Le droit de pétition aux assemblées en reconquête Par Gilles Toulemonde
Les assemblées parlementaires françaises ont entrepris la rénovation du vieux droit de pétition aux assemblées hérité de la Révolution. Mais, faute d’avoir tiré de l’histoire des leçons sur l’étendue et les fonctions de ce droit, ce droit de pétition rénové peine à séduire les citoyens et interroge quant à sa véritable fonction.
The French parliamentary assemblies have undertaken the renovation of the old right of petition to assemblies inherited from the Revolution. But, failing to have learned lessons from history about the scope and functions of this right, this renewed right of petition struggles to seduce citizens and questions its true function.
Par Gilles Toulemonde, Maître de conférences en droit public à l’Université de Lille, CRDP-ERDP, ULR n° 4487
Les réseaux sociaux sont emplis de pétitions pour soutenir telle ou telle personne dans ses positions ou l’aider dans ses projets. D’un simple clic, il est ainsi possible de manifester son maintien à une cause. Les juristes n’échappent d’ailleurs pas à cette mode qui lancent, par exemple, des pétitions sur le retour à l’ancienne version de Legifrance. Le Président de la République reçoit chaque jour entre 1500 et 2000 lettres ou courriels par lesquels leurs auteurs attirent l’attention du Président sur un sujet qui leur est cher. La pétition, « acte par lequel une personne s’adresse aux pouvoirs publics pour formuler une plainte ou une suggestion »[1], est ainsi devenue un mode de communication habituel.
Or ce mode de communication entre des individus et des institutions semblait éviter le Parlement au point que l’on était en droit de se demander s’il ne fallait pas y voir un témoignage de la faiblesse du Parlement de la Ve République, qu’il était inutile de saisir d’une pétition dans la mesure où il n’avait pas le pouvoir d’agir sur le quotidien des individus ou de peser sur les choix politiques. De 1958 à 2017, l’Assemblée nationale n’a ainsi été saisie que de 2043 pétitions[2], soit globalement le courrier que reçoit le Président de la République en une seule journée[3] !
La volonté affichée de revalorisation du Parlement se devait de procéder à une réorganisation du droit de pétitions aux assemblées parlementaires. Les réformes des règlements des assemblées de 2019 y ont pourvu. Désormais, le règlement de l’Assemblée nationale prévoit que si une pétition, qui lui est adressée, est signée par plus de 100.000 pétitionnaires, elle est alors mise en ligne ; le Président de l’Assemblée saisit la commission compétente qui désigne un rapporteur ; la commission peut ensuite décider de classer la pétition ou de l’examiner. Si la pétition atteint le seuil de 500.000 pétitionnaires, elle peut être inscrite à l’ordre du jour de la séance publique par la Conférence des présidents à la demande du président de la commission compétente ou d’un président de groupe (art. 148 RAN). Au Sénat, rien d’explicite n’est prévu pour les pétitions atteignant 500.000 signataires ; en revanche, pour celles atteignant 100.000 signataires dans un délai de 6 mois, la Conférence des présidents est saisie qui statue sur le sort qu’elle entend lui réserver. Dans les deux assemblées, désormais, le dépôt des pétitions et le recueil des signatures à leur soutien est opéré par voie électronique sur les plateformes développées à cet effet et que le Sénat a qualifiées de « e-pétitions ».
Ce regain d’intérêt pour le droit de pétition auprès des assemblées n’a, pour le moment, été manifesté que dans les assemblées elles-mêmes. Il n’a pas encore touché les citoyens qui demeurent encore bien peu nombreux à s’en saisir. Ainsi, au 20 octobre 2020, on comptait sur la plateforme de l’Assemblée nationale 92 pétitions déposées, recueillant au total 19.053 signatures, soit à peine 207 par pétition (la pétition ayant le plus grand succès, sur l’interdiction de la corrida, n’en rassemblant que 2103) ; sur la plateforme du Sénat, on dénombre 51 pétitions déposées, rassemblant au total 12.842 personnes, soit à peine 252 par pétition (la pétition ayant le plus grand succès, sur les animaux dans les cirques, ne recueillant que 9.096 signatures).
