Un nouveau groupe parlementaire ? Oui, mais à Westminster !

Par Damien Connil

<b> Un nouveau groupe parlementaire ? Oui, mais à Westminster ! </b> </br> </br> Par Damien Connil

A la Chambre des Communes, 11 parlementaires ont décidé de quitter leurs partis d’origine pour former un nouveau groupe : The Independent Group. Au-delà des enjeux politiques, l’apparition d’un nouveau groupe aux Communes interroge et intrigue. D’un point de vue constitutionnel et parlementaire, cela n’est pas anodin. Divers défis attendent désormais ces élus.

 

In the House of Commons, 11 MPs resigned from their parties in order to form a new group: The Independent Group. Beyond the political stakes, the rise of a new group questions and intrigues. This move is significant from a constitutional and parliamentary perspective. Independent MPs will now face various challenges.

 

Par Damien Connil, Chargé de recherche CNRS, Univ. Pau & Pays Adour, (UMR 7318, DICE – IE2IA)

 

 

Le 25 février dernier, pour la première fois à la Chambre des Communes, se réunissait officiellement un nouveau groupe de parlementaires. Une semaine plus tôt, le 18 février, sept membres du Labour annonçaient quitter leur parti, rejoints le lendemain par une huitième élue travailliste. Le 20 février, c’était au tour de trois parlementaires de la majorité d’annoncer leur départ du Parti conservateur. 11 parlementaires formaient ainsi The Independent Group.

 

Loin derrière les Conservateurs (314 élus) et le Labour (245), et après le Scottish National Party (35), ce nouveau groupe compte désormais, à la Chambre, autant de parlementaires que le Lib-Dem (11 élus) et devance d’autres small parties comme le Democratic Unionist Party (10 élus), le Sinn Féin (7), Plaid Cymru (4) ou le Green Party (1). The Independent Group ne réunit cependant pas l’ensemble des parlementaires siégeant en qualité d’indépendants, au nombre de 21 parmi lesquels figurent les 11 membres du groupe.

 

Sur le plan politique, l’évènement n’est pas sans rappeler un précédent. En 1981, quatre membres du Parti travailliste – rejoints par 28 parlementaires du Labour et 1 parlementaire conservateur – avaient quitté leur parti pour en créer un nouveau : le Social Democrat Party (SDP), appelant notamment à une recomposition de la vie politique britannique[1]. Alliés aux Libéraux, ils avaient réuni 25% des votes lors des élections de 1983 mais le mode de scrutin (First-past-the-post) ne leur permit d’obtenir que 23 sièges à la Chambre, dont 6 pour le SDP[2]. Leur alliance donna finalement naissance en 1988 à un autre parti politique, Liberal-Democrat, qui mit fin à l’initiative dont l’héritage est aujourd’hui encore discuté : échec pour les uns, succès d’influence pour d’autres qui y voient les prémices du New Labour et du repositionnement politique des travaillistes au cours des années quatre-vingt-dix. L’avenir permettra peut-être d’apprécier l’influence sur la vie politique britannique de l’Independent Group dont le leitmotiv, en plein Brexit, est : « Politcs is broken. Let’s change it ».

 

Sur le plan de la vie parlementaire, sur lequel nous voudrions ici insister, l’avènement d’un nouveau groupe à la Chambre n’est pas sans soulever quelques interrogations. Dans un système organisé autour des deux principales formations politiques, la montée en puissance du Scottish National Party (SNP) après les élections de 2015 avait déjà suscité la curiosité[3]. Avec l’apparition aujourd’hui de l’Independent Group, de nouvelles questions affleurent nécessairement[4]. La création du groupe interroge le fonctionnement du Parlement, la place que l’on accorde aux groupes politiques et le rôle que l’on réserve aux minorités parlementaires. Elle confirme, au moins, la logique collective qui traverse les Parlements des démocraties occidentales contemporaines.

 

 

Quelle organisation pour le groupe ?

