La procédure de recall aux États-Unis : un mécanisme de révocation politique au service d’une vision renouvelée de la démocratie représentative

Par Guillaume SERVANT et Noé PAGÈS

<b> La procédure de recall aux États-Unis : un mécanisme de révocation politique au service d’une vision renouvelée de la démocratie représentative </b> </br> </br> Par Guillaume SERVANT et Noé PAGÈS

Le recall dont fait l’objet le gouverneur de Californie en raison de sa gestion critiquée de la pandémie appelle à se pencher sur cette procédure mal connue qui exerce pourtant un attrait croissant sur certains mouvements sociaux et acteurs politiques français. Si l’on conçoit les vertus démocratiques d’une telle procédure, cette dernière n’est pas exempte de risques et d’abus : instrumentalisation, instabilité des institutions, atteinte à l’indépendance des représentants…

 

Criticized for his handling of the COVID-19 crisis, the governor of California is the subject of a « recall election » procedure that will lead voters to decide on his removal and replacement at the end of the year. While the democratic virtues of such a procedure are clear, it is not free of risks and abuses: instrumentalization, instability of institutions, undermining of the independence of representatives…

 

Par Guillaume SERVANT et Noé PAGÈS, étudiants en certificat de droit public M1 droit public (Université de Paris II)[*]

 

 

 

Critiqué pour sa gestion de la crise du COVID, le gouverneur de Californie, G. Newsom, fait l’objet d’une procédure de « recall elections »[1] qui amènera les électeurs à se prononcer sur sa révocation et son remplacement à la fin de l’année. Cette procédure d’initiative populaire méconnue en France revêt un intérêt majeur car elle pourrait conduire au départ forcé du chef de l’exécutif d’un État de 40 millions d’habitants.

 

Le recall[2] consiste en la possibilité pour les citoyens d’un État de révoquer par le biais d’un référendum un élu ou un agent public avant le terme de son mandat et de procéder à son remplacement. Les personnes visées par cette procédure varient selon les États. Il peut s’agir d’élus ou d’agents publics locaux au sein d’une municipalité, d’un district ou d’un comté (maires, administrateurs, sheriffs, etc.) ou au niveau de l’État (gouverneurs, sénateurs et représentants, juges…). A ce jour, 39 États prévoient l’existence d’un recall au niveau local, dont 19 qui étendent son application aux élus/agents publics de l’État[3]. En revanche, les agents publics fédéraux ne peuvent faire l’objet d’une telle procédure, faute d’avoir été prévue par la Constitution.

 

Le recall états-unien est souvent assimilé à un mécanisme de démocratie directe, synonyme de mandat impératif, et contraire au régime représentatif. En réalité, une analyse plus subtile conduit à écarter cette interprétation pour voir le recall comme l’instrument d’un régime représentatif renouvelé et rééquilibré. Si les vertus démocratiques d’un tel dispositif sont réelles, il convient toutefois de s’interroger sur les risques qu’il fait peser sur la démocratie représentative. C’est la raison pour laquelle un regard attentif sera porté aux solutions, notamment procédurales, avancées par les États pour y pallier.

 

 

La nature ambivalente du recall

Le recall est un dispositif politique aux mains des citoyens. En cela, il se distingue de l’impeachment dont la nature est avant tout juridico-pénale. Contrairement à ce dernier, le recall n’implique pas la tenue d’un procès[4] sur la base d’une accusation pénale. De même, le recall n’est pas aux mains des chambres législatives et peut viser une variété plus importante d’agents publics pour une très grande diversité de motifs. Étant tous deux des mécanismes de mise en jeu de la responsabilité des élus, il a pu cependant arriver que ces deux procédures soient sollicitées pour sanctionner en parallèle un même comportement, notamment pénal. Tel fut le cas en 1988 du gouverneur Evan Mecham, à l’encontre duquel les électeurs avaient déclenché une procédure de recall, mais qui fit en définitive l’objet d’un impeachment par le Sénat de l’Arizona.