L’usage pour le moins modéré du droit de pétition auprès des assemblées relève peut-être d’une méconnaissance des citoyens. Mais il s’explique aussi pour partie par l’ambiguïté de ce droit de pétition. Ce droit avait pourtant, par le passé, un succès important. L’histoire du droit de pétition adressé aux assemblées témoigne à la fois de son intérêt mais aussi de ses limites (I). Et il n’est pas certain que les assemblées aient pleinement tiré parti de ces enseignements historiques lorsqu’elles ont rénové le droit de pétition, si bien que sa fonction demeure énigmatique (II).
I – Un passé riche d’enseignements
Le droit de pétition est très ancien. Dès le début du XIVe siècle, les Chambres britanniques ont décidé de créer en leur sein un comité chargé de recevoir et d’examiner les pétitions adressées par les sujets britanniques, avant que celles-ci ne fassent l’objet d’une délibération des Chambres[4]. En France, à la Révolution, les Français prirent l’habitude d’aller porter eux-mêmes leurs pétitions à l’Assemblée nationale, ce qui causa parfois tumultes et débordements. Au point qu’il est désormais inscrit dans le règlement du Sénat qu’ « une pétition apportée ou transmise par un rassemblement formé sur la voie publique ne peut être reçue par le Président ni déposée sur le Bureau » (art. 87 al. 2 RS). Cependant, s’il se devait d’être encadré, ce droit ne pouvait être retiré. Ainsi, le titre premier de la Constitution du 3 septembre 1791 dispose-t-il que « la Constitution garantit pareillement, comme droits naturels et civils : (…) La liberté d’adresser aux autorités constituées des pétitions signées individuellement ». Depuis lors, ce droit a presque toujours été reconnu en France[5].
Et ce droit de pétition aux assemblées est alors très ouvert. En effet, il est considéré comme un droit naturel, inaliénable, attaché à la personne. Selon Robespierre, « c’est le droit imprescriptible de tout être intelligent et sensible »[6]. Ainsi à l’orée du régime parlementaire – dans lequel le droit de pétition peut prendre une dimension nouvelle dans la mesure où il peut aboutir à la mise en cause de la responsabilité du Gouvernement – la première pétition reçue par la Chambre des députés des départements, sous la Restauration, fut celle de Melle Robert, dont le père avait été arrêté pour avoir attaqué Decazes dans Le Drapeau Blanc. Si son effet fut nul ou presque dans la mesure où le ministre refusa de venir s’expliquer devant la commission en charge de l’examen de la pétition[7], celle-ci confirmait que ce droit était ouvert à tous : les femmes sans qu’elles soient pourtant électrices, les mineurs ou les étrangers[8].
Le caractère très ouvert du droit de pétition devant les assemblées françaises ne résulte pas seulement de l’identité ou des caractéristiques des signataires ; il résulte aussi de son objet. En effet, au travers de l’exemple de la pétition de Melle Robert, il apparaît que la pétition permet le déclenchement d’un contrôle parlementaire qui n’aurait pas été effectué sans cette étincelle. La Bourdonnaye disait ainsi du droit de pétition : « Il vous offre à chaque instant l’occasion d’exercer cette surveillance légale que la Charte vous a confiée comme la plus noble, la plus sacrée, la plus paternelle de vos attributions »[9]. Mais le droit de pétition pouvait aussi déclencher un processus normatif. Guizot l’envisage comme un véritable droit d’initiative, laquelle n’appartient pas aux Chambres sous la Restauration, « puisqu’il a pour effet d’introduire, dans les Chambres, des questions que le gouvernement n’y a point portées et d’y amener une délibération dont le gouvernement n’imprime pas le mouvement »[10]. D’ailleurs, c’est bien ainsi qu’il fut interprété par les députés. En effet, de très nombreuses pétitions étaient signées d’un nom fictif, par un député souhaitant faire débattre la Chambre sur un point particulier[11]. Le droit de pétition rencontrait alors un énorme succès. Cormenin signale qu’en l’espace de cinq années (1832-1836) 4504 pétitions furent déposées à la Chambre des députés[12].
