La décision n° 2018-761 QPC du 1er février 2019 conclut à la conformité à la Constitution des dispositions, adoptées en 2016, incriminant les personnes ayant recours à la prostitution. Elle le fait au terme d’un examen particulièrement sommaire, qui réduit le contrôle de proportionnalité au prononcé de formules rituelles, sans que le Conseil constitutionnel s’engage jamais dans aucune discussion de fond. L’absence de prise en compte des arguments utilisés durant une audience particulièrement longue est frappante, singulièrement à propos de la dénonciation des conséquences de la loi, dont plusieurs associations intervenantes faisaient valoir qu’elle accroissait en réalité la vulnérabilité des personnes se livrant à la prostitution. Le commentaire déplore l’indigence de la motivation de cette décision et invite à l’exercice d’un véritable contrôle in concreto à l’image de celui dont donne l’exemple en la matière un arrêt de 2013 de la Cour suprême du Canada.
In its QPC decision 2018-761 ruled on the 1st of February, 2019, the Conseil constitutionnel upheld the constitutionality of the legislative measures incriminating clients of prostitutes. It did so at the end of a remarkably short survey, reducing the proportionality test to mere ritual statements, without the Conseil engaging in an in-depth discussion. The refusal to take into account arguments put forward during a remarkably long hearing is striking, especially those critical of the consequences of the statute, and among them several intervening associations which argued that it actually made prostitutes more vulnerable. The present analysis criticises the poor reasoning of the decision and argues for an authentic in concreto review, following the example of the Canadian Supreme Court, in a similar case decided in 2013.
Par Patrick Wachsmann, Professeur à l’Université de Strasbourg, IRCM
1. La quantité inhabituelle de plaidoiries qui se sont succédé à la barre du Conseil constitutionnel à propos de la QPC n° 2018-761 suffirait à témoigner d’une opposition radicale de points de vue quant à la constitutionnalité de l’incrimination du « fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir des relations de nature sexuelle d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage » (article 611-1 du code pénal). Pour les auteurs de la question renvoyée par le Conseil d’État au Conseil constitutionnel, la prostitution est une activité licite, lorsqu’elle est le fait d’une personne adulte et consentante, de sorte que l’incrimination des consommateurs et non des prestataires apparaît comme une contradiction, incompatible avec le droit au respect de la vie privée, qui comporte celui à l’autonomie personnelle et à la libre disposition de son corps et avec la liberté d’entreprendre. Il était également fait valoir que la loi, procédant d’une hypocrisie moralisatrice, était contre-productive, dans la mesure où elle avait pour conséquence de contraindre le commerce prostitutionnel à se déplacer vers des lieux plus discrets, au détriment de la sécurité et de la santé des personnes se livrant à la prostitution, désormais hors de portée des associations œuvrant pour les protéger. De l’autre côté, la prostitution était dénoncée comme reposant intrinsèquement sur un rapport de domination, comme constituant ainsi en soi une violence faite au corps et à la dignité des personnes qui s’y livrent. Le législateur se devait alors de protéger les victimes et le choix de politique publique que représente la lutte contre le droit du plus fort ne saurait être récusé au nom d’une exaltation de la liberté que l’on retournerait en réalité contre elle-même au détriment des victimes d’une exploitation.
2. Aux dix-sept intervenants lors de l’audience, aux deux heures un quart de plaidoiries, souvent talentueuses et toujours enrichissantes, présentées devant ses membres, le Conseil constitutionnel répond, le 1er février 2019, par une décision qui comporte en substance douze paragraphes dans lesquels on ne découvre aucun écho véritable aux échanges oraux. Le rituel de l’audience publique à laquelle donnent lieu les questions prioritaires de constitutionnalité a-t-il véritablement un sens pour les membres du Conseil ? Il y a, bien sûr, celui d’enrichir la liste des vidéos qui garnissent son site internet. On se permet, cela dit, de douter de l’attractivité des enregistrements en question (si l’on excepte le cas d’enseignants-chercheurs courageux) : conduite d’une voix lasse par le président du Conseil, l’audience n’est qu’une succession de monologues, d’une durée réduite en l’espèce à cinq minutes par intervenant, à l’exception de l’avocat de l’auteur de la question, gratifié du somptueux présent de dix minutes. Les plaidoiries prononcées sont riches d’arguments et souvent passionnées. Elles ne donnent lieu à aucune question de la part des conseillers, ni non plus à aucune réplique : la lecture maladroite de son texte par le représentant du Premier ministre, qui ne croit pas devoir regarder celles et ceux à qui il est censé s’adresser, met un point final à la représentation. Sans même évoquer l’illustre théâtre voisin, on est loin des audiences de la Cour suprême des États-Unis et le fantôme du juge Scalia ne visite certes pas l’aile Montpensier du Palais-Royal, lui qui demandait, lors des débats sur le système d’assurance santé, si la Constitution permettrait au législateur d’exiger la consommation des brocolis parce qu’ils sont bons pour la santé. Rien ne sert alors de promener en province le show des audiences QPC, comme cela vient d’être fait à Metz : il serait préférable d’en revoir sérieusement le scénario, afin que des échanges oraux procède une décision véritablement éclairée et informée par les débats qui ont lieu devant les juges. En l’espèce, la décision du 1er février 2019 paraît complètement déconnectée de l’audience : qu’y trouve-t-on qui n’aurait pu y figurer en l’absence de celle-ci ?
3. L’essentiel de ladite décision consiste, en réalité, à résumer les raisons qui ont conduit le Parlement à décider comme il l’a fait et à indiquer que les mesures prises par lui ne sont entachées d’aucune disproportion manifeste au regard des objectifs visés, au terme d’une argumentation dont le caractère succinct impressionnerait s’il n’était habituel – la décision du 7 octobre 2010, loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public en constitue un exemple qui sera difficile à égaler (encore introduisait-elle une réserve d’interprétation, ce qui n’est pas le cas en l’espèce). Le Conseil se réfère, dans la décision commentée, à la volonté du législateur de lutter contre le proxénétisme et contre la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle et d’assurer ainsi la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre ces formes d’asservissement. Cela revient à viser, indique la décision, « l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de prévention des infractions ». Mais il est constant que proxénétisme et traite, au demeurant déjà lourdement punis par le droit pénal en vigueur, ne concernent qu’une fraction de l’activité prostitutionnelle. Il restait à déterminer si le désir, dont nul ne conteste la légitimité, de priver le proxénétisme et la traite de sources de profit suffisait à justifier l’incrimination de toute personne recourant au service de celles se livrant à la prostitution.
Le débat porte alors sur l’adéquation des moyens adoptés aux fins visées. L’analyse du Conseil, après rappel du fait qu’il n’est pas doté d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, tient dans les phrases suivantes : « Si le législateur a réprimé tout recours à la prostitution, y compris lorsque les actes sexuels se présentent comme accomplis librement entre adultes consentants dans un espace privé, il a considéré que, dans leur très grande majorité, les personnes qui se livrent à la prostitution sont victimes du proxénétisme et de la traite et que ces infractions sont rendues possibles par l’existence d’une demande de relations sexuelles tarifées. En prohibant cette demande par l’incrimination contestée, le législateur a retenu un moyen qui n’est pas manifestement inapproprié à l’objectif de politique publique poursuivi. Il résulte de tout ce qui précède que le législateur a assuré une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de prévention des infractions et la sauvegarde de la dignité de la personne humaine et, d’autre part, la liberté personnelle ».
