Un retour à l’Elysée est toujours possible

Un retour à l’Elysée est toujours possible

Un ancien président de la République peut-il être réélu ad vitam æternam ?

Intrigué par le cadre constitutionnel dans lequel s’inscrirait une nouvelle candidature de Nicolas Sarkozy, le professeur Thomas Hochmann en a proposé il y a quelques jours une interprétation originale (AJDA, 34/2016). Les anciens présidents sont membres de droit du Conseil constitutionnel (art. 56, al. 2). Tous les membres du Conseil sont soumis à des incompatibilités (art. 57). Or, depuis que ces dernières ont été étendues par la loi organique du 19 janvier 1995 à « tout mandat électoral », un ancien président ne peut plus exercer la fonction présidentielle, si bien que « toute sortie de l’Elysée est définitive ».

Ce raisonnement, habile, est néanmoins contestable, quoi que l’on pense de cette candidature.

La Constitution prohibe depuis 2008 l’exercice de « plus de deux mandats consécutifs » (art. 6, al. 2). Nul ne peut donc exercer de troisième mandat consécutivement aux deux premiers. Pour le reste, deux lectures de cette disposition sont également possibles.

Selon la première, un bloc de « deux mandats consécutifs » mettrait un terme définitif à toute carrière présidentielle, puisque nul ne peut, dans l’absolu, en faire « plus » une fois échu le second mandat. Mais aucune conséquence n’étant attachée à l’exercice de deux mandats disjoints, un candidat trentenaire, à l’instar d’Emmanuel Macron, pourrait alors espérer être élu tous les dix ans, jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Selon une seconde lecture, l’interdiction ne porterait que sur le caractère consécutif du troisième mandat, puisque nul ne peut exercer, à titre consécutif, plus de « deux mandats ». Seraient alors permises a contrario toutes les configurations qui ne conduisent pas à l’exercice de trois mandats consécutifs : un mandat, une pause, puis deux mandats, ou deux mandats, une pause, puis deux mandats. Inspiré par l’assolement triennal, le constituant aurait ainsi simplement imposé une jachère élyséenne tous les deux mandats, en permettant à un Poutine français un long règne démocratique, pourvu qu’un Medvedev puisse le remplacer une fois sur trois.

La Constitution ne fait peser aucune autre obligation sur l’exercice renouvelé d’un mandat présidentiel, et les incompatibilités de l’article 57 ne sont pas applicables à ce cas de figure, pour trois raisons.

La première tient à la hiérarchie des normes. L’incompatibilité invoquée ne repose pas sur l’article 57 de la Constitution, mais sur la loi organique de 1995 adoptée sur son habilitation. Or, même si le législateur organique, agissant au titre de l’article 57, avait aggravé l’interdiction de l’article 6, il ne conviendrait pas de faire prévaloir la loi organique au détriment de la Constitution.

La deuxième raison tient à la résolution d’une éventuelle antinomie entre les articles 6 et 57 de la Constitution. Même à considérer que le l’article 57, et non la loi organique de 1995, fonde une retraite forcée des ancien présidents, aucune des règles traditionnelles de résolution des antinomies ne justifie que l’on préfère l’article 57 contre à l’article 6. En matière de mandat présidentiel, ce dernier constitue en effet à la fois la lex posterior – son deuxième alinéa a été introduit dans la Constitution en 2008 – et la lex specialis – il l’a été dans le titre relatif au président de la République.

La troisième raison repose sur l’économie générale de l’article 4 de l’ordonnance organique de 1958 relative au Conseil constitutionnel. En 1995, l’extension des incompatibilités à « tout mandat électoral » (art. 4, al. 1er) s’est accompagnée d’une sanction : le « [remplacement] dans leurs fonctions » des membres qui « acquièrent un mandat électoral » (art. 4, al. 3). Or, si elle était appliquée aux membres de droit, cette disposition serait en contradiction frontale avec l’article 56 de la Constitution qui dispose qu’ils « font de droit partie à vie » de l’institution. La catégorie juridique « membres », au sens de l’article 4, n’embrasse donc pas les membres de droit, à propos desquels ce dernier ne prescrit rien. On comprend mal, dans ces conditions, l’interprétation intermédiaire privilégiée par le Conseil constitutionnel, pour qui l’article 4 ferait « seulement obstacle » à ce que puisse y siéger un membre de droit investi d’un mandat électif (CC, n°94-354 DC, cons. 12).

Un éternel retour élyséen, peu probable en fait, est donc possible en droit.

Julien Jeanneney, Maître de conférences à l’Université Panthéon-Sorbonne