Blog ou Bug ? Brèves réflexions sur le bon usage des blogs dans la formation de la recherche et autres considérations sur l’Université

Par David Mongoin

<b> Blog ou Bug ?  Brèves réflexions sur le bon usage des blogs dans la formation de la recherche et autres considérations sur l’Université </b> </br> </br> Par David Mongoin

Ce billet n’est pas à un paradoxe près puisqu’il a pour objet de mettre en garde contre certaines dérives autorisées par les billets de blog… Il s’agit plus précisément d’un billet d’humeur où seront rapidement évoqués quelques éléments de réflexion tirés de mon expérience personnelle.

 

La lecture récente de certains mémoires de recherche réalisés dans le cadre de différents Master 2 m’a conduit à constater que les étudiants non seulement n’établissaient aucune différence entre un article de revue et un billet de blog, mais étaient même parfois tentés de substituer les seconds aux premiers. On objectera peut-être que la situation d’exception liée à l’état d’urgence sanitaire, ayant abouti à la fermeture les bibliothèques universitaires, a condamné les étudiants à se rabattre sur les ressources internet et qu’il ne s’agit là que d’un constat assurément problématique, mais strictement lié à ce contexte.

 

Il est pourtant possible de considérer, au contraire, que cette situation exceptionnelle a joué le rôle, fort classique au demeurant, de révélateur d’une tendance lourde de nos facultés de droit : un grand nombre d’étudiants, non seulement lisent peu de livres – prescrivant un certain nombre de livres en cours, j’ai eu la désagréable surprise de susciter cette réaction d’une étudiante de 2ème année que je cite de mémoire : « Ah ! si en plus [du cours] il faut lire des livres ! » –, mais peinent également à prendre en considération les différents supports d’information. Dans un monde où les faits mêmes ont tendance à être compris, de plus en plus, comme de simples opinions (phénomène dit des « fake news », par exemple) et où toutes les opinions se valent en tant qu’elles sont des opinions, on peut comprendre les difficultés, pour des étudiants pour qui par ailleurs la relativité des opinions n’est plus seulement désormais « une intuition théorique » mais bien « un postulat moral, condition d’une société libre »[1], à hiérarchiser l’information pertinente pour leur travail de mémoire, certains semblant même, de bonne foi, ne pas bien comprendre ce que l’on peut entendre précisément par là. A cet égard, j’ai souvenir d’un étudiant de licence, il y a quelques années déjà, me disant de ne pas m’inquiéter de ses absences répétées au cours puisqu’il allait chercher ce qui lui manquait sur internet, et notamment dans des articles Wikipédia ! Me voilà rassuré lui-ai répondu, ne suscitant absolument aucune réaction de sa part devant ce trait d’ironie : il avait donc vraisemblablement conclu que j’étais vraiment rassuré, alors que glacé était assurément le mot le plus juste. Si on ne peut tirer de ce souvenir isolé un enseignement général, fort heureusement, on aurait tort, je pense, de le considérer comme absolument anodin.

 

La révolution du web 2.0 n’a pas épargné la communauté universitaire. En particulier, le format « blog » – terme forgé, on le sait, par aphérèse de l’expression « web log » (journal en ligne) – s’est considérablement développé comme un outil de publication, répondant ainsi à certains besoins de cette communauté. Si la question du plagiat, que les blogs facilitent d’ailleurs grandement, a d’ores et déjà suscité des réflexions et des réactions (logiciel anti-plagiat, etc.), la question de l’utilisation des blogs, même sans plagiat avéré, et plus largement la question des transformations opérées par le numérique dans les pratiques informationnelles des étudiants, mais aussi des enseignants-chercheurs, n’a pas fait l’objet, semble-t-il, d’une réflexion aussi avancée.

 

Il est incontestable que les blogs peuvent se révéler un formidable véhicule de transmission de la recherche en rendant par exemple à la science un peu de son humanité, la personnalité de l’auteur transparaissant beaucoup plus, comme en atteste ce papier, que dans un article de revue ou encore en permettant de dévoiler la « science en train de se faire » et non pas la « science déjà faite », mais leur utilisation commande certaines règles de prudence, a fortiori pour les étudiants de M2. Si un mémoire de Master 2, constituant le plus souvent le premier travail authentique de recherche, est un exercice de réflexion, il est aussi un art d’exécution. Indépendamment du contenu propre des billets de blog, il est de bonne politique (scientifique) de considérer que :

1/ Un billet de blog n’est pas un article scientifique. Non seulement les formats ne sont pas les mêmes, mais les exigences scientifiques sont sans commune mesure. Par exemple, alors que Jus Politicum est une revue dotée d’un comité de lecture où chaque article proposé à la publication fait l’objet d’un rapport de deux relecteurs au moins, selon le principe du double anonymat, les billets du blog de Jus Politicum, s’ils sont soigneusement relus par un comité de rédaction, ne font pas l’objet d’une procédure aussi lourde. Le fond même de l’article sera inévitablement affecté par la forme distincte d’un article de revue et d’un billet de blog qui, par nature, est ramassé dans son volume, est écrit le plus souvent rapidement sans nécessairement recouper tous les éléments utilisés, et surtout exclut le plus possible ce qui reste bel et bien le marqueur fondamental d’une recherche scientifique : les notes de bas de page.