Aucune mention de l’exigence que l’atteinte à cette liberté soit adaptée, nécessaire et proportionnelle : réservée à la liberté d’expression, au droit au respect de la vie privée et à la liberté individuelle, cette formule n’a point cours lorsqu’il s’agit de la liberté personnelle, pourtant tirée des mêmes articles de la Déclaration de 1789 que le droit à la vie privée : liberté de second rang, donc, que la liberté personnelle, la liberté de décider de son destin, vouée du même coup à un simple contrôle de l’absence d’erreur manifeste dans la balance faite par le législateur entre elle et l’ordre public. Le contrôle est léger, il est global – qu’on nous permette d’ajouter qu’il est inexistant. On peut rassurer ici les futurs membres du Conseil constitutionnel, si ignorants du droit en général et du droit public en particulier qu’ils puissent être : la tâche est simple – ne parlait-on pas de « sinécure » à Jacques Robert lors de sa nomination ? Non seulement, c’est le secrétaire général de l’institution qui fait le travail[1], mais encore peut-on livrer ici un modèle utilisable dans une grande variété de cas. La recette est la suivante : le législateur a entendu lutter contre telle pratique (remplir), ce faisant, il a visé (le Conseil dit : poursuivi – l’auteur de ces lignes entend encore son professeur de français de première faire remarquer d’une voix sarcastique à ceux qui employaient cette formule que le but ne s’enfuyait pas et qu’il était donc inutile de le poursuivre) l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de prévention des infractions (si possible, ajouter la sauvegarde de la dignité de la personne humaine), il a ainsi entendu prohiber des conduites (détailler le dispositif législatif mis en cause) propres à contrarier cet objectif, ce faisant, il n’a pas assuré une conciliation manifestement déséquilibrée entre la liberté en cause et l’objectif de valeur constitutionnelle (recopier). Il ne reste plus qu’à conclure : « Le grief tiré de la méconnaissance de cette liberté doit donc être écarté ». Le contrôle de proportionnalité est réduit à une formule magique, l’examen du dispositif mis en cause et même de la logique sur laquelle il repose est à peine effleuré. « Choses vues à droite et à gauche (sans lunettes) », pour reprendre un titre d’Erik Satie.
4. Le décorticage de cette décision afin d’en mettre au jour les approximations est-il utile ? On se contentera de relever quelques-unes de ces dernières. D’abord, au-delà de la facilité rhétorique que comporte l’utilisation qui en est faite en France, l’équivoque liée à la référence faite à la sauvegarde de la dignité de la personne humaine. Celle-ci ne vise pas, à l’inverse de l’analyse portée par certaines associations qui sont intervenues au soutien de la loi, l’activité prostitutionnelles elle-même, en tant qu’exercice d’une domination des clients sur les prestataires de services sexuels tarifés – la conséquence devrait en être la prohibition totale de l’activité en cause, fût-ce à l’encontre de la volonté des personnes s’y livrant, ce dont presque personne, en réalité, ne veut. Seuls le proxénétisme et la traite sont en réalité visés par la référence à la dignité, mais on retrouve alors le problème déjà signalé : ils ne concernent qu’une partie des personnes avec lesquelles sont en relation les clients dont l’activité est incriminée. Pour protéger une fraction des prostitués, est-il proportionné de viser l’ensemble de ceux qui font appel à eux ? Transposée à d’autres domaines, une telle question susciterait sans doute une réponse négative. Le lien des jeux de hasard avec le grand banditisme et la fraude fiscale n’est plus à démontrer, de même que la relation entre la consommation excessive d’alcool et la mortalité routière. Cela justifierait-il l’interdiction, par le législateur, des casinos et autres établissements de jeux et la prohibition de l’alcool ? On sait qu’une partie non négligeable des automobilistes utilise imprudemment leur véhicule, est-ce une raison pour interdire la vente des automobiles (qui aurait de surcroît des effets salutaires incontestés sur l’environnement) ? Or, c’est bien de cela qu’il s’agit en l’espèce : la décision dit bien que le législateur « a considéré que, dans leur très grande majorité, les personnes qui se livrent à la prostitution sont victimes du proxénétisme et de la traite » (nous soulignons). Relevons que cette conclusion quantitative ne semble attestée par aucune donnée – Me Spinosi relevait dans sa plaidoirie que, selon l’association Le Nid, qui intervenait au soutien de la loi, 17% seulement des intéressés étaient victimes de la traite. Ce chiffre n’a pas été contredit lors de l’audience et aucune question, évidemment, n’a été posée sur ce point par un membre du Conseil constitutionnel. Le sort scandaleux fait à une part indéterminée des personnes se livrant à la prostitution peut donc, selon le Conseil, emporter l’interdiction pénalement sanctionnée du recours aux services susceptibles de donner lieu à de tels abus. La logique de protection l’emporte sur la logique de liberté, nonobstant les termes célèbres des article 2 (la liberté comme droit naturel et imprescriptible de l’homme dont la conservation est le but de toute association politique), 4 (la liberté comme droit de pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui) et 5 (« La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société ») de la Déclaration de 1789. Le Conseil, qui rappelle qu’il a « compétence pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois déférées à son examen », peut-il parvenir à de telles conclusions sans véritablement motiver ses décisions, c’est-à-dire exposer avec un minimum de précision quelles sont les données qu’il a tenues pour acquises, quels sont les arguments qui ont emporté sa conviction, quelles sont les raisons qui l’ont amené à écarter tels autres soulevés devant lui ? Peut-on encore s’accommoder d’approximations proférées d’un ton dogmatique, d’absence de réponse aux démonstrations déployées à la barre du Conseil, de formules empruntées à de hautes juridictions, françaises et étrangères, mais ici vidées de toute substance et de toute effectivité ?
5. Ces conclusions sont encore renforcées, en second lieu, par le fait qu’il suffit, aux termes de la décision, que les infractions que constituent le proxénétisme et la traite soient « rendues possibles par l’existence d’une demande de relations sexuelles tarifées ». Si le législateur peut incriminer pénalement toute activité qui rend possible une infraction, outre les précédents évoqués auparavant, la carrière ouverte à la répression pénale est vaste, en contradiction totale avec l’esprit de la Déclaration de 1789. Sortir de chez soi, côtoyer d’autres êtres humains, avoir des relations sexuelles, avoir une activité professionnelle sont autant de choses qui rendent possible la commission d’infractions : on peut renverser un enfant ou une personne âgée, agresser les personnes avec lesquelles on est en contact, adopter une sexualité violente, escroquer ses clients… La diffamation est rendue possible par toute prise de parole publique – la loi pourra-t-elle demain interdire la publication des journaux pour prévenir ce risque-là (on est conscient que dans cette hypothèse, l’absolution du Conseil devra emprunter des voies formelles un peu plus complexes : il faudra indiquer que l’incrimination des publications revêtait un caractère « adéquat, nécessaire et proportionné », mais l’appel à la dignité de la personne diffamée permettra aisément de venir à bout de l’exercice) ?
