Les premières réponses de la Démocratie brésilienne aux émeutes du 8 janvier 2023

Par Luiza Sampaio Cunha

<b> Les premières réponses de la Démocratie brésilienne aux émeutes du 8 janvier 2023  </b> </br> </br> Par Luiza Sampaio Cunha

Le 8 janvier 2023, une foule de manifestants a commis des actes de déprédation contre plusieurs bâtiments publics à Brasilia, la capitale du Brésil. Ces attaques visaient, symboliquement, les trois pouvoirs que la Constitution brésilienne de 1988 établit. Le présent billet propose une analyse des premières réponses données par les institutions démocratiques brésiliennes à ce mouvement mené par une partie de la population qui refuse d’accepter le résultat de l’élection présidentielle de 2022. D’une part, ce billet présente l’intervention fédérale qui a été déclarée par le Président de la République et, d’autre part, il analyse la décision du Tribunal Fédéral Suprême qui, en s’appuyant sur ses compétences de juge pénal, a prononcé la suspension temporaire du mandat du Gouverneur du District fédéral et pris des mesures fermes à l’encontre des individus impliqués dans les émeutes.

 

January 8th, 2023, a mob of protesters vandalized several public buildings in Brasilia, the capital of Brazil. From a symbolic point of view, these attacks were aimed at the three branches of government that the Brazilian Constitution of 1988 establishes. This post presents the first responses given by Brazil’s democratic institutions to this assault led by a fraction of the people who refuse to accept the outcome of the presidential election of 2022. Firstly, it presents the federal intervention declared by the President and, secondly, it analyses the decision of the Supreme Court that, acting as a criminal court, determined the temporary suspension of the Federal District’s Governor and restrictive measures against the rioters.

 

Par Luiza Sampaio Cunha, doctorante à l’Université Paris 1 et A.T.E.R. à l’Université Paris Nanterre.

 

 

Le dimanche 8 janvier 2023, une foule de manifestants a envahi plusieurs bâtiments publics à Brasilia, la capitale du Brésil. Pendant plus de trois heures, ces manifestants ont commis des actes de déprédation contre le Palais du Congrès National, qui abrite les sièges des deux chambres du Parlement, le Palais du Planalto, au sein duquel sont situés les bureaux de la présidence de la République, et le Palais du Tribunal Fédéral Suprême (STF). Symboliquement, cette attaque ciblait les trois pouvoirs établis par la Constitution. Les affiches photographiées et les discours enregistrés en vidéo suggèrent cependant que, plus qu’une simple manifestation de la haine contre les institutions, ce mouvement visait à promouvoir un certain nombre de revendications, dont l’annulation de l’élection présidentielle de 2022, la déchéance de l’actuel Président Luis Inácio Lula da Silva, le retour au pouvoir de l’ancien Président Jair Messias Bolsonaro et l’intervention des Forces Armées dans la politique.

 

L’influence politique des Forces armées est un problème qui hante le Brésil depuis longtemps, mais qui est revenu à l’ordre du jour depuis l’élection présidentielle de 2018. Cette élection a été remportée par M. Jair Messias Bolsonaro, un ancien capitaine de l’Armée de terre qui tient un discours tendant à réhabiliter la « Dictature militaire » de 1964 et à valoriser la place institutionnelle de l’Armée et, plus largement, des membres des forces de l’ordre [1]. Depuis 2022, le mouvement politique dont Bolsonaro est le principal représentant a toutefois intégré à son discours, de façon durable, un élément nouveau : la remise en question de la régularité des opérations électorales. Au cours de cette année, M. Bolsonaro, qui avait déjà contesté la crédibilité des élections dans le passé, a notamment accusé le président du Tribunal Supérieur Électoral (qui prend en charge l’organisation des élections) de partialité[2]. L’ancien Président a ainsi semé le doute sur la fiabilité des urnes électroniques utilisées pour le décompte des voix et a voulu conditionner la tenue des élections 2022 à une modification du système de recueil des suffrages[3] par une révision de la Constitution qui n’a finalement pas abouti. C’est dans cette atmosphère d’incertitude que des militants d’extrême droite ont, dès le lendemain du second tour des élections, érigé des campements devant les bases militaires situées sur tout le territoire du pays. Le sentiment de contestation y a été fomenté pendant plus de deux mois, avant que la foule réunie dans un campement installé à Brasilia ne décide de la tenue, une semaine après l’investiture du Président Lula, d’une manifestation qui a dégénéré en émeute.

