L’abrogation du Fixed-term Parliaments Act : rendre à la Reine ce qui appartient à la Reine

Par Lucas Verdet

<b> L’abrogation du Fixed-term Parliaments Act : rendre à la Reine ce qui appartient à la Reine </b> </br> </br> Par Lucas Verdet

La fin prochaine de la période de transition du Brexit approchant, les projecteurs se sont de nouveau tournés vers le Parlement de Westminster. Dans le même temps, les observateurs avisés n’auront pas manqué de relever que le droit de dissolution de la Chambre basse de ce même Parlement pourrait de nouveau connaître de profondes mutations. En effet, à la faveur d’une proposition de loi déposée devant la Chambre des Lords en février dernier, et soutenue par les deux principaux partis politiques, le Fixed-term Parliaments Act 2011 serait abrogé. Déjà pressenti l’année dernière lors du vote de l’Early Parliamentary General Election Act 2019, le futur droit de dissolution de la Chambre des Communes semble désormais se préciser et verra son titulaire originel en retrouver pleine jouissance.

 

As the end of the Brexit transition period draws near, the spotlight has once again turned to the Parliament of Westminster. At the same time, knowledgeable observers will not have missed to note that the right to dissolve the lower house could once again face profound changes. As a matter of fact, thanks to a Bill introduced in the House of Lords last February and supported by both main political parties, the Fixed-term Parliaments Act 2011 would be repealed. Already anticipated last year during the vote on the Early Parliament General Election Act 2019, the future right to dissolve the House of Commons seems clearer and will see its original owner regain full enjoyment of it.

 

Par Lucas Verdet, étudiant en Master 2 Droit public de l’économie à l’Université Paris 2 Panthéon-Assas

 

 

Devenu Premier ministre du Royaume-Uni, le 24 juillet 2019, à la suite de la démission de Theresa May, Boris Johnson avait promis de faire du résultat exprimé par les électeurs anglais en faveur d’une sortie du pays de l’Union Européenne une réalité. En l’absence de majorité absolue à la Chambre des Communes, il lui était pourtant impossible de faire approuver l’accord de sortie négocié avec Bruxelles. Le conflit entre le gouvernement et les parlementaires s’est ensuite cristallisé sur le Benn Act 2019[i] qui imposait au gouvernement, contre son gré, de solliciter l’Union Européenne pour repousser la date du Brexit. Sans solution politique, il ne restait au Premier ministre qu’à dissoudre la Chambre des Communes comme seul et unique moyen de mettre fin au « deadlock » (impasse). C’est ce qu’il tenta de faire conformément à la procédure prévue par le Fixed-term Parliaments Act 2011 (« FTPA »). Mais après avoir échoué, à trois reprises, à réunir les 434 suffrages nécessaires à l’adoption d’une telle motion, le Premier ministre Johnson a souhaité procéder au contournement du FTPA par la voie d’un Act of Parliament, dont l’objet unique était la dissolution de la Chambre des Communes. En somme, plutôt que de faire voter une motion de dissolution dans le cadre du FTPA, il décida de faire voter une loi d’autodissolution. Ici, une majorité simple des voix lui suffisait, ce qu’il obtint aisément le 29 octobre 2019. La possibilité restreinte de procéder à la dissolution de la Chambre basse du Parlement britannique s’est, dès lors, retrouvée fortement remise en cause, jusqu’à pousser Travaillistes et Conservateurs à en promettre sa transformation (I). En accord avec ce souhait, et dès le début de la 58ème législature nouvellement élue par les électeurs anglais en décembre 2019, a été introduite une proposition de loi devant la Chambre des Lords pour abroger de façon définitive le FTPA et rendre à la Reine ce qui était, jusqu’en 2011, une prérogative relevant de sa compétence (II).

 

 

1. L’Early Parliamentary General Election Act 2019 : Un premier contournement du FTPA et de ses déficiences

Jusqu’alors prérogative royale exercée par Sa Majesté, le droit de dissolution du Parlement britannique a été profondément refondu par la loi dite du Fixed-term Parliaments. Cette loi qui visait à mettre fin aux dissolutions à l’anglaise devait renforcer la stabilité du Parlement et éviter les dissolutions purement discrétionnaires. Ainsi, en 2011, les parlementaires se sont appropriés le droit de dissolution. Désormais, ces derniers sont les seuls à pouvoir décider d’une telle procédure par le vote d’une motion en ce sens à la majorité des deux-tiers de leurs membres. Cette loi avait été, à l’époque, exigée par les Libéraux-démocrates comme une condition sine qua non à leur participation à un gouvernement de coalition avec les Conservateurs. Leur but était de sécuriser la coalition pour que celle-ci arrive à son terme, sans que les Tories ne puissent l’interrompre. Si cet objectif s’est effectivement réalisé, le FTPA a produit de sérieux effets secondaires. Le risque de tels effets avait été relevé par la doctrine dès son adoption ; le contexte de la fin d’année 2019 en a parfaitement illustré la teneur. Ces difficultés sont principalement de deux natures.

