Le règlement intérieur de la procédure de contrôle a priori devant le Conseil constitutionnel : avancées, lacunes ou incertitudes ?

Par Mathilde Heitzmann-Patin

<b> Le règlement intérieur de la procédure de contrôle a priori devant le Conseil constitutionnel : avancées, lacunes ou incertitudes ? </b> </br> </br> Par Mathilde Heitzmann-Patin

Le Conseil constitutionnel s’est doté le 11 mars 2022 d’un règlement intérieur sur la procédure suivie devant lui pour les déclarations de conformité à la Constitution. Si l’on salue la publication d’un tel règlement, qui marque une réelle avancée dans la transparence de la procédure de contrôle a priori, l’étude de ses dispositions laisse entrevoir un certain nombre de lacunes et d’incertitudes.

 

On March 11, 2022, the Constitutional Council adopted rules of procedure specific to the constitutional law review. While we welcome the publication of such a regulation, which marks a real step forward in the transparency of the law review prior to its enactment, the study of its provisions reveals a certain number of gaps and uncertainties.

 

Par Mathilde Heitzmann-Patin, Professeur de droit public à l’Université du Mans

 

 

 

Le 6 janvier 2022, lors de ses vœux au Président de la République, Laurent Fabius annonçait « l’adoption, avec effet au 1er juillet 2022, d’un règlement interne de procédure encadrant les saisines a priori du Conseil ». Ce règlement intérieur a été publié le vendredi 11 mars dernier, au sein d’une décision n° 2022-152 ORGA. Si cette publication était attendue et ne surprend pas, il reste à s’interroger sur le lien entre cette réforme et la juridictionnalisation du Conseil constitutionnel, dans la mesure où ici réside l’ambition affichée. « Codifier » des règles de procédure suffit-il à faire de l’institution une juridiction ? Assurément non. Encore faut-il, s’agissant d’une institution dont la procédure a souvent été critiquée pour son manque de « juridictionnalité », que les dispositions adoptées mettent en place de réelles réformes et ne se contentent pas du droit constant. Aussi faut-il dépasser le discours officiel pour s’interroger sur la question de savoir si cette décision du 11 mars 2022 ne cache pas, justement, cette absence de réforme. De fait, les trois chapitres qu’il contient (« Dépôt, présentation et enregistrement des saisines », « Organisation de la procédure d’instruction », « Jugement ») n’opèrent pas de révolution dans l’organisation de la procédure (1). Certains articles semblent toutefois être sources de promesses (2), de nouveautés (3) et, parfois, d’interrogations (4).

 

 

1. Une « codification à droit constant »

Certains articles, s’ils ont le mérite d’entériner les règles existantes, ne font que codifier des pratiques. Il en va ainsi : des règles de présentation de l’identité des auteurs de la saisine, à la fois pour le contrôle des engagements internationaux et pour le contrôle des lois ordinaires ou organiques et règlements des assemblées (art. 1er) ; de la règle imposant la désignation d’un rapporteur parmi les membres du Conseil constitutionnel (art. 4) ; de celles prévoyant la notification au cours de l’instruction, des actes et pièces de procédure aux représentants des parlementaires auteurs d’une saisine ainsi qu’aux autorités de saisine institutionnelles prévues par la Constitution (art. 6) ; du principe selon lequel les notifications se font par voie électronique (art. 7) ; de l’organisation, à l’initiative du rapporteur, d’une réunion (ici « audition ») avec les services du Premier ministre (art. 9). La rédaction de cet article laisse à penser que cette réunion n’est pas automatique mais conditionnée à l’initiative du rapporteur alors qu’en pratique elle a lieu de façon systématique. Enfin, est confirmée la procédure suivie en matière de contributions extérieures (art. 13). L’intérêt de ce dernier article réside toutefois dans l’analyse qu’il offre a contrario sur les autres articles. Est en effet précisé expressément que ces contributions ne sont pas des pièces de procédures et qu’elles sont sans effet sur la saisine du Conseil, qui n’est pas tenu d’y répondre (al. 3). On en déduit alors que le Conseil serait tenu de répondre à toutes les autres pièces de procédures de l’article 6 du règlement (cf. infra).

 

 

2. Des innovations conditionnées

D’autres articles, en revanche, pourraient constituer de véritables apports de ce nouveau règlement s’ils n’étaient pas rédigés de manière hypothétique. L’article 5 précise d’abord que le Conseil « peut décider de fixer une date de clôture de l’instruction » et qu’ « En ce cas, il (…) la rend publique sur son site internet ». En outre, il « peut rendre publique, sur son site internet, la date de lecture de sa décision ». De la même manière que la publication, dès la saisine, de son contenu, l’information des dates de clôture d’instruction et de lecture de la décision sur le site du Conseil serait de nature à faciliter la tâche de ceux qui souhaiteraient présenter des observations ou contributions extérieures. Ils pourraient notamment connaître le délai maximum pour transmettre le fruit de leur réflexion.  Pour autant, l’article est rédigé de telle façon que le Conseil n’a aucune obligation de rendre ces éléments publics ; il « peut décider » de le faire, mais il ne s’y contraint pas. La pratique de cette disposition sera l’occasion de voir si l’institution s’en saisit véritablement ; mais l’on comprend difficilement l’utilité de la précision relative à la date de lecture de sa décision. En effet, la Constitution prévoit d’ores et déjà que le Conseil doit rendre sa décision au plus tard dans le mois suivant la saisine (sauf urgence). Ajouter une disposition non contraignante d’information d’une date potentiellement anticipée semble superfétatoire, même s’il s’agit d’annoncer le dépassement exceptionnel du délai constitutionnel.

