Le décret du 14 juin 2017 relatif aux collaborateurs du pouvoir exécutif : un petit pas pour le droit gouvernemental et la transparence de la vie publique [Par Matthieu Caron]
Jusqu’à présent, aucune disposition expresse n’interdisait aux membres du pouvoir exécutif d’embaucher un membre de leur famille. Selon le décret du 14 juin 2017, le Président de la République et les membres du Gouvernement ne peuvent compter parmi les membres de leur cabinet leur conjoint, leurs enfants, leurs parents, etc. La violation de cette interdiction emporte l’illégalité de l’acte de nomination et la cessation de plein droit du contrat. Quelles conséquences politiques et juridiques tirer de ce décret, à la fois en termes de droit gouvernemental et de transparence de la vie publique ?
Matthieu Caron, Maître de conférences à l’Université de Valenciennes
Ce 14 juin 2017, sur la proposition du garde des sceaux, ministre de la justice, trois textes portant sur la transparence de la vie publique ont été inscrits à l’ordre du jour du Conseil des ministres : un projet de loi organique et un projet de loi ordinaire visant à rétablir la confiance dans l’action publique ainsi qu’un décret relatif aux collaborateurs du président de la République et des membres du Gouvernement. Ce dernier, paru au Journal officiel du 15 juin, donne matière à réflexion à tous ceux qui s’intéressent aux questions relatives à la transparence de la vie publique ainsi qu’au droit gouvernemental.
Faisant suite au décret du 18 mai 2017 régissant les effectifs des cabinets ministériels [1] et à la circulaire du 24 mai 2017 relative à la méthode de travail du Gouvernement, le décret du 14 juin 2017 vient d’abord confirmer que le droit gouvernemental est un droit où l’écrit occupe une place très conséquente [2]. Mais surtout, il constitue, s’il en était besoin, une nouvelle démonstration de l’autonomie organisationnelle du Gouvernement et d’ailleurs de ses excès (1). Sur le fond, en interdisant les emplois familiaux [3], ce texte entreprend le processus d’abolition de la « République des conjoints », ce qui représente une victoire symbolique pour la transparence et l’exemplarité de la vie publique [4] (2).
Une nouvelle démonstration de l’autonomie organisationnelle du Gouvernement et de ses excès
Le décret du 14 juin 2017 est un décret en Conseil d’État et en Conseil des ministres qui comporte une compilation peu ordinaire de visas constitutionnels : « Vu la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, notamment son article 16 ; vu la Constitution, notamment ses articles 5, 19, 20, 34 et 37 ».
Le visa de l’article 16 de la DDHC signifie, qu’au nom de la séparation des pouvoirs, le législateur n’a pas compétence pour régir les questions relevant de l’ordre intérieur du Gouvernement. Il s’agit là d’un pouvoir exercé concurremment par le président de la République, le Premier ministre et le Gouvernement en vertu des articles 5, 19, 20 et 37 de la Constitution ainsi qu’a eu l’occasion de le rappeler le Conseil constitutionnel dans une décision QPC du 10 novembre 2011 [5].
À la mention de l’article 16 de la DDHC vient principalement s’ajouter le visa de l’article 37 de la Constitution, lequel indique nettement que l’organisation des cabinets ministériels relève du pouvoir réglementaire autonome et non du pouvoir législatif. En l’espèce, il appartenait effectivement au pouvoir réglementaire de préciser le périmètre et les modalités de l’interdiction des emplois familiaux ayant trait au pouvoir exécutif. Fait relativement nouveau cependant : alors que sous la Ve République, la réglementation des cabinets a été principalement régie par la coutume gouvernementale, en l’espace d’un mois, deux décrets (ceux du 18 mai et du 14 juin) sont venus réglementer la vie des cabinets. L’autonomie organisationnelle du Gouvernement tendrait-elle à changer de forme, la coutume s’effaçant peu à peu au profit de dispositions textuelles ? L’avenir nous le dira. En attendant, si le recours au texte aux dépens de la coutume est de nature à rigidifier l’action gouvernementale, au moins a-t-il le mérite de favoriser la transparence et l’État de droit.