2/ Un billet de blog répond pour son auteur à des objectifs très hétéroclites (renforcement et élargissement de sa notoriété, ouverture à un plus large public, attaque ad hominem…) dont le lecteur, le plus souvent, ne peut ni cerner ni maitriser les enjeux. Il convient donc de rester toujours prudent sur son contenu. Les raisons de « bloguer » ne sont en effet pas toujours explicitées, pour ne pas dire jamais, et peuvent induire en erreur celui qui, par exemple, prendrait pour définitive une idée qui n’est lancée par son auteur que pour mieux l’éprouver, voire pour mieux choquer son auditoire.

3/ La qualité et la portée d’un billet de blog ne peut reposer seulement sur le statut de son auteur. Quand Raymond Aron écrivait dans le Figaro, tant le journal que son auteur étaient suffisamment bien identifiés pour différencier, au-delà même de la question de l’unité de sa pensée, le Aron journaliste et le Aron professeur. De même, quand Georges Vedel utilisait régulièrement son compte ouvert au Monde. Sur un blog, cette double identité se dissout complètement. Par ailleurs, un billet de blog répond le plus souvent, voire systématiquement à un fait actuel, un évènement. Il est donc le fruit d’un auteur qui consent à se soumettre au flot incessant de l’actualité (institutionnelle, jurisprudentielle, etc.) sans disposer du recul suffisant. Dans le meilleur des cas, l’évènement ou le fait en question sera interprété (et d’ailleurs choisi) par l’auteur à la lumière du cadre réflexif qui est le sien, mais dans le pire des cas, même paré de l’autorité de son auteur, il ne sera que le prétexte à l’expression de vagues et inutiles considérations.

 

Les raisons qui font des contenus des blogs une ressource si prisée sont précisément des raisons qui devraient non pas tant les écarter (on y trouve évidemment de très bonnes choses) mais les utiliser avec parcimonie dans le cadre d’une recherche universitaire, c’est-à-dire à proportion des licences que s’autorise un billet de blog par rapport à un écrit scientifique : recours à des formules sèches et définitives contraires à la nuance et la subtilité qu’implique nécessairement la pensée réflexive, etc. Un billet de blog, abolissant donc, par nature, un grand nombre de frontières, tant de fond (par exemple, abolition de la différence entre de profondes réflexions et de simples intuitions) que de forme (abolition de la différence de style d’écriture ou encore hypertextualité qui est au centre de ce que l’on pourrait appeler l’économie scripturale du blog), implique une utilisation prudente animée par un esprit critique.

 

Et c’est sans doute là, au fond, que le bât blesse, s’il est vrai que la promotion d’un esprit critique ne constitue pas le propre des facultés de droit. Derrière tout cela, il y a donc peut-être surtout l’illustration de certains travers de l’institution universitaire en général et des facultés de droit en particulier.

 

La focalisation exclusive sur la question de la sélection a conduit à dissimuler la question autrement plus décisive de la formation. Or, les facultés de droit françaises, à la faveur d’une construction fort éloignée du modèle Humboldtien de l’Université où celle-ci ne saurait se limiter à délivrer un savoir constitué, mais doit contribuer à la constitution du savoir, se contentent bien trop suivant de délivrer des connaissances brutes, dont le cours magistral ex cathedra ne fait que renforcer la portée dogmatique. Défendant l’unité de la recherche et de l’enseignement tout en refusant la subordination de la transmission du savoir à sa production – bien qu’obéissant à des exigences distinctes –, Humboldt[2] avait esquissé la différence fondamentale séparant le savoir universitaire et le savoir scolaire précisément sur la question du rapport problématique au savoir que l’Université doit entretenir. Dans un modèle où la faculté de droit se présente de plus en plus comme une école professionnelle devant délivrer des connaissances « monnayables » sur le marché, la promotion d’un esprit critique ne peut être que marginalement encouragée. Or, l’enseignement du droit ne saurait se réduire à l’apprentissage d’un flot de jurisprudences aussi vite oubliées que souvent vite obsolètes, mais implique la promotion et le développement d’un esprit critique et imaginatif qui passe aussi par l’inculcation de quelques règles sur la façon d’apprendre à apprendre et sur la nécessité de penser à penser…

 

Par David Mongoin, professeur de droit public à l’Université Jean Moulin (Lyon 3)

 

 

[1] Allan Bloom, L’âme désarmée. Essai sur le déclin de la culture générale, Paris, Les belles lettres, coll. « Le goût des idées », 2018, p. 25.

[2] On se reportera à son essai inachevé de 1809, « Sur l’organisation interne et externe des établissements scientifiques supérieurs à Berlin », traduit par André Laks dans Philosophies de l’Université. L’idéalisme allemand et la question de l’Université, avec une présentation de L. Ferry, J.-P. Pesron, A. Renaut, Payot, coll. « Critique de la politique », 1979, p. 319-329.