Quand l’Assemblée devient Parlement… Le cas du Pays de Galles

Par Damien Connil

<b> Quand l’Assemblée devient Parlement… Le cas du Pays de Galles </b> </br> </br> Par Damien Connil

L’Assemblée nationale du Pays de Galles va changer de nom pour devenir le Parlement gallois. Du point de vue du droit constitutionnel, ce changement mérite d’être examiné pour en comprendre la signification dans le contexte britannique et la portée tout à la fois institutionnelle, linguistique et symbolique.

 

The National Assembly for Wales will change its name to the Welsh Parliament. From a constitutional perspective, it is worth considering this change in order to understand its meaning in the British context and its institutional, linguistic and symbolic significance.

 

Par Damien Connil, Chargé de recherche CNRS, Univ. Pau & Pays Adour, Aix Marseille Univ., Université de Toulon, CNRS, DICE, IE2IA, Pau. 

 

 

Le 27 novembre dernier, l’Assemblée nationale du Pays de Galles a définitivement adopté le Senedd and Elections (Wales) Bill. Au-delà de substantielles modifications du système électoral régional, le texte précise un point sur lequel nous voudrions ici insister : l’assemblée du Pays de Galles n’est plus simplement une « Assemblée », elle devient « Parlement ». A compter du mois de mai, elle ne sera plus désignée sous le nom d’Assemblée nationale du Pays de Galles mais comme le Senedd Cymru ou Welsh Parliament, le Parlement gallois. Il y a là, sans doute, de quoi susciter la curiosité sinon l’attention. Celle(s) des constitutionnalistes au moins.

 

Après tout, quelle différence entre une Assemblée et un Parlement ? Pourquoi parler de l’un ou de l’autre ? Dans le contexte britannique[1], dans le cadre de la dévolution, alors que les incertitudes institutionnelles et constitutionnelles sont par ailleurs extrêmement nombreuses, cela ne peut pas être sans incidence.

 

La dévolution britannique, on le sait, est asymétrique, organisant des transferts de compétences distincts selon les régions de sorte que le modèle retenu est celui d’une autonomie régionale différenciée où, depuis l’origine, l’Ecosse représente le stade le plus avancé. Du point de vue des assemblées délibérantes, des différences importantes existent ainsi entre les compétences que sont susceptibles d’exercer depuis la fin des années quatre-vingt-dix, le Parlement écossais ou l’Assemblée galloise.

 

De manière plus générale, la dévolution écossaise et la dévolution galloise ne se sont pas faites au même rythme et selon les mêmes ambitions. En Ecosse, un Scotland Act (1998) – prolongeant un particularisme historique, spécialement dans le domaine du droit ou de l’éducation – a organisé une répartition des compétences dévolues et réservées au profit d’un Parlement écossais et d’un gouvernement pour l’Ecosse dirigé par un First Minister. Au Pays de Galles, le texte initial était plus modestement intitulé Government of Wales Act (en 1998 comme en 2006) avant d’être relayé, à partir de 2014 seulement, par un Wales Act. Mais surtout, au départ, la dévolution galloise consistait pour l’essentiel en un transfert, à Cardiff, des compétences jusqu’alors exercées au sein du gouvernement britannique par le Secretary of State for Wales. L’assemblée et l’exécutif gallois constituaient même, à l’origine, une entité unique et le texte ne prévoyait pas de First Minister mais un First Secretary. La pratique puis les textes ont conduit à la reconnaissance d’une séparation entre l’assemblée et l’exécutif avec à la tête de ce dernier un First Minister. Le Welsh Assembly Government est devenu le Welsh Government. A partir de 2006, des compétences peu à peu élargies ont été reconnues à l’Assemblée notamment en matières fiscale et législative pour lui permettre d’adopter des textes dans le cadre de Legislative Competence Orders puis dans des matières ciblées prévues à cet effet après le référendum de 2011 et de manière plus large encore depuis 2017.

 

La dévolution galloise s’est donc faite beaucoup plus progressivement au gré de la pratique, des recommandations formulées par différentes commissions (Richard, Holtman, Silk, McAllister), des résultats des référendums organisés en 1997 puis en 2011 et des textes adoptés successivement (Government of Wales Act 1998 et 2006, Wales Act 2014 et 2017). Au Pays de Galles, la dévolution est « un processus et non un évènement »[2].

