L’Italie désorientée après le vote : les fautes (partielles) d’une loi électorale qui n’assure ni la gouvernabilité ni la représentativité [Par Nicoletta Perlo]

L’Italie désorientée après le vote : les fautes (partielles) d’une loi électorale qui n’assure ni la gouvernabilité ni la représentativité [Par Nicoletta Perlo]

On March 4, 2018 were held the legislative elections in Italy. The iter that led to the adoption of the electoral law of November 3, 2017 as well as its contents make it possible to highlight, on the one hand, the reinforced role of the Constitutional Court and the President of the Republic in times of crisis; on the other hand, they reveal the incapacity of the legislator to respond to the societal expectations of an electoral reform guaranteeing more representation and governability.

 

Le 4 mars 2018 se sont tenues les élections législatives en Italie. L’iter qui a conduit à l’adoption de la loi électorale du 3 novembre 2017 ainsi que son contenu permettent de mettre en avant, d’une part, le rôle renforcée de la Cour constitutionnelle et du Président de la République en temps de crise ; d’autre part, elles révèlent l’incapacité du législateur de répondre aux attentes sociétales d’une réforme électorale garantissant plus de représentativité et de gouvernabilité.

 

Nicoletta Perlo, Maître de conférences à l’Université Toulouse I Capitole

 

Le 4 mars 2018 les Italiens ont été appelés aux urnes pour élire directement leurs représentants à la Chambre des députés et au Sénat. Conformément au fonctionnement d’un régime parlementaire « classique », ces élections auraient dû permettre de déterminer, d’abord, un parti ou une coalition de partis majoritaire ; ainsi, le leader de la force gagnante aurait reçu le mandat du Président de la République pour former un gouvernement ; un gouvernement qui aurait dû tout naturellement obtenir le vote de confiance des deux chambres et conduire ensuite la politique du pays pendant cinq ans.

 

Or, en Italie, mise à part l’architecture romaine, rien n’est « classique » et la pratique constitutionnelle semble plutôt privilégier les circonvolutions et les ruptures impromptues de l’architecture baroque. Ainsi, les élections législatives du 4 mars ont permis certes de déterminer un gagnant – la coalition du centre-droit avec 36% des voix – qui toutefois ne pourra pas gouverner seul, puisqu’il n’aura pas un nombre de sièges suffisants à la Chambre des députés et au Sénat pour former un gouvernement d’une seule couleur politique.

 

Comme en Allemagne lors des dernières élections, le seul gouvernement possible sera un gouvernement de coalition. Toutefois, dans le cas italien, la détermination des alliances s’annonce pour l’heure très compliquée, étant donné que le Mouvement des 5 étoiles, avec environ 32% des voix, s’est affirmé comme le premier parti italien. Ce parti, ni de gauche ni de droite, essentiellement populiste et antisystème, déterminera la configuration du futur gouvernement italien, pouvant, de façon très imprévisible, se tourner vers la droite ou bien vers la gauche.

 

Ce scénario, propre d’un parlementarisme « de compromis », n’est pas inconnu aux Italiens. Les élections de février 2013 avaient abouti au même résultat : bien que la coalition guidée par le Parti démocrate (centre-gauche) eut gagné les élections, son leader, Pier Luigi Bersani, n’avait pas pu former un gouvernement puisqu’en vertu du système électoral mixte proportionnel en vigueur (un système pas très éloigné du système français de la IVe République), les primes majoritaires attribuées à la Chambre des députés et au Sénat n’étaient pas calculées sur les mêmes bases. Ainsi, au Sénat, la coalition de centre-gauche était en minorité. Cette paralysie institutionnelle n’était pas exclusivement le résultat de la loi électorale n°270/2005, appelée communément Porcellum (un « élégant » latinisme, signifiant « cochonnerie », inventé par le député dépositaire de la loi lui-même !). Contribuaient également au blocage d’une part le bicaméralisme parfait, d’autre part la rupture du bipolarisme, inaugurée par le grand succès électoral obtenu en 2013 par le Mouvement des 5 étoiles, nouvelle troisième force politique.