6. De l’admission de « politiques publiques » de plus en plus discrétionnairement décidées par le législateur à la fixation de l’intensité du contrôle de proportionnalité à un niveau de plus en plus bas et qui tend vers zéro, que reste-t-il vraiment du contrôle de constitutionnalité des lois dans le domaine des libertés publiques[2]? La décision du 16 juillet 1971, dans laquelle beaucoup ont salué un Marbury v. Madison à la française[3], serait-elle réitérée de nos jours ? La lutte contre les associations illicites ne justifierait-elle pas, aux yeux du Conseil constitutionnel d’aujourd’hui, l’instauration d’un contrôle préventif destiné à en empêcher la constitution, alors surtout que c’est à un tribunal composé de magistrats indépendants que celui-ci serait confié ?
7. On le sait, le contrôle exercé sur les choix d’incrimination du législateur est, de toujours, extrêmement léger, lui aussi. La force du verbe, des adverbes et de l’adjectif employés par les auteurs de la Déclaration de 1789 à l’article 8 suggère pourtant l’inverse, si tant est qu’existe un contrôle destiné à en faire respecter les exigences : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires» (nous soulignons). Le recours à la prostitution n’était puni que d’une amende de 1500 euros, portée à 3750 euros en cas de récidive, ainsi que de certaines peines complémentaires. Reprenant les « motifs » précédemment énoncés par lui et « au regard de la nature des comportements réprimés », le Conseil conclut évidemment que « les griefs tirés de la méconnaissance des principes de nécessité et de proportionnalité des peines doivent être écartés », les peines instituées n’étant pas « manifestement disproportionnées ». La référence à « la nature des comportements réprimés » laisse songeur. Le débat relatif à l’atteinte portée à la liberté personnelle n’avait en effet révélé qu’une possibilité, une très forte possibilité selon le Conseil, que ces comportements permettent l’asservissement par des tiers des personnes se livrant à la prostitution. Mais à force de ne vouloir prendre parti sur aucune des questions fondamentales soulevées devant lui, le Conseil se limite, sur ce point également, à une caricature de contrôle : peut-on vraiment trancher la présente QPC sans déterminer si le recours à la prostitution est en soi condamnable au regard des principes constitutionnels et, partant, dans quelle mesure un client peut encourir une peine du seul fait qu’il achète, en dehors de toute contrainte de son fait ou perceptible par lui, les services d’une personne se livrant à la prostitution ? Peut-on sérieusement éluder la question de savoir s’il incombe au législateur de faire prévaloir, par la dissuasion pénale, sa conception de ce que doivent être les rapports sexuels ? Une fois la prévalence du consentement apparent, c’est-à-dire le principe de liberté, écartée, le champ de la répression pénale apparaît dangereusement dilaté – sodomie, jeux sado-masochistes et autres risquent de ne pas lui échapper longtemps.
Le Conseil constitutionnel évite soigneusement ces débats fondamentaux. Ce faisant, il légitimerait presque l’emploi fautif par la presse (et par beaucoup de juristes, hélas !) du terme « valider » pour désigner les déclarations de conformité à la Constitution qu’il prononce : il « valide » en effet, c’est-à-dire prend part au processus législatif dont il prétendait s’extraire, faute précisément de se donner les moyens d’exercer un contrôle de constitutionnalité digne de ce nom. En renonçant à tout contrôle effectif, il se borne à ajouter au bas des dispositions contestées devant lui un « lu et approuvé » obtenu, on l’a vu, au terme d’un exercice argumentatif réduit au strict minimum. Les griefs tirés de la méconnaissance, par les dispositions critiquées, de la liberté d’entreprendre et de la liberté contractuelle sont « écartés » au vu des mêmes considérations. Écartés, c’est le cas de le dire : traités par renvoi – les libertés invoquées devraient-elles désormais être considérées comme des libertés de troisième rang ?
8. Il faut reconnaître, cela dit, que le débat est complexe et que la tentation de s’en remettre au législateur du choix du parti à prendre face au phénomène de la prostitution est forte. Mais l’office du juge constitutionnel n’est pas nécessairement facile et, encore une fois, on déplore surtout en l’occurrence les facilités dans son exercice que se permet le Conseil et la pauvreté des réponses au fond qu’il apporte aux protagonistes de cette QPC.
9. Les mêmes remarques critiques valent également quant au refus du Conseil constitutionnel de se prononcer sur le grief pris de l’atteinte au droit à la protection de la santé que comporteraient les dispositions mises en cause. La plupart des associations intervenues au soutien des auteurs de la question faisaient en effet valoir que la pénalisation de leurs clients contraignait les personnes se livrant à la prostitution à la discrétion, voire à la clandestinité, et que, de ce fait, l’action des associations leur portant secours s’en trouvait fortement compromise, l’accès aux intéressés devenant plus difficile. Ce grief est, lui aussi, écarté : « Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur les conséquences sanitaires, pour les personnes prostituées des dispositions contestées, dès lors que cette appréciation n’est pas, en l’état des connaissances, manifestement inadéquate ». Requiem pour le contrôle in concreto que l’institution de la QPC était censée permettre ! Car l’inadéquation manifeste requise relève clairement de la démonstration impossible. Le recours à l’inadéquation est d’ailleurs éminemment contestable : il faudrait démontrer que l’objectif visé par le législateur est remis en cause, manifestement de surcroît, par les conséquences que revêt le dispositif adopté par lui – pourquoi la démonstration de l’absence de nécessité et de proportionnalité stricto sensu ne pourraient-elles pas conduire au même résultat ? Il est vrai que le droit à la santé n’est pas non plus un droit de premier rang, de sorte qu’il n’a pas non plus droit aux honneurs du contrôle tripartite emprunté à la Cour constitutionnelle allemande…
Il n’empêche que cette question des effets contre-productifs de la loi est évacuée avec une frivolité consternante. De nombreuses plaidoiries à la barre du Conseil avaient insisté sur la moindre protection dont les personnes se livrant à la prostitution bénéficient depuis l’entrée en vigueur de ces dispositions : il ne leur est, tout simplement, rien répondu, la formule magique de l’absence d’inadéquation manifeste mise à part. Or, les arguments mis en avant à l’encontre de la loi soulevaient une difficulté importante. En dépit du scepticisme que suscitent les statistiques en pareille matière, on relèvera que l’avocate de l’association Paloma avait indiqué que, selon un sondage réalisé par celle-ci, 42 % environ des personnes se livrant à la prostitution s’estimaient davantage exposées au risque de violences depuis l’entrée en vigueur de la loi. Au ressenti des personnes principalement intéressées s’ajoutaient les témoignages de nombreuses associations qui faisaient valoir que la protection contre les violences et la distribution de préservatifs étaient devenues plus difficiles avec le déplacement de la prostitution en dehors des zones urbaines et dans des locaux privés et que les clients dissuadés par la répression pénale étaient les moins dangereux pour les personnes se livrant à la prostitution. Les effets d’une loi de prohibition étaient ainsi pointés du doigt, sans qu’ils fassent véritablement l’objet d’une contestation de la part des intervenants au soutien de la loi – ceux-ci soit faisaient valoir des arguments généraux en faveur du texte, soit insistaient sur les vertus du dispositif de soutien à la sortie de la prostitution qu’il comporte, permettant ainsi, soutenaient-elles, de sauver des vies.