Toutefois, le partage de l’initiative législative avec les parlementaires et la relative facilité avec laquelle les assemblées des IIIe et IVe Républiques ont pu contrôler l’action gouvernementale ont causé un véritable déclin de ce droit de pétition. Si le déclin s’est accentué sous la Ve République, les causes tiennent davantage au sentiment, dans l’esprit de la population, à tort ou à raison, de son inutilité et de l’existence d’autres canaux pour faire entendre ses doléances. Dans cette mesure, la récente tentative de revalorisation du droit de pétition aux assemblées peine à convaincre pleinement.
II – Un renouveau en quête de crédibilité
Si les assemblées ont largement communiqué sur leurs nouvelles plateformes de dépôt des pétitions et de soutien à celles-ci donnant ainsi l’impression d’un droit nouveau, ou à tout le moins modernisé, pour tous de saisir les assemblées d’une question ou d’une doléance, on remarque que ce droit n’est plus aussi ouvert, sous la Ve République, qu’il l’était à la Révolution ou sous les Chartes.
En effet, pour participer à la plateforme de pétitions de l’Assemblée nationale, il est nécessaire d’être majeur. La condition de nationalité n’est certes pas imposée dans la mesure où il est possible d’être de nationalité étrangère à condition de résider « régulièrement en France » selon les termes mêmes employés sur la plateforme. En outre, la recevabilité des pétitions à vocation législative est conditionnée, selon le site e-pétitions du Sénat, au respect des dispositions des articles 34 et 40 de la Constitution. L’accès à un guide pratique sur les irrecevabilités est même censé faciliter la démarche des pétitionnaires.
Doublement réduit, quant à l’identité des pétitionnaires et quant à sa voilure, le droit de pétition aux assemblées interroge quant à sa finalité dès lors que les parlementaires disposent d’un pouvoir d’initiative par l’intermédiaire du dépôt d’une proposition de loi ou d’un amendement et où le développement d’un droit de tirage pour une commission d’enquête ou une mission d’information permet aux différents groupes politiques de déclencher une action de contrôle sur l’activité gouvernementale ou celle des services publics (art. 141 al. 2 et 145 al. 5 RAN ; art. 6 bis RS).
Si les justifications historiques du droit de pétition font défaut, à quoi sert-il ?
A l’évidence, on peut estimer qu’il permet d’écouter les citoyens, voire les administrés, et d’instituer un dialogue entre eux et les parlementaires. Mais n’est-ce pas déjà ce que font les parlementaires ? On peut l’espérer ! Les questions écrites sont depuis longtemps inspirées par les doléances des citoyens ou des groupements de ceux-ci. Plus récemment, les « questions citoyennes » mises en œuvre par quelques députés permettent à ces derniers de porter, au sein des hémicycles, la parole des personnes qui leur ont écrit. Les parlementaires tiennent des permanences où ils reçoivent les revendications des habitants, lesquelles ne peuvent d’ailleurs pas toujours faire l’objet de pétition aux assemblées (demande de logement, d’intervention…). Parfois même les parlementaires organisent-ils des ateliers citoyens afin de recueillir les sentiments et idées des habitants de leur circonscription sur un texte en discussion. Le dialogue entre parlementaires, certes à titre plus individuel que collectif, et citoyens est constant. Comme le note Jean-Claude Masclet, le député est à la fois l’« ambassadeur attitré des collectivités locales » et l’« avocat bénévole des intérêts privés des électeurs »[13]. Les citoyens, pour obtenir une faveur ou se faire entendre, ont donc plus intérêt à rencontrer personnellement le député qu’ils considèrent comme étant celui de leur circonscription, plutôt que d’adresser une pétition écrite à l’Assemblée nationale, laquelle sera, au mieux, étudiée sans appui particulier et ne franchira vraisemblablement pas le cap des 100.000 soutiens nécessaire à ce qu’elle soit mise en ligne pour plus de visibilité.
