La décision du 8 décembre 2016 (n° 2016-741 DC) sur la Loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique porte un rude coup au combat contre les conflits d’intérêts et l’évasion fiscale, devenu pourtant central dans les démocraties occidentales. Il est impossible de rendre compte de cette décision en droit, nous le verrons. Cette décision illustre aussi de façon extrêmement aiguë les aberrations de ce « procès » fait à la loi, ici à deux titres : le Premier ministre a formulé une saisine, alors que ce sont ses services (le SGG) qui sont chargés de défendre la loi devant le Conseil. On peut sérieusement s’interroger sur la volonté réelle du Secrétariat Général du Gouvernement de défendre la loi dans cette affaire. Or, la presse a pu se faire l’écho de bruits indiquant que les hauts fonctionnaires étaient opposés à la disposition de cette loi encadrant les conflits d’intérêts de façon plus serrée. Le Secrétariat général du gouvernement se serait fait le relais de cette hostilité alors même que c’est ce service de Matignon qui, on l’a dit, est chargé de défendre la loi en formulant les observations du gouvernement au cours de la procédure de contrôle.
Il est rare de voir un juge constitutionnel s’attaquer frontalement à la transparence administrative et à la lutte contre les conflits d’intérêts. Pas en France. Avec cette décision, c’est la deuxième fois que le Conseil constitutionnel porte atteinte à la transparence en matière administrative. Comme sa première tentative est passée assez inaperçue, il n’est pas inutile d’y revenir car elle montre à quel point le juge constitutionnel français est clairement devenu un ennemi de tous les principes de bonne gouvernance en matière administrative. Après avoir exposé la première remise en cause frontale de la transparence et la conception franchement rétrograde du Conseil de l’action administrative, nous nous concentrerons sur la décision du 8 décembre.
Son premier assaut contre la transparence figure dans une décision du 27 juillet 2000 (N°2000-433 DC), concernant la nomination des présidents des chaînes de radio publique. La disposition contestée du projet de loi adopté prévoyait que la décision du Conseil supérieur de l’audiovisuel procédant à cette nomination « fera l’objet d’une décision motivée assortie de la publication des auditions et débats du Conseil qui s’y rapportent ». Cette disposition s’inscrivait clairement dans toute l’évolution du droit administratif qui, depuis les années 60, s’attache à l’amélioration des relations de l’administration et du public. Elle vise aussi à conforter la légitimité d’une nomination éminemment politique. Le Conseil constitutionnel le reconnaissait d’ailleurs. Cependant, ce seul fait n’a pas suffi pas à emporter sa conviction. Il a estimé que ce mode de nomination ne contribuerait pas à la qualité de la décision. On voit mal, au passage, en quoi cette observation constitue un argument d’inconstitutionnalité. La motivation du Conseil est à ce point obscure que l’on préfère la citer in extenso :
« Considérant, en revanche, que la garantie résultant du mode de nomination retenu ne serait plus effective si l’intégralité des procès-verbaux des auditions et débats du Conseil supérieur de l’audiovisuel devait être rendue publique ; qu’en effet, ne serait plus assurée en pareil cas l’entière liberté de parole tant des candidats que des membres du Conseil eux-mêmes, condition nécessaire à l’élaboration d’une décision collégiale éclairée, fondée sur la seule prise en compte de l’intérêt général et du bon fonctionnement du secteur public de l’audiovisuel dans le respect de son indépendance ; qu’en outre, la publication intégrale de ces auditions et débats pourrait porter atteinte à la nécessaire sauvegarde du respect de la vie privée des personnes concernées ».
Pour le juge constitutionnel français, la transparence ne contribue donc pas à l’intérêt général. Évidemment cette décision a eu des conséquences significatives quant à la crédibilité du CSA. Cette décision fut en effet utilisée par la président du CSA comme fondement de sa décision d’entourer de secret la nomination de la dernière présidente de France Télévision. Je dis « utilisée » car Le Figaro a pu noter ceci : « Il est soucieux d’attirer au poste de président de France Télévisions une pointure de l’audiovisuel » (http://www.lefigaro.fr/medias/2015/02/03/20004-20150203ARTFIG00167-le-csa-divise-sur-la-nomination-du-president-de-france-televisions.php). Pointure qui ne peut bien évidemment venir que du privé. Quoi qu’il en soit, la décision du président du CSA, fondée sur le raisonnement du Conseil constitutionnel, a connu le succès que l’on connaît…
Il a donc été possible de s’appuyer sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel pour ruiner les efforts du législateur en faveur de la transparence et de la publicité de l’action administrative. La décision du 8 décembre 2016 montre que le Conseil peut aussi porter atteinte à un autre volet essentiel de la transparence : la lutte contre les conflits d’intérêts.