 

Ensuite, pour contrebalancer l’audition des services du Premier ministre (art. 9) qui était critiquée par son caractère particulièrement déséquilibré et non contradictoire, l’article 10 prévoit que les parlementaires auteurs d’une saisine peuvent solliciter une audition et produire, à cette occasion, les observations écrites utiles. L’équilibre n’est alors pas encore parfait. Les députés et sénateurs doivent prendre l’initiative d’une telle demande et la lettre du texte ne fait état d’aucune obligation du Conseil d’accéder à leur demande : il n’est pas écrit qu’une audition est organisée à leur demande mais qu’une audition peut être organisée à leur demande. On remarquera le manque de rigueur de la rédaction de cet article qui fait mention « d’une saisine » sans autre précision.

 

L’article 11 prévoit, en outre, que, sur leur demande, le rapporteur peut recueillir des « observations écrites (…) notifiées dans les conditions prévues à l’article 6 » de députés et sénateurs qui ne sont pas auteurs de la saisine. Si certains parlementaires peuvent saisir cette occasion pour défendre le texte attaqué, cette disposition est également de nature à étendre les compétences données à l’opposition. Certes, un parlementaire ne pouvant réunir autour de lui 59 députés ou sénateurs ne pourra pas prendre l’initiative d’une saisine du Conseil, mais il pourra désormais faire valoir ses arguments par des observations, à condition, toujours, que le rapporteur accepte de les recueillir. Pour autant, la rédaction de l’art. 11 conduit à s’interroger sur la possibilité pour un parlementaire de produire des observations dans le cas où il n’y aurait pas eu de saisine parlementaire en amont.

 

L’utilisation quasi-systématique du verbe « pouvoir » illustre que le Conseil ne va pas au bout de sa démarche. Certes, la procédure de contrôle a priori ne peut être considérée comme un « procès » mettant en jeu des justiciables telle la question prioritaire de constitutionnalité. Pour autant, il s’agit d’un « procès » fait à une norme qui doit permettre aux autorités concernées de bénéficier d’une égalité des armes. Si le Conseil ne souhaitait pas mettre en place une obligation d’organiser à la fois une audition des membres des services ministériels et une audition des parlementaires, il aurait pu choisir de prévoir que lorsque l’une d’elles était organisée, l’autre devait se tenir également. De cette manière, le principe du contradictoire aurait été respecté.

 

Enfin, le règlement codifie la pratique de l’amicus curiae, dont les observations seront considérées comme des pièces de procédure (art. 12), ce qui a le mérite de la transparence.

 

Existe désormais une liste exhaustive des actes et pièces de procédures, qui seront par ailleurs mentionnés dans les visas de la décision (art. 16) et publiés dans leur ensemble sur le site du Conseil avec la décision (art. 17) : les observations du Premier ministre, les observations des représentants des parlementaires saisissants, les observations des parlementaires non saisissants et les productions écrites des personnes qualifiées.

 

 

3. Des réformes réelles

Deux éléments constituent des changements clairs par rapport à ce qui existait auparavant. D’abord, le chapitre 1er est clos par un article 3 dont l’intérêt réside dans le dernier alinéa qui prévoit la publication immédiate du texte de la saisine sur le site internet du Conseil constitutionnel. Elle présente une plus-value notamment pour ceux qui souhaitent rédiger une « contribution extérieure », mais également pour les parlementaires qui ne sont pas auteurs de la saisine et qui souhaiteraient présenter des observations. Avoir accès au texte de la saisine permettra de cibler plus aisément les lacunes de cette dernière et de compléter, le cas échéant, l’argumentation des saisissants. Elle peut également permettre, hypothèse que l’on a tendance à souvent négliger, de défendre le texte adopté en contrecarrant les griefs invoqués.