Or, c’est là que le bât blesse toutefois : le recours à un texte ne garantit rien en lui-même dès lors que le pouvoir exécutif a toute latitude pour en déterminer le contenu. S’il est indispensable que l’Exécutif jouisse d’une autonomie organisationnelle, on peut légitimement se demander si elle doit concerner la réglementation du statut du président, des membres du Gouvernement et de leurs entourages. Une lecture de la séparation des pouvoirs favorable à la démocratie n’implique-t-elle pas, au contraire, que la détermination des statuts des membres du pouvoir exécutif et des membres de l’administration gouvernementale, soit régie par le Parlement ? Mais une telle solution n’est plus possible en l’état actuel de la jurisprudence constitutionnelle. En effet, dans son énigmatique décision du 9 août 2012, le Conseil constitutionnel a jugé contraire au principe de la séparation des pouvoirs la fixation, par voie législative, de la rémunération du président de la République et des membres du Gouvernement [6]. Une telle jurisprudence oblige le pouvoir exécutif, quand bien même il ne le souhaiterait pas, à définir lui-même ses propres statuts, de même qu’elle interdit symétriquement au Parlement de s’emparer de la question. Ainsi le Président Hollande a-t-il dû définir lui-même le régime des anciens présidents de la République ce qui a pu apparaître comme une forme de « privilège auto-conféré » [7]. À dessein, la doctrine a souligné toute l’incongruité de la décision du 9 août 2012, de même qu’elle en a démontré toutes les faiblesses en termes d’argumentation juridique [8]. Aussi, serait-il vraiment sage que, le moment venu, – et le plus tôt sera le mieux –, le Conseil constitutionnel revienne sur cette position prise à la hâte et « politiquement rétrograde » [9]. Car, dans une grande démocratie, la question du statut des gouvernants doit être débattue publiquement au sein du Parlement.
En vérité, le Parlement n’est pas tout à fait absent de ce processus de lutte contre le népotisme entourant les cabinets ministériels. En vertu de l’article 34 de la Constitution, seul le législateur peut déterminer les crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables. En conséquence, si le décret du 14 juin dispose qu’il doit être mis fin, dans un délai de deux mois, aux fonctions d’un collaborateur familial, il reviendra au législateur de préciser que « le fait, pour un membre du Gouvernement, de compter une personne de sa famille parmi les membres de son cabinet (…) est puni d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende » (Article 3 du projet de loi). Qu’il paraît ainsi déjà loin et révolu le temps où, comme nous l’enseignait le Journal officiel, Jacques Chirac employait sa fille avant que Nicolas Sarkozy ne nomme son épouse [10].
La fin programmée de la « République des conjoints »
La République française se singularise depuis longtemps par le règne des entourages familiaux [11]. Daniel Wilson, le gendre de Jules Grévy, fut à l’origine du scandale des décorations. Paul Auriol, le fils du président Auriol, fut nommé secrétaire général adjoint de l’Elysée. Jean-Christophe Mitterrand fut conseiller pour les affaires africaines de son père. Claude Chirac fut la conseillère en communication officielle de son père. Cécilia Sarkozy fut conseillère technique lors du passage de son mari à Bercy tandis que l’une de ses filles fut installée dans un des logements normalement réservé à un ministre de la République.