 

Historiquement, les premiers gouvernements représentatifs créés en Europe et aux États-Unis ont rejeté le recall, associé au mandat impératif et considéré comme contraire à l’indépendance du représentant[5]. Le mandat impératif est une forme de mandat politique par lequel les citoyens délèguent à un représentant élu le pouvoir de mener un programme prédéfini. Le recall en est donc le corollaire en ce qu’il permet de sanctionner l’élu qui s’écarterait de ses instructions initiales. Sans la possibilité d’un recall, le mandat impératif serait privé d’effectivité[6]. Il n’est donc pas surprenant que certains auteurs ou personnalités politiques assimilent le recall états-unien à un mécanisme de démocratie directe[7] ou au mandat impératif.

 

Cette analyse qui conduit à opposer le recall au régime représentatif doit cependant être largement nuancée. Selon P.-E. Vandamme, le recall est un mécanisme à part entière de la démocratie représentative. S’éloignant de la démocratie directe, il n’a pas pour objet de conférer directement aux citoyens un pouvoir législatif ou d’initiative et ne remet pas en cause l’idée même de représentation. En outre, l’assimilation du recall états-unien avec le mandat impératif est trompeuse, le premier pouvant très bien se concevoir indépendamment du second. Le recall, contrairement au mandat impératif, préserve l’indépendance légale et/ou constitutionnelle du représentant. Il aboutit dès lors à une réduction et non à une abolition de la liberté de l’élu/agent public dans la conduite de ses missions, liberté qui, sans recall, était déjà contrainte par des impératifs politiques. Enfin, à la différence du mandat impératif, le recall permet la révocation d’un élu pour des motifs bien plus divers que le seul non-respect de ses engagements électoraux. Selon P.-E. Vandamme, le recall ne serait qu’une remise en cause d’une certaine vision de la représentation fondée « sur une confiance aveugle et une relative indépendance des élus par rapport à l’opinion publique ». On assisterait ici à l’émergence d’une vision renouvelée et plus équilibrée du régime représentatif.

 

 

Les enjeux du recall

S’inscrivant pleinement dans la démocratie représentative, l’ambition de la procédure de recall est d’améliorer celle-ci, notamment face à la crise de confiance qu’elle traverse. Plusieurs éléments permettent d’abonder en ce sens.

 

Le recall est un mécanisme de contrôle qui permet une mise en jeu permanente de la responsabilité politique de l’élu/agent public, moyen efficace contre l’inaction ou l’incompétence. Par sa simple existence, cette procédure est un instrument de lutte contre les atteintes à la probité commises par les agents publics.

 

Le recall procède donc à un rééquilibrage du pouvoir entre les représentants et les représentés, ces derniers n’ayant plus à attendre les élections pour manifester leur mécontentement. On apporte ainsi une réponse aux critiques récurrentes de la démocratie représentative : changement d’allégeance ou de ligne politique en cours de mandat, promesses non tenues…

 

Enfin, selon certains auteurs[8], le recall favoriserait la confiance des électeurs dans le système représentatif et leur participation à la vie politique. En créant de nouveaux moments de vie démocratique autres que l’élection, il permettrait aux citoyens de se sentir davantage impliqués. Néanmoins, l’absence de données empiriques suffisantes ne permet pas d’établir un lien clair entre recall et hausse de la confiance ou réduction de l’abstention.

 

Le recall n’en demeure pas moins un mécanisme clivant dont les détracteurs soulignent les potentiels dérives et les dangers qu’il fait peser sur la démocratie représentative.

 

Certains estiment qu’il porterait atteinte à l’indépendance des représentants en introduisant un lien de subordination de l’élu/agent public à l’électorat. Si l’analyse en termes de mandat impératif connait des limites qui ont déjà été soulignées, il n’en demeure pas moins que, selon le poste occupé par l’agent public visé par le recall, le risque d’une atteinte à l’indépendance peut être réél, notamment lorsque la procédure vise à révoquer un procureur en raison de sa politique pénale ou un juge, y compris à la cour suprême d’un État, pour ses décisions.

