Indépendance du parquet : mythe ou réalité ?

Par Aliénor Godfroid, Claire Liberge, Laurine Toursel

<b> Indépendance du parquet : mythe ou réalité ? </b> </br> </br> Par Aliénor Godfroid, Claire Liberge, Laurine Toursel

Les magistrats du ministère public se doivent d’être indépendants tout en étant sous la subordination hiérarchique du ministre de la Justice… N’y a-t-il pas là une contradiction ? Le Conseil constitutionnel s’est penché sur la question à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Dans une décision du 8 décembre 2017, il déclare qu’il n’y a pas d’incohérence à ce sujet, ce qui soulève des interrogations quant aux notions de séparation des pouvoirs et d’indépendance de l’autorité judiciaire.

Is there any contradiction in the French system saying public prosecutors are independent whereas they are under the authority of the Minister of Justice? The question was asked to the Constitutional Council on the occasion of a “question prioritaire de constitutionnalité” (QPC). The Council, in a ruling issued on the 8th of December 2017, argued there was no inconsistency. It raised several issues on the notions of separation of powers and judicial independence.

 

Aliénor Godfroid, Claire Liberge, Laurine Toursel, étudiantes du certificat fondements du droit public, Université Panthéon-Assas Paris 2

 

 

Dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, l’Union syndicale des magistrats (USM) a soulevé une QPC portant sur la conformité à la Constitution du lien hiérarchique existant entre les magistrats du parquet et le garde des Sceaux. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2017-680 QPC du 8 décembre 2017, a validé l’article 5 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature qui dispose que « les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l’autorité du garde des Sceaux, ministre de la Justice. À l’audience, leur parole est libre ».

 

Était en particulier critiquée l’expression « et sous l’autorité du garde des Sceaux ». L’USM estimait que cette disposition portait atteinte, d’une part, au principe d’indépendance de l’autorité judiciaire, tel que garanti par l’article 64 de la Constitution, et d’autre part au principe de séparation des pouvoirs, tel qu’affirmé par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.

 

Le Conseil constitutionnel réfute ces arguments au regard des garanties assurant l’indépendance du parquet et en raison de la nécessaire conciliation entre les prérogatives que le Gouvernement tient de l’article 20 de la Constitution et le principe d’indépendance des magistrats du parquet.

 

Cette décision très attendue se caractérise par son poids politique. Pour le mesurer, il convient de s’intéresser aux conséquences qu’aurait eu une déclaration d’inconstitutionnalité.

 

 

I. Une décision politique et peu justifiée

En l’absence de l‘affirmation selon laquelle le ministère public est placé sous l’autorité du garde des Sceaux, ce serait tout le fonctionnement judiciaire du parquet qui aurait été bouleversé. Le ministre de la Justice, bien que la loi n° 2013-669 du 25 juillet 2013 lui ait retiré la possibilité d’adresser au procureur général des instructions aux fins d’engagement des poursuites dans des affaires individuelles, dispose toujours en effet du pouvoir d’adresser aux membres du parquet des instructions générales afin de mettre en œuvre la politique pénale recherchée. Le risque serait alors celui d’une application incohérente de la loi sur l’ensemble du territoire. Or, ce changement relèverait de l’autorité politique.

 

De plus, la jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ne nécessitait pas une réelle remise en question de l’autorité du garde des Sceaux sur les magistrats du parquet. Bien que celle-ci ait indiqué, dans son arrêt n°3394/03 Medvedyev c. France en date du 10 juillet 2008, que « le procureur de la République n’est pas une « autorité judiciaire » au sens que la jurisprudence de la Cour donne à cette notion […] il lui manque en particulier l’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif pour pouvoir être ainsi qualifié », elle ne condamne pas le système français sur ce point car il relève selon elle d’un débat devant être mené au plan national.

 

On en déduit que le Conseil constitutionnel était placé dans une situation de totale liberté au regard de la position de la CEDH, lui permettant de conserver le système ainsi en place.