 

Afin de rétablir l’ordre, les autorités politiques ont dû prendre, dès le dimanche 8 janvier, un certain nombre de mesures susceptibles de produire des effets immédiats. C’est à la présentation de ces mesures que ce billet est consacré. Dès le soir du 8 janvier 2023, le Président de la République s’est servi de l’instrument de l’intervention fédérale pour reprendre le contrôle sur les forces de l’ordre (I). Le Président n’a toutefois pas été la seule autorité politique à agir pour empêcher l’escalade de la violence et permettre le maintien de la démocratie. Par une décision prise dans le cadre d’une enquête pénale, le Tribunal Fédéral Suprême est venu en renfort de l’action présidentielle – et a ainsi fourni une nouvelle illustration de l’important rôle qu’il joue dans le système politique brésilien (II).

 

 

1. L’intervention fédérale déclenchée par l’action du Président de la République

Le dimanche 8 janvier 2023, peu avant 18h, le Président Luis Inácio Lula da Silva a pris la parole devant les caméras de nombreuses chaînes de télévision. Il a dressé une série de constats sur les émeutes de la journée et a donné lecture du décret d’intervention fédérale dans le District fédéral qu’il signa quelques heures plus tard. Mais, pourquoi a-t-il dû intervenir dans un district qui a été créé pour abriter la capitale Brasilia et, donc, les sièges des pouvoirs de la République ? Bien que les sièges des pouvoirs de l’Union y soient installés, le District fédéral est une entité fédérative de l’État brésilien dotée de l’autonomie politico-administrative. La Constitution du 5 octobre 1988 établit en effet que l’État fédéral brésilien est formé de « l’union indissoluble » de trois types d’entités : les États [fédérés], les Communes et le District fédéral (art. 1°, C.) qui sont « tous autonomes » (art. 18, C.). Le District fédéral est ainsi une unité fédérative régie par une loi organique propre, qui dispose d’un certain nombre de compétences législatives et d’un pouvoir exécutif dont le chef est élu par les citoyens inscrits sur les listes électorales locales (art. 32, C.). C’est à ce « Gouverneur » du District fédéral – et non pas au Président de la République – que la Constitution brésilienne soumet les forces de l’ordre locales (art. 32, §4°, et art. 144, §6°, C.)

 

Par dérogation au principe d’autonomie des entités fédératives, le texte constitutionnel institue cependant, à ses articles 34 et 35, l’instrument de l’« Intervention ». D’usage exceptionnel, ce mécanisme autorise l’État fédéral et les États-membres à se substituer aux compétences des entités fédératives d’échelon territorial inférieur lorsque cela apparaît nécessaire à la réalisation d’un certain nombre d’objectifs listés par le texte. L’État fédéral est ainsi notamment autorisé à « intervenir » dans les États-membres et dans le District fédéral pour « mettre fin à de graves troubles à l’ordre public » (art. 34, III, C.). Après avoir constaté les dysfonctionnements des opérations menées le 8 janvier 2023 – qu’il a imputés à « l’incompétence, un manque de volonté ou [à] la mauvaise foi de la part des personnes responsables de la sécurité du District fédéral »[4] –, le Président Lula s’est alors fondé sur cette disposition pour déclencher une intervention dans le District fédéral.

 

