des Dépôts et consignations, Aéroport de Paris, etc.). Elle se voit enfin dans la composition des autorités de régulation : l’AMF, par exemple, comprend en grande majorité des personnes issues du secteur privé. De même, le fait que Google ait recruté un membre du Conseil d’État pour diriger sa section du lobbying est significatif de cette évolution [11].

 

Tous les mécanismes sont donc en place pour favoriser les conflits d’intérêts. Parallèlement, le développement de la déontologie dans l’Administration semble simplement cosmétique. Quel est l’intérêt de développer la déontologie si, en même temps, on encourage le conflit d’intérêts en ne nommant aux postes à responsabilité dans l’Administration que des candidats partis dans le privé ? Certes la déontologie et la lutte contre les conflits d’intérêts sont aujourd’hui devenues une obsession, notamment pour les universitaires pour lesquels la question est devenue brûlante. Mais elle est également cruciale pour les juristes : au Conseil d’État par exemple, la culture du déport est bien installée et la jurisprudence sur l’impartialité dans l’ensemble de l’Administration est abondante.

 

Cette prise de conscience ne semble pas pour autant avoir entrainé une diminution du phénomène. Comme on l’a rappelé, tous les mécanismes sont en place pour favoriser les conflits d’intérêts dans les Administrations. Luc Rouban a parfaitement montré que le pantouflage est une stratégie intégrée par les jeunes dans un plan de carrière [12]. Alors qu’il s’agissait jadis d’une « récompense » de fin de carrière, une coupure s’opère à la fin des années 1990 : les jeunes partent plus tôt et reviennent ensuite au service de l’État pour repartir dans le privé. Dans les stratégies de la haute fonction publique, à partir des années 2000, le pantouflage est devenu un mode normal de carrière, qui permet d’occuper directement des positions élevées dans les entreprises privées, puis des positions de commandement dans l’État. C’est le système tel qu’il est aujourd’hui et que traduit encore le nombre important d’étudiants de HEC qui passe l’ENA et va ensuite pantoufler [13].

 

Nous voudrions illustrer le problème en examinant le cas des conflits d’intérêts universitaires. Ce type de conflit est à notre sens le plus grave et le moins bien étudié. Il a été mis à jour de façon éclatante et malheureuse dans le domaine de la recherche médicale avec l’affaire du Médiator ou l’affaire Aubier. Les Monsanto Papers ont révélé la cupidité des chercheurs dans ce domaine.

 

Le chantier de recherche est ici absolument colossal et il est encore plus décisif que pour les « grands corps », car il ne peut pas y avoir de politique publique objective sans neutralité de la recherche vis-à-vis des intérêts d’affaires. Il est d’ailleurs tout aussi important en droit que dans la recherche médicale ou scientifique. Si vous allez sur le site de n’importe quelle Ecole de droit américaine, vous verrez que tous les professeurs qui consultent ont une page de déclaration de conflits d’intérêts. Les revues aussi doivent porter à la connaissance du lecteur l’origine du financement de la recherche et les conflits d’intérêts de chaque chercheur. Rien de tel n’existe en France à l’échelle de l’Université tout entière. Il faut d’ailleurs signaler que si le docteur Aubier, pour avoir menti sur ses liens avec la société Total, a été sanctionné pénalement et par l’Ordre des médecins, rien n’a été fait du côté de son université, cette dernière, manifestement, n’estimant pas que mentir à la représentation nationale devrait avoir des conséquences disciplinaires. Chez les juristes, les conflits d’intérêts sont tout aussi importants et nous n’avons aucun encadrement, ou celui-ci n’est pas effectif. Comme dans l’affaire Aubier, certains de nos collègues sont employés par des cabinets de lobbying pour écrire un article dans la presse, sans que les journaux en question ne signalent, à aucun moment, que l’article est rémunéré.

 

Il me semble aussi qu’il y a un grave manque de réflexion sur le problème du conflit d’intérêts au niveau local. Or, la proximité favorise évidemment les hypothèses de conflits. Nous avons ainsi pu faire une recherche sur les dispositifs de contrôle au niveau local en droit de la consommation. Les agents de la DGCCRF, au niveau local, nous ont signalé craindre constamment l’intervention du préfet. Ce dernier, notable local au même titre que le procureur, dispose comme celui-ci de pouvoirs dans le déclenchement de la répression. Leurs contacts locaux peuvent leur faire prendre des décisions contraires à l’appréciation des inspecteurs.

 

Les différentes réformes n’ont pas donné de résultats significatifs, tant la culture du conflit d’intérêts est installée. La résistance du Conseil constitutionnel en est la preuve la plus emblématique. Lorsqu’il a sanctionné le transfert du contrôle du pantouflage à la HATVP, la presse a révélé que la censure avait en fait été préparée au SGG. Le problème est, on le voit, beaucoup plus structurel.

