Pourquoi le Président Trump n’est pas parvenu à abroger l’Obamacare : un échec politique et institutionnel

Pourquoi le Président Trump n’est pas parvenu à abroger l’Obamacare : un échec politique et institutionnel

L’incapacité du Président Trump à obtenir l’abrogation de l’Obamacare traduit une incompétence politique et une méconnaissance profonde de la fonction présidentielle qui dépend ultimement d’une forme de persuasion à l’égard des autres représentants des branches du pouvoir judiciaire et législatif.  C’est bien ce qui a manqué à l’actuel locataire de la Maison Blanche.

 

Un échec politique (et un signe d’incompétence ?)

 

I. Élu sur la promesse d’abroger l’Obamacare, le Président Trump a du renoncer à présenter son projet de loi, en retirant son texte dès le 24 mars dernier, faute de majorité devant la Chambre des représentants. Après l’échec du décret anti-immigration connu sous le nom de muslim ban (V. JP Blog, post du 8 février 2017), ce nouvel échec montre à quel point le Président Trump est rattrapé par les réalités institutionnelles et politiques avec lesquelles il doit, coûte que coûte, composer pour éviter une troisième déconvenue.

Cet échec est, disons-le clairement, le résultat d’une intransigeance du Freedom Caucus (l’aile droite du Grand Old Party) qui jugea très insuffisante la réforme du dispositif de santé Obamacare. Le camp des républicains « modérés » redoutait, quant à lui, que ce projet d’abrogation augmente d’avantage le nombre d’Américains sans couverture maladie.

Comment en est-on arrivé à cette crise majeure? Une première explication tient à la configuration politique du parti républicain. Il n’est pas inutile de rappeler que le parti républicain détient la majorité aussi bien au Sénat qu’à la Chambre des Représentants. N’oublions pas, ensuite, que le Président Trump n’est pas issu du sérail des Républicains. De nombreux Représentants et Sénateurs étaient hostiles à sa candidature et n’ont rien fait pour la soutenir, en particulier les plus modérés et l’aile droite du Grand Old Party (Freedom Caucus). L’euphorie de la victoire a fait oublier que les républicains sont divisés (Paul Ryan ayant été choisi après la démission de John Boehner à la présidence de la Chambre des représentants). Ce retrait, laisse surtout apparaître l’idée « d’un vote sanction » envers Donald Trump.

La seconde explication est liée à certaines spécificités de la procédure législative américaine. Tout d’abord, Donald Trump a approuvé un projet de loi dont il ne maîtrisait pas le contenu. L’autre erreur a été de vouloir forcer la main au Congrès en précipitant l’adoption de son texte. Rien, mis à part les changements de plaques commémoratives, ne peut aller vite au Capitole, et surtout pas une réforme de l’assurance maladie. Enfin, son erreur politique a été de croire qu’il suffirait de brandir une quelconque menace à l’égard des républicains hostiles à son texte (principalement ceux du Tea Party) pour penser l’emporter. Beaucoup d’entre eux ont préféré conserver une loi (l’Obamacare) qu’ils ont combattue plutôt que de céder aux pressions de l’exécutif.

Tout au long de la journée du 24 mars, des tractations de dernière minute ont eu lieu pour essayer de réunir à la Chambre basse du Congrès une majorité. Le président de la Chambre des Représentants, Paul Ryan, savait qu’il n’obtiendrait pas de majorité suffisante pour faire adopter l’American Health Care. Que prévoyait ce nouveau projet?

  • L’annulation de l’amende infligée à ceux qui ne souscrivaient pas à une couverture santé,
  • La réduction de financements tels que le Medicaid ou le programme pour les personnes en situation d’extrême précarité et de handicap
  • Une baisse importante du niveau de subvention censé aider les particuliers à s’assurer.