S’agissant de l’invocation de l’article 7 de la Charte canadienne des droits de la personne, qui protège le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité, à l’encontre d’une loi fédérale qui interdisait d’exercer la prostitution à domicile, la Cour suprême du Canada n’a pas craint d’examiner de manière très approfondie la question de savoir si les risques pour la sécurité des prostituées induits par cette loi n’en remettaient pas en cause la constitutionnalité. Son arrêt Procureur général du Canada c. Bedford, R.C.S. (2013), 1101, relevant que la loi revient à imposer des conditions d’exercice dangereuses aux personnes se livrant à la prostitution, conclut à la violation de l’article 7. La loi ne peut « priver les personnes qui se livrent à une activité risquée mais légale des moyens nécessaires à leur protection contre le risque couru » et empêcher ces dernières, conclut la Cour, de « prendre des mesures pour assurer leur propre protection » (1142). Le contenu des dispositions mises en cause n’est certes pas le même, mais le contraste entre un examen attentif des conséquences du texte au regard des règles constitutionnelles et la désinvolture à cet égard de la décision du 1er février 2019 est cependant saisissant.
10. Il est vrai que d’une manière générale, les juges français sont mal à l’aise avec le contrôle concret. Dans l’exercice du contrôle de conventionnalité, le Conseil d’État n’a accepté que très récemment de vérifier non seulement la compatibilité abstraite du dispositif législatif mis en cause devant lui avec le droit au respect de la vie privée et familiale proclamé à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, mais aussi l’absence d’atteinte à ce droit résultant de l’application en l’espèce de ces dispositions[4]. Ce contrôle, par définition, n’affecte pas le sort général de la loi et il a été suivi de précisions destinées à cantonner strictement la possibilité de le faire jouer, notamment lorsque le requérant prétendrait faire échec, au vu des particularités de sa situation, à « la conception française du respect du corps humain »[5]. L’ordonnance du Conseil d’État, rendue en référé-liberté le même jour que la décision commentée, refusant d’enjoindre aux forces de sécurité de ne pas faire usage, lors de manifestations à venir, d’engins lanceurs de balles de défense, malgré l’allégations de graves lésions causées par leur emploi dans les semaines qui précédaient[6] confirme cette réticence à ne serait-ce que paralyser l’application d’une norme générale au vu de ses effets concrets. Il nous semble que la culture juridictionnelle française devrait évoluer de manière à se départir de cette réticence.
En l’état, le refus opposé par le Conseil constitutionnel en QPC d’entendre les arguments tirés de la pratique à l’encontre des dispositions mises en cause et d’y répondre confirme les analyses faites dès les premiers temps de la mise en œuvre de cette procédure : loin d’inaugurer un contrôle concret de constitutionnalité des lois, la QPC se ramène à un contrôle abstrait déplacé dans le temps au-delà de la promulgation de la loi[7], au risque de priver « les droit et libertés que la Constitution garantit » de leur effectivité.
11. En refusant à la fois un véritable contrôle abstrait, parce qu’il ne veut surtout pas trancher, au regard de la Constitution, les questions de principe soulevées par cette affaire, et un contrôle concret auquel il s’empresse de fermer la porte, le Conseil constitutionnel se retrouve à ne rien faire qui relève d’un contrôle de constitutionnalité des lois digne de ce nom. On comprend alors que l’on puisse y nommer qui l’on veut, d’anciens premiers ministres par exemple[8], sans exiger la moindre compétence juridique des personnes appelées à y siéger. Le tableau est cohérent. Il n’en est pas moins, à nos yeux, consternant.
[1] V. P. Wachsmann « Sur la composition du Conseil constitutionnel », Jus Politicum, vol. III, 2011, p. 103, à partir du témoignage de nombreux membres du Conseil, en particulier celui de D. Schnapper dans son remarquable livre, Une sociologue au Conseil constitutionnel, Gallimard, 2010.
[2] La situation s’est encore dégradée depuis le colloque « Le Conseil constitutionnel gardien des libertés publiques ? », dont les actes ont été publiés dans Jus Politicum, vol. IV, 2012.
[3] Oubliant d’ailleurs que cet arrêt ne concernait pas les libertés publiques.
[4] CE Ass., 31 mai 2016, Mme Gonzalez-Gomez, Rec. 208, concl. A. Bretonneau ; AJDA, 2016, 1398, chr. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet.
[5] CE, 28 décembre 2017, n° 396571, Rec. Il s’agissait en l’espèce des dispositions législatives relatives à l’anonymat des dons de gamètes.
[6] CE, ord. référé, formation collégiale, 1er février 2019, Union départementale de Paris du syndicat de la CGT et autres, n° 427386. L’ordonnance indique ainsi « L’usage de ce matériel a certes provoqué des blessures, parfois très graves, ainsi qu’en attestent les pièces et notamment les images versées au dossier, sans qu’il soit établi que toutes les victimes se trouvaient dans les situations justifiant cet usage, selon les dispositions et instructions rappelées aux points 2 et 3. Toutefois, il ne résulte pas de l’instruction que l’organisation des opérations de maintien de l’ordre mises en place, sous l’autorité du ministre de l’intérieur, par les préfets lors de ces manifestations révèlerait une intention des autorités concernées de ne pas respecter les conditions d’usage strictes mises à l’utilisation de ces armes, lesquelles constituent un élément du dispositif global de maintien de l’ordre dans ces circonstances particulières. La circonstance que des tirs de LBD de 40 mm n’aient pas été pratiqués dans les conditions prévues par les textes et rappelées aux forces de l’ordre, qui est susceptible d’engager la responsabilité de l’administration, n’est pas davantage de nature à révéler une telle intention. Il ne résulte pas non plus de l’instruction que les conditions mises à l’utilisation de ces armes et rappelées aux points 2 et 3 ne pourraient pas, par nature, être respectées dans ce type de circonstances. Enfin, les très nombreuses manifestations qui se sont répétées semaine après semaine depuis le mois de novembre 2018 sur l’ensemble du territoire national, sans que des parcours soient toujours clairement déclarés ou respectés, ont été très fréquemment l’occasion de violences volontaires, de voies de fait, d’atteintes aux biens et de destructions. L’impossibilité d’exclure la reproduction de tels incidents au cours des prochaines manifestations rend nécessaire de permettre aux forces de l’ordre de recourir à ces armes, qui demeurent particulièrement appropriées pour faire face à ce type de situations, sous réserve du strict respect des conditions d’usage s’imposant à leur utilisation, qu’il appartient tant aux autorités nationales qu’aux responsables d’unités de rappeler ».
Il convient d’ailleurs d’indiquer que cette ordonnance est rendue en référé-liberté et qu’est alors requise la démonstration d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale et de faire remarquer la présence en l’espèce d’une véritable motivation – qu’on peut estimer non convaincante mais qui existe.
[7] V. P.-O. Caille, note sous CE, 1er février 2011, SARL Prototype technique industrie (Protech), AJDA, 2011, p. 1209 et P. Rrapi « Le « contrôle abstrait » de constitutionnalité comme obstacle à l’identification des discriminations », Revue des droits de l’homme, 9-2016.
[8] V. P. Wachsmann, « Pour un véritable statut des anciens premiers ministres », Éditorial Dalloz, 21 février 2019.