 

La première concerne la règle des « deux-tiers » qui doit se traduire pour l’adoption d’une motion de dissolution par au moins 434 voix sur les 650 membres que compte la Chambre. Par un tel seuil, la propension à dissoudre la Chambre s’en retrouve réduite en ce que la dissolution est en théorie impossible sans l’appui de l’opposition. Toutefois, cette majorité qualifiée a aussi pour directe conséquence de rendre délicate la résolution d’une éventuelle crise constitutionnelle, dans laquelle le Parlement serait en désaccord avec le gouvernement, sans pour autant qu’une majorité suffisante puisse supporter une élection anticipée. En somme, « la crainte révérencielle (…) gage de sagesse »[ii] que les parlementaires peuvent éprouver face au risque permanent de perdre leur siège se retrouve neutralisée. En outre, dans une perspective relevant du constitutionnalisme anglais, la circonscription de la possibilité de dissoudre le Parlement constitue un non-sens allant à l’encontre du principe de la souveraineté parlementaire. Dicey expliquait que « la nécessité des dissolutions est étroitement liée à l’existence de la souveraineté parlementaire[iii] », car c’est effectivement du recours possible au peuple que le Parlement tient sa souveraineté. 

 

Les difficultés qui ont émaillé la dissolution du Parlement en 2019 ont montré que l’exigence d’une telle majorité qualifiée aurait pu potentiellement empêcher toute résolution de la question de la sortie du Royaume-Uni de l’Union. La situation était telle que le Parlement refusait systématiquement l’approbation du Brexit Deal, sans pour autant s’accorder sur une autre option, alors que dans le même temps il refusait sa propre dissolution. La position était intenable.

 

La seconde problématique relève davantage d’un paradoxe dont seul le droit constitutionnel anglais a le secret, en ce sens que le FTPA revenait à introduire une procédure rigide dans un cadre constitutionnel dont la flexibilité est l’essence et la souveraineté du Parlement la règle. À tout moment, le législateur anglais avait donc la possibilité de faire voter une loi (à la majorité simple des membres présents) pour en modifier le régime, la contourner ou même l’abroger. En pratique, il était donc plus simple de modifier le régime ou de l’abroger que de le mettre en œuvre. En l’absence de hiérarchie des lois au Royaume-Uni il est donc possible d’adopter une loi d’autodissolution, sans passer par le cadre strict imposé par le FTPA. Souvent catégorisée au rang de possibilité purement théorique, cette éventualité a trouvé une illustre concrétisation dans l’Early Parliamentary General Election Act 2019 (« EPGEA »). Il s’agissait, à travers cette loi de même nature que le FTPA, de prévoir la dissolution du Parlement et la tenue d’élections anticipées au 12 décembre 2019. Act of Parliament à part entière, l’EPGEA a toutefois dû se plier à l’examen devant la Chambre des Communes, puis devant la Chambre des Lords avant de recevoir l’assentiment royal, alors que la dissolution par le FTPA ne prévoit que le vote des seuls membres des Communes. Il doit néanmoins être précisé que l’intérêt de recourir à un Act of Parliament est d’autant plus renforcé qu’il est possible de l’adjoindre d’un examen rapide dit de Fast-Tracking. Ce dernier permet de tenir le même jour toutes les étapes d’examen de la loi. L’EPGEA a pleinement profité de cette procédure accélérée : déposée le 29 octobre 2019 aux Communes, la loi est adoptée le jour même, puis examinée par les Lords le lendemain, avant de recevoir l’assentiment royal le 31 octobre.

 

L’EPGEA constitue la première digression législative du mécanisme établi par le FTPA. La question de son avenir, déjà fortement compromis avant cet épisode, s’est retrouvée d’autant plus remise en cause par l’obstacle qu’elle a manifestement constitué à l’épilogue du Brexit. Par ailleurs, l’année 2020 est, en tout état de cause, celle durant laquelle le Premier ministre doit, selon les termes du FTPA, constituer un « comité chargé de procéder à un examen et, s’il y a lieu, à la suite de ses conclusions, formuler des recommandations en vue de l’abrogation ou de la modification de la présente loi ».