 

De plus, le recall serait la source d’une précarisation de la situation de l’élu/agent public. Il favoriserait un état de campagne permanente où ce dernier, craignant d’être révoqué, doit tâcher de satisfaire son électorat quitte à ne pas mettre en œuvre des mesures impopulaires mais nécessaires. Le recall aurait alors un impact négatif sur les politiques publiques.

 

En outre, le recall étant une procédure d’initiative populaire, certains auteurs mettent en doute la capacité des électeurs à juger et contrôler leurs représentants en cours de mandat et craignent leur instrumentalisation. De même, des électeurs pourraient se saisir de ce puissant mécanisme pour des motifs d’une importance toute relative, laissant craindre alors des abus de démocratie[9]. Il est vrai que les campagnes de révocation exigent des ressources financières très importantes de sorte qu’elles sont souvent pilotées par des groupes d’intérêt ou des partis politiques bien financés. C’est ainsi qu’en 2013, J. Morse et A. Giron, membres élus au Sénat de l’État du Colorado, ont été révoqués pour avoir approuvé un projet de loi renforçant le contrôle des armes. La campagne de recall a été largement soutenue par la NRA.

 

 

Une procédure strictement encadrée afin d’en limiter les abus

Au regard des risques évoqués, les États qui admettent le recall se sont efforcés d’en limiter la portée par l’instauration de conditions de mise en œuvre exigeantes. Si certains États étendent le recall aux élus/agents publics des pouvoirs exécutif, législatif et même judiciaire, tant au niveau local que de l’État, d’autres plus méfiants, l’admettent de manière plus limitée.

 

Il en va de même pour les modalités procédurales[10] qui varient selon la sensibilité des États/localités. Certaines étapes clés de la procédure constituent des leviers efficaces pour rendre la révocation de l’élu/agent public plus difficile. Dans 8 États, des motifs spécifiques, tels que l’incompétence ou une faute de conduite, sont exigés pour lancer la diffusion d’une pétition de recall. En outre, le pourcentage de signatures requis constitue une limitation importante, tout comme la durée de circulation de la pétition, qui peut aller de 60 à 270 jours.

 

Les procédures de recall sont donc soumises à un formalisme juridique contraignant. Elles sont de surcroît régulièrement contestées par voie contentieuse, ce qui les rend in fine, particulièrement complexes et coûteuses. Par conséquent, la grande majorité des recall concernent le niveau local. En ce qui concerne les postes les plus importants, en particulier celui de gouverneur, les chances de voir une procédure de recall aboutir sont infimes[11]. Si en 2003, A. Schwarzenegger fut élu gouverneur de Californie sur recall de son prédécesseur, il n’en demeure pas moins peu probable que les jours de G. Newsom au pouvoir lui soient comptés.

 

 

 

[*] Cette étude a été effectuée dans le cadre de l’enseignement de méthode du professeur Denis Baranger dans le cadre du Certificat Fondements du droit public.

[1] Traduit par le terme de « référendum révocatoire »

[2] Également appelé « recall elections » ou « recall referendum »

[3] Pour un aperçu détaillé, voir : https://ballotpedia.org/Laws_governing_recall

[4] À l’exception de la Virginie.

[5] MANIN, B., Principes du gouvernement représentatif, Calmann-Lévy, 2012, cité par VANDAMME, P.-E., “Can the Recall Improve Electoral Representation ?”, Front. Polit. Sci., 2020

[6] VANDAMME, P.-E., op. cit.

[7] ALTMAN, D., Direct Democracy Worldwide., Cambridge University Press, p.16

[8] VANDAMME, P.-E., op. cit.

[9] En 2011, le maire M. Romanowski de la ville de Johnstown, Colorado, a survécu à un recall intenté par des résidents s’opposant au réagencement de places de parking parallèles en places diagonales.

[10] Pour un aperçu détaillé de la procédure, voir : https://www.ncsl.org/research/elections-and-campaigns/recall-of-state-officials.aspx).

[11] Dans l’histoire des États-Unis, seuls deux gouverneurs ont été révoqués.

 

 

Crédit photo: Gage Skidmore, CC SA 2.0