Misère du contrôle de constitutionnalité des lois en France : la décision relative à l’incrimination des clients des prostitués Par Patrick Wachsmann
La décision n° 2018-761 QPC du 1er février 2019 conclut à la conformité à la Constitution des dispositions, adoptées en 2016, incriminant les personnes ayant recours à la prostitution. Elle le fait au terme d’un examen particulièrement sommaire, qui réduit le contrôle de proportionnalité au prononcé de formules rituelles, sans que le Conseil constitutionnel s’engage jamais dans aucune discussion de fond. L’absence de prise en compte des arguments utilisés durant une audience particulièrement longue est frappante, singulièrement à propos de la dénonciation des conséquences de la loi, dont plusieurs associations intervenantes faisaient valoir qu’elle accroissait en réalité la vulnérabilité des personnes se livrant à la prostitution. Le commentaire déplore l’indigence de la motivation de cette décision et invite à l’exercice d’un véritable contrôle in concreto à l’image de celui dont donne l’exemple en la matière un arrêt de 2013 de la Cour suprême du Canada.
In its QPC decision 2018-761 ruled on the 1st of February, 2019, the Conseil constitutionnel upheld the constitutionality of the legislative measures incriminating clients of prostitutes. It did so at the end of a remarkably short survey, reducing the proportionality test to mere ritual statements, without the Conseil engaging in an in-depth discussion. The refusal to take into account arguments put forward during a remarkably long hearing is striking, especially those critical of the consequences of the statute, and among them several intervening associations which argued that it actually made prostitutes more vulnerable. The present analysis criticises the poor reasoning of the decision and argues for an authentic in concreto review, following the example of the Canadian Supreme Court, in a similar case decided in 2013.
Par Patrick Wachsmann, Professeur à l’Université de Strasbourg, IRCM
1. La quantité inhabituelle de plaidoiries qui se sont succédé à la barre du Conseil constitutionnel à propos de la QPC n° 2018-761 suffirait à témoigner d’une opposition radicale de points de vue quant à la constitutionnalité de l’incrimination du « fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir des relations de nature sexuelle d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage » (article 611-1 du code pénal). Pour les auteurs de la question renvoyée par le Conseil d’État au Conseil constitutionnel, la prostitution est une activité licite, lorsqu’elle est le fait d’une personne adulte et consentante, de sorte que l’incrimination des consommateurs et non des prestataires apparaît comme une contradiction, incompatible avec le droit au respect de la vie privée, qui comporte celui à l’autonomie personnelle et à la libre disposition de son corps et avec la liberté d’entreprendre. Il était également fait valoir que la loi, procédant d’une hypocrisie moralisatrice, était contre-productive, dans la mesure où elle avait pour conséquence de contraindre le commerce prostitutionnel à se déplacer vers des lieux plus discrets, au détriment de la sécurité et de la santé des personnes se livrant à la prostitution, désormais hors de portée des associations œuvrant pour les protéger. De l’autre côté, la prostitution était dénoncée comme reposant intrinsèquement sur un rapport de domination, comme constituant ainsi en soi une violence faite au corps et à la dignité des personnes qui s’y livrent. Le législateur se devait alors de protéger les victimes et le choix de politique publique que représente la lutte contre le droit du plus fort ne saurait être récusé au nom d’une exaltation de la liberté que l’on retournerait en réalité contre elle-même au détriment des victimes d’une exploitation.
2. Aux dix-sept intervenants lors de l’audience, aux deux heures un quart de plaidoiries, souvent talentueuses et toujours enrichissantes, présentées devant ses membres, le Conseil constitutionnel répond, le 1er février 2019, par une décision qui comporte en substance douze paragraphes dans lesquels on ne découvre aucun écho véritable aux échanges oraux. Le rituel de l’audience publique à laquelle donnent lieu les questions prioritaires de constitutionnalité a-t-il véritablement un sens pour les membres du Conseil ? Il y a, bien sûr, celui d’enrichir la liste des vidéos qui garnissent son site internet. On se permet, cela dit, de douter de l’attractivité des enregistrements en question (si l’on excepte le cas d’enseignants-chercheurs courageux) : conduite d’une voix lasse par le président du Conseil, l’audience n’est qu’une succession de monologues, d’une durée réduite en l’espèce à cinq minutes par intervenant, à l’exception de l’avocat de l’auteur de la question, gratifié du somptueux présent de dix minutes. Les plaidoiries prononcées sont riches d’arguments et souvent passionnées. Elles ne donnent lieu à aucune question de la part des conseillers, ni non plus à aucune réplique : la lecture maladroite de son texte par le représentant du Premier ministre, qui ne croit pas devoir regarder celles et ceux à qui il est censé s’adresser, met un point final à la représentation. Sans même évoquer l’illustre théâtre voisin, on est loin des audiences de la Cour suprême des États-Unis et le fantôme du juge Scalia ne visite certes pas l’aile Montpensier du Palais-Royal, lui qui demandait, lors des débats sur le système d’assurance santé, si la Constitution permettrait au législateur d’exiger la consommation des brocolis parce qu’ils sont bons pour la santé. Rien ne sert alors de promener en province le show des audiences QPC, comme cela vient d’être fait à Metz : il serait préférable d’en revoir sérieusement le scénario, afin que des échanges oraux procède une décision véritablement éclairée et informée par les débats qui ont lieu devant les juges. En l’espèce, la décision du 1er février 2019 paraît complètement déconnectée de l’audience : qu’y trouve-t-on qui n’aurait pu y figurer en l’absence de celle-ci ?
3. L’essentiel de ladite décision consiste, en réalité, à résumer les raisons qui ont conduit le Parlement à décider comme il l’a fait et à indiquer que les mesures prises par lui ne sont entachées d’aucune disproportion manifeste au regard des objectifs visés, au terme d’une argumentation dont le caractère succinct impressionnerait s’il n’était habituel – la décision du 7 octobre 2010, loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public en constitue un exemple qui sera difficile à égaler (encore introduisait-elle une réserve d’interprétation, ce qui n’est pas le cas en l’espèce). Le Conseil se réfère, dans la décision commentée, à la volonté du législateur de lutter contre le proxénétisme et contre la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle et d’assurer ainsi la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre ces formes d’asservissement. Cela revient à viser, indique la décision, « l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de prévention des infractions ». Mais il est constant que proxénétisme et traite, au demeurant déjà lourdement punis par le droit pénal en vigueur, ne concernent qu’une fraction de l’activité prostitutionnelle. Il restait à déterminer si le désir, dont nul ne conteste la légitimité, de priver le proxénétisme et la traite de sources de profit suffisait à justifier l’incrimination de toute personne recourant au service de celles se livrant à la prostitution.
Le débat porte alors sur l’adéquation des moyens adoptés aux fins visées. L’analyse du Conseil, après rappel du fait qu’il n’est pas doté d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, tient dans les phrases suivantes : « Si le législateur a réprimé tout recours à la prostitution, y compris lorsque les actes sexuels se présentent comme accomplis librement entre adultes consentants dans un espace privé, il a considéré que, dans leur très grande majorité, les personnes qui se livrent à la prostitution sont victimes du proxénétisme et de la traite et que ces infractions sont rendues possibles par l’existence d’une demande de relations sexuelles tarifées. En prohibant cette demande par l’incrimination contestée, le législateur a retenu un moyen qui n’est pas manifestement inapproprié à l’objectif de politique publique poursuivi. Il résulte de tout ce qui précède que le législateur a assuré une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de prévention des infractions et la sauvegarde de la dignité de la personne humaine et, d’autre part, la liberté personnelle ».