 

2. La nécessaire réforme structurelle : constitutionnaliser l’exigence de transparence administrative et réformer le processus d’élaboration des politiques publiques

 

La jurisprudence du Conseil constitutionnel rend aujourd’hui plus nécessaire que jamais la réflexion sur une inscription du principe de transparence administrative dans la Constitution. Le Conseil constitutionnel est manifestement hostile à la transparence administrative et la lutte contre les conflits d’intérêts. Pour contrecarrer cette jurisprudence, il faut l’inscrire dans la Constitution. C’est un préalable à une réflexion sur la façon dont on peut, non pas prévenir, mais neutraliser les conflits d’intérêts.

 

La nécessaire élévation du principe dans la hiérarchie des normes

 

La jurisprudence du Conseil constitutionnel pose un problème de taille, qui révèle en lui-même à quel point la Haute fonction publique française a trouvé dans le Conseil un relais pour défendre sa culture du conflit d’intérêts, et la rente qu’elle retire de la pratique du revolving door. Nous avons commenté deux décisions du Conseil qui vont clairement dans le sens d’un refus de la transparence et de la lutte contre les conflits d’intérêts [14]. Dans la décision n° 2016-741 DC, il a censuré un dispositif législatif visant à renforcer la lutte contre le pantouflage, par l’attribution de son contrôle à la HATVP, autorité administrative indépendante, en lieu et place de la Commission de déontologie de la fonction publique. Quel était le problème ? La peur d’une politique plus restrictive à la HATVP certainement liée à un élément sociologique : la Haute autorité serait dominée par la magistrature et serait plus offensive alors que la CDFP serait, elle, dominée par le Conseil d’État, comme le rapporte le journal Acteurs publics [15].

 

Mesdames et messieurs les députés, vous n’avez donc qu’une option ouverte à vous pour aller plus loin dans votre œuvre, c’est de modifier la Constitution. Vous pourriez d’ailleurs en profiter pour réfléchir au procès constitutionnel, aux conflits d’intérêts au sein du Conseil lui-même et au rôle du Secrétaire général, qui n’a pas sa place dans cette institution. Un ancien Secrétaire général est parti dans une entreprise privée. Il y a actuellement un juge constitutionnel dans un grand cabinet d’avocat parisien [16]. Une autre ancienne juge du Conseil est aussi désormais avocate spécialiste en droit public, « (dont le droit constitutionnel) », précise le site internet du grand cabinet international en question [17].

 

L’idée sur laquelle nous souhaiterions terminer, c’est qu’à défaut de pouvoir prévenir les conflits d’intérêts, il est possible de les neutraliser. C’est la raison pour laquelle, il convient de  mener une réflexion plus large sur la façon dont on doit faire des politiques publiques en France aujourd’hui. Nous pensons sincèrement que la meilleure façon de lutter contre les conflits d’intérêts passe par la transparence absolue, l’objectivité du processus d’élaboration des politiques (projet de loi, règlements, ordonnances, au niveau national comme au niveau local) et enfin par l’activation des intérêts faibles car diffus. Pour lutter contre les conflits d’intérêts il faut lutter contre tout ce qui peut permettre à certains intérêts de capter l’élaboration de la décision publique et, pour cela, seules la transparence du processus d’élaboration de la décision publique et l’expertise permettent de le garantir.

 

Repenser l’élaboration des politiques publiques pour neutraliser les conflits d’intérêts.

 

Avec le principe de transparence administrative dans la Constitution, le législateur pourra aborder sereinement la réflexion sur la neutralisation des conflits d’intérêts. Nous pensons qu’il est assez vain de vouloir les empêcher et que l’encadrement actuel est inefficace. Lorsqu’un membre de la section fiscale du Conseil d’État part en cabinet d’avocat, il n’ira pas dans le département de droit fiscal, mais comment empêcher réellement qu’il ne fasse aucun dossier en droit fiscal en faisant bénéficier son cabinet de son réseau ? Il faut réfléchir autrement.

 