On pensait assez naïvement qu’après l’affaire du Médiator, plus personne, et encore moins au Conseil constitutionnel, ne pouvait douter de la pertinence de la lutte contre les conflits d’intérêts. A cette idée peut-être naïve, la présente décision apporte un clair démenti. Comme on l’a dit, il semble, à croire la presse, que les hauts fonctionnaires n’étaient pas favorables à cette mesure. Mais ces griefs, légitimes, ne sont à aucun moment formulés dans le procès constitutionnel, puisque le Conseil n’était absolument pas saisi de ce point. C’est un élément qu’il a relevé d’office. Ce cas manifeste l’imperfection de la procédure devant le Conseil, qui met la loi en position délicate, puisqu’une fois qu’elle a été votée, ceux qui la défendent peuvent avoir intérêt à la saborder (comme ce fut le cas ici).
De quel mécanisme s’agissait-il ? Le problème dont il s’agit est celui du contrôle du pantouflage de certains hauts fonctionnaires, attribué jusqu’alors à la Commission de déontologie de la fonction publique et que le Parlement a souhaité attribuer à la HATVP, autorité administrative indépendante. Cette évolution est très intéressante d’ailleurs, en ce qu’elle marque le changement de nature de la haute fonction publique française et marque une réalité : dans notre État, les hauts fonctionnaires occupent désormais des fonctions politiques (notamment lorsqu’ils président des autorités administratives indépendantes, lesquelles sont bien souvent au coeur du problème que constitue le pantouflage). À ce titre, ils doivent donc être soumis aux mêmes obligations que les responsables publics. C’est ceci qui est en jeu en réalité et que le Conseil a réussi à éviter. L’article 28 visait les membres des cabinets ministériels et les collaborateurs du président de la République et, d’autre part, les personnes exerçant un emploi ou des fonctions à la discrétion du gouvernement pour lesquels elles ont été nommées en Conseil des ministres.
Quel est le problème ? La peur d’une politique plus restrictive à la HATVP certainement liée à un élément sociologique : la Haute autorité serait dominée par la magistrature et serait plus offensive alors que la CDFP serait, elle, dominée par le Conseil d’État. Le journal spécialisé Acteurs publics fournit à ce sujet l’explication suivante : « La HATVP avait en effet l’intention de se montrer plus restrictive, non pas sur le principe même des départs (les règles ne changent pas), mais sur les réserves émises dans certains avis de compatibilité, c’est-à-dire sur les conditions dans lesquelles l’aval est accordé (ne pas rencontrer untel, etc.). Le transfert était d’autant plus mal perçu que la HATVP aurait eu la possibilité de rendre publics les avis d’incompatibilité (feux rouges) ou les avis de compatibilité assortis de réserves (feux orange). À mille lieues de la culture du secret entretenue par les hautes sphères administratives » (Actualités, lundi 12 décembre 2016).
La question est donc : comment convertir cette objection factuelle en un problème de constitutionnalité ? Il a été évoqué, ici ou là, un problème qui résiderait dans l’atteinte portée à la sécurité juridique. Eh bien non, le Conseil a trouvé un grief encore plus neutre, en apparence : il y a un problème d’intelligibilité de la loi en raison d’une contradiction. Voilà qui est incontestablement brillant ! En voilà un problème « constitutionnel » ! Acteurs publics donne l’explication qui suit : « Pour le Conseil, un problème de concurrence entre les deux autorités se serait posé, par exemple pour un haut fonctionnaire qui aurait occupé, durant les trois ans précédant son départ dans le privé, un emploi à la décision du gouvernement — un poste de directeur d’administration centrale — mais qui aurait entre-temps réintégré son corps d’origine. Pour apprécier sa demande de départ dans le privé et examiner sa situation durant les trois dernières années, la CDFP et la HATVP auraient pu revendiquer, toutes les deux, leur compétence sur des segments différents de la même période ». On peut remarquer au passage que cette explication ne se trouve nulle part dans la motivation de la décision du Conseil constitutionnel.