 

Ensuite, le chapitre 3 relatif au jugement présente un intérêt particulier au regard des règles de déports et récusations des membres du Conseil constitutionnel, dont l’originalité a trait à leur codification pour le contrôle a priori. Comme en QPC, tout membre du Conseil estimant devoir s’abstenir se déporte en informant le président (art. 14). En revanche, le Conseil constitutionnel ne reprend pas exactement la procédure prévue en QPC en matière de récusation (art. 15). Si la demande des parlementaires saisissants doit être motivée de la même manière que dans le cadre d’une QPC, les autorités de saisine que sont le président de la République, le Premier ministre et les présidents des assemblées peuvent également demander la récusation d’un membre du Conseil. Cette possibilité n’est pas prévue dans le cadre des QPC dans la mesure où ces autorités ne sont pas mentionnées comme des « parties » (art. 1er, al. 3 du règlement QPC) et que seules les parties peuvent demander la récusation d’un membre (art. 4, al. 2). Une autre différence tient en la procédure mise en place si un membre n’acquiesce pas à la demande de récusation ; non seulement, comme en QPC, le membre visé par la récusation n’est pas présent lors de l’examen de la demande, mais en outre, cet examen donne lieu à une décision du Conseil. Cette disposition nouvelle crée une catégorie de décisions rendues par le Conseil constitutionnel (futures décisions REC ?). Pour cela, encore faut-il que les membres concernés choisissent de ne pas acquiescer à la demande soumise au Conseil. On peut aisément imaginer que pour éviter qu’une telle décision doive être rendue, les membres choisissent de ne pas siéger quand la demande en est faite. Ensuite, si décision il y a, aucune précision n’est donnée sur la nécessité de la motiver. La mise en place de décisions relatives à la récusation déteindra-t-elle sur la procédure QPC dont le règlement intérieur pourrait, dès lors, être révisé à cet effet ? Le caractère bien plus juridictionnel de la QPC justifierait que cette transparence dans la procédure de récusation lui soit appliquée. Pour autant, les risques de demandes de récusation sont plus élevés dans le cadre du contrôle a posteriori que dans celui du contrôle a priori. Une telle généralisation de la procédure pourrait conduire à la prolifération des décisions. De là à affirmer que les demandes seront multipliées en raison du train de nominations récent, il n’y a qu’un pas… On pourrait aller jusqu’à imaginer que, pour éviter l’étendue de ces demandes, les autorités de nomination en viennent à revoir leur politique en matière de choix des membres du Conseil constitutionnel…

 

 

4. Des questions persistantes

La codification de règles relatives aux « saisines blanches » (art. 2) laisse perplexe : « Sauf dans les cas où le Conseil constitutionnel est saisi en application du premier alinéa de l’article 61 de la Constitution, la saisine mentionne les dispositions législatives ou les clauses de l’engagement international sur lesquelles il est invité à se prononcer, ainsi que les exigences constitutionnelles qu’elles sont susceptibles de méconnaître. » A l’exception des cas de contrôle obligatoire par le Conseil (lois organiques et règlements des assemblées), est entérinée l’interdiction de ce qu’on appelle communément les « saisines blanches », i.e. les saisines qui ne font mention d’aucun grief particulier à l’encontre du texte adopté par le Parlement. Jusqu’à présent, seule la jurisprudence du Conseil imposait aux saisissants d’invoquer des griefs spécifiques depuis une décision n° 2011-630 DC du 26 mai 2011, Loi relative à l’organisation du championnat d’Europe de football de l’UEFA en 2016. Le Conseil, après avoir vérifié le respect de la procédure d’adoption du texte, avait précisé que « les requérants n’invoquent aucun grief à l’encontre de ce texte ; qu’au demeurant, aucun motif particulier d’inconstitutionnalité ne ressort des travaux parlementaires ; qu’il n’y a pas lieu, pour le Conseil constitutionnel, d’examiner spécialement ces dispositions d’office ». Les saisines blanches restaient alors possibles, mais le Conseil n’examinait que la procédure d’adoption du texte, se réservant toutefois l’opportunité de soulever d’office un grief. La rédaction de cet article 2 laisse planer un doute quant au futur des saisines blanches : seront-elles désormais irrecevables ? Cette interprétation serait problématique dans la mesure où, notamment, les griefs à l’encontre de la procédure d’adoption d’un texte ne peuvent être invoqués en QPC. En revanche, l’inscription de cette règle pourrait avoir le mérite de pousser les parlementaires à saisir le Conseil, malgré une saisine blanche du pouvoir exécutif, afin de s’assurer que des griefs spécifiques, parfois invoqués lors des débats parlementaires, soient examinés.

 

Le règlement était espéré de longue date et il faut évidemment saluer sa publication. Il entrera en vigueur le 1er juillet 2022 (art. 18) ; on devra donc encore attendre quelques mois pour mesurer la véritable portée des innovations, voire quelques années, d’autant que l’usage des dispositions « conditionnées » dépendra de la politique suivie par son président, et ses successeurs. Le souligner est déjà mettre en évidence les regrets que l’on peut avoir. Si le Conseil constitutionnel s’affirme, de plus en plus, comme un défenseur juridictionnel des droits et libertés, il n’en tire pas parfaitement les conséquences. Ne souhaitant pas se contraindre tout à fait, il se laisse une marge de manœuvre dans l’application des procédures affichées. L’on peut donc ne pas s’en satisfaire pleinement. A l’heure où le Conseil est toujours très critiqué, spécifiquement en raison de sa composition, l’on déplore qu’il n’ait pas profité de l’occasion pour se saisir de réformes en profondeur, notamment en matière de contradictoire, en quête d’un gain de légitimité.

 

 

 

Crédit photo : Conseil constitutionnel