 

 

Un changement de perspective

Dans ce contexte, une nouvelle dénomination de l’assemblée correspond, en premier lieu, à un changement de perspective. Le Wales Act 2017 rapproche en effet le Pays de Galles du modèle écossais en faisant le choix non plus simplement de conferred powers mais de reserved powers. L’assemblée galloise a ainsi gagné en autonomie dès lors qu’elle peut aujourd’hui, sous certaines conditions, légiférer sur toutes les matières qui ne relèvent pas des « domaines réservés » au Parlement britannique et non plus, uniquement, dans les domaines pour lesquels elle était spécifiquement autorisée à le faire ; passant, pour le dire autrement, d’une certaine manière d’une compétence d’attribution à une compétence de principe. Changer le nom de l’assemblée a donc aussi pour objectif de souligner et de mieux rendre compte du rôle et des pouvoirs qui sont désormais les siens tout en posant, peut-être, une autre question, celle de la nature (et de l’avenir) du Royaume-Uni.

 

L’Explanatory Memorandum, accompagnant le texte législatif, souligne que la dévolution par étapes mise en œuvre au Pays de Galles a pu contribuer à créer une certaine confusion (« a blurred picture ») quant à l’exercice des pouvoirs et à la répartition des compétences entre l’assemblée et le gouvernement gallois mais aussi avec le Parlement de Westminster et le gouvernement britannique[3]. Dans une étude publiée en 2015, Roger Scully et Richard Wyn Jones n’observaient qu’un soutien relatif de l’opinion publique à l’égard de l’Assemblée galloise et se demandaient dans quelle mesure des résultats différents pourraient être constatés s’agissant du Parlement écossais compte tenu du rôle qui a, dès l’origine, été le sien[4]. Une consultation organisée par l’Assemblée en 2017 auprès de la population galloise montrait même que près de 60% des personnes ayant répondu ne partageaient pas l’idée selon laquelle « le rôle de l’Assemblée nationale du Pays de Galles est bien compris » ; 80% étaient en revanche d’accord pour dire que « le nom d’une institution est important pour expliquer ce qu’elle fait » ; et 61% s’exprimaient en faveur d’un changement de nom[5].

 

Présenter l’assemblée comme un parlement n’a donc rien d’anodin. Surtout dans le cadre de la dévolution britannique. Cela marque une étape nouvelle, un approfondissement que l’on cherche à signaler. Le discours, en effet, est clair : « En tant qu’organe démocratiquement élu qui représente les intérêts du Pays de Galles et de son peuple, le rôle de l’Assemblée nationale est désormais celui d’un parlement. Elle fonctionne maintenant à peu près de la même manière que le Parlement britannique à Westminster et d’autres structures constitutionnelles à travers le monde, en légiférant pour le Pays de Galles, en consentant aux impôts gallois et en contrôlant le gouvernement gallois » [6]. De cette manière, la transformation d’« Assemblée nationale » en « Parlement » est aussi une façon de s’interroger sur ce qui fait un Parlement, sur ce que sont ses fonctions et ses caractères, sur ce que peuvent être son rôle et sa place.

 

 

L’enjeu linguistique

Les débats sur le changement de nom révèlent, en deuxième lieu, l’importance de l’enjeu linguistique. A l’Assemblée, gallois et anglais sont les langues officielles. Les élus s’expriment dans l’une comme dans l’autre – passant parfois de l’une à l’autre au cours d’une même intervention – et tous les débats et documents parlementaires sont accessibles en anglais comme en gallois. Le développement d’une institution bilingue constitue un objectif affiché de l’Assemblée. Plus largement, la langue apparaît comme un marqueur important de l’identité galloise, soutenue par une politique volontariste en favorisant l’apprentissage et l’usage. Partant, la question d’une nouvelle dénomination de l’Assemblée posait aussi celle de la langue dans laquelle elle devait se traduire.

 

Un large consensus s’est fait autour du nom gallois : Senedd ou Senedd Cymru (Cymru désignant le Pays de Galles). Le terme a pour avantage de pouvoir refléter le statut constitutionnel de l’assemblée et son rôle de Parlement national, souligné par un nom en langue galloise. Le terme se rapproche de celui de Sénat, Senate ou Seanad et peut donc être identifié au plan international. Et, depuis 2006, l’Assemblée occupe un bâtiment, spécialement conçu par l’architecte Richard Rogers, sur les quais de Cardiff et connu sous ce nom de Senedd.

 

La question de savoir si le terme gallois devait également être accompagné ou non de sa traduction en anglais (Welsh Parliament) était en revanche plus délicate. Pour les partisans d’un nom monolingue, outre les arguments déjà évoqués, s’ajoutait celui de la promotion de la langue galloise, se prévalant de l’exemple irlandais où les noms gaéliques des deux Chambres du Parlement – Dáil Éireann et Seanad Éireann – sont couramment, et sans difficulté, utilisés pour les désigner. D’autres, à l’inverse, soutenaient l’utilité d’ajouter une traduction anglaise au terme gallois. Carwyn Jones, First Minister de 2009 à 2018, a défendu un amendement en ce sens, adopté par l’Assemblée. Au cours des débats, il expliquait que Senedd devrait être couramment utilisé et que lui-même désignerait l’assemblée par ce terme. Mais il insistait pour que la traduction anglaise soit également inscrite dans le texte car, précisait-il en évoquant le cas français, si dans certains pays les termes d’assemblée et de parlement peuvent être tenus pour relativement équivalents, ce n’est pas le cas au Royaume-Uni – ce qui, selon lui, a jusque-là rendu singulièrement difficile la présentation du rôle exact de l’Assemblée. Adjoindre aux termes gallois de Senedd Cymru, la traduction anglaise de Welsh Parliament permet ainsi de manifester la différence entre une assemblée et un parlement, en soulignant l’approfondissement de la dévolution et l’autonomie de la Chambre galloise[7].