Suivant ce que prévoit l’article 36, §1°, de la Constitution, le Président Lula a déclaré l’intervention fédérale par un décret qui précise « l’étendue, la durée et les conditions d’exécution » de celle-ci et a procédé à la nomination d’un responsable de l’intervention (l’« interventor »). Ce décret d’intervention est assorti de plusieurs limites. Le décret nº 11.377 déclare l’intervention de l’Union dans le District fédéral du 8 janvier 2023 jusqu’au 31 janvier 2023 (art. 1°). En plus des limites temporelle et géographique qu’il pose, ce texte précise que l’intervention fédérale est restreinte au « domaine de la sécurité publique » (art. 1°, §1°) et limite les attributions du responsable nommé à « celles [qui sont] nécessaires à la garantie de la sécurité publique, conformément aux principes et objectifs définis à l’art. 117-A de la Loi Organique du District fédéral » (art. 3°). Par souci de clarté, le texte précise d’ailleurs que les attributions prévues à cet article « qui n’ont pas de rapport direct ou indirect avec la sécurité publique resteront sous la compétence du Gouverneur du District fédéral » (art. 3°, §4°). Ce court décret de 5 articles définit, enfin, les moyens dont peut se servir le responsable de l’intervention et précise que celui-ci n’est pas soumis aux normes locales contraires aux mesures nécessaires à l’exécution de son mandat, mais « reste subordonné au Président de la République » (art. 3°, §1°). Conforme aux exigences de fond posées par la Constitution, le décret nº 11.377 a été pris dans le respect des principales conditions procédurales que le texte constitutionnel fixe[5], puisque, dans les 24h qui ont suivi sa signature, il a été soumis au Parlement, qui l’a approuvé sans délai.

 

Par ce décret, le Président de la République a donc déterminé l’immixtion de l’Union dans le domaine de la sécurité publique du District fédéral. L’intervention fédérale décidée par le Président et avalisée par le Congrès National était cependant mesurée, et aurait dû entrainer le seul dessaisissement du Gouverneur du District fédéral de ses compétences dans le domaine de la sécurité publique et ce, pour une période allant jusqu’au 31 janvier 2023. De façon quelque peu surprenante, le soir du 8 janvier, les journaux rapportaient pourtant que le Gouverneur du District fédéral avait été écarté du pouvoir pour une période de 90 jours. Cette mesure trouve son fondement dans une décision prise par la Cour suprême de suspendre le mandat du politicien et de mettre en place une série de mesures à l’encontre des manifestants.

 

 

2. Les mesures provisoires prononcées par le Tribunal Fédéral Suprême dans le cadre d’une enquête pénale

Le soir du 8 janvier 2023, le juge Alexandre de Moraes, membre du Tribunal Fédéral Suprême, a pris une importante décision dans le cadre d’une enquête pénale déjà en cours : l’« Inquérito » n° 4.879/DF. Cette enquête, qualifiée par la presse brésilienne d’« enquête sur les actes antidémocratiques [de 2021] », avait été instaurée en août 2021 et portait sur des appels lancés par des personnalités civiles et politiques à la pratique d’actes criminels qui menaceraient la démocratie à l’occasion d’une manifestation « bolsonariste » organisée à Brasilia le 7 septembre 2021, jour de la fête nationale[6]. Pour des raisons liées au secret de l’enquête, toutes les informations relatives à l’Inquérito n° 4.879 ne sont pas connues du public, mais la décision prise par le juge Moraes, rapporteur de l’affaire, le soir du 8 janvier, confirmée par l’organe plénier du STF trois jours plus tard, a fait l’objet d’une publication[7].

 

Dans la motivation de sa décision, le juge Moraes insiste sur la distinction entre, d’une part, l’exercice légitime des droits de réunion et de libre manifestation de l’expression et, d’autre part, les comportements « illégaux et criminels » d’incitation au « non-respect au résultat des Élections Générales de 2022 », à la « rupture avec l’État de droit Démocratique » et à « l’instauration d’un régime d’exception ». Le juge Moraes constate alors une « escalade violente des actes criminels » : il fait référence à l’action des manifestants qui ont envahi et vandalisé les bâtiments du Palais du Planalto, du Congrès National et du Tribunal Fédéral Suprême et qualifie leurs comportements de « terroristes »[8]. Outre les manifestants, c’est le Gouverneur du District fédéral, M. Ibaneis Rocha, qui fait l’objet de ses reproches. Selon le juge, bien qu’il fût conscient des risques d’attaques, M. Rocha aurait soutenu l’exercice abusif de la liberté d’expression des manifestants les jours qui ont précédé le 8 janvier et aurait négligé les appels qui lui avaient été adressés par d’autres autorités pour qu’il renforce le dispositif de sécurité mis en place à Brasilia. Ces constatations ont conduit M. Moraes à affirmer que le dossier soumis à son examen réunissait un nombre suffisant d’indices de ce que M. Rocha – qui est par ailleurs un partisan connu de M. Bolsonaro – aurait pratiqué, par omission volontaire, une dizaine d’infractions pénales, parmi lesquelles celles d’« actes terroristes, y compris préparatoires » (décrits dans la loi n° 13.260 du 16 mars 2016), d’« association criminelle », d’« abolition violente de l’état de droit démocratique » et de « coup d’État » (prévues aux articles 288, 359-L et 359-M du Code pénal brésilien). Le juge affirme d’ailleurs que le dossier contient des indices suffisants de ce que ces mêmes infractions – parmi d’autres – auraient été commises par les manifestants ayant pris part aux émeutes. C’est sur le fondement de ces indices que M. Moraes prit alors une série de mesures.