Il existe en réalité une autre fonction à ce « coup de jeune » donné au droit de pétition devant les assemblées ; il sert, très certainement à communiquer. Communiquer sur l’écoute et la proximité des assemblées avec le peuple comme s’il suffisait de ce droit de pétition pour restaurer un lien distendu entre citoyens électeurs et parlementaires. Les citoyens d’ailleurs utilisent peu ce droit à ce jour malgré l’abondante communication dont il a fait l’objet. Cependant cette communication est importante car, si une part relative des citoyens français accepte et reconnaît le travail de « son » député ou de « son » sénateur, une part, bien plus importante encore le rejette ou le dévalorise lorsque ce travail n’est plus évoqué au singulier mais au pluriel, en visant cette fois l’ensemble des parlementaires. Le droit de pétition aux assemblées permettrait, si des pétitions recueillaient un nombre important de signatures, de mieux exprimer le lien entre les citoyens et les assemblées censées les représenter ; il permettrait de restaurer une meilleure confiance envers le Parlement.
Sans doute la restauration du droit de pétition ne peut-elle, à elle seule, atteindre cet objectif. Sans doute faudrait-il aussi instaurer une traçabilité plus importante des amendements, des propositions voire des mécanismes de contrôle employés par les parlementaires pour révéler au grand jour ces liens obscurs entre les citoyens et les parlementaires. Si les parlementaires reprennent dans leurs initiatives des pétitions déposées sur les plateformes parlementaires, ils se doivent, d’ores et déjà, de l’indiquer. C’est peut-être là le principal apport de ce renouveau du droit de pétition.
[1] Olivier DUHAMEL et Yves MÉNY (dir.), Dictionnaire constitutionnel, PUF, 1992, p. 750.
[2] http://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/les-petitions
[3] https://www.elysee.fr/la-presidence/le-service-de-la-correspondance-presidentielle
[4] V. GUIZOT, Histoire des origines du gouvernement représentatif en Europe, Paris : Didier, t. II, 1851, p. 344 sqq.
[5] Le principe de l’existence du droit de pétition est repris dans les textes constitutionnels suivants : Constitution du 24 juin 1793, article 32 de la Déclaration des droits de l’Homme ; Constitution du 5 fructidor an III, article 364 ; Constitution du 22 frimaire an VIII, article 83 ; Charte du 4 juin 1814, article 53 ; Acte additionnel aux Constitutions de l’Empire, article 65 ; Charte du 14 août 1830, article 45 ; Constitution du 14 janvier 1852, article 45 ; Sénatus-consulte du 21 mai 1870, article 41. Les Constitutions des IIIe, IVe et Ve Républiques ne le mentionnent pas. Toutefois, il est reconnu, sous ces trois régimes, par les règlements des assemblées.
[6] Cité par Sonia DUBOURG-LAVROFF, Le droit de pétition en France, RDP, 1992, p. 1734.
[7] Félix PONTEIL, La monarchie parlementaire 1815-1848, Paris : Armand Colin, 3e éd., 1949, p. 64.
[8] Eugène PIERRE, Traité de droit politique, électoral et parlementaire, Paris : Loysel, rééd. 1989, 2 vol., p. 661 sq. Au Royaume-Uni, la règle fut fluctuante concernant les étrangers. V. Thomas ERSKINE MAY, Traité des lois, privilèges, procédures et usages du Parlement, trad. Joseph Delpech, Paris : Giard et Brière, 1909, t. II, p. 163.
[9] Cité par Louis MICHON, Le gouvernement parlementaire sous la Restauration, Paris : LGDJ, 1905, p. 174.
[10] GUIZOT, op. cit., p. 347.
[11] Paul BASTID, Les institutions politiques de la Monarchie parlementaire française (1814-1848), Paris : Sirey, 1954, p. 289.
[12] CORMENIN, Questions de droit administratif, Paris : Guyot et Scribe et Alex-Gobelet, t. III, 4e éd., 1837, pp. 384-394.
[13] Jean-Claude MASCLET, Le rôle du député et ses attaches institutionnelles sous la Ve République, Paris : LGDJ, coll. Bibliothèque constitutionnelle et de science politique, t. 61, 1979, p. 190 sqq.
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