Pas suffisamment libéral pour l’aile droite, beaucoup trop libéral pour les « modérés » républicains, ce projet a donc été victime des divisions internes du parti républicain. Sans grande surprise, quelques minutes avant le vote initialement prévu à 15h30, le Président Trump a demandé à Paul Ryan, de retirer le texte et de ne pas le soumettre au vote, évitant au passage une humiliation politique. Selon certaines estimations, il manquait 10 à 15 voix pour réussir ce pari et permettre à l’ambitieux Paul Ryan de gagner la confiance de Donald Trump. Ce dernier a reconnu qu’il n’avait pas été en mesure de convaincre une majorité suffisante à la Chambre où, rappelons-le, les républicains ont 237 élus contre 193 démocrates.

 

II. Au-delà du contexte politique immédiat, cette crise renvoie aux relations Président-Congrès qui ont évolué en faveur du Président. Les Pères fondateurs ont, au niveau fédéral, fait en sorte de construire un gouvernement à trois « branches » dont chacune d’elles contrebalance l’autre par des pouvoirs étendus et équilibrés. Ce système de Checks and Balances permettrait d’empêcher une quelconque tentative d’hégémonie. L’évolution du régime vers le gouvernement présidentiel, dont les artisans de la Déclaration de Philadelphie avaient posé les bases, a eu lieu dès la guerre de Sécession. Cette recherche d’un exécutif fort, qui ne trouverait certainement pas sa place dans notre système constitutionnel, a sans doute permis d’éviter une instabilité des législatures au niveaux des États eux-mêmes et de maintenir un ordre républicain au niveau fédéral. Cette légitimité provient de la rencontre directe, sans passer par la case du Congrès, entre le Président et ses (grands) électeurs. La seconde section de l’article II de la Constitution des Etats-Unis prévoit que le Président et le Vice-président sont choisis par des grands électeurs, sans préciser le mode de nomination de ce collège électoral dans lequel les États fédérés organisent eux-mêmes leur mode de désignation: « Aucun sénateur ou représentant, ni aucune personne tenant des Etats-Unis une charge de confiance ou de profit, ne pourra être nommé électeur », est-il précisé.

Les poids et contrepoids sont fort heureusement la boussole qui permet d’éviter que le Congrès ne renverse le Président et que le Président cherche à étouffer le pouvoir législatif. Le pouvoir de véto permet précisément au Congrès d’entendre les signaux forts que devra envoyer le Président au Congrès pour se faire entendre. Dans ce cas, c’est le leadership présidentiel qui devra prendre le relai : c’est ce qui a, en l’espèce, fait défaut au Président.

 

Un échec institutionnel (et un problème de leadership ?)

 

I. Ce retrait pose la question de l’avenir de cette réforme sur laquelle le Président Trump avait fait campagne. Le profil de candidat anti-système et d’outsider du candidat Trump, censé être capable de faire plier la machine fédérale, n’aura pas suffi. Rappelons-nous sa prestation de serment du 20 janvier dernier : le temps de la parole est révolu, place à l’action. Le Président Trump, fraîchement élu, pensait être « le seul à pouvoir régler les problèmes de Washington » or, c’est tout le contraire qui s’est produit. Le retrait du texte est un échec qui au-delà de sa personne, la fonction présidentielle. La crise de son leadership est manifeste et ses opposants n’hésiteront pas à le lui rappeler. Comment un homme qui s’est présenté comme un fin négociateur compte tenu de ses activités professionnelles, a t-il été dans l’incapacité de persuader son propre parti? La encore, cet échec est l’occasion d’insister sur le rôle du Président des États-Unis tel qu’il est défini par la Constitution et sur la place qu’il occupe dans le Gouvernement.

Hamilton écrivait (Le Fédéraliste n° 70) : « La force (energy) de l’exécutif est une condition majeure de l’existence d’un bon gouvernement » et, cette force doit se caractériser par « un ascendant (du Président) que les tentatives occasionnelles de révolte de celui-ci n’arrivent pas à affaiblir » (S. Hoffmann, préf. au livre de M.-F. Toinet, Le système politique américain, PUF, coll. « Thémis », 1990, 2e éd., p. 30). Cette affirmation résume bien ce que l’on attend d’un président, à savoir être un leader pour assurer une bonne gouvernance.