 

Outre les mesures nécessaires pour poursuivre les auteurs des infractions, le juge détermine des mesures visant la cessation des infractions encore en cours et le rétablissement de l’ordre public. Ce faisant, le juge vient renforcer la réponse donnée par le Président de la République à l’attaque dont faisait l’objet la Démocratie brésilienne. La notion de « Démocratie » est d’ailleurs un élément central dans la construction de la rhétorique du juge : il semble l’employer pour démontrer la gravité de la conduite des manifestants aussi bien que pour justifier la fermeté des mesures prises en réponse à ces attaques. À cet effet, le juge se réfère, par exemple, à d’« abjectes attaques terroristes [entreprises] contre la Démocratie et les Institutions Républicaines » et affirme que « TOUS, sans exception, répondront civilement, politiquement et pénalement de leurs actes attentatoires à la Démocratie, à l’État de Droit et aux Institutions… » et que « La Démocratie brésilienne ne sera pas atteinte, et encore moins détruite, par des criminels terroristes ».

 

L’autre aspect intéressant de cette décision consiste en ce qu’elle illustre l’étendue des pouvoirs exercés par le juge en matière politique sur le fondement du droit pénal. En effet, les mesures que prend le Tribunal Fédéral Suprême se fondent sur deux dispositions issues du Code de procédure pénale : les articles 282 et 319. L’article 319 institue les mesures « cautelares » distinctes de la détention – des mesures provisoires comparables aux obligations issues du contrôle judiciaire français. Ces mesures peuvent être mises en place lorsque le juge constate l’existence d’indices d’une infraction pénale et estime que de telles mesures sont, d’une part, nécessaires pour assurer le bon déroulement de l’enquête, l’effectivité de la loi pénale ou pour éviter la pratique d’infractions dans les cas prévus (art. 282, I, C. Proc. Pén.) et, d’autre part, adaptées à la gravité du crime, aux circonstances du fait et aux conditions personnelles des individus mis en accusation ou en examen (art. 282, II, C. Proc. Pén.).

 

Parmi les mesures provisoires listées, figure, au VI de l’article 319, celle de « suspension de l’exercice d’une fonction publique ou d’une activité de nature économique ou financière, lorsqu’il y a une crainte justifiée de l’utilisation de celle-ci [par l’individu] en vue commettre des infractions pénales ». C’est sur ce fondement qu’après avoir constaté que le maintien de M. Rocha au poste de Gouverneur du District fédéral pourrait représenter un risque pour la conservation des preuves et un moyen de pression sur les agents publics, M. Moraes prononce la suspension du mandat du Gouverneur du District fédéral pour 90 jours. Sur ce point, il est intéressant de relever que la Constitution fédérale de 1988 ne prévoit pas d’immunité pénale au bénéfice des Gouverneurs. Au contraire : le texte constitutionnel accorde au Tribunal Supérieur de Justice (STJ)[9] la compétence pour juger de leur responsabilité en matière pénale (art. 105, I, « a », C.). En outre, une jurisprudence établie par le Tribunal Fédéral Suprême depuis 2017 confirme le pouvoir du juge de prendre, dans le cadre de telles procédures pénales, des mesures provisoires à leur encontre – y compris de suspension du mandat électif[10]. Bien qu’elle soit peu courante et encore critiquée par certains juristes, la mesure prise par le juge Moraes trouve donc un fondement dans la jurisprudence de la Cour et seuls la « nécessité » et le caractère « adapté » de la mesure décidée pourraient faire l’objet de remises en question[11].