 

 

Une reconnaissance symbolique

Si l’enjeu est réel, la transformation de l’assemblée ne doit cependant pas être exagérée. Car, en troisième lieu, la modification revêt une dimension éminemment – et, peut-être, surtout – symbolique.

 

A cet égard, la rédaction retenue par le texte de novembre 2019 est révélatrice. Si le Scotland Act dispose « There shall be a Scottish Parliament », le texte gallois prévoit « There is to be an Assembly for Wales to be known as the Senedd Cymru or the Welsh Parliament ». Aussi, la référence à une « Assemblée » demeure et montre les limites de la compétence réelle de cette dernière. Celle-ci peut certes modifier son nom comme le prévoit le Wales Act mais elle ne peut pas se substituer au Parlement britannique qui est seul compétent pour connaître des questions constitutionnelles dont relève l’existence même d’une Assemblée galloise, qualifiée comme telle[8].

 

Les débats suscités dans l’opinion publique le montrent également. Désigner l’assemblée par ce mot, en langue galloise, constitue une marque d’importance accordée à la langue, au cœur de la vie politique, telle que le souligne une lettre adressée aux parlementaires par une trentaine de personnalités galloises parmi lesquelles l’acteur Michael Sheen ou l’arbitre international de rugby Nigel Owens. Tout comme lors de l’inauguration du Parlement écossais en 1999, quand Winnie Ewing avait déclaré que ce Parlement, ajourné en 1707, était de nouveau en session, la référence au Senedd fait aussi écho à l’histoire du Pays de Galles et à Owain Glyndwr et son parlement au XVe siècle.

 

Dans un ouvrage récent, le médiéviste québécois Michel Hébert retrace l’histoire des assemblées au Moyen Age pour en dégager un cadre conceptuel. Citant Giorgio Agamben, l’auteur note que « s’il est vrai que la terminologie est « le moment proprement poétique de la pensée », ou que les institutions humaines n’existent réellement que quand on leur a donné un nom, la diffusion du terme de parlement à partir du milieu du XIIIe siècle, bien étudiée sous divers horizons géographiques, doit correspondre à une représentation nouvelle des formes de dialogue ou de l’échange politique entre princes et sujets »[9]. Toutes proportions gardées, un élan de cet ordre a peut-être guidé le législateur gallois. Non pas tant sur la question d’une représentation nouvelle d’une autre forme de dialogue politique – ce serait là un débat bien différent – mais dans une volonté de donner un sens nouveau à une institution, en lui attribuant un nom auquel s’attachent (aux pleins sens du mot) des représentations : le Parlement.

 

 

[1] Sur la question des différences en langue française v. O. Rozenberg et E. Thiers (dir.), Traité d’études parlementaires, Bruylant, 2018, p. 32-43.

[2] S. Bory, L’éveil du dragon gallois. D’une assemblée à un parlement pour le Pays de Galles (1997-2017), L’Harmattan, 2019, p. 15. L’ouvrage retrace l’histoire de cette dévolution par étapes.

[3] Senedd and Elections (Wales) Bill, Explanatory Memorandum, 2019, §35.

[4] R. Scully et R. Wyn Jones, « The Public Legitimacy of the National Assembly of Wales », The Journal of Legislative Studies, 2015, vol. 21, n°4, p. 515.

[5] Changing the name of the National Assembly for Wales, Consultation results report, 2017, http://senedd.assembly.wales/documents/s63931/Consultationreport.pdf.

[6] Explanatory Memorandum, préc., §34.

[7] 9 octobre 2019, https://record.assembly.wales/Committee/6004, §25-28.

[8] En ce sens v. Senedd and Elections (Wales) Bill, Explanatory Memorandum, 2019, Annex 4.

[9] M. Hébert, La voix du peuple. Une histoire des assemblées au Moyen Age, PUF, 2018, p. 48.

 

Crédit photo: Welsh National Assembly, Elin Jones AM (Président de l’Assemblée nationale de Wales) présente la loi relative au changement de nom de l’Assemblée, 15/1/2020