Le régime politique américain s’est progressivement mué en un régime plus présidentialiste, sous l’impulsion délibérée de certains présidents (Présidents Wilson et Franklin D. Roosevelt). Ce régime signifie simplement qu’il existe une prépondérance de l’exécutif et, au sein de l’exécutif, une prépondérance du président. Il n’existe pas de gouvernement organisé autour d’un Premier ministre. Le Président choisit ses secrétaires comme des collaborateurs qui sont responsables devant lui. L’image de Donald Trump assis sur son bureau entouré de ses conseillers et secrétaires, entrain de signer son premier décret présidentiel, ordonnant à son administration d’accorder le plus d’exemptions possibles à la réforme du système de santé de 2010, illustre bien le propos.

Bien que la nature du régime soit centrée sur la personne du Président, l’article II Section II de la Constitution des États-Unis prévoit, tout de même, des pouvoirs limités qui sont bien énumérés. Ni le Président, ni le Congrès ne peuvent mettre fin au mandat de l’autre pouvoir. Ainsi, les deux pouvoirs doivent inévitablement s’entendre pour trouver un compromis et, les midterm elections illustrent bien la nécessité pour le Président de savoir traiter avec le Congrès tout en cherchant à garder un ascendant sur celui-ci. Le leadership présidentiel peut faire la différence, parce qu’en cas d’échec à trouver un compromis, c’est tout le système politique qui peut se trouver bloqué par des « shutdowns » budgétaires avec pour résultat le blocage de l’administration fédérale et plus largement par une situation de « divided government ».

 

II. De quelle manière se caractérise le leadership présidentiel? Sans revenir sur l’histoire du gouvernement présidentiel, rappelons que celui-ci est le produit d’une longue évolution qui remonte à la Convention de Philadelphie et qui trouva son apogée sous la présidence de Franklin D. Roosevelt. Bien que les conclusions de Tocqueville dans son ouvrage, De la démocratie en Amérique, portent la marque de son temps, en observant, dès 1835, que « le président est placé à côté de la législature », il ne fait pas de doute que, des trois pouvoirs, celui qui est prépondérant aujourd’hui, est bien à la Maison-Blanche.

Cette prépondérance est avant tout coutumière et le fruit d’une longue évolution. Le Président américain se doit d’être un véritable leader plutôt qu’un simple chef d’État. Le président n’exerce pas ses pouvoirs avec plus d’aisance parce qu’il bénéficierait d’un appui politique au Congrès (notre cas d’espèce le démontre), mais plutôt par sa capacité à rassembler autour de sa personne, autour de ce qu’il représente et inspire. Il doit rassembler tel un monarque et gouverner tel un républicain. C’est ce qui a sûrement manqué au Président Trump quand il a cru pouvoir « détricoter » tout un système de santé que son prédécesseur avait longuement travaillé et présenté auprès de chaque sénateur et représentant, justement grâce à sa force de persuasion. Dans la pratique il arrive très souvent que la marge de manœuvre d’un président soit trop faible pour opérer des changements importants, sans l’approbation du Congrès. Ce dernier doit compter également sur son entourage (Richard Neustadt, Presidential Power and the Modern Presidency: The Politics of Leadership from Roosevelt to Reagan, New York, NY: Free Press). Pour cela, le Président Trump ne doit pas seulement donner l’impression qu’il gouverne mais doit gouverner, en commençant par s’entourer d’experts, ceux-là même qu’il vilipendait de bureaucrate durant sa campagne. Notre cas d’espèce démontre que son « leadership » naturel ne suffit plus à convaincre ses propres troupes. Qu’en sera t-il lorsqu’il s’agira de défendre sa réforme fiscale, qui s’avèrera plus difficile encore à accomplir, ou lorsqu’il devra, en cas de victoire des démocrates à l’issue des prochaines midterms elections, composer avec un Congrès moins bien disposé à son égard?

 

Tarek Darwish, Doctorant à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)

Je remercie vivement M. Idris Fassassi, Maître de conférences à l’Université Panthéon-Assas (Paris II), pour ses précieuses indications.