Il nous semble que l’on peut démontrer comment l’absence de transparence donne un avantage aux anciens membres de l’Administration partis vers le privé en prenant la fonction consultative du Conseil d’État pour exemple [18]. Cette procédure est entièrement secrète, nul moyen sur le site du Conseil de connaître la procédure, la date d’examen des textes et le rapporteur. Il n’est pas non plus précisé sur le site internet du Conseil d’État que le rapporteur peut recevoir des interventions des personnes intéressées par le texte examiné. Ce n’est pas dit, alors même que le rapporteur est, lui, tenu par la procédure établie d’en rendre compte devant la formation qui formulera l’avis. La possibilité de faire valoir des observations devant les formations administratives du Conseil d’État à l’occasion de l’examen d’un texte est ainsi opaque, puisque le calendrier d’examen des textes est difficilement maîtrisable. Ceux qui en ont connaissance bénéficient donc d’un avantage certain puisqu’ils pourront présenter leurs arguments au Conseil – et ceux qui en ont effectivement connaissance sont les anciens membres du Conseil d’État qui exercent en cabinet d’avocats. On en trouve des traces dans l’actualité. Dans un article du Monde du 8 octobre 2015 intitulé « Bataille de lobbys sur l’application de la loi Macron », on apprend que le Conseil supérieur du notariat estime que le projet de décret le concernant est illégal et « a tenu à le faire savoir dans une “lettre d’observation” envoyée aux magistrats du Palais Royal ». On apprend donc que la possibilité d’envoyer une « lettre d’observation » (sic) est « ouverte » pour les projets de décret et que cette lettre est envoyée à… des magistrats ! Or, les interventions n’étant pas publiées, il est impossible de connaître l’influence qu’elles ont pu avoir sur l’avis du Conseil. Au cas présent, le Conseil d’État a été très favorable aux intérêts des notaires. Mais ce qui importe pour nous c’est que l’opacité de la procédure permet à ceux qui connaissent la procédure en interne de l’utiliser au bénéfice de certains intérêts.

 

La culture du secret qui caractérise l’Administration française donne nécessairement un avantage aux personnes qui circulent entre le public et le privé. Il y a quantité d’organismes consultatifs, comme le Conseil d’État, dont le poids dans le processus décisionnel ne peut être contrôlé faute de transparence. Il est évident que ces instances font l’objet de lobbying et il n’est pas question ici de critiquer le lobbying qui est une pratique naturelle, mais il faut empêcher que seuls certains intérêts se fassent entendre. Il est donc nécessaire que tous les organismes consultatifs publient leurs avis ainsi que l’ensemble des auditions organisées ou des interventions reçus. La totalité du processus d’élaboration des décisions publiques (depuis le projet de loi jusqu’aux décrets) doit être transparent. On pourrait même s’inspirer de la méthode américaine du notice-and-comment qui s’applique aux décisions administratives de portée générale : l’Administration doit publier une information signifiant son intention de réfléchir à la réglementation d’un domaine, elle doit entendre toutes les parties concernées et les contributions sont publiées. Elle est ensuite tenue de motiver son choix final en fonction des résultats de la consultation. La même procédure devrait s’appliquer pour les organismes consultatifs, en particulier ceux dont le rôle dans l’élaboration des décisions est capital, sans qu’ils n’aient jusqu’ici aucun compte à rendre sur les choix effectués.

 

La transparence est nécessaire mais aussi l’expertise. On ne peut lutter contre les conflits d’intérêts que si les projets de texte, soigneusement motivés, sont fondés sur des faits et pas des passions. La même obligation s’impose au juge. Pourquoi le Conseil constitutionnel est-il si sujet au lobbying ? Parce qu’il n’a pas à motiver ses jugements, à en expliquer les raisons. Or, si les destinataires d’une règle ou d’un jugement peuvent en comprendre les motifs rationnels, le contrôle est plus efficace. Il faut donc relancer la réflexion sur la place des études d’impact dans le processus décisionnel, le niveau des études d’impact étant aujourd’hui extrêmement médiocre. Évidemment, le politique peut s’écarter des résultats des expertises ou des consultations, mais il doit alors se justifier.

 

Enfin, je voudrais terminer par un dernier point. Les conflits d’intérêts posent des problèmes particuliers parce qu’ils permettent à certains intérêts puissants de capturer le processus décisionnel. Ce n’est possible, bien souvent, que parce qu’il n’y a personne en face pour contrebalancer le pouvoir de telle grande entreprise ou de tel intérêt puissant. Si l’on prend l’exemple de la régulation financière, Antoine Vauchez et Pierre France ont montré qu’il y a des personnels à l’AMF qui viennent du privé, qui ont un parcours très long en cabinet d’avocats et qui voudront certainement y retourner. Cette situation pose problème non seulement en elle-même, mais aussi parce qu’il n’y a personne pour faire pencher la balance dans l’autre sens, en représentant la voix des petits investisseurs ou des petits actionnaires. Ainsi, en droit des marchés financiers, il n’y a pas de voix forte pour les petits investisseurs. Là où la puissance publique peut donc jouer un rôle décisif, c’est en réfléchissant à la façon d’activer tous les intérêts, afin de contrebalancer ceux qui sont particulièrement puissants. Il faut réfléchir à la façon dont, secteur par secteur, il est possible de représenter l’ensemble des intérêts qui doivent l’être.