 

Plus surprenantes sont, toutefois, les mesures que le juge prend vis-à-vis des manifestants. Celles-ci se démarquent par leur caractère général. Le juge prononce ainsi l’arrestation de tous les « participants » aux campements organisés à proximité des centres de commandement des Forces armées pour une dizaine d’infractions flagrantes – ce qui peut soulever des questions dans un domaine du droit où le principe de la responsabilité personnelle occupe une place aussi importante. Aussi détermine-t-il le démantèlement des campements installés à proximité des centres de l’Armée, l’évacuation des voies et des bâtiments publics occupés partout dans le pays, la mise en place d’un périmètre de sécurité autour de lieux sensibles et pose-t-il une interdiction d’accès au territoire du District fédéral visant les bus et camions transportant des manifestants, pour la période allant jusqu’au 31 janvier 2023. Curieusement, ces nombreuses mesures, typiquement associées au pouvoir de police administrative, sont prises par M. Moraes sur le fondement du Code de procédure pénale. À la différence de l’hypothèse précédemment exposée, aucun alinéa de l’article 319 n’accorde au juge, de façon explicite, des pouvoirs aussi étendus. Le II de cet article l’autorise, certes, à interdire à un individu mis en examen ou en accusation « l’accès ou la fréquentation » de certains endroits lorsqu’« au vu des circonstances du fait [délictueux] », cela pourrait s’avérer nécessaire pour écarter le « risque de nouvelles infractions ». Toutefois, seule une interprétation très extensive de cette disposition – à laquelle le juge ne réfère d’ailleurs pas explicitement – pourrait justifier les pouvoirs que s’arroge le juge dans le cadre de cette enquête[12].

 

La contribution apportée par cette décision du Tribunal Fédéral Suprême à la défense de la démocratie dans le pays ne soulève aucun doute. À un moment d’extrême gravité, l’action ferme et rapide du juge est venue apporter un important renfort à l’intervention mesurée du Président de la République. On pourrait toutefois légitimement se demander si, pour ce faire, le juge brésilien n’aurait pas dépassé – ou déplacé – les limites de ses compétences. Face à cette difficile question, nombreux sont les observateurs qui soutiennent l’action du Tribunal Fédéral Suprême – et, en particulier, la fermeté des décisions prises par M. Moraes lors des dernières années – en insistant sur l’importance de la replacer dans le contexte de crise institutionnelle. Cet argument a été formulé de façon particulièrement nette par le sociologue Celso Rocha de Barros, qui, après avoir fait état de pratiques de cooptation des institutions menées par l’ancien gouvernement, a récemment affirmé que M. Moraes est l’homme que « les institutions brésiliennes ont désigné pour agir contre les tendances putschistes de [M.] Jair Bolsonaro »[13]. Quelle que soit la position adoptée vis-à-vis de la décision prise par le Tribunal Fédéral Suprême, l’affaire brésilienne rappelle combien il peut être difficile de trouver le bon équilibre entre modération et efficacité lorsqu’il est question de déterminer les instruments dont doivent être dotées les institutions pour réagir aux attaques dirigées contre la Démocratie – notamment, lorsque celles-ci ne proviennent pas d’un ennemi extérieur.

 

 

 

[1] Pour une présentation plus détaillée, v. notre article : L. Sampaio Cunha, Les forces armées, un « pouvoir modérateur » dans un régime démocratique ? La controverse autour de l’interprétation de l’article 142 de la Constitution brésilienne de 1988, Jus Politicum, vol. 28, disponible sur : http://juspoliticum.com/article/Les-forces-armees-un-pouvoir-moderateur-dans-un-regime-democratique-La-controverse-autour-de-l-interpretation-de-l-article-142-de-la-Constitution-bresilienne-de-1988-1479.html (consulté le 18/01/2022)

[2] M. Fagundes, « “Totalmente parcial”, diz Bolsonaro sobre Alexandre de Moraes » in Poder360, 26/05/2022, disponible sur : https://www.poder360.com.br/governo/totalmente-parcial-diz-bolsonaro-sobre-alexandre-de-moraes/ (consulté le 29/01/2022)

[3] Curieusement, quelques heures après l’attaque au Capitole américain, M. Bolsonaro avait affirmé devant ses partisans que si un changement n’était pas apporté au système de décompte des voix, le Brésil aurait un « problème plus grave que celui des États-Unis ». Cf. G1, « Bolsonaro volta a questionar o sistema eleitoral brasileiro e faz previsão em tom de ameaça », 07/01/2021, disponible sur : https://g1.globo.com/jornal-nacional/noticia/2021/01/07/bolsonaro-volta-a-questionar-o-sistema-eleitoral-brasileiro-e-faz-previsao-em-tom-de-ameaca.ghtml (consulté le 29/01/2022)

[4] Cf. CNN Brasil, « Lula decreta intervenção federal no DF », 08/01/2023, disponible sur : https://www.cnnbrasil.com.br/politica/lula-decreta-intervencao-federal-2/ (consulté le 29/01/2022).

