Les propositions citoyennes pour le Climat face au choix du Président de la République: faut-il modifier la Constitution ?

Par Clément Cadinot

<b> Les propositions citoyennes pour le Climat face au choix du Président de la République: faut-il modifier la Constitution ? </b> </br> </br> Par Clément Cadinot

Le 29 juin 2020 a eu lieu, à l’Elysée, la remise du rapport de la Convention citoyenne pour le Climat, organe de démocratie participative spécifiquement, au Président de la République. A cette occasion, le Président de la République a dévoilé ses choix quant aux propositions, notamment celles qui concernent la modification de la Constitution de 1958. Le Président a ainsi rejeté la proposition de réécriture du Préambule mais a accueilli un amendement de l’article 1er. La relecture de son discours informe sur les raisons de ce choix. Rien n’indique néanmoins que les difficultés soient levées, voire que la proposition soit concrétisée par le référendum constitutionnel envisagé.

 

On July 29, 2020, the French Civic Convention for Climate ­– a citizen assembly, delivered its report to the President of the Republic. In his remarks, Emmanuel Macron revealed his decision about the proposals, especially those purporting to amend the 1958 Constitution. Although the President opposed the revision of the Preamble of the Constitution, he backed an amendment to its first section. However, many challenges have yet to be met. The proposal and the associated constitutional referendum may not be achieved.

 

Par Clément Cadinot, Docteur en droit public de l’Université de Bordeaux (CERCCLE)

 

 

 

Le rapport du 26 juin de la Convention citoyenne pour le Climat était tout juste rendu que beaucoup d’encre avait déjà coulé. Parmi les 146 propositions du rapport, quelques-unes, notamment les deux premières de la section « Constitution », étaient assorties de la modalité d’adoption par référendum constitutionnel : la modification du Préambule de la Constitution de 1958 et celle de son article 1er. Lors de son discours du 29 juin 2020 prononcé devant les 150 de la Convention[1], le Président de la République a rejeté la première proposition et accueilli la seconde pour laquelle il indique le recours au référendum tout en en canalisant la possibilité. La relecture du discours informe sur les raisons et enrichit l’appréciation de ces deux propositions. L’origine des propositions, fruit du travail d’un organe de démocratie participative spécifiquement créé, suggérait sinon commandait une explication de la part du Président avant l’intervention du Parlement. La comparaison des deux propositions dévoile des éléments (contenu, procédure) sur lesquels a pu se fonder le choix d’une éventuelle réécriture de l’article 1er mais pas du Préambule. La solution ne garantit guère la facilité. Si le Président a indiqué le recours au référendum de l’article 89C, la méthode n’est cependant pas tranchée[2]. La voie référendaire soulève d’ailleurs davantage d’interrogations qu’elle n’apporte de clarté. L’analyse de la modification de l’article 1C donne à comprendre les difficultés qui se seraient levées pour la réécriture du Préambule. La proposition retenue a un air de déjà vu, donnant d’autant plus de relief à celle écartée et faisant comprendre que le choix de la sécurité a été fait (I). Pour autant, sa concrétisation soulève des interrogations analogues à celles qui a été écartée (II).

 

 

1. Le rejet de la proposition de modification du Préambule : un choix de raison

La seule modification du Préambule de 1958 fut effectuée en 2005 afin d’y insérer un renvoi vers la Charte de l’environnement. La constitutionnalisation du droit de l’environnement n’était pas nouvelle à travers les systèmes constitutionnels[3]. Ce qui l’était en revanche, était l’écriture et l’adossement d’un document complémentaire ­– une Charte précisément, marqueur du temps, significatif des enjeux et aspirations contemporaines, près de 50 ans après l’entrée en vigueur de la Constitution. Ce processus d’écriture ajouta à la « sédimentation »[4] que condensait déjà le Préambule, mais cette fois, de façon inédite, en cours de régime, grâce à une révision constitutionnelle. La proposition citoyenne consistait à insérer un nouvel alinéa dans le Préambule (le 2ème actuel devenant le 3ème) : « La conciliation des droits, libertés et principes qui en résultent ne saurait compromettre la préservation de l’environnement, patrimoine commun de l’humanité ». Audacieux, un tel ajout aurait consolidé la sédimentation du Préambule (et spécifiquement la Charte sur le plan matériel), non par un renvoi supplémentaire mais par une disposition en tant que telle. La réécriture du Préambule était proposée avec l’approbation référendaire, un moyen qui aurait fait correspondre l’identité de l’auteur de la Constitution et de qui la modifierait. Vu l’enjeu, cette modalité d’approbation de la modification de la « vitrine »[5] qu’est le préambule constitutionnel aurait été la bonne.