Aucune mention de l’exigence que l’atteinte à cette liberté soit adaptée, nécessaire et proportionnelle : réservée à la liberté d’expression, au droit au respect de la vie privée et à la liberté individuelle, cette formule n’a point cours lorsqu’il s’agit de la liberté personnelle, pourtant tirée des mêmes articles de la Déclaration de 1789 que le droit à la vie privée : liberté de second rang, donc, que la liberté personnelle, la liberté de décider de son destin, vouée du même coup à un simple contrôle de l’absence d’erreur manifeste dans la balance faite par le législateur entre elle et l’ordre public. Le contrôle est léger, il est global – qu’on nous permette d’ajouter qu’il est inexistant. On peut rassurer ici les futurs membres du Conseil constitutionnel, si ignorants du droit en général et du droit public en particulier qu’ils puissent être : la tâche est simple – ne parlait-on pas de « sinécure » à Jacques Robert lors de sa nomination ? Non seulement, c’est le secrétaire général de l’institution qui fait le travail[1], mais encore peut-on livrer ici un modèle utilisable dans une grande variété de cas. La recette est la suivante : le législateur a entendu lutter contre telle pratique (remplir), ce faisant, il a visé (le Conseil dit : poursuivi – l’auteur de ces lignes entend encore son professeur de français de première faire remarquer d’une voix sarcastique à ceux qui employaient cette formule que le but ne s’enfuyait pas et qu’il était donc inutile de le poursuivre) l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de prévention des infractions (si possible, ajouter la sauvegarde de la dignité de la personne humaine), il a ainsi entendu prohiber des conduites (détailler le dispositif législatif mis en cause) propres à contrarier cet objectif, ce faisant, il n’a pas assuré une conciliation manifestement déséquilibrée entre la liberté en cause et l’objectif de valeur constitutionnelle (recopier). Il ne reste plus qu’à conclure : « Le grief tiré de la méconnaissance de cette liberté doit donc être écarté ». Le contrôle de proportionnalité est réduit à une formule magique, l’examen du dispositif mis en cause et même de la logique sur laquelle il repose est à peine effleuré. « Choses vues à droite et à gauche (sans lunettes) », pour reprendre un titre d’Erik Satie.
4. Le décorticage de cette décision afin d’en mettre au jour les approximations est-il utile ? On se contentera de relever quelques-unes de ces dernières. D’abord, au-delà de la facilité rhétorique que comporte l’utilisation qui en est faite en France, l’équivoque liée à la référence faite à la sauvegarde de la dignité de la personne humaine. Celle-ci ne vise pas, à l’inverse de l’analyse portée par certaines associations qui sont intervenues au soutien de la loi, l’activité prostitutionnelles elle-même, en tant qu’exercice d’une domination des clients sur les prestataires de services sexuels tarifés – la conséquence devrait en être la prohibition totale de l’activité en cause, fût-ce à l’encontre de la volonté des personnes s’y livrant, ce dont presque personne, en réalité, ne veut. Seuls le proxénétisme et la traite sont en réalité visés par la référence à la dignité, mais on retrouve alors le problème déjà signalé : ils ne concernent qu’une partie des personnes avec lesquelles sont en relation les clients dont l’activité est incriminée. Pour protéger une fraction des prostitués, est-il proportionné de viser l’ensemble de ceux qui font appel à eux ? Transposée à d’autres domaines, une telle question susciterait sans doute une réponse négative. Le lien des jeux de hasard avec le grand banditisme et la fraude fiscale n’est plus à démontrer, de même que la relation entre la consommation excessive d’alcool et la mortalité routière. Cela justifierait-il l’interdiction, par le législateur, des casinos et autres établissements de jeux et la prohibition de l’alcool ? On sait qu’une partie non négligeable des automobilistes utilise imprudemment leur véhicule, est-ce une raison pour interdire la vente des automobiles (qui aurait de surcroît des effets salutaires incontestés sur l’environnement) ? Or, c’est bien de cela qu’il s’agit en l’espèce : la décision dit bien que le législateur « a considéré que, dans leur très grande majorité, les personnes qui se livrent à la prostitution sont victimes du proxénétisme et de la traite » (nous soulignons). Relevons que cette conclusion quantitative ne semble attestée par aucune donnée – Me Spinosi relevait dans sa plaidoirie que, selon l’association Le Nid, qui intervenait au soutien de la loi, 17% seulement des intéressés étaient victimes de la traite. Ce chiffre n’a pas été contredit lors de l’audience et aucune question, évidemment, n’a été posée sur ce point par un membre du Conseil constitutionnel. Le sort scandaleux fait à une part indéterminée des personnes se livrant à la prostitution peut donc, selon le Conseil, emporter l’interdiction pénalement sanctionnée du recours aux services susceptibles de donner lieu à de tels abus. La logique de protection l’emporte sur la logique de liberté, nonobstant les termes célèbres des article 2 (la liberté comme droit naturel et imprescriptible de l’homme dont la conservation est le but de toute association politique), 4 (la liberté comme droit de pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui) et 5 (« La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société ») de la Déclaration de 1789. Le Conseil, qui rappelle qu’il a « compétence pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois déférées à son examen », peut-il parvenir à de telles conclusions sans véritablement motiver ses décisions, c’est-à-dire exposer avec un minimum de précision quelles sont les données qu’il a tenues pour acquises, quels sont les arguments qui ont emporté sa conviction, quelles sont les raisons qui l’ont amené à écarter tels autres soulevés devant lui ? Peut-on encore s’accommoder d’approximations proférées d’un ton dogmatique, d’absence de réponse aux démonstrations déployées à la barre du Conseil, de formules empruntées à de hautes juridictions, françaises et étrangères, mais ici vidées de toute substance et de toute effectivité ?
5. Ces conclusions sont encore renforcées, en second lieu, par le fait qu’il suffit, aux termes de la décision, que les infractions que constituent le proxénétisme et la traite soient « rendues possibles par l’existence d’une demande de relations sexuelles tarifées ». Si le législateur peut incriminer pénalement toute activité qui rend possible une infraction, outre les précédents évoqués auparavant, la carrière ouverte à la répression pénale est vaste, en contradiction totale avec l’esprit de la Déclaration de 1789. Sortir de chez soi, côtoyer d’autres êtres humains, avoir des relations sexuelles, avoir une activité professionnelle sont autant de choses qui rendent possible la commission d’infractions : on peut renverser un enfant ou une personne âgée, agresser les personnes avec lesquelles on est en contact, adopter une sexualité violente, escroquer ses clients… La diffamation est rendue possible par toute prise de parole publique – la loi pourra-t-elle demain interdire la publication des journaux pour prévenir ce risque-là (on est conscient que dans cette hypothèse, l’absolution du Conseil devra emprunter des voies formelles un peu plus complexes : il faudra indiquer que l’incrimination des publications revêtait un caractère « adéquat, nécessaire et proportionné », mais l’appel à la dignité de la personne diffamée permettra aisément de venir à bout de l’exercice) ?