 

 

2. L’abrogation définitive du FTPA : vers un retour à un droit discrétionnaire?

Il n’aura pas fallu attendre bien longtemps pour que, conformément aux vœux exprimés par les deux principaux partis, une proposition de loi (private member’s bill) soit déposée afin d’abroger le FTPA et, avec lui, le système d’autodissolution qu’il a établi. Pourtant, l’abrogation d’une telle législation n’est pas sans poser quelques difficultés. La loi d’abrogation ne saurait donc se restreindre à disposer : « The Fixed-term ParliamentsAct 2011 is repealed ».

 

En effet, le FTPA ne se contente pas de prévoir les moyens de procéder à une dissolution des Communes. Il fixe également la durée de la législature: cinq années. De ce fait, sa simple abrogation créerait une situation bien atypique, dans laquelle l’actuel Parlement serait éternel et où la 58ème législature ne prendrait jamais fin. Il ne serait même pas certain que le Parlement puisse être dissout autrement que par un Act of Parliament d’autodissolution.

 

Lors de son vote en 2011, il a été explicitement prévu que le FTPA abrogerait les dispositions des précédents Acts limitant la durée d’une législature et s’y substituerait. Etait ici visé le Septennial Act 1715, tel que modifié par le Parliament Act 1911, qui limitait déjà la durée d’une législature à cinq ans. Or, en l’état actuel du droit anglais, l’abrogation du FTPA n’opèrerait pas un retour à la situation antérieure à 2011. Compte tenu de la section 15 de l’Interpretation Act 1978, qui prévoit le cas d’« abrogation de l’abrogation » « Lorsqu’une loi abroge un texte abrogatoire, l’abrogation ne fait revivre aucun texte abrogé précédemment, à moins que des mots ne soient ajoutés pour le faire revivre ».

 

Le raisonnement serait pratiquement identique s’agissant du droit de dissolution en lui-même. Dans la situation antérieure au FTPA, le droit de dissolution était considéré comme une prérogative royale de la Couronne, c’est-à-dire selon la définition donnée par Dicey : « Un résidu du pouvoir discrétionnaire » qui trouve donc son fondement dans l’autorité originelle de la Couronne. C’est pourquoi la doctrine anglaise est majoritaire à considérer qu’une prérogative royale supprimée ne peut renaître du simple fait de l’abrogation de la législation qui en a mis fin. Lord Diplock estimait en 1964 dans le jugement BBC v Johns qu’ « il est 350 ans et une guerre civile trop tard pour que les tribunaux de la Reine élargissent la prérogative[iv] ». Ce cas hypothétique reste toutefois difficilement concevable dans la mesure où, comme le souligne très justement Alexander Horne : Si une Cour était amenée à se prononcer sur la résurgence de cette prérogative royale de dissolution après une éventuelle abrogation du FTPA, et à travers elle sur la légalité d’une dissolution prononcée par la Reine : « Ce serait une Cour courageuse qui jugerait que le Parlement ne peut être dissout dans le but de tenir des élections générales »[v].

 

Théoriquement, dans un tel cas de figure, la durée de la législature serait donc infinie, sans qu’il ne puisse être mis un terme à la 58e législature autrement que par l’adoption d’une loi d’autodissolution du même type que l’EPGEA.

 

Pour se prémunir contre un tel état, le Fixed-term Parliaments Act 2011 (Repeal) Bill 2020, a pris soin d’accompagner l’abrogation du FTPA de mesures complémentaires et d’en remplacer le régime. Il est ainsi prévu à la Section 2 (3) que les élections générales auront lieu tous les cinq ans à compter du 2 mai 2024, date de la prochaine échéance.  En outre, et c’est ce qui est le plus significatif dans cette proposition, il est dit que le droit de dissolution retrouvera son détenteur initial en la personne de la Reine. La Section 3(1) précise : « Une élection générale parlementaire anticipée doit avoir lieu si Sa Majesté par proclamation dissout le Parlement alors existant ». En substance, il s’agit d’un retour à l’état du droit avant l’adoption du FTPA.