 

Le Président de la République a néanmoins rejeté cet alinéa qui, selon lui, « menace de placer la protection de l’environnement au-dessus des libertés publiques, au-dessus même de nos règles démocratiques ». Invitée sur une radio du service public, la Garde des Sceaux avait conforté l’explication[6]. Cet apport au Préambule aurait été « emblématique » comme le voulait la Convention, sans nul doute, mais aussi générateur de conséquences non souhaitées. Sur le plan symbolique, la retouche du Préambule aurait été porteuse d’une mise en balance entre les droits et libertés des textes auxquels il renvoie et la primauté accordée à la préservation de l’environnement. C’est du moins ce qui peut être décelé dans le discours du Président de la République. L’alinéa proposé aurait instauré dans la Constitution une conditionnalité inédite aux libertés qu’elle doit au contraire porter en son sein. En l’occurrence tout aurait été figé au niveau de notre Préambule qui est l’ancrage de ces droits et libertés. Cette réflexion amène directement aux implications sur le plan juridique. L’alinéa proposé instaurait un « fléchage » politique à l’égard du Gouvernement et du Parlement. Surtout, il en adresse un aux juges, le Conseil constitutionnel étant de loin le plus concerné. Cet alinéa pose en effet une directive d’interprétation constitutionnelle, sinon une règle de résolution des conflits, qui s’imposerait à toutes les autorités normatives de notre système constitutionnel. Le Conseil constitutionnel aurait été amené, lors de son contrôle de la loi, à toujours faire primer les considérations environnementales sur les droits et libertés.

 

L’insertion de l’alinéa proposé aurait eu des effets d’une grande ampleur, notamment le recours à une méthode conséquentialiste qui, de toute évidence, aurait redistribué les cartes entre juge constitutionnel et Parlement. Une contrainte supplémentaire serait dressée à l’égard des droits et libertés en plus de la conciliation avec l’ordre public (toujours plus délicate d’ailleurs), laquelle serait supplantée par l’amendement proposée. A ce sujet, les 150 ne pouvaient sans doute pas anticiper la récente décision QPC[7] dans laquelle le Conseil a, sur le fondement du préambule de la Charte, construit[8] l’objectif de valeur constitutionnel « de la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains ». Il revient désormais au législateur d’assurer la conciliation entre cet objectif et les autres valeurs dans les buts qu’il poursuit. Soyons clairs : l’urgence à agir est présente, et nul doute qu’il faille accommoder notre société avec de nouveaux impératifs qui lui seront vitaux – si ce n’est pas déjà le cas. La préservation de l’environnement est un véritable enjeu pour lequel les concrétisations juridiques sont toujours plus nombreuses et plus exigeantes (leur effectivité peut être discutée, certes). En revanche, la proposition soulève la question d’une limite aux droits et libertés déjà conciliés avec d’autres impératifs (droits et libertés que d’aucuns diront même déjà en recul). Mais inscrire dans la Constitution une règle de résolution de conflit qui peut s’avérer être une limite infranchissable n’est pas souhaitable. En ce sens, lorsque le Président de la République dit qu’il est « essentiel [de] mettre au bon niveau, mais de ne pas mettre un droit de la nature au-dessus des droits humains », il indique sa compréhension aux 150 mais fait un choix de raison : l’environnement dans la Constitution, oui, mais pas au‑dessus. Là réside le véritable enjeu dont il faut saisir la mesure. Sans imaginer les pires hypothèses, une limite constitutionnelle aux droits et libertés pour le motif, même légitime, de la préservation de l’environnement offre un précédent susceptible d’utilisations peu enviables. C’est l’action politique qu’il faut stimuler, et non les libertés grever.

 

La préférence du Président de la République pour cette proposition mérite que soit étudiée son éventuelle concrétisation.