 

Au-delà de cet argument politique et d’un point de vue plus juridique, la décision peut être justifiée par la mise en œuvre d’un contrôle de proportionnalité. Venue tout droit de la CEDH, le Conseil use à nouveau de cette technique juridictionnelle, consistant à mettre en balance les intérêts en présence. Après avoir relevé, au sein même de la Constitution, la consécration de l’indépendance des magistrats du parquet (article 64) et le devoir pour le Gouvernement de déterminer et de conduire la politique de la Nation (article 20), il en tire la conclusion d’une nécessaire conciliation entre ce principe et les prérogatives du Gouvernement.

 

Au regard de la loi, les magistrats du parquet sont placés sous l’autorité du garde des Sceaux. Cela découle, en premier lieu, des articles 28 et 66 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, lesquels posent respectivement les conditions de nomination et de sanction des magistrats du parquet. Les décrets portant nomination à ces fonctions sont pris par le Président de la République sur proposition du ministre de la Justice, à qui est également confié le pouvoir de sanction. Cependant, les deux procédures font l’objet au préalable d’un avis simple du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) – organe constitutionnel garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire. Enfin, l’autorité du garde des Sceaux sur le parquet relève encore des articles 30, 39-1 et 39-2 du Code de procédure pénale, conférant au ministre la possibilité d’adresser des instructions générales à ces magistrats. Toutefois, il ressort également des textes que cette autorité exercée par le ministre de la Justice se trouve limitée par la liberté dont ces derniers jouissent. Cela résulte notamment de l’article 33 du Code de procédure pénale garantissant la liberté de parole du ministère public.

 

Au vu de ces éléments, il semble, pour le Conseil constitutionnel, que les magistrats du parquet jouissent de garanties d’indépendance suffisamment renforcées, permettant une conciliation équilibrée entre celle-ci et les prérogatives constitutionnelles du Gouvernement.

 

Cependant, cette décision pêche par son raisonnement par trop succinct et est, à cet égard, décevante. Le Conseil n’explique en rien en quoi ces garanties légales sont à même de garantir l’indépendance des magistrats du parquet : un maillon semble manquer à son raisonnement. En quoi les conditions de nomination et de sanction ainsi que le fonctionnement du parquet garantissent-ils l’indépendance de notre magistrature « debout » ?

 

Ceci est d’autant plus discutable que le CSM ne donne qu’un avis simple à la nomination ou sanction des magistrats du parquet, par lequel n’est donc pas lié le garde des Sceaux, là où un avis conforme est requis s’agissant des magistrats du siège. Or, n’y a-t-il pas un risque de remise en cause de l’indépendance par une certaine influence du ministre qui aurait le pouvoir de déplacer ou de sanctionner un procureur dont les décisions lui déplairaient ? Est ici en jeu la confiance que les justiciables peuvent avoir en la justice. Selon un sondage, seuls 44% des Français ont confiance dans la justice de leur pays.

 

Enfin, il s’avère que, dans le cadre de la pratique des « remontées d’information » dont le but est d’évaluer la politique pénale, le garde des Sceaux peut solliciter des informations sur des affaires particulières, des « rapports particuliers », non communicables aux justiciables concernés. Le Conseil constitutionnel n’en fait aucunement mention, alors même que cela semble contestable au regard du principe d’indépendance de l’autorité judiciaire.

 

Toujours est-il que tout ceci est à relativiser. En effet, depuis 2012, la Chancellerie a toujours respecté l’avis simple du CSM concernant la nomination des magistrats du parquet et la prochaine révision constitutionnelle, dont le projet a été dévoilé le 4 avril dernier, devrait consacrer cette pratique par l’exigence d’un avis conforme. De plus, le pouvoir de sanction devrait être uniquement confié au CSM.

 

Ces mesures ont souvent fait l’objet de débats et de projets de révision constitutionnelle, sans jamais être adoptées. La ministre de la Justice Christiane Taubira avait déjà, en 2013, proposé l’avis conforme de nomination des magistrats du parquet par le CSM, mais le Sénat s’y était opposé. Le projet avait ensuite été repris, en 2016, par son successeur Jean-Jacques Urvoas, mais les députés n’y étaient pas favorables, notamment notre Premier ministre actuel Edouard Philippe. Il expliquait alors vouloir « une politique pénale uniforme sur le territoire national » et non « une politique des juges ». Cette affirmation semble toutefois rester cohérente avec le projet de réforme proposé par le président Macron, qui tend à préserver le lien hiérarchique entre le ministre de la Justice et le parquet.