[5] Le professeur Pedro Lenza souligne que le Président n’a pas sollicité les avis du Conseil de la République et du Conseil de Défense Nationale au sujet de l’intervention fédérale, comme prévu aux articles 90, I, et 91, §1º, II, de la Constitution fédérale. Cf. P. Lenza, « Afastamento do Governador do Distrito Federal 11-01-2023 », 15/01/2023, disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=_33r-ifCmsQ (consulté le 29/01/2023).

[6] STF, « Ministro Alexandre de Moraes determina busca e apreensão em endereços de deputado federal e do cantor Sérgio Reis », 20/08/2021, disponible sur : https://portal.stf.jus.br/noticias/verNoticiaDetalhe.asp?idConteudo=471385&ori=1 (consulté le 29/01/2022).

[7] STF, « Ministro Alexandre de Moraes afasta Ibaneis Rocha do governo do DF » in STF, 09/01/2023, disponible sur : https://portal.stf.jus.br/noticias/verNoticiaDetalhe.asp?idConteudo=500254&ori=1 (consulté le 20/01/2022).

[8] La qualification d’« actes terroristes » aux émeutes a été vivement critiquée au vu de la définition que donne de cette notion la loi n° 13.260. Cf., p. ex.,  L. A. Sartori de Castro, « Os atos antidemocráticos de 8/1: terroristas, não; desprezíveis, com certeza! » in CONJUR, 21/01/2023, disponible sur : https://www.conjur.com.br/2023-jan-21/sartori-castro-terroristas-nao-despreziveis-certeza (consulté le 23/01/2022).

[9] L’attribution constitutionnelle, au Tribunal Supérieur de Justice, de la compétence pour juger de la responsabilité pénale des Gouverneurs des états-membres et du District fédéral (art. 105, I, « a », C.) est le fondement d’une des principales critiques dirigées contre la décision analysée. Cf., p. ex., l’opinion divergente du juge Kassio Nunes Marques émise le 11/01/2023 dans l’Inquérito n° 4.879, disponible sur :  https://portal.stf.jus.br/processos/detalhe.asp?incidente=6237443 (consulté le 29/01/2022).

[10] Cf. STF, Tribunal Pleno, ADI n° 5.540/MG, relator: Min. Edson Fachin, data da decisão: 03/05/2017, par. 4, disponible sur : https://portal.stf.jus.br/processos/detalhe.asp?incidente=4995078 (consulté le 29/01/2022).

[11] La « nécessité » de cette mesure, prise après la déclaration de l’intervention fédérale, a été remise en question dans l’opinion divergente du juge André Mendonça dans la décision du 11/01/2023 dans l’Inquérito n° 4.879, disponible sur : https://portal.stf.jus.br/processos/detalhe.asp?incidente=6237443 (consulté le 29/01/2022).

[12] La solution adoptée dans la décision analysée ne va pas sans rappeler les décisions provisoires que le STF avait prises dans le cadre de l’ADPF n° 519. Ces décisions, citées explicitement par le juge Moraes, sont disponibles sur : https://portal.stf.jus.br/processos/detalhe.asp?incidente=5469789 (consulté le 29/01/2023).

[13] C. Rocha de Barros, « Moraes é quem as instituições designaram contra o golpismo de Bolsonaro » in Folha de São Paulo, 21/01/2023, disponible sur : https://www1.folha.uol.com.br/colunas/celso-rocha-de-barros/2023/01/moraes-e-quem-as-instituicoes-designaram-contra-golpismo-de-bolsonaro.shtml  (consulté le 23/01/2022).

 

 

 

 

Crédit photo: Marcelo Camargo / Agência Brasil — CC BY 4.0