Indépendamment d’une éventuelle réunion hebdomadaire (type Parliamentary Labour Party ou 22 Committee conservateur), le groupe a annoncé ne pas adopter de whip qui constitue en principe pour les parlementaires, notamment backbenchers, une source majeure d’informations sur les débats à venir et les positions à adopter. Or, on sait qu’il s’agit là d’une difficulté importante pour les parlementaires indépendants, isolés ou appartenant aux small parties qui, à cette fin, sollicitent parfois leurs collègues d’autres partis bénéficiant d’un whip[5]. On observe même qu’à la Chambre des Lords, les Crossbenchers (siégeant en qualité d’indépendants) s’organisent de façon à disposer, sinon d’un whip, de mécanismes permettant à chacun d’être informé[6].

 

Le groupe a également fait le choix de ne pas désigner de Leader mais un Convener (Gavin Shuker) ainsi qu’un porte-parole (Chuka Umunna) et des porte-paroles thématiques afin de couvrir le plus largement possible le champ des questions à traiter malgré un nombre réduit de parlementaires.

 

L’organisation du groupe apparaît comme un élément crucial. D’autant que l’Independent Group ne peut, pour l’heure, bénéficier de la subvention – « Short Money »[7] – allouée aux partis d’opposition. Celle-ci est conditionnée par l’obtention lors des dernières élections générales d’au moins 2 sièges ou 1 siège et plus de 150 000 voix ; des élections pour lesquelles, par définition, le nouveau groupe qui n’est pas même (encore) officiellement un parti politique n’avait pas présenté de candidat.

 

 

Quelle place au sein de l’institution parlementaire ?

Si la question de savoir si les parlementaires concernés devaient démissionner de leur mandat en vue de provoquer des élections partielles a été écartée[8], l’enjeu pour l’Independent Group est avant tout de maintenir la présence de ses membres dans les différents Committees de la Chambre.

 

Le groupe préside un Select Committee : depuis 2017, Sarah Wollaston est à la tête du Health and Social Care Committee. Cela ne semble pas devoir être remis en cause. Bien que désignée en début de législature en qualité de parlementaire travailliste, le règlement de la Chambre n’impose pas à l’intéressée de quitter sa fonction et un précédent existe même en ce sens[9]. Pour le groupe, sa position est d’autant plus stratégique qu’elle préside également le Liaison Committee, chargé des questions relatives à l’activité des différents Select Committees. La composition de ces derniers pourrait, en revanche, être plus discutée. La presse s’en est d’ailleurs fait l’écho. Les partis pourraient chercher à remplacer les parlementaires désormais indépendants qui, jusqu’alors, les représentaient au sein des Select Committees pour (re)nommer des membres de leur formation. Huit des onze parlementaires du groupe étant concernés, l’attention du Speaker a été attirée sur ce point[10].

 

Plus encore, la participation des membres du groupe aux General Committees et, en particulier, aux Public Bill Committees, chargés de l’examen d’un texte, pourrait s’avérer plus délicate. Leur composition reflète en principe l’équilibre des forces politiques et dépend du Selection Committee. Or, aucun parlementaire indépendant n’y siège (trois indépendants dont deux membres de l’Independent Group font toutefois partie du Panel of Chairs, désignés par le Speaker afin de présider ces Committees). L’allié du groupe pourrait alors y être le représentant du SNP face à 5 conservateurs et 3 travaillistes. L’enjeu est de pouvoir prendre part à l’activité du Parlement.

 

 

Quelle capacité d’action pour les élus ?

Dans le système britannique, l’opposition est dotée de droits et de prérogatives. Le premier parti d’opposition définit largement l’ordre du jour des séances réservées à l’opposition, préside le Public Account Committee, intervient systématiquement et prioritairement lors des questions au Gouvernement et au Premier ministre, et ses membres – frontbenchers – sont assurés de pouvoir participer aux débats de la Chambre. Le deuxième groupe d’opposition bénéficie également de garanties, notamment la présidence de deux Select Committees, deux questions chaque semaine au Premier ministre et la possibilité d’un frontbench speech lors des débats.