 

Au choc de la paralysie institutionnelle s’ajoute, pour les citoyens, le choc de la formation d’un gouvernement de coalition, voulu et accompagné par le très actif Président de la République de l’époque Giorgio Napolitano. De façon inédite (exception faite pour le gouvernement de solidarité nationale de 1976 en réponse à la période du terrorisme et le gouvernement Monti de 2011 faisant suite à la crise économique) la coalition de centre-gauche s’est alliée aux forces de centre-droite. Or, parce qu’elle est issue non pas d’une situation d’urgence et de nécessité mais déterminée essentiellement par un système électoral défaillant, cette alliance apparaît aux yeux de la grande majorité des citoyens comme intolérable. En Italie, les clivages politiques sont certes moins forts qu’auparavant, mais il existe encore des fractures bien nettes au sein de la société italienne : elles divisent tant l’électorat de droite que l’électorat de gauche. La mémoire non partagée de la Résistance et des fondements antifascistes de la Constitution est l’un des éléments essentiels de l’opposition entre les deux camps. Par conséquent, l’alliance de forces traditionnellement opposées a eu pour effet d’approfondir la crise de confiance des citoyens vis-à-vis des institutions et des partis politiques et de faire monter en puissance les formations antisystèmes et populistes.

 

Conscients des dégâts non seulement politico-institutionnels mais aussi sociétaux de cette situation, les plus hautes fonctions de l’Etat, et notamment le Président de la République Napolitano et le Président de la Cour constitutionnelle Franco Gallo, ont incité par des discours vibrants le gouvernement de coalition d’Enrico Letta (formé le 28 avril 2013) à faire de la réforme de la loi électorale une priorité absolue. A l’issue de cinq ans, trois gouvernements, deux arrêts de la Cour constitutionnelle, deux lois adoptées, un projet de révision constitutionnelle avorté et des infinis débats parlementaires, le 3 novembre 2017 est enfin adoptée la nouvelle loi électorale, appelée Rosatellum du nom de son promoteur, Ettore Rosato.

 

Or, les résultats des élections du 4 mars 2018 prouvent que la nouvelle loi s’est révélée incapable de répondre aux exigences de gouvernabilité qui, en 2013, avaient enclenché la réforme électorale. Comment cela a-t-il été possible ? L’analyse (bien que brève) de l’iter d’élaboration de la loi électorale entend répondre à cette question. L’impuissance (ou la négligence) du législateur ont dans un premier temps conduit la Cour constitutionnelle à jouer un rôle de deus ex machina, déclenchant par sa jurisprudence le processus législatif (I). Pris au piège par des majorités parlementaires instables et à l’approche des élections, le législateur a adopté une loi a minima, qui photographie le tripolarisme politique sans avoir l’ambition de le dépasser. Une loi qui, après les élections, rend ainsi obligatoire l’intervention d’un autre deus ex machina : le Président de la République (II).

 

I. Acte I : le juge constitutionnel, deus ex machina de l’impasse législatif

 

Le contrôle de la loi électorale par la Cour constitutionnelle paraissait, en 2013, hautement improbable. En effet, en Italie, il n’existe pas de justice électorale. A la différence de la France, l’art. 66 de la Constitution italienne prévoit que les litiges sur l’éligibilité ou l’incompatibilité des parlementaires sont tranchés par les chambres d’appartenance. Ainsi, la Cour Constitutionnelle (qui ne statue qu’a posteriori) ne pouvait pas être saisie d’une question de constitutionnalité relative à la loi électorale dans le cadre d’un litige concret. Le juge constitutionnel lui-même avait d’ailleurs exclu de pouvoir intervenir en la matière (arrêt 259/2009).

 

Toutefois, en janvier 2014, la Cour constitutionnelle démentit sa propre jurisprudence en répondant positivement aux sollicitations de la société civile et des juges ordinaires, très inquiets quant aux atteintes au droit de vote et à la stabilité politico-institutionnelle infligées par loi électorale Porcellum. En avril 2012, un citoyen électeur soulève une question de constitutionnalité devant le juge ordinaire : il affirme qu’en raison de la loi électorale, son droit de vote ne peut pas être exercé dans le respect des principes constitutionnels exigeant un vote libre, exprimé sur la base d’un suffrage direct. La Cour de cassation saisit la Cour constitutionnelle de l’affaire. Contre toute attente, la Cour constitutionnelle accueille la question bien que, dans les faits, elle ne soit pas « rilevante », nécessaire pour la résolution du procès devant le juge du fond. Le procès a quo, en effet, est fondé uniquement sur la contestation de la constitutionnalité de la loi censurée, en l’absence d’un véritable litige. La Cour justifie ce choix essentiellement sur la base de l’importance du droit qui fait l’objet de la saisine – le droit de vote – et de l’exigence de ne pas créer des domaines législatifs dans lesquels le droit de vote ne puisse pas être protégé (« zones franches »). Par ce biais, dans des conditions d’extremaratio et dans une matière particulière, la Cour constitutionnelle accorde la possibilité d’un recours presque direct, une sorte d’amparo masqué par une procédure qui ne garde plus que l’apparence d’un recours indirect. Cette innovation procédurale permet à la Cour de censurer partiellement la loi électorale de 2005. Tout en affirmant que le législateur reste libre de choisir le système électoral, le juge constitutionnel rappelle qu’il doit le faire en mettant en balance les exigences de représentativité et de gouvernabilité. C’est donc sur la base de ces deux exigences que la Cour effectue un test de proportionnalité, la conduisant à censurer les primes majoritaires et les listes bloquées qui bafouent le principe démocratique et le droit de vote.

