Une démolition du Conseil constitutionnel par son ancien président
À propos de l’ouvrage de Jean-Louis Debré : Ce que je ne pouvais pas dire, Paris, Robert Laffont, 2016
Une démolition du Conseil constitutionnel par son ancien président, voilà ce qui me paraît rester de la lecture in extenso du livre de Jean-Louis Debré. Un exercice d’auto-glorification qui est en fait une charge contre lui-même et qui atteint de façon collatérale toute l’institution.
Quelques exemples parmi beaucoup d’autres : le récit d’un déjeuner avec le président du MEDEF qui lui présente sa liste de desiderata (fiscalité à modérer, etc. ) de façon d’autant plus confiante que « nous n’avons pas été déçus par les décisions précédentes du Conseil », en écho au nombre record de censures de dispositions fiscales évoqué longuement quelques pages plus haut ; celui d’une visite en Turquie, où il est satisfait d’être « particulièrement bien reçu » et raconte comment les plus hautes autorités le « remercient avec chaleur » de la censure de la loi sur le génocide arménien ; ceux de bien d’autres prouesses – du moins à ses yeux – narrées sans aucune distance, d’une façon confondante de naïveté.
Sa détestation des juristes (sauf de Marc Guillaume bien sûr) est quasi systématique, avec notamment des pages féroces de dédain pour les « “grands” [les guillemets sont ici à répétition les siens] juristes du Conseil », qu’il veille d’ailleurs à écarter soigneusement de ses entretiens avec les responsables politiques, même quand il s’agit de parler du présent ou du futur de l’institution. Il souhaite surtout voir le Conseil continuer à être peuplé à l’avenir de politiques, ayant « le sens de l’État », et surtout pas en tout cas de magistrats judiciaires « qui se sont construits contre l’État », écrit-il, et ne pensent qu’à défendre les libertés qu’il menacerait.
Sont aussi ahurissantes à cet égard les attaques personnelles incessantes contre les présidents des plus hautes juridictions, contre le vice-président du Conseil d’État, « hypocrite » mais dont la “campagne” (les guillemets sont encore ici les siens) pour lui succéder a échoué, contre les présidents de la Cour de cassation (que ce soit l’ancien, avec sa « haine sournoise », ou le nouveau, « surréaliste »), et de façon plus générale contre des magistrats judiciaires qu’il ne supporte pas de voir « larmoyer » à propos de l’indigence de leurs moyens – absence d’empathie d’autant plus remarquable qu’il disposait notoirement, quant à lui, de l’une des meilleures tables de Paris !
L’embarras, pour pratiquer la litote, vient enfin de tout ce qu’il écrit à longueur de pages de ses amitiés ou inimitiés politiques. Même si ce pouvait être un peu attendu de la part de qui a fait une longue carrière politique, cela ne l’était pas à ce degré là, pas à cette place centrale dans le journal de qui exerçait alors des fonctions devant évacuer par principe toute dimension politicienne. Cette obsession se révèle pourtant, au fil des pages, avoir été encore pendant ces neuf années son principal sujet d’intérêt. L’ancien président du Conseil constitutionnel se défend bien évidemment de ce que tout cela ait pu avoir la moindre influence sur ses décisions, prises de façon collégiale. Cela crée quand même rétrospectivement un éclairage singulier et un gros souci en termes d’« impartialité objective » pour l’institution.
Quelques éléments positifs : des considérations bienvenues sur l’inflation législative, même si elles ne sont hélas pas très originales, ainsi que des évocations souvent attachantes de son père et des Debré (autres du moins que son frère mal-aimé).
Il va falloir maintenant tenter de reconstruire, si c’est possible, l’image du Conseil constitutionnel que le livre de Jean-Louis Debré vient malgré lui de saccager.
Martine Lombard, Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)