 

Il ne s’agit pas ici de proposer une alternative binaire entre indépendance et dépendance des magistrats du parquet mais plutôt de définir un degré d’indépendance en deçà duquel la garantie d’une bonne justice serait compromise. Il ne semble pas que l’indépendance des magistrats du parquet doive être absolue et cela en raison de leur statut. Le ministère public agit dans l’intérêt de la société, pouvant requérir une condamnation ou un acquittement. Par conséquent, il n’est ni juge, ni avocat, ni représentant de l’État. Il est simplement chargé de mettre en œuvre une politique pénale élaborée par le Gouvernement.

 

Une coopération des pouvoirs publics, au-delà d’une stricte séparation, apparaît ainsi nécessaire et est consacrée par la décision du 8 décembre 2017.

 

 

II. Une décision justifiable par l’exigence de coopération des pouvoirs

Le concept de séparation des pouvoirs remonte au XVIIIe siècle. Il émerge en particulier lors de la Révolution anglaise de 1640-1660 et sera repris par Montesquieu. La notion s’illustre dans l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, norme de référence mentionnée au visa de la présente décision. Or, séparation des pouvoirs et indépendance de l’autorité judiciaire sont consubstantiellement liées. Cette dernière se définit comme l’absence d’influence ou de pression, hiérarchique ou politique, exercée sur elle. Elle serait indissociable de l’exercice de fonctions judiciaires (décision n° 92-305 DC du 21 février 1992 ; décision n° 94-355 DC du 10 janvier 1995 ; décision n° 2011- 147 QPC du 8 juillet 2011) et juridictionnelles (décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002 ; décision n° 2011-147 QPC du 8 juillet 2011 ; décision n° 2012-241 QPC du 4 mai 2012).

 

Bien que le Conseil constitutionnel ait affirmé à plusieurs reprises que l’autorité judiciaire comprend à la fois les magistrats du siège et ceux du parquet (décision n° 93-326 DC du 11 août 1993 ; décision n°2011- 125 QPC du 6 mai 2011), cette indépendance est, en pratique, appréciée et garantie différemment selon la catégorie de magistrat. C’est ce qu’il rappelle ici : l’indépendance des magistrats du parquet « doit être conciliée avec les prérogatives du Gouvernement » et « n’est pas assurée par les mêmes garanties que celles applicables aux magistrats du siège ». Si le juge du siège bénéficie d’une garantie renforcée, qui s’illustre notamment par son inamovibilité, le magistrat du parquet est, quant à lui, soumis à l’autorité du garde des Sceaux et n’est pas inamovible.

 

Dans une décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, le Conseil constitutionnel a affirmé que l’article 30 du Code de procédure pénale, relatif aux instructions générales adressées par le garde des Sceaux au ministère public, était conforme au principe de séparation des pouvoirs mais cela sans se prononcer sur la question de l’indépendance des magistrats du parquet. La solution ne surprenait pas : l’article 30 énonce lui-même que le ministre de la Justice conduit la politique pénale déterminée par le Gouvernement et veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République. Pour mener à bien sa mission, le garde des Sceaux se voit donc contraint d’adresser des instructions générales aux magistrats du parquet.

 

Finalement, l’immixtion du pouvoir exécutif dans les fonctions du ministère public semble assez limitée. A cela s’ajoute le fait que le magistrat du parquet dispose toujours du droit de faire des observations orales lors des audiences – la plume est serve mais la parole est libre.

 

Ainsi, plutôt qu’une séparation stricte et absolue des pouvoirs, il est nécessaire de privilégier une collaboration entre ceux-ci. Il n’est pas inconcevable que le ministère public soit placé sous l’autorité du garde des Sceaux afin de permettre au Gouvernement de conduire, conformément à l’article 20 de la Constitution, la politique de la Nation. La décision du Conseil constitutionnel peut donc se justifier, mais elle aurait gagné en légitimité avec un raisonnement plus développé.