Les Britanniques peuvent-ils nous apprendre à sauver l’urgence en matière législative ? [Par Estelle Chambas]

Les Britanniques peuvent-ils nous apprendre à sauver l’urgence en matière législative ? [Par Estelle Chambas]

Addressing to the Congress on the 3rd of July 2017, Emmanuel Macron exposed his will to lead a constitutional reform including the revision of the legislative procedure in a more efficient perspective. Therefore it is considered to generalize the use of the accelerated legislative procedure. Nevertheless, such a reform could undermine the rights of the Parliament without solving emergency situations. An alternative proposition could lay in the example of the British « fast-track » proceedings.

 

Lors de son message au Congrès du 3 juillet 2017, Emmanuel Macron a annoncé sa volonté de réformer la Constitution notamment afin d’optimiser la procédure législative. Un des moyens envisagés est la généralisation du recours à la procédure législative accélérée. Or cette réforme réduirait les droits du Parlement sans proposer de solution efficace à l’urgence. Une voie alternative pourrait s’inspirer du « fast-track » britannique.

 

Estelle Chambas, Doctorante contractuelle, Université Panthéon-Assas

 

Le président Macron, s’adressant au Congrès, a déploré « des situations d’urgence que le rythme propre au travail parlementaire ne permet pas de traiter suffisamment vite » [1]. En conséquence, la majorité présidentielle envisage notamment une généralisation du recours à la procédure législative accélérée prévue à l’article 45 alinéa 2 de notre Constitution. Cependant, au vu des modifications envisagées, il s’agirait en réalité d’une réforme trompe-l’oeil non souhaitable et inefficace.

 

I. Faire de la procédure accélérée une procédure de droit commun ?

 

La procédure législative est le processus au terme duquel le Gouvernement et le Parlement adoptent les lois. Sa mise en œuvre nécessite un certain temps qui est parfois inadapté pour répondre à certaines circonstances particulières. C’est pourquoi notre Constitution comporte des mécanismes permettant de fabriquer des lois plus rapidement. Le plus emblématique d’entre eux est celui des ordonnances de l’article 38 adoptées par le Gouvernement en vertu d’une habilitation parlementaire.

 

Moins connue est la procédure législative accélérée de l’article 45 alinéa 2 de la Constitution qui permet, soit au terme d’un désaccord entre les deux Assemblées à la suite de deux lectures dans chacune d’elles, soit à l’initiative du Gouvernement après une seule lecture, de réunir directement la Commission Mixte Paritaire afin d’obtenir un texte que le Gouvernement pourra soumettre aux Assemblées. Lors de ce vote, aucun amendement n’est recevable. Cette procédure consiste donc en une réduction considérable de la navette parlementaire ainsi que des droits du Parlement. Elle tend aussi à diminuer la transparence politique : la Commission Mixte Paritaire est la seule étape législative se déroulant à huis clos total.

 

Le Gouvernement, satisfait de cette procédure, qu’il utilise abondamment depuis l’élection de M. Macron [2], en souhaite le maintien en l’état lors de la réforme constitutionnelle. L’Assemblée nationale et le Sénat partagent cet avis mais à la condition de deux modifications. D’abord l’introduction d’un délai obligatoire entre le dépôt du texte et son examen ; délai similaire à celui prévu par l’article 42 alinéa 3 de la Constitution dont la procédure accélérée entraîne la suspension. Ensuite, un droit véto doit être accordé à chacune des Conférences des présidents au lieu du système de la décision conjointe existant aujourd’hui.

 

Cette volonté de réintroduire des prérogatives en faveur du Parlement dans la procédure accélérée semble aller dans le sens du renforcement de ses droits. Ce n’est pourtant pas le cas, bien au contraire. En effet, il semble que, dans l’esprit des réformateurs, l’introduction de ces nouvelles garanties soit le prétexte permettant de justifier, à l’avenir, une utilisation encore plus massive de la procédure accélérée. Celle-ci deviendrait ainsi, de facto, la véritable procédure de droit commun au détriment de la procédure ordinaire.

 

En réalité, derrière ces propositions généralisant de l’usage de la procédure accélérée, une autre intention se cache. Il s’agit de la volonté politique de réduire la procédure législative en elle-même et non de permettre la réponse à une urgence. L’évolution de cette procédure depuis la réforme constitutionnelle de 2008 le montre bien : déjà son changement de nom, de procédure « d’urgence » à procédure « accélérée », en témoigne. Son utilisation actuelle dans presque 50 % des projets de lois déposés devant l’Assemblée nationale en empêche la qualification de procédure d’exception. Sous couvert d’une procédure dérogatoire, il s’agit bien de substituer la procédure législative ordinaire jugée trop longue par une procédure accélérée.

 

De surcroît, en plus d’être peu respectueuse des droits du Parlement, cette généralisation de la procédure accélérée ne semble pas non plus répondre aux impératifs d’urgence. Si en l’état actuel ce mécanisme permet de réduire la procédure parlementaire, la procédure législative accélérée ne donne pas la possibilité d’adopter un texte en quelques jours voire quelques semaines. Si on ajoute à cela la proposition de l’instauration d’un délai minimum de plusieurs semaines entre le dépôt et l’examen du texte, on perd le sens d’une procédure d’urgence.

 

Dès lors, les propositions actuelles ne paraissent pas être des solutions adaptées : ce serait la diminution de l’intervention du Parlement (et ce, certainement au profit de la majorité politique en son sein et du Gouvernement) sans permettre la réponse aux situations d’urgence tel que l’appelait le président Macron dans son message au Congrès. C’est pourquoi il est intéressant d’observer une voie alternative : celle proposée par la procédure de « fast-track » au Royaume-Uni.