 

La réflexion sur la déontologie et les conflits d’intérêts est donc cruciale. Toutefois, vous ne parviendrez à répondre à ce défi, à prendre en compte ce qui est aujourd’hui l’ADN de la haute fonction publique et d’une partie importante de la recherche universitaire, qu’en réfléchissant plus globalement à la façon de faire des politiques publiques. A cet égard, l’épisode de la direction de la Banque de France est emblématique de l’urgence qu’il y a à préférer l’expertise aux réseaux.

 

[1] L. Rouban, « Le pantouflage aux XIXe et XXe siècles », Fabien Cardoni, Nathalie Carré de Malberg et Michel Margairaz (dir.),  Dictionnaire historique des inspecteurs des Finances, Paris, CHEFF Éditions, octobre 2012, pp. 307 ; « L’inspection  générale  des Finances, 1958-2008 : pantouflage et renouveau des stratégies élitaires », Sociologies  pratiques, « Les élites dirigeantes : une recomposition en trompe-l’œil ? », n° 21, septembre 2010, pp. 19-34 ; Le  Conseil  d’État  1958-2008 :  sociologie  d’un  grand corps, Cahiers  du CEVIPOF, n° 49, Paris, CEVIPOF, mai 2008.

[2] P. France, A. Vauchez, Sphère publique, intérêts privés. Enquête sur un grand brouillage, Paris, Les Presses de Sciences Po, coll. « Domaine gouvernance », 2017.

[3] C. Teitgen-Colly, « Déontologie et pantouflage dans la haute fonction publique. L’exemple du Conseil d’Etat », Mélanges en l’honneur de Gérard Marcou, IRJS, 2017.

[4] J.-B. Auby, T. Perroud, Corruption and Conflicts of Interest, A Comparative Law Approach, Coll. Studies in Comparative Law and Legal Culture series, Edward Elgar, 2014.

[5] Un présentateur à la télévision peut-il recevoir une vedette dont il est le producteur par ailleurs ? Un directeur de théâtre qui est en même temps metteur en scène ne pourra-t-il pas être incité à programmer le spectacle d’un confrère qui lui achètera aussi son spectacle ?

[6] V. mon étude sur la position du Secrétaire général : T. Perroud, « Le Conseil constitutionnel et les portes étroites », Blog Jus Politicum, 16 mars 2017 ; « Le Conseil constitutionnel contre la transparence », Blog Jus Politicum, 16 décembre 2016 ; T. Perroud, « La neutralité procédurale du Conseil constitutionnel », à publier dans le colloque sur la neutralité, hal-01560873.

[7] « Banque de France : « François Villeroy de Galhau est exposé à un grave conflit d’intérêts », Un collectif d’économistes, d’universitaires et de personnalités de la société civile demande aux parlementaires de ne pas approuver cette nomination », Le Monde Economie, 15.09.2015.

[8] T. Gajdos, « Vous avez dit conflit d’intérêts ? » Le Monde Économie et Entreprise, vendredi 25 septembre 2015.

[9]« I just cannot get you out of my head : Regulatory capture of financial sector supervisors », DNB Working Papers, janvier 2014.

[10] V. notre billet ici : http://blog.juspoliticum.com/2016/12/16/le-conseil-constitutionnel-contre-la-transparence/.

[11] Dans un entretien au Monde, ce haut fonctionnaire précise que « Le Conseil d’Etat donne un réseau incroyable : les directeurs de cabinet de l’Elysée, de Matignon, la plupart des directeurs juridiques des grands groupes en viennent » (Le Monde, 21/12/2012).

[12] J. Rouban, « L’inspection générale des Finances, 1958-2008 : pantouflage et renouveau des stratégies élitaires », Sociologies pratiques, 2010/2 (n°21), pp. 19-34.

[13] H. Joly, « HEC-ENA, un couple qui marche », Les analyses de l’OpesC n° 15, nov. 2011 (halshs-00689920).

[14] T. Perroud, « Le Conseil constitutionnel contre la transparence », Blog Jus Politicum, 16 décembre 2016.

[15] Acteurs publics, lundi 12 décembre 2016.

[16] https://cms.law/fr/FRA/People/Olivier-Dutheillet-de-Lamothe.

[17] https://www.kramerlevin.com/fr/people/no%C3%ABlle-lenoir.html?tab=profile. La même personne fut d’ailleurs épinglée pour conflit d’intérêts lorsqu’elle était déontologue de l’Assemblée nationale : http://sahttp://sante.lefigaro.fr/actualite/2015/11/02/24274-deontologue-lassemblee-nationale-etait-payee-par-lindustrie-pharmaceutiquente.lefigaro.fr/actualite/2015/11/02/24274-deontologue-lassemblee-nationale-etait-payee-par-lindustrie-pharmaceutique.

[18] T. Perroud, « Pour la publication des portes étroites devant le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État », Recueil Dalloz 2015, n° 43, pp. 2511-2512.