L’ÉTAT DE NON-URGENCE EST DÉCLARÉ. LA NORMALISATION DE L’ETAT D’EXCEPTION DANS LE DISCOURS ET DANS LA PRATIQUE ITALIENS Par Nicoletta Perlo
Le 11 avril 2023, le Conseil des ministres italien a déclaré l’état d’urgence pour une durée de six mois au vu d’une arrivée massive de migrants depuis le début de l’année. Ce régime d’exception, introduit en 1992 par la loi instituant le Service national de Protection civile, est appliqué désormais de façon systématique pour faire face aux phénomènes les plus variés, qu’ils soient caractérisés, ou non, par une réelle urgence. Un véritable système normatif parallèle, dérogatoire au droit commun, réglemente désormais plusieurs secteurs, parmi lesquels la gestion des flux migratoires. De façon assez surprenante, cette fois, le ministre de l’Intérieur a expressément affirmé l’inexistence d’une urgence migratoire, en érigeant l’état d’urgence en « modèle » technocratique, managérial, de solution des problèmes