La dissolution, une folie ? La Ve république, régime parlementaire

Par François Saint-Bonnet

<b> La dissolution, une folie ?  La Ve république, régime parlementaire </b> </br> </br> Par François Saint-Bonnet

La dissolution de 2024 a été présentée comme une folie. C’est un jugement psychologique. Sur le plan constitutionnel et dans un contexte de tripolarité politique, elle cristallise deux logiques. En cas de victoire macroniste, celle d’une majorité présidentielle, structurellement minoritaire dans l’opinion. En cas d’échec, comme c’est le cas, celle d’une lecture parlementariste de la Ve république qui force les acteurs politiques à des compromis au sein de coalitions élargies, majoritaires dans l’Assemblée comme dans l’opinion. Loin d’une folie, on peut y voir une saine rationalité constitutionnelle.

 

The dissolution of 2024 was presented as madness. This is a psychological judgment. From a constitutional perspective and in a context of political tripolarity, it crystallizes two logics. In the event of a victory for Macron, that of a presidential majority, which is structurally in the minority in public opinion. In the event of failure, as is the case here, the parliamentary interpretation of the Fifth Republic, which forces political actors to compromise within broad coalitions, with a majority in both the Assembly and public opinion. Far from madness, this can be seen as sound constitutional rationality.

 

Par François Saint-Bonnet, Professeur à l’université Paris Panthéon-Assas

 

 

 

On entend suggérer que la Ve république ne peut ni ne doit continuer à être interprétée de manière présidentialiste. Aucune force politique n’a souhaité une telle interprétation depuis 2022. Pourtant, la dissolution de 2024 y conduit inexorablement, compte tenu de la tripolarisation du paysage politique. Les gouvernements minoritaires de 1958 à 1962 et de 1988 à 1993 ont pu se maintenir, pour le premier, grâce au contexte algérien, aux référendums plébiscitaires, à la personnalité du général de Gaulle, pour le second, par une majorité relative forte, à un 49-3 utilisable sur tous les textes et à une bipolarisation robuste. Tel n’a pas été le cas depuis 2022 du fait de l’éloignement programmatique des oppositions et d’un 49-3 mobilisable une seule fois par session hors textes financiers depuis la révision de 2008. Si un gouvernement minoritaire est devenu quasi impossible, seul un gouvernement de coalition élargie est envisageable. Une telle modalité — si contraire à la tradition installée depuis plus d’un demi-siècle en France mais bien connue auparavant — n’est pas sans conséquences constitutionnelles, à commencer par la restauration de la figure d’un chef de l’État qui ne soit pas, simultanément, chef du gouvernement. Cela même si le Premier Ministre conduit une politique proche de celle qui aurait été menée par le Président.

 

 

Persistance d’une mentalité présidentialiste depuis 2022

Le paysage politique français étant divisé en trois pôles relativement hermétiques les uns aux autres depuis une décennie, il n’y a rien de particulièrement étonnant ni de spécialement scandaleux à ce que l’Assemblée — malgré le scrutin majoritaire — soit divisée en trois blocs qui ne meurent pas d’envie de travailler ensemble, tant leurs projets politiques pour le pays divergent.

 

En 2017, la démobilisation des vaincus et la faible participation aux élections législatives ont permis au président Emmanuel Macron d’obtenir, avec ses alliés, une majorité absolue en sièges[1]. Le premier de ces phénomènes ne s’est pas reproduit en 2022 : ce sont les vainqueurs qui ont manqué d’élan quand les vaincus du premier tour (les électeurs de Jean-Luc Mélenchon) comme ceux de second (les partisans de Marine Le Pen) ont expliqué — à fort juste titre — que le scrutin se déroulant en quatre tours, il y avait moyen de ne pas reconduire une majorité largement soumise à un Président de la République qui ne représentait qu’un cinquième des électeurs inscrits au premier tour (27,84% des suffrages exprimés).

 

Pendant les deux années qui nous séparent de ce dernier scrutin, le pouvoir aurait pu ou dû se déplacer de l’Élysée au Palais Bourbon via Matignon. Mais les acteurs politiques ont fait comme si la lecture présidentialiste de la Ve République liée au fait majoritaire pouvait ou devait demeurer.

 

Le Rassemblement national a poursuivi une logique d’attente ou de préparation de l’échéance de 2027, en nourrissant l’espoir de voir Marine Le Pen élue à la présidence et Jordan Bardella choisi par elle comme Premier Ministre à la suite de Législatives qui leur auraient donné une majorité absolue en sièges à l’Assemblée. La suprématie présidentielle aurait perduré malgré, sans doute, une large majorité de l’opinion qui y aurait été hostile rapidement, les deux tiers qui ne se reconnaissent pas dans les vues du Rassemblement National. Toutefois, les institutions leur auraient permis de se maintenir cinq ans.

 

La France Insoumise, bien qu’elle aspirât à une VIe république, entendait également envoyer Jean-Luc Mélenchon à l’Élysée et dominer l’Assemblée pour pouvoir mettre en œuvre un programme qui serait passé, vraisemblablement, par une remise en cause des institutions dont il est loin d’être certain qu’elle eût été possible faute d’assentiment du Sénat. Pour pouvoir tourner le dos à l’omnipotence présidentielle, il fallait passer par la suprématie du Président.