6. De l’admission de « politiques publiques » de plus en plus discrétionnairement décidées par le législateur à la fixation de l’intensité du contrôle de proportionnalité à un niveau de plus en plus bas et qui tend vers zéro, que reste-t-il vraiment du contrôle de constitutionnalité des lois dans le domaine des libertés publiques[2]? La décision du 16 juillet 1971, dans laquelle beaucoup ont salué un Marbury v. Madison à la française[3], serait-elle réitérée de nos jours ? La lutte contre les associations illicites ne justifierait-elle pas, aux yeux du Conseil constitutionnel d’aujourd’hui, l’instauration d’un contrôle préventif destiné à en empêcher la constitution, alors surtout que c’est à un tribunal composé de magistrats indépendants que celui-ci serait confié ?
7. On le sait, le contrôle exercé sur les choix d’incrimination du législateur est, de toujours, extrêmement léger, lui aussi. La force du verbe, des adverbes et de l’adjectif employés par les auteurs de la Déclaration de 1789 à l’article 8 suggère pourtant l’inverse, si tant est qu’existe un contrôle destiné à en faire respecter les exigences : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires» (nous soulignons). Le recours à la prostitution n’était puni que d’une amende de 1500 euros, portée à 3750 euros en cas de récidive, ainsi que de certaines peines complémentaires. Reprenant les « motifs » précédemment énoncés par lui et « au regard de la nature des comportements réprimés », le Conseil conclut évidemment que « les griefs tirés de la méconnaissance des principes de nécessité et de proportionnalité des peines doivent être écartés », les peines instituées n’étant pas « manifestement disproportionnées ». La référence à « la nature des comportements réprimés » laisse songeur. Le débat relatif à l’atteinte portée à la liberté personnelle n’avait en effet révélé qu’une possibilité, une très forte possibilité selon le Conseil, que ces comportements permettent l’asservissement par des tiers des personnes se livrant à la prostitution. Mais à force de ne vouloir prendre parti sur aucune des questions fondamentales soulevées devant lui, le Conseil se limite, sur ce point également, à une caricature de contrôle : peut-on vraiment trancher la présente QPC sans déterminer si le recours à la prostitution est en soi condamnable au regard des principes constitutionnels et, partant, dans quelle mesure un client peut encourir une peine du seul fait qu’il achète, en dehors de toute contrainte de son fait ou perceptible par lui, les services d’une personne se livrant à la prostitution ? Peut-on sérieusement éluder la question de savoir s’il incombe au législateur de faire prévaloir, par la dissuasion pénale, sa conception de ce que doivent être les rapports sexuels ? Une fois la prévalence du consentement apparent, c’est-à-dire le principe de liberté, écartée, le champ de la répression pénale apparaît dangereusement dilaté – sodomie, jeux sado-masochistes et autres risquent de ne pas lui échapper longtemps.
Le Conseil constitutionnel évite soigneusement ces débats fondamentaux. Ce faisant, il légitimerait presque l’emploi fautif par la presse (et par beaucoup de juristes, hélas !) du terme « valider » pour désigner les déclarations de conformité à la Constitution qu’il prononce : il « valide » en effet, c’est-à-dire prend part au processus législatif dont il prétendait s’extraire, faute précisément de se donner les moyens d’exercer un contrôle de constitutionnalité digne de ce nom. En renonçant à tout contrôle effectif, il se borne à ajouter au bas des dispositions contestées devant lui un « lu et approuvé » obtenu, on l’a vu, au terme d’un exercice argumentatif réduit au strict minimum. Les griefs tirés de la méconnaissance, par les dispositions critiquées, de la liberté d’entreprendre et de la liberté contractuelle sont « écartés » au vu des mêmes considérations. Écartés, c’est le cas de le dire : traités par renvoi – les libertés invoquées devraient-elles désormais être considérées comme des libertés de troisième rang ?
8. Il faut reconnaître, cela dit, que le débat est complexe et que la tentation de s’en remettre au législateur du choix du parti à prendre face au phénomène de la prostitution est forte. Mais l’office du juge constitutionnel n’est pas nécessairement facile et, encore une fois, on déplore surtout en l’occurrence les facilités dans son exercice que se permet le Conseil et la pauvreté des réponses au fond qu’il apporte aux protagonistes de cette QPC.
9. Les mêmes remarques critiques valent également quant au refus du Conseil constitutionnel de se prononcer sur le grief pris de l’atteinte au droit à la protection de la santé que comporteraient les dispositions mises en cause. La plupart des associations intervenues au soutien des auteurs de la question faisaient en effet valoir que la pénalisation de leurs clients contraignait les personnes se livrant à la prostitution à la discrétion, voire à la clandestinité, et que, de ce fait, l’action des associations leur portant secours s’en trouvait fortement compromise, l’accès aux intéressés devenant plus difficile. Ce grief est, lui aussi, écarté : « Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur les conséquences sanitaires, pour les personnes prostituées des dispositions contestées, dès lors que cette appréciation n’est pas, en l’état des connaissances, manifestement inadéquate ». Requiem pour le contrôle in concreto que l’institution de la QPC était censée permettre ! Car l’inadéquation manifeste requise relève clairement de la démonstration impossible. Le recours à l’inadéquation est d’ailleurs éminemment contestable : il faudrait démontrer que l’objectif visé par le législateur est remis en cause, manifestement de surcroît, par les conséquences que revêt le dispositif adopté par lui – pourquoi la démonstration de l’absence de nécessité et de proportionnalité stricto sensu ne pourraient-elles pas conduire au même résultat ? Il est vrai que le droit à la santé n’est pas non plus un droit de premier rang, de sorte qu’il n’a pas non plus droit aux honneurs du contrôle tripartite emprunté à la Cour constitutionnelle allemande…
Il n’empêche que cette question des effets contre-productifs de la loi est évacuée avec une frivolité consternante. De nombreuses plaidoiries à la barre du Conseil avaient insisté sur la moindre protection dont les personnes se livrant à la prostitution bénéficient depuis l’entrée en vigueur de ces dispositions : il ne leur est, tout simplement, rien répondu, la formule magique de l’absence d’inadéquation manifeste mise à part. Or, les arguments mis en avant à l’encontre de la loi soulevaient une difficulté importante. En dépit du scepticisme que suscitent les statistiques en pareille matière, on relèvera que l’avocate de l’association Paloma avait indiqué que, selon un sondage réalisé par celle-ci, 42 % environ des personnes se livrant à la prostitution s’estimaient davantage exposées au risque de violences depuis l’entrée en vigueur de la loi. Au ressenti des personnes principalement intéressées s’ajoutaient les témoignages de nombreuses associations qui faisaient valoir que la protection contre les violences et la distribution de préservatifs étaient devenues plus difficiles avec le déplacement de la prostitution en dehors des zones urbaines et dans des locaux privés et que les clients dissuadés par la répression pénale étaient les moins dangereux pour les personnes se livrant à la prostitution. Les effets d’une loi de prohibition étaient ainsi pointés du doigt, sans qu’ils fassent véritablement l’objet d’une contestation de la part des intervenants au soutien de la loi – ceux-ci soit faisaient valoir des arguments généraux en faveur du texte, soit insistaient sur les vertus du dispositif de soutien à la sortie de la prostitution qu’il comporte, permettant ainsi, soutenaient-elles, de sauver des vies.