 

En revanche, pour les autres groupes, les possibilités d’intervention sont plus réduites. L’Independent Group en a rapidement fait l’expérience. Les initiatives sont à partager entre small parties, dépendent d’accords passés avec les autres formations et sont toujours soumises au filtre du Speaker qui distribue la parole, sélectionne les amendements, invite les parlementaires à poser leur question. Le rôle de ce dernier est déterminant et ses choix reposent sur le respect des équilibres politiques de la Chambre ainsi que sur l’expérience et l’expertise des parlementaires. A cet égard, le profil des membres de l’Independent Group pourrait être un atout : plusieurs d’entre eux n’en sont pas à leur premier mandat, certains ont participé à un Gouvernement ou à un Shadow Cabinet et ils sont reconnus pour leur expertise.

 

Entretenir de bonnes relations avec le SNP, deuxième parti d’opposition, mais aussi avec le Lib-Dem, qui dispose du même nombre de sièges, avec les représentants des autres small parties avec qui des alliances pourraient être nécessaires ainsi qu’avec le Speaker est indispensable pour l’Independent Group. La sélection par le Speaker, dans le cadre du Brexit, le 14 mars[11], d’un amendement déposé par Sarah Wollaston en faveur d’un People’s Vote et cosigné par 30 MPs (dont les 11 Lib-Dem, les 4 Plaid Cymru ainsi que 2 SNP et 2 Labour) l’illustre[12].

 

Le groupe devra néanmoins exploiter d’autres moyens pour faire entendre sa voix en déployant des stratégies originales et en explorant d’autres procédures et d’autres pratiques parlementaires (e-petitions, Westminster Hall debates, Ten Minute Rule Bills, urgent questions…[13]). La façon dont le groupe utilise, depuis sa création, les réseaux sociaux ainsi que sa couverture médiatique montrent toutefois que ses membres ont parfaitement intégré cette donnée.

 

Au-delà des questions politiques, la création d’un nouveau groupe à la Chambre des Communes ne renvoie pas seulement à des interrogations techniques relatives à la répartition des postes, la distribution du temps de parole ou l’allocation de ressources. L’existence même d’un Independent Group, au sein duquel ne siègent pas tous les indépendants de la Chambre, pose aussi la question de l’identification de ce type de parlementaires dont différentes nuances pourraient ainsi être observées[14].

 

 

[1] Limehouse Declaration, 25 janvier 1981.

[2] Le Parti conservateur recueillit 42,4% des votes, soit 13 012 316 voix, et obtint 397 sièges ; le Parti travailliste, 27,6% des votes, 8 456 934 voix et 209 sièges ; l’Alliance SDP-Libéraux, 25,4% des votes, 7 780 949 voix et 23 sièges.

[3] V. D. Connil, « Le Scottish National Party à Westminster (2015-2017), observations sur un groupe parlementaire monté en puissance », RFDC, 2018, p. 285.

[4] V. également L. Thompson, « What will life be like in the Commons for the Independent Group? », 20 février 2019, https://parliamentsandlegislatures.wordpress.com/2019/02/20/commons-independent-group.

[5] En ce sens, L. Thompson, art. préc.

[6] M. Russell et D. Gover, Legislation at Westminster, Oxford University Press, 2017, p. 151-179.

[7] V. R. Kelly, Short Money, House of Commons, Briefing papers n°01663, octobre 2018.

[8] Certaines voix s’étaient fait entendre afin d’élargir le Recall of MPs Act de 2015 pour permettre aux électeurs de les provoquer.

[9] Frank Field, membre du Labour, siège depuis août 2018 en qualité d’indépendant tout en restant président du Work and Pensions Committee.

[10] House of Commons, Hansard, 5 mars 2019, col. 809 (S. Wollaston).

[11] Contrairement à deux autres amendements du groupe non retenus les 27 février et 12 mars.

[12] L’amendement a cependant été rejeté par 334 contre et 85 pour, avec une large abstention du Labour.

[13] R. Fox, « The Independent Group of MPs: will they have disproportionate influence in the House of Commons? », 4 mars 2019, https://www.hansardsociety.org.uk/blog/the-independent-group-of-mps-will-they-have-disproportionate-influence-in.

[14] V. not. C. Copus et al., « Minor Party and Independent Politics beyond the Mainstream: Fluctuating Fortunes but a Permanent Presence », Parliamentary Affairs, vol. 62, n°1, 2009, p. 4.

Crédit image: The Independent Group, Twitter @TheIndGroup