Et voilà comment on utilise l’intelligibilité et l’accessibilité de la loi pour créer un problème d’ordre constitutionnel de nature à justifier une annulation. On mentionnera qu’il existe déjà des chevauchements de compétence entre les deux autorités et qu’elles sont parfaitement aptes à établir un protocole pour accorder leurs compétences, ce qu’elles ont déjà fait d’ailleurs. Les chevauchements de compétence existent partout dans l’administration. D’ailleurs, le Conseil aurait pu estimer l’objectif poursuivi par le législateur tellement important que la violation de l’intelligibilité avait un caractère proportionnée. Il aurait pu aussi émettre une réserve d’interprétation pour accorder les compétences des deux autorités.
Mais là n’est pas le problème. Les révélations de Mediapart montrent que le SGG a agi contre le législateur qu’il était censé défendre, et cela suffit pour faire de cette décision un véritable problème imposant, pour l’avenir, d’écarter le SGG de la procédure.
Cette décision est-elle étonnante ? D’un certain point de vue, elle est unique. Cependant, elle est parfaitement révélatrice du fonctionnement « parisien » de la justice constitutionnelle française. On constate, à Paris, un rejet assez répandu de la transparence, commun à de nombreux éditorialistes et à la haute fonction publique française. Combien d’articles Alain-Gérard Slama a-t-il écrits contre la transparence (p. ex. : « Transparence, que de crimes on commet en ton nom! », Le Figaro Magazine, 19 avril 2013, p. 50) ? Alain Finkielkraut partage aussi ce combat. Et c’est précisément ce langage qui a été tenu à l’auteur de ces lignes lorsqu’il a plaidé, en vain, au Conseil constitutionnel pour la publication des « portes étroites ». Le discrédit de la transparence et de la lutte contre les conflits d’intérêts est inquiétant car, avec l’érosion très forte de la séparation des pouvoirs, nous ne voyons pas quel principe pourrait désormais assurer ce que Pierre Rosanvallon appelle, le « bon gouvernement ».
Thomas Perroud, Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)
Le Conseil constitutionnel contre la transparence
La décision du 8 décembre 2016 (n° 2016-741 DC) sur la Loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique porte un rude coup au combat contre les conflits d’intérêts et l’évasion fiscale, devenu pourtant central dans les démocraties occidentales. Il est impossible de rendre compte de cette décision en droit, nous le verrons. Cette décision illustre aussi de façon extrêmement aiguë les aberrations de ce « procès » fait à la loi, ici à deux titres : le Premier ministre a formulé une saisine, alors que ce sont ses services (le SGG) qui sont chargés de défendre la loi devant le Conseil. On peut sérieusement s’interroger sur la volonté réelle du Secrétariat Général du Gouvernement de défendre la loi dans cette affaire. Or, la presse a pu se faire l’écho de bruits indiquant que les hauts fonctionnaires étaient opposés à la disposition de cette loi encadrant les conflits d’intérêts de façon plus serrée. Le Secrétariat général du gouvernement se serait fait le relais de cette hostilité alors même que c’est ce service de Matignon qui, on l’a dit, est chargé de défendre la loi en formulant les observations du gouvernement au cours de la procédure de contrôle.
Il est rare de voir un juge constitutionnel s’attaquer frontalement à la transparence administrative et à la lutte contre les conflits d’intérêts. Pas en France. Avec cette décision, c’est la deuxième fois que le Conseil constitutionnel porte atteinte à la transparence en matière administrative. Comme sa première tentative est passée assez inaperçue, il n’est pas inutile d’y revenir car elle montre à quel point le juge constitutionnel français est clairement devenu un ennemi de tous les principes de bonne gouvernance en matière administrative. Après avoir exposé la première remise en cause frontale de la transparence et la conception franchement rétrograde du Conseil de l’action administrative, nous nous concentrerons sur la décision du 8 décembre.