Le décret du 14 juin 2017 vient mettre un terme bienvenu à cette douteuse pratique des emplois familiaux du pouvoir exécutif. Si elle n’a jamais été interdite, une telle pratique délétère a toujours exposé les membres du pouvoir exécutif au risque de la prise illégale d’intérêts de l’article L. 432-12 du code pénal. Il est à noter que cette interdiction sera également étendue au Parlement et aux collectivités territoriales par la voie législative. En ce qui concerne le Parlement, l’article 4 du projet de loi rétablissant la confiance dans l’action publique devrait modifier l’article 8 de l’ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958 afin d’interdire à un député ou à un sénateur d’employer en tant que collaborateur parlementaire des membres de son entourage familial. De même, s’agissant des collectivités territoriales, l’article 5 du même projet de loi prévoit une modification de l’article 110 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 en vue d’interdire aux autorités territoriales de recruter des membres de leur famille.
Pour bien mesurer les enjeux d’une telle interdiction, l’on se référera à l’étude d’impact adossée au projet de loi.
« Les objectifs poursuivis par l’interdiction pour les membres du Gouvernement, les parlementaires et les élus locaux de nommer ou d’employer un membre de leur famille proche sont, en mettant en balance un objectif d’intérêt général avec le droit au respect de la vie privée et la liberté contractuelle :
1°) la moralisation de la vie publique et la probité des responsables politiques en étendant aux plus hauts responsables politiques la théorie dite « des apparences », mise en avant par la Cour européenne des droits de l’homme, applicables aux fonctions juridictionnelles (…) ;
2°) la diminution des risques de conflits d’intérêts avec les membres de la famille et d’accusations avérées ou supposées de népotisme ;
3°) la transparence de la vie publique en ce que les membres du Gouvernement qui souhaitent nommer comme collaborateur au sein de leur cabinet des membres de leur famille au-delà de leur famille proche, devront indiquer leurs liens familiaux à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. Les potentielles embauches dites « croisées » de proches entre des parlementaires au sein d’une même assemblée (proche d’un député employé par un collègue du député) ou entre les deux assemblées (proche d’un député employé comme collaborateur parlementaire d’un sénateur), ou bien entre membres du Gouvernement (proche d’un ministre nommé au sein du cabinet d’un collègue ministre) devront également être indiquées à la Haute Autorité. Celle-ci pourra faire usage de son pouvoir d’injonction qu’elle tient de l’article 10 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique s’agissant des membres du Gouvernement (injonction de faire cesser une situation de conflit d’intérêts, possibilité de rendre publique cette injonction après avoir mis l’intéressé à même de faire valoir ses observations dans un délai d’un mois) » [12].
Si la fin de la République des familles constitue une avancée pour l’exemplarité et la transparence de la vie publique, elle n’est qu’une étape, parmi bien d’autres, dans la restauration du lien de confiance qui unit les gouvernés aux gouvernants. Sans discuter ici de la pertinence de l’ensemble des projets de loi visant à restaurer la confiance dans l’action publique du 14 juin, qu’il soit permis de formuler deux remarques.
En premier lieu, le décret du 14 juin et les projets de loi susmentionnés passent sous silence l’aspect primordial du problème du népotisme : celui des relations entre le pouvoir exécutif et les milieux d’affaires. La séparation entre le pouvoir politique et le pouvoir économique demeure, en effet, un relatif impensé juridique si bien que nos gouvernants peuvent continuer à entretenir des liaisons dangereuses avec les groupes de pression, s’exposer à des conflits d’intérêts au parfum de scandale, s’accommoder du pantouflage sinon le promouvoir, récompenser leurs amis politiques en les nommant à des emplois prestigieux ou encore, attribuer des marchés publics à leurs entourages sans nécessairement avoir à en répondre.
En second lieu, il faut reconnaître que le processus de restauration de la confiance dans la vie publique qui a été engagé, souffre de trois défauts principaux. Tout d’abord, les mesures qui ont été imaginées ont malheureusement été davantage commandées par l’actualité que par une réflexion au long cours. Ensuite, il est regrettable, qu’en raison de la décision du Conseil constitutionnel du 9 août 2012, le Gouvernement ait dû spécialement prendre un décret pour interdire aux membres du pouvoir exécutif l’emploi des membres de leur famille. Alors que le Conseil exige sans cesse la clarté et l’intelligibilité de la norme, avec ce type de décision, il participe lui-même à l’illisibilité du droit, de même qu’il fait obstacle à son unité. Pour éviter une telle parcellisation, il eût été vraiment préférable que l’ensemble des dispositions concernant les emplois familiaux figure dans le projet de loi ordinaire. Enfin, de manière plus générale, il est fâcheux, qu’une fois encore, la question du statut des responsables publics et de leurs entourages soit abordée de manière aussi partielle. Une grande loi portant statut de tous nos responsables publics et de leurs entourages serait vraiment la bienvenue. Manifestement, il faudra sans doute attendre un prochain scandale pour que l’on s’y atèle car, en matière de transparence, nécessité est toujours mère d’industrie.
[1] Décret n° 2017-1063 du 18 mai 2017 relatif aux cabinets ministériels, J.O. du 19 mai 2017.
[2] Sur ce point, cf. : M. Caron, L’autonomie organisationnelle du Gouvernement. Recherche sur le droit gouvernemental de la Ve République, LGDJ, 2015.
[3] Précisément, peuvent plus faire partie de leur cabinet : « 1° Leur conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin ; 2° Leurs parents, enfants, frères et sœurs ainsi que leurs conjoints, partenaires liés par un pacte civil de solidarité ou concubins ; 3° Leurs grands-parents, leurs petits-enfants et les enfants de leurs frères et sœurs ; 4° Les parents, enfants et frères et sœurs de leur conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin » (Décret n° 2017-1098 du 14 juin 2017 relatif aux collaborateurs du Président de la République et des membres du Gouvernement, J.O. du 15 juin 2017).
[4] Sur ce point, cf. : M. Caron, « Finissons-en avec la République des conjoints ! », Le Monde du 31 janvier 2017.
[5] Cons. const., n°2011-192 QPC du 10 novembre 2011, Mme Ekaterina B., épouse et autres (Secret défense), Rec. p. 528, §19, 21, 24, 36.
[6] Cons. const., n°2012-654 DC du 9 août 2012, Loi de finances rectificative pour 2012, Rec. p. 461, §79-83.
[7] P. Wachsmann, « Le statut des anciens présidents de la République : de la déclaration d’inexistence évitée à l’indécence affichée », Recueil Dalloz, n°34, 13 octobre 2016 ; M. Caron, « Le décret du 4 octobre 2016 relatif au statut des anciens présidents de la République : entre transparence et fait du prince », AJDA, n°41, 5 décembre 2016, p. 2319-2323.
[8] O. Beaud, « Le Conseil constitutionnel et le traitement du président de la République : une hérésie constitutionnelle », Jus Politicum, juillet 2013, n°9 ; M. Clorennec-thys, « Le Conseil constitutionnel et l’inscription du traitement du Président de la République en loi de finances », Droit administratif, mars 2013, n°3, p. 27-28 ; R. Lanneau, « Commentaire de la décision du Conseil constitutionnel relative à la Loi de finances rectificative pour 2012, Gestion et finances publiques, avril 2013, n°4, p. 25-29.
[9] O. Beaud, loc. cit.
[10] Arrêté du 19 mai 1995 portant nomination à la présidence, J.O. n° 118 du 20 mai 1995, p. 8447 & Arrêté du 16 avril 2004 portant nomination au cabinet du ministre d’Etat, J.O n° 97 du 24 avril 2004, p. 7503.
[11] Cf. « L’opacité financière régnant dans les entourages de l’exécutif », in X. Bioy, J.-M. Eymeri Douzans & S. Mouton (Dir.), Le règne des entourages, Cabinets et conseillers de l’exécutif, Presses de Sciences Po, novembre 2015, p. 313-336.
[12] Étude d’impact du projet de loi rétablissant la confiance dans l’action publique (JUSC1715753L).