 

Cette seconde disposition appelle toutefois deux remarques. D’une part, il serait erroné de l’assimiler à « une résurgence de la prérogative royale ». En effet, si le pouvoir attaché à l’ancienne prérogative est rétabli par le Parlement, alors il n’est de facto plus « un résidu de l’autorité originelle de la Couronne ». Le pouvoir étant réintroduit,  son origine doit se trouver non dans l’autorité attachée à la Couronne, mais dans la volonté du Parlement qui décide de l’établir de nouveau. Le droit de dissolution prendra donc ici la forme d’un simple statutory power, confié par le Parlement à l’exécutif. D’autre part, il ne faudrait pas omettre qu’en pratique c’était le Premier ministre qui prenait la décision de dissoudre la Chambre des Communes et qui en avisait la Reine. Il se trouve que, même si cela ne s’est jamais produit, il est classiquement considéré que celle-ci avait toujours la faculté de refuser la dissolution. C’est tout l’objet des principes dégagés par Lascelles[vi] : ce refus est possible lorsque la Reine « estime que le Parlement peut continuer à fonctionner en l’état, que des élections seraient préjudiciables à l’économie nationale, et si (elle) peut remplacer le Premier ministre par un autre capable de gouverner ». On peut supposer que, si c’est la Reine qui est expressément désignée comme le titulaire du droit de dissolution, une telle faculté lui sera toujours ouverte.

 

Enfin, le fait d’inclure la Reine dans ce choix éminemment politique pose un risque auquel les certitudes juridiques ne peuvent dorénavant plus être opposées : celui de voir la décision de dissolution contestée devant les Cours de justice. La décision Miller II[vii] a, sur ce point, profondément affecté l’idée selon laquelle la décision politique de suspendre le Parlement ne pouvait pas être justiciable. Il ne peut pas être totalement exclu qu’un jugement similaire soit rendu à propos d’une décision relative à la dissolution du Parlement. Cela signifierait qu’elle ne serait plus totalement protégée par le bouclier de l’acte de gouvernement. Le risque était tellement concret que la loi d’abrogation comprend une disposition pour s’en prémunir. Elle prévoit, Section 5(3), que « L’exercice par Sa Majesté des pouvoirs prévus par cette loi, et le conseil offert à sa Majesté par rapport à l’exercice de ces pouvoirs, ne pourra pas être contesté ni mis en cause devant aucun tribunal ».  Il est intéressant de noter que c’est tant la dissolution que la demande formulée par le Premier ministre qui sera protégée par cette disposition. Effectivement, dans l’affaire Miller II c’est précisément la demande sans justification formulée par Downing Street qui avait entraîné l’annulation de la prorogation. En résumé, si elle est adoptée en l’état, la loi ferait du droit de dissolution un acte de gouvernement plein et entier.

 

Alors que la volonté était déjà affichée depuis 2017, et après les rebondissements liés à la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne, l’abrogation du FTPA apparaît désormais inéluctable. Le projet présenté devant la Chambre des Lords semble, dans sa substance, faire revenir le droit à l’état dans lequel il se trouvait sur ce sujet avant 2011 : il s’agit de rendre à la Reine ce qui appartenait à la Reine. Le projet prend toutefois en compte l’expérience acquise, et notamment les fruits de l’arrêt Miller II pour prévenir toute immixtion des Cours dans ce processus éminemment politique. Seule la nature du droit de dissolution s’en trouvera modifiée : d’une prérogative royale avant 2011, à une prérogative parlementaire depuis le FTPA, le droit de dissolution prendrait la forme d’un statutory power confié par le législateur au chef de l’Etat qui l’exercera, comme il avait l’habitude de le faire, sur demande du chef de gouvernement.

 

 

 

[i] Titre complet : European Union (Withdrawal) Act 2019


[ii] G. Carcassonne et M. Guillaume, La Constitution, Edition du Seuil, 12èmeédition, 2014, page 107

[iii] Dicey, Albert Venn, The law of the Constitution, OUP Oxford, 2013, page 195


[iv] Lord Diplock, BBC v Johns (Inspector of Taxes), (1964) EWCA Civ 2


[v] A. Horne and R. Kelly, Prerogative powers and the Fixed-term Parliaments Act, UK Const. L. Blog 19 novembre 2014

[vi] Sir Alan Lascelles,Dissolution of Parliament : Factors in Crown’s Choice, The Times, 2 may 1950, page 5


[vii] R(Miller) v The Prime Minister and Cherry v Advocate General for Scotland (2019) UKSC 41

 

 

 

Crédit photo: House of Lords, R Harris, Flickr, CC2.0