Son premier assaut contre la transparence figure dans une décision du 27 juillet 2000 (N°2000-433 DC), concernant la nomination des présidents des chaînes de radio publique. La disposition contestée du projet de loi adopté prévoyait que la décision du Conseil supérieur de l’audiovisuel procédant à cette nomination « fera l’objet d’une décision motivée assortie de la publication des auditions et débats du Conseil qui s’y rapportent ». Cette disposition s’inscrivait clairement dans toute l’évolution du droit administratif qui, depuis les années 60, s’attache à l’amélioration des relations de l’administration et du public. Elle vise aussi à conforter la légitimité d’une nomination éminemment politique. Le Conseil constitutionnel le reconnaissait d’ailleurs. Cependant, ce seul fait n’a pas suffi pas à emporter sa conviction. Il a estimé que ce mode de nomination ne contribuerait pas à la qualité de la décision. On voit mal, au passage, en quoi cette observation constitue un argument d’inconstitutionnalité. La motivation du Conseil est à ce point obscure que l’on préfère la citer in extenso :
Pour le juge constitutionnel français, la transparence ne contribue donc pas à l’intérêt général. Évidemment cette décision a eu des conséquences significatives quant à la crédibilité du CSA. Cette décision fut en effet utilisée par la président du CSA comme fondement de sa décision d’entourer de secret la nomination de la dernière présidente de France Télévision. Je dis « utilisée » car Le Figaro a pu noter ceci : « Il est soucieux d’attirer au poste de président de France Télévisions une pointure de l’audiovisuel » (http://www.lefigaro.fr/medias/2015/02/03/20004-20150203ARTFIG00167-le-csa-divise-sur-la-nomination-du-president-de-france-televisions.php). Pointure qui ne peut bien évidemment venir que du privé. Quoi qu’il en soit, la décision du président du CSA, fondée sur le raisonnement du Conseil constitutionnel, a connu le succès que l’on connaît…
Il a donc été possible de s’appuyer sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel pour ruiner les efforts du législateur en faveur de la transparence et de la publicité de l’action administrative. La décision du 8 décembre 2016 montre que le Conseil peut aussi porter atteinte à un autre volet essentiel de la transparence : la lutte contre les conflits d’intérêts.
On pensait assez naïvement qu’après l’affaire du Médiator, plus personne, et encore moins au Conseil constitutionnel, ne pouvait douter de la pertinence de la lutte contre les conflits d’intérêts. A cette idée peut-être naïve, la présente décision apporte un clair démenti. Comme on l’a dit, il semble, à croire la presse, que les hauts fonctionnaires n’étaient pas favorables à cette mesure. Mais ces griefs, légitimes, ne sont à aucun moment formulés dans le procès constitutionnel, puisque le Conseil n’était absolument pas saisi de ce point. C’est un élément qu’il a relevé d’office. Ce cas manifeste l’imperfection de la procédure devant le Conseil, qui met la loi en position délicate, puisqu’une fois qu’elle a été votée, ceux qui la défendent peuvent avoir intérêt à la saborder (comme ce fut le cas ici).
De quel mécanisme s’agissait-il ? Le problème dont il s’agit est celui du contrôle du pantouflage de certains hauts fonctionnaires, attribué jusqu’alors à la Commission de déontologie de la fonction publique et que le Parlement a souhaité attribuer à la HATVP, autorité administrative indépendante. Cette évolution est très intéressante d’ailleurs, en ce qu’elle marque le changement de nature de la haute fonction publique française et marque une réalité : dans notre État, les hauts fonctionnaires occupent désormais des fonctions politiques (notamment lorsqu’ils président des autorités administratives indépendantes, lesquelles sont bien souvent au coeur du problème que constitue le pantouflage). À ce titre, ils doivent donc être soumis aux mêmes obligations que les responsables publics. C’est ceci qui est en jeu en réalité et que le Conseil a réussi à éviter. L’article 28 visait les membres des cabinets ministériels et les collaborateurs du président de la République et, d’autre part, les personnes exerçant un emploi ou des fonctions à la discrétion du gouvernement pour lesquels elles ont été nommées en Conseil des ministres.