S’agissant de l’invocation de l’article 7 de la Charte canadienne des droits de la personne, qui protège le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité, à l’encontre d’une loi fédérale qui interdisait d’exercer la prostitution à domicile, la Cour suprême du Canada n’a pas craint d’examiner de manière très approfondie la question de savoir si les risques pour la sécurité des prostituées induits par cette loi n’en remettaient pas en cause la constitutionnalité. Son arrêt Procureur général du Canada c. Bedford, R.C.S. (2013), 1101, relevant que la loi revient à imposer des conditions d’exercice dangereuses aux personnes se livrant à la prostitution, conclut à la violation de l’article 7. La loi ne peut « priver les personnes qui se livrent à une activité risquée mais légale des moyens nécessaires à leur protection contre le risque couru » et empêcher ces dernières, conclut la Cour, de « prendre des mesures pour assurer leur propre protection » (1142). Le contenu des dispositions mises en cause n’est certes pas le même, mais le contraste entre un examen attentif des conséquences du texte au regard des règles constitutionnelles et la désinvolture à cet égard de la décision du 1er février 2019 est cependant saisissant.
10. Il est vrai que d’une manière générale, les juges français sont mal à l’aise avec le contrôle concret. Dans l’exercice du contrôle de conventionnalité, le Conseil d’État n’a accepté que très récemment de vérifier non seulement la compatibilité abstraite du dispositif législatif mis en cause devant lui avec le droit au respect de la vie privée et familiale proclamé à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, mais aussi l’absence d’atteinte à ce droit résultant de l’application en l’espèce de ces dispositions[4]. Ce contrôle, par définition, n’affecte pas le sort général de la loi et il a été suivi de précisions destinées à cantonner strictement la possibilité de le faire jouer, notamment lorsque le requérant prétendrait faire échec, au vu des particularités de sa situation, à « la conception française du respect du corps humain »[5]. L’ordonnance du Conseil d’État, rendue en référé-liberté le même jour que la décision commentée, refusant d’enjoindre aux forces de sécurité de ne pas faire usage, lors de manifestations à venir, d’engins lanceurs de balles de défense, malgré l’allégations de graves lésions causées par leur emploi dans les semaines qui précédaient[6] confirme cette réticence à ne serait-ce que paralyser l’application d’une norme générale au vu de ses effets concrets. Il nous semble que la culture juridictionnelle française devrait évoluer de manière à se départir de cette réticence.
En l’état, le refus opposé par le Conseil constitutionnel en QPC d’entendre les arguments tirés de la pratique à l’encontre des dispositions mises en cause et d’y répondre confirme les analyses faites dès les premiers temps de la mise en œuvre de cette procédure : loin d’inaugurer un contrôle concret de constitutionnalité des lois, la QPC se ramène à un contrôle abstrait déplacé dans le temps au-delà de la promulgation de la loi[7], au risque de priver « les droit et libertés que la Constitution garantit » de leur effectivité.
11. En refusant à la fois un véritable contrôle abstrait, parce qu’il ne veut surtout pas trancher, au regard de la Constitution, les questions de principe soulevées par cette affaire, et un contrôle concret auquel il s’empresse de fermer la porte, le Conseil constitutionnel se retrouve à ne rien faire qui relève d’un contrôle de constitutionnalité des lois digne de ce nom. On comprend alors que l’on puisse y nommer qui l’on veut, d’anciens premiers ministres par exemple[8], sans exiger la moindre compétence juridique des personnes appelées à y siéger. Le tableau est cohérent. Il n’en est pas moins, à nos yeux, consternant.
[1] V. P. Wachsmann « Sur la composition du Conseil constitutionnel », Jus Politicum, vol. III, 2011, p. 103, à partir du témoignage de nombreux membres du Conseil, en particulier celui de D. Schnapper dans son remarquable livre, Une sociologue au Conseil constitutionnel, Gallimard, 2010.
[2] La situation s’est encore dégradée depuis le colloque « Le Conseil constitutionnel gardien des libertés publiques ? », dont les actes ont été publiés dans Jus Politicum, vol. IV, 2012.
[3] Oubliant d’ailleurs que cet arrêt ne concernait pas les libertés publiques.
[4] CE Ass., 31 mai 2016, Mme Gonzalez-Gomez, Rec. 208, concl. A. Bretonneau ; AJDA, 2016, 1398, chr. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet.
[5] CE, 28 décembre 2017, n° 396571, Rec. Il s’agissait en l’espèce des dispositions législatives relatives à l’anonymat des dons de gamètes.
[6] CE, ord. référé, formation collégiale, 1er février 2019, Union départementale de Paris du syndicat de la CGT et autres, n° 427386. L’ordonnance indique ainsi « L’usage de ce matériel a certes provoqué des blessures, parfois très graves, ainsi qu’en attestent les pièces et notamment les images versées au dossier, sans qu’il soit établi que toutes les victimes se trouvaient dans les situations justifiant cet usage, selon les dispositions et instructions rappelées aux points 2 et 3. Toutefois, il ne résulte pas de l’instruction que l’organisation des opérations de maintien de l’ordre mises en place, sous l’autorité du ministre de l’intérieur, par les préfets lors de ces manifestations révèlerait une intention des autorités concernées de ne pas respecter les conditions d’usage strictes mises à l’utilisation de ces armes, lesquelles constituent un élément du dispositif global de maintien de l’ordre dans ces circonstances particulières. La circonstance que des tirs de LBD de 40 mm n’aient pas été pratiqués dans les conditions prévues par les textes et rappelées aux forces de l’ordre, qui est susceptible d’engager la responsabilité de l’administration, n’est pas davantage de nature à révéler une telle intention. Il ne résulte pas non plus de l’instruction que les conditions mises à l’utilisation de ces armes et rappelées aux points 2 et 3 ne pourraient pas, par nature, être respectées dans ce type de circonstances. Enfin, les très nombreuses manifestations qui se sont répétées semaine après semaine depuis le mois de novembre 2018 sur l’ensemble du territoire national, sans que des parcours soient toujours clairement déclarés ou respectés, ont été très fréquemment l’occasion de violences volontaires, de voies de fait, d’atteintes aux biens et de destructions. L’impossibilité d’exclure la reproduction de tels incidents au cours des prochaines manifestations rend nécessaire de permettre aux forces de l’ordre de recourir à ces armes, qui demeurent particulièrement appropriées pour faire face à ce type de situations, sous réserve du strict respect des conditions d’usage s’imposant à leur utilisation, qu’il appartient tant aux autorités nationales qu’aux responsables d’unités de rappeler ».
Il convient d’ailleurs d’indiquer que cette ordonnance est rendue en référé-liberté et qu’est alors requise la démonstration d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale et de faire remarquer la présence en l’espèce d’une véritable motivation – qu’on peut estimer non convaincante mais qui existe.
[7] V. P.-O. Caille, note sous CE, 1er février 2011, SARL Prototype technique industrie (Protech), AJDA, 2011, p. 1209 et P. Rrapi « Le « contrôle abstrait » de constitutionnalité comme obstacle à l’identification des discriminations », Revue des droits de l’homme, 9-2016.
[8] V. P. Wachsmann, « Pour un véritable statut des anciens premiers ministres », Éditorial Dalloz, 21 février 2019.