 

II. Le Royaume-Uni : une alternative claire entre procédure dérogatoire et procédure de droit commun

 

Le Royaume-Uni connaît un processus législatif similaire à la France en terme de durée : une loi met en moyenne 18 mois à être adoptée depuis son annonce par le Gouvernement, et la procédure parlementaire strictement entendue est d’environ 150 jours. Seulement, face à la problématique de l’urgence, ce pays a réussi à créer une procédure dérogatoire qui fonctionne bien : la procédure dite de « fast-track » [3].

 

Cette procédure est déclenchée à l’initiative du Gouvernement qui, lorsqu’il dépose un texte devant le Parlement, justifie d’une urgence particulière nécessitant le déclenchement du « fast-track ». Les Chambres votent dès lors des motions permettant la suspension des standing orders (équivalents de nos règlements des assemblées) relatifs aux délais de la procédure parlementaire. Il est alors possible de procéder à toutes les étapes du processus législatif dans un temps très restreint. Il existe même des exemples de lois adoptées dans les deux chambres et ayant reçu la sanction royale en une seule journée (comme le Gold Standing Act de 1931).

 

Évidemment, une telle procédure est problématique en terme de séparation des pouvoirs puisque le Parlement est largement mis entre parenthèses et que le Gouvernement devient le véritable auteur de la loi. C’est pourquoi le Royaume-Uni a mis en place différents mécanismes afin de pallier ce problème. Tout d’abord, pour justifier de l’urgence, il est recommandé au Gouvernement de remplir un questionnaire élaboré par la chambre des Lords qui permet une appréciation standardisée des circonstances en cause ainsi qu’une meilleure transparence vis-à-vis du citoyen qui a accès à ce document. Ensuite, il est tenté de donner une place au Parlement avant le déclenchement de la procédure de « fast-track » en demandant au Gouvernement de transmettre le plus tôt possible les ébauches du projet de loi. Dès lors, à défaut d’une intervention parlementaire quantitativement importante, cela permet d’en augmenter la qualité. Enfin, à travers l’utilisation de « sunset clauses » dans les lois adoptées en « fast-track » le Parlement devra, au bout d’un délai fixé, réexaminer la loi au cours d’une procédure ordinaire à défaut de quoi elle sera automatiquement abrogée. En définitive, le Royaume-Uni a su opérer une pondération équilibrée entre les différents intérêts en cause.

 

Un exemple actuel illustre l’utilité d’une telle procédure. Cela fait depuis plus d’un an que l’Irlande du Nord est sans Gouvernement à cause du refus de coopération entre le parti Sinn Fein et le Democratic Unionist Party. Par conséquent, le fonctionnement de l’assemblée irlandaise est suspendu et les lois ne sont plus adoptées. C’est pourquoi le Gouvernement britannique a déposé devant la chambre des Communes, le 21 mars dernier, un projet de loi lui permettant de mettre en œuvre une taxe régionale afin de financer l’énergie renouvelable (cette taxe existe depuis 2011 en Angleterre, en Écosse et au Pays de Galles). Face aux contraintes temporelles de ce mécanisme fiscal qui prendra fin en mars 2019, une procédure de « fast-track » a été introduite. Dès lors, dans la seule journée du 21 mars 2018, il a été procédé à toutes les étapes législatives devant la chambre des Communes comme le Gouvernement l’avait espéré quelques jours plus tôt. Puis ce textes est passé devant la chambre des Lords et a reçu la sanction royale le 28 mars dernier. Au total, la procédure de « fast-track » a permis l’adoption de ce texte en une seule semaine. Voilà un exemple d’une procédure législative dérogatoire qui répond efficacement à l’urgence.

 

En conclusion, les propositions avancées par les acteurs de la réforme constitutionnelle sont critiquables sur deux plans. Tout d’abord, parce que sous couvert d’augmenter les droits du Parlement dans une procédure dite « d’exception », il s’agit en réalité d’en faire de facto une procédure de droit commun, et donc, de réduire l’intervention des parlementaires par rapport à la procédure normale. Il serait démocratiquement plus juste de réformer la procédure législative ordinaire pour la raccourcir. Cependant, cela ouvrirait un débat politique et médiatique certainement beaucoup plus intense.

 

Ensuite, cette réforme ne permettrait pas de répondre aux situations d’urgence, ce qui ne correspond pas aux besoins exposés par le président Macron. Dès lors, l’exemple britannique est un modèle d’efficacité et de clarté dont on pourrait s’inspirer. La procédure d’urgence est utilisée uniquement quand il le faut, et elle comporte des mécanismes préservant les droits du Parlement. Il vaut mieux avoir deux procédures adaptées plutôt qu’une seule intermédiaire combinant les inconvénients des deux premières.

 

[1] Discours du Président de la République devant le Parlement réuni en Congrès du 3 juillet 2017, disponible sur : http://www.elysee.fr/declarations/article/discours-du-president-de-la-republique-devant-le-parlement-reuni-en-congres/.

[2] Voir le billet d’Elina Lemaire, « La procédure accélérée ou la regrettable normalisation d’une procédure dérogatoire », 5 juillet 2017, dans le même blog.

[3] Il existe une procédure de « fast-track » spécifique dans le cas des lois incompatible avec la Convention européenne des droits de l’homme mais elle constitue un cas particulier qui ne correspond pas au sujet de cet article.