 

 

2. La potentielle modification de l’article 1er : un processus délicat

Face à la proposition d’une modification du Préambule, l’ajout d’un alinéa dans l’article 1er paraît plus sage. Politiquement d’abord, l’article 1er est (avec l’article 2C) le sanctuaire des combats et valeurs de la République française (l’indivisibilité, l’égalité et la laïcité, historiques et cardinales) auxquelles ont été ajoutés par touches successives l’égalité d’accès aux fonctions entre femmes et hommes, la décentralisation. Ces touches témoignent d’une pratique de révision plutôt acceptée. Et c’est son risque corollaire : la désacralisation de la Constitution par ces révisions successives[9]. Juridiquement, l’insertion de l’alinéa proposé offrirait au Conseil constitutionnel un matériau plus fort pour asseoir ses décisions. Peut-être la création d’un principe à valeur constitutionnel après l’objectif ? Un support solide pour des dispositions législatives ?

 

Le caractère délicat de la concrétisation de cette proposition tient à l’origine citoyenne de la proposition et l’approbation référendaire souhaitée. Entre ces deux éléments, la marge de manœuvre n’est pas définie : que signifie la reprise « sans filtre » de la proposition conventionnelle dont a parlé le Président de la République[10] ? S’agit-il de considérer que les chambres du Parlement doivent voter en termes identiques et sans modification aucune la proposition citoyenne déposée par le Gouvernement ? Ou s’agit-il pour ce dernier de la déposer et de la défendre comme pour tout projet de son initiative ? Dans ce dernier cas, il dispose d’armes procédurales conséquentes, mais, à ce jour (et pour les temps qui viennent) dispose-t-il encore d’une majorité qui le soutiendra ? Quelle que soit l’hypothèse, la modification, à plus forte raison l’ajournement du vote par l’une des deux chambres, engendrerait un sentiment de rejet chez les 150[11], peut-être même au‑delà. En définitive, la question de la latitude du Parlement à modifier cette proposition est posée. L’approbation populaire, évènement symbolique de haute importance, n’est donc pas acquise.

 

Même en surmontant ces interrogations, l’aléa du référendum demeure : chaque question référendaire contient une dimension personnelle qui touche son auteur, le résultat ayant un caractère d’adoubement ou au contraire de sanction d’une personne ou de sa politique, en l’occurrence d’un quinquennat présidentiel. Ce risque serait possiblement détourné par l’objet, à savoir l’approbation d’une réécriture emblématique de l’article premier de la Constitution en faveur de la préservation de l’environnement, et l’approbation facilitée par l’identification, grâce à l’origine citoyenne de la proposition. Exercice test pour la démocratie sans doute, la tenue d’un référendum (discutée[12]) est de toute façon conditionnée par la priorité qui sera donnée à cette proposition, comme aux 145 autres. N’oublions pas que, deux étés durant, les révisions souhaitées par l’exécutif se sont arrêtées sur le bureau des assemblées.

 

 

 

Je remercie vivement Mme le Professeur Altwegg-Boussac pour sa relecture et ses remarques.

[1] Réponse du Président de la République aux membres de la Convention Citoyenne pour le Climat, 26 juin 2020, consulté et disponible à la page : [https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/06/29/le-president-emmanuel-macron-repond-aux-150-citoyens-de-la-convention-citoyenne-pour-le-climat].

[2] En ce sens, P. Raynaud, « Heurs et malheurs du “citoyen” », ce blog.

[3] V. J. Morand-Deviller, « L’environnement dans les constitutions étrangères », consulté et disponible à la page : [https://www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/l-environnement-dans-les-constitutions-etrangeres].

[4] GICQUEL J. & J.-E., Droit constitutionnel et institutions politiques, LGDJ, 31ème éd., 926 p., p.196.

[5] Idem, p.124 et s.

[6] N. Belloubet, France InterMatinale du 30 juin 2020.

[7] Décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020.

[8] Pour le dire ainsi, v.M.-C. Ponthoreau, « L’énigme de la motivation. Encore et toujours l’éclairage comparatif », in (dir.) F. Hourquebie& M.-C. Ponthoreau, La motivation des décisions des cours suprêmes et des cours constitutionnelles, Bruylant, 308 p., p.7 et s.

[9] Sur ce point, v. M.-C. Ponthoreau, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), Economica, coll. Corpus droit public, 2010, 401 p, p.269.

[10] Sur ce point, v. P. Raynaud, précité.

[11] Idem.

[12] A. Levade & B. François, « Le référendum consultatif serait un bien mauvais service à rendre à la démocratie », Le Monde, 23 juin 2020.

 

 

Crédit photo: Conseil constitutionnel