 

Les nouveaux « petits partis » — Écologistes, Socialistes et Républicains — rêvaient sans doute, eux aussi, d’avoir un Président issu de leurs rangs, soutenu par une majorité après des Législatives confirmatives des Présidentielles. Se seraient ralliés à leur panache les disciples du système bipolaire, fondé sur des coalitions de droite comme de gauche dont leur parti constituerait une sorte de centre de gravité. Cela explique, en particulier, qu’Écologistes, Socialistes et Républicains n’aient pas souhaité rallier la majorité macroniste de centre droit, sans doute aussi de peur de disparaître.

 

Le Président de la République, soutenu par une coalition resserrée et sans majorité absolue (Renaissance, Horizons et Démocrates totalisant 250 sièges), a fait comme si son élection de mai 2022 n’avait pas été sérieusement ébranlée un mois plus tard. Il a continué à se penser comme un Chef de gouvernement quand François Mitterrand, de 1988 à 1993, s’était concentré sur son rôle de chef de l’État.

 

Bref, tous les camps politiques espéraient qu’en 2027, ils reconstitueraient une concordance des majorités et continueraient à gouverner comme au temps de la bipolarisation.

 

Or, en situation tripolaire, les gouvernants qui ont une majorité dans les institutions constitutionnelles n’en sont pas moins toujours rejetés par environ deux tiers de l’opinion, ce qui ne facilite pas la conduite des politiques publiques.

 

 

Dissolution et lecture parlementariste de la Ve République 

La dissolution du 9 juin a peut-être été conçue par Emmanuel Macron pour restaurer cette majorité qui lui faisait défaut depuis 2022. En cas de victoire, la lecture présidentialiste, qu’il persiste à faire prévaloir depuis 2022, serait demeurée, avec les tracas d’un Parlement agité en moins. Cependant, vouloir donner la parole aux Français afin qu’ils élisent des soldats, des grognards silencieux et dociles comme entre 2017 et 2022, apparaît plus qu’incertain. Cela reviendrait à donner la parole aux Français pour que leurs représentants se taisent.

 

En cas de défaite — et l’échec est cuisant — seule la lecture parlementaire est possible. « Il faudra se soumettre ou bien se démettre » avait lancé Gambetta à Mac Mahon le 25 juin 1877. Quand bien même le Rassemblement National ou le Nouveau Front Populaire n’auraient pas de majorité absolue — ce qui semble se dessiner à l’heure où ces lignes sont écrites — et que seule une coalition élargie faite entre ceux qui excluent l’extrême droite et l’extrême gauche populistes puissent soutenir un gouvernement (ce que souhaite le Président), le Premier ministre et son équipe ne seront pas choisis par lui mais par les partis politiques qui se seront entendus sur cette liste. Le droit de veto présidentiel sur la nomination d’un ministre existe, certes, juridiquement mais on voit mal comment il pourrait être mis en œuvre comme le fit François Mitterrand en 1986 à propos du ministre de la défense (François Léotard) qu’avait souhaité le Premier Ministre Jacques Chirac.

 

La dissolution apparaît alors, pour le chef de l’État, comme un pari entre réaffirmation d’un présidentialisme confortable et restauration d’un parlementarisme de coalitions étendues, sans doute plus difficiles à construire qu’en cas de bipolarisation, mais parfaitement envisageables parce que ce parlementarisme est, depuis 1958, rationalisé.

 

 

Folie ?

La dissolution a été qualifiée de tous les noms. Les idées d’hubris, d’irrationnalité, de folie revenaient le plus souvent, provenant de tout l’échiquier politique. Y compris, paradoxalement, de ceux qui pouvaient en profiter : à gauche comme à l’extrême droite. Cette critique porte sur le caractère d’Emmanuel Macron qui se plaît à répéter qu’il « prend son risque », tel un joueur. Nous n’entendons pas nous placer sur le terrain de la psychologie mais sur celui du droit constitutionnel.

 

Est-il absurde que la mise en œuvre de l’article 12 permette d’orienter la politique du pays dans un sens plus largement approuvé par les Français en forçant les principaux acteurs de la classe politique à trouver des compromis, à renoncer à la toute-puissance, à cesser de tout promettre et de ne rien tenir ? On a tant reproché, à juste titre, à ce Président de n’écouter personne, de gouverner seul, en force qu’il serait singulier de le chapitrer, encore, d’avoir créé les conditions pour que les Français choisissent qu’il cesse de le faire.

 

*

 

Les leçons constitutionnelles de cette dissolution de 2024 ne devront pas être oubliées en 2025 en cas de nouvelle dissolution, en 2027 pour les Présidentielles ou avant en cas de démission d’Emmanuel Macron. Tant que demeurera cette tripolarisation, les gouvernements n’auront le soutien de l’opinion que s’ils s’ouvrent au-delà de leurs seuls partisans. Il peut s’agir de gouverner à partir du centre en excluant les extrêmes, à partir de la droite ou de la gauche en ralliant la partie la plus proche des centristes. Sans cela, on reprochera aux gouvernements futurs dotés d’une majorité parlementaire d’agir contre l’opinion des Français, ce qui conduit dans les faits à une relative impuissance. Ceux qui en seront privés — car l’absence de majorité peut devenir la règle pour un certain temps — seront tout simplement censurés.

 

 

 

[1] Cela n’était pas écrit d’avance. L’hypothèse contraire avait même été décrite par Denis Baranger, « Avec quelle majorité M. Macron pourra-t-il gouverner ? », Blog Jus Politicum, 8 mai 2017

 

 

 

Crédit photo : Présidence de la République du Bénin / CC BY-NC-ND-2.0