Quel est le problème ? La peur d’une politique plus restrictive à la HATVP certainement liée à un élément sociologique : la Haute autorité serait dominée par la magistrature et serait plus offensive alors que la CDFP serait, elle, dominée par le Conseil d’État. Le journal spécialisé Acteurs publics fournit à ce sujet l’explication suivante : « La HATVP avait en effet l’intention de se montrer plus restrictive, non pas sur le principe même des départs (les règles ne changent pas), mais sur les réserves émises dans certains avis de compatibilité, c’est-à-dire sur les conditions dans lesquelles l’aval est accordé (ne pas rencontrer untel, etc.). Le transfert était d’autant plus mal perçu que la HATVP aurait eu la possibilité de rendre publics les avis d’incompatibilité (feux rouges) ou les avis de compatibilité assortis de réserves (feux orange). À mille lieues de la culture du secret entretenue par les hautes sphères administratives » (Actualités, lundi 12 décembre 2016).
La question est donc : comment convertir cette objection factuelle en un problème de constitutionnalité ? Il a été évoqué, ici ou là, un problème qui résiderait dans l’atteinte portée à la sécurité juridique. Eh bien non, le Conseil a trouvé un grief encore plus neutre, en apparence : il y a un problème d’intelligibilité de la loi en raison d’une contradiction. Voilà qui est incontestablement brillant ! En voilà un problème « constitutionnel » ! Acteurs publics donne l’explication qui suit : « Pour le Conseil, un problème de concurrence entre les deux autorités se serait posé, par exemple pour un haut fonctionnaire qui aurait occupé, durant les trois ans précédant son départ dans le privé, un emploi à la décision du gouvernement — un poste de directeur d’administration centrale — mais qui aurait entre-temps réintégré son corps d’origine. Pour apprécier sa demande de départ dans le privé et examiner sa situation durant les trois dernières années, la CDFP et la HATVP auraient pu revendiquer, toutes les deux, leur compétence sur des segments différents de la même période ». On peut remarquer au passage que cette explication ne se trouve nulle part dans la motivation de la décision du Conseil constitutionnel.
Et voilà comment on utilise l’intelligibilité et l’accessibilité de la loi pour créer un problème d’ordre constitutionnel de nature à justifier une annulation. On mentionnera qu’il existe déjà des chevauchements de compétence entre les deux autorités et qu’elles sont parfaitement aptes à établir un protocole pour accorder leurs compétences, ce qu’elles ont déjà fait d’ailleurs. Les chevauchements de compétence existent partout dans l’administration. D’ailleurs, le Conseil aurait pu estimer l’objectif poursuivi par le législateur tellement important que la violation de l’intelligibilité avait un caractère proportionnée. Il aurait pu aussi émettre une réserve d’interprétation pour accorder les compétences des deux autorités.
Mais là n’est pas le problème. Les révélations de Mediapart montrent que le SGG a agi contre le législateur qu’il était censé défendre, et cela suffit pour faire de cette décision un véritable problème imposant, pour l’avenir, d’écarter le SGG de la procédure.
Cette décision est-elle étonnante ? D’un certain point de vue, elle est unique. Cependant, elle est parfaitement révélatrice du fonctionnement « parisien » de la justice constitutionnelle française. On constate, à Paris, un rejet assez répandu de la transparence, commun à de nombreux éditorialistes et à la haute fonction publique française. Combien d’articles Alain-Gérard Slama a-t-il écrits contre la transparence (p. ex. : « Transparence, que de crimes on commet en ton nom! », Le Figaro Magazine, 19 avril 2013, p. 50) ? Alain Finkielkraut partage aussi ce combat. Et c’est précisément ce langage qui a été tenu à l’auteur de ces lignes lorsqu’il a plaidé, en vain, au Conseil constitutionnel pour la publication des « portes étroites ». Le discrédit de la transparence et de la lutte contre les conflits d’intérêts est inquiétant car, avec l’érosion très forte de la séparation des pouvoirs, nous ne voyons pas quel principe pourrait désormais assurer ce que Pierre Rosanvallon appelle, le « bon gouvernement ».
Thomas Perroud, Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)