 

Cette décision a produit un effet de tonnerre. Elle implique que le Parlement élu en 2013 l’a été de façon inconstitutionnelle. Le processus de délégitimation des partis et des institutions, déjà bien entamé, subit une forte accélération à l’avantage des forces populistes. Face à ces multiples pressions, le nouveau gouvernement de Matteo Renzi (qui a succédé au gouvernement Letta le 21 février 2014) conduit à coup de questions de confiance la majorité parlementaire à l’adoption d’une nouvelle loi électorale, appelée Italicum, nom évocateur de l’unité atteinte. La loi n°52 du 6 mai 2015 (qui ne concerne que la Chambre des députés, puisque le Sénat aurait dû être transformé par la révision constitutionnelle en cours d’approbation à l’époque) confirme le système mixte à dominante proportionnelle institué en 2005, en corrigeant toutefois les profils d’inconstitutionnalité. La prime majoritaire est réduite, un deuxième tour à la française est institué, le vote préférentiel ainsi qu’un seuil pour l’attribution des sièges sont introduits.

 

Toutefois, le consensus au sein des forces politiques et de la société civile est loin d’être atteint. Encore une fois, la Cour constitutionnelle est appelée à un rôle d’arbitre. Les tribunaux de Messine, Turin, Pérouse, Gênes et Trieste soulèvent des questions d’inconstitutionnalité concernant la loi Italicum. Le défi procédural pour la Cour constitutionnelle est important. Non seulement l’élément de la rilevanza, c’est-à-dire le lien entre la question et la résolution du procès a quo est manifestement absent, mais de plus la Cour est appelée à effectuer un contrôle totalement abstrait, sur une loi certes déjà promulguée, mais jamais appliquée. Dans la continuité avec l’arrêt n°1/2014, la Cour constitutionnelle justifie l’admissibilité de la question en vertu de l’importance du droit de vote et de la nécessité d’assurer une protection juridictionnelle effective de ce droit. La Cour inaugure ainsi, en la matière, une nouvelle forme de contrôle, très abstrait, se rapprochant d’un contrôle a priori, un contrôle qui n’existe pas en Italie.

 

Les forces politiques ont encouragé cette progression. Le législateur, en manque de légitimité, attendait anxieux la décision d’une institution qui seule, avec la Présidence de la République, possède la légitimité nécessaire pour faire des choix courageux en temps de crise.

 

Pour la seconde fois le juge constitutionnel censure la loi électorale (arrêt n°35 du 11 janvier 2017) : le deuxième tour ainsi que la disposition permettant au chef de liste élu dans plusieurs collèges de choisir le collège d’élection portent atteinte au principe de représentativité et d’égalité du vote. Le juge rappelle ensuite que le législateur doit veiller à garantir l’homogénéité entre le système électoral prévu pour la Chambre des députés et celui prévu pour le Sénat (qui étant donné l’échec de la révision constitutionnelle est resté en l’état). La balle est à nouveau dans le camp du législateur. Un troisième gouvernement s’y penche, le gouvernement Gentiloni, qui a succédé au gouvernement Renzi, devenu démissionnaire après l’échec du référendum constitutionnel du 4 décembre 2016.

 

II. Acte II : un législateur impuissant (ou négligeant) face au système politique

 

Dix mois s’écoulent entre l’arrêt de la Cour constitutionnelle censurant partiellement l’Italicum et l’adoption de la nouvelle loi électorale Rosatellum. Dix mois de débats, négociations, alliances, ruptures d’alliances, menaces de ne pas arriver au terme de la législature. Le Président de la République Sergio Mattarella n’a de cesse de souligner la nécessité d’adopter au moins une loi qui, uniformise le mode de scrutin du Sénat et de la Chambre des députés. Il s’agit de la condition a minima pour garantir la gouvernabilité. A la mi-septembre une proposition de 2014 provenant d’un député du Mouvement des 5 étoiles et semblant recueillir le consensus des différentes forces politiques est exhumée. Le recours au vote de confiance pour l’approbation de la loi à la Chambre des députés afin de favoriser son adoption accélérée, n’a pas manqué de soulever la colère de la société civile et de la doctrine. Elles dénoncent le passage en force d’une loi qui, compte tenu de ses implications pour la vie démocratique du pays, aurait dû, au contraire, faire l’objet d’une très large majorité. Des recours sont ainsi présentés à la Cour constitutionnelle. Cette fois pourtant le juge n’innove pas et réaffirme que sa compétence est limitée à un contrôle a posteriori de la loi qui ne saurait se transformer en un contrôle préventif. Le 3 novembre 2017, à quatre mois des élections, le Rosatellum est adopté.

 

La loi tire les conséquences de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle et introduit un système électoral mixte, valable pour le Sénat et pour la Chambre des députés, qui tente d’assurer en même temps la représentativité et la gouvernabilité.

 

Dans le nouveau système, 37% des sièges sont attribués avec le système majoritaire à un seul tour dans des collèges uninominaux ; 61% des sièges sont attribués via le système proportionnel entre les coalitions et les listes qui ont dépassé certains seuils (3% pour les listes et 10% pour les coalitions) ; 2% des sièges sont attribués par le vote des italiens résidents à l’étranger par un scrutin proportionnel.

 

L’élimination de la prime majoritaire conduit à penser que le législateur a privilégié les exigences de la représentativité, c’est-à-dire celles de la correspondance entre les votes et les sièges, par rapport aux exigences de la gouvernabilité, qui conduisent à supra-représenter les partis ou les coalitions vainqueurs au détriment des autres.

 

Toutefois, une analyse plus approfondie invite à constater que des limites importantes ont été posées au principe de la représentativité. Certaines limites visent à garantir aux partis politiques un rôle prééminent dans la détermination des candidats élus ; d’autres tendent à limiter les effets négatifs du scrutin proportionnel sur la gouvernabilité.

 

Concernant la première série de limites, le législateur, malgré la censure de la Cour constitutionnelle, a voulu maintenir les listes « bloquées » dans les collèges plurinominaux, en niant ainsi la possibilité pour l’électeur d’indiquer des préférences pour un ou bien des candidats. L’ordre est donc fixé par les partis qui jouent ici un rôle important dans la détermination des élus. De plus, la loi admet la possibilité pour un candidat de se présenter dans plusieurs collèges électoraux plurinominaux. En cas de victoire dans plusieurs collèges, le siège est attribué là où la liste du candidat a obtenu le pourcentage de voix le plus bas. Dans un contexte de crise des partis et de leur représentation, ce système a été très fortement contesté en ce qu’il empêche l’électeur de choisir librement son représentant et qu’il affaiblit par conséquent le caractère représentatif des élus.

 

Quant à la seconde série de limites posées au principe de représentativité, elles sont justifiées par l’exigence de garantir la gouvernabilité. En premier lieu, le système prévoit l’élection d’un quota de parlementaires par un scrutin majoritaire dans des collèges uninominaux. Or, si seulement 37% des sièges sont attribués par ce mode de scrutin, le vote dans les collèges uninominaux a pesé très lourd, en produisant un effet moteur dans les collèges plurinominaux. Les partis ont en effet choisi des candidats « forts » dans les collèges du majoritaire, capables d’attirer plus de voix. Puisque les électeurs ne pouvaient pas faire de panachage, c’est-à-dire voter différemment dans les deux collèges – uninominal et plurinominal – le vote pour le candidat de l’uninominal s’est reversé automatiquement sur la liste ou la coalition de listes des collèges plurinominaux.

 

Un élément ultérieur de sélectivité est constitué par l’institution de collèges électoraux plurinominaux de dimensions réduites, permettant l’attribution d’une moyenne de six sièges (décret législatif n°189 du 12 décembre 2017). L’expérience – tout particulièrement espagnole – enseigne que cela favorise les partis les plus importants au détriment des autres.

 

Malgré cela, les limites à la logique purement proportionnelle ne sont pas suffisantes à garantir un résultat électoral clair. Certes, le système électoral ne peut pas, à lui seul, modifier structurellement le système politique et constitutionnel. Le système des partis, leur culture politique et le vote des électeurs jouent un rôle tout aussi déterminant. Il suffit de penser aux difficultés rencontrées en Allemagne pour former un gouvernement après les élections du 24 septembre 2017, dans le cadre d’un système mixte considéré comme particulièrement stable. Même au Royaume-Uni, patrie du prototype des systèmes majoritaires, après les élections du 8 juin 2017, les Tories ont dû chercher l’appui de petites formations nord-irlandaises pour former un gouvernement.

 

Cependant, il est également indéniable qu’un système électoral peut (ou pas) contribuer à renforcer la gouvernabilité. En ce sens, la loi Rosatellum a fait un choix de compromis insatisfaisant : tout en ne garantissant pas pleinement le principe de la représentation, elle n’assure pas non plus l’exigence de la formation d’un gouvernement stable.

 

Quelque chiffre peut aider à illustrer la situation : à la Chambre des députés, même si une force politique obtenait 40% des voix, cela se traduirait en 40% du quota proportionnel et donc en 154 députés, 24,4% de l’ensemble des députés (630). Pour atteindre 316 sièges, et donc la majorité absolue, cette force politique devrait gagner aussi 162 collèges uninominaux, c’est-à-dire 70% des compétitions majoritaires. A l’heure actuelle, il était presqu’impossible que l’une des trois forces principales (coalition de centre-droite ; Mouvement des 5 étoiles ; coalition de centre-gauche) atteigne ces résultats.

 

Le Rosatellum préfigure ainsi un retour aux scénarios post-électoraux de la première phase de la République italienne (1948-1993) : les majorités de gouvernement se forment seulement après que chaque parti ait constaté son poids électoral. Preuve en est que la loi a éliminé la figure du leader de la coalition et l’obligation pour les coalitions de présenter des programmes communs. Les coalitions sont donc des simples apparentements électoraux, prêts à se défaire et à se recomposer par la suite en fonction des résultats des élections. Le Président de la République est alors destiné à jouer un rôle majeur dans la formation de l’exécutif. Bénéficiaire d’une très grande légitimité, la présidence de la République est le deus ex machina sensé résoudre le blocage institutionnel généré par une loi électorale qui ne garantit pas la gouvernabilité. Cela est considéré comme une évidence par l’opinion publique et les partis politiques. Avant même les élections, les différents candidats n’avaient de cesse de manifester leur confiance dans l’œuvre de médiation que le Président de la République aurait à accomplira près les élections, afin de déterminer la personne chargée de former un gouvernement. En Italie, la crise de la légitimité des partis et des institutions de la représentation est si profonde que le recours à des dei ex machina étrangers aux circuits de la représentation directe – notamment la Cour constitutionnelle et le Président de la République (élu indirectement par le Parlement réuni en Congrès) – non seulement n’est plus ressenti comme une atteinte aux principes démocratiques par l’opinion publique et les forces politiques, mais au contraire il a été transformé en pratique constitutionnelle consolidée.

 

En ce sens, il est légitime de se demander si cette loi électorale productrice d’une situation politico-institutionnelle si insatisfaisante est le résultat de l’impuissance du législateur ou bien d’une volonté précise et réfléchie. Nous penchons plus pour la seconde hypothèse. Les forces politiques candidates aux élections sont celles qui ont adopté il y a quatre mois la loi électorale. Il n’est donc pas très étonnant que par la loi Rosatellum le législateur se limite à constater l’existence d’un système politique multipolaire et adapte un mode de scrutin qui n’entend surtout pas l’altérer. Voici réalisé le risque mis en avant en 2002 par la Commission de Venise dans son Code de bonne conduite en matière électorale (Avis n° 190/2002) : l’adoption d’une loi électorale juste avant la tenue des élections est considéré par l’organe consultatif du Conseil de l’Europe comme un vulnus au voile d’ignorance nécessaire pour réglementer la matière, au-delà des attentes et des pressions partisanes (en ce sens aussi CEDH, arrêt du 6 nov. 2012, Ekoglasnost c. Bulgarie).

 

Tels sont les principaux effets du Rosatellum : une représentativité limitée, une in-gouvernabilité presque assurée, la création de coalitions de gouvernement qui trahissent les attentes des électeurs, des partis politiques agissant selon l’opportunité du moment. Tous les éléments sont malheureusement réunis pour une montée en puissance des populismes.

 

Les résultats électoraux ne peuvent que confirmer cette tendance politique : la loi électorale n’en est certes pas le seul facteur, mais elle demeure un rouage essentiel de la grande construction politico-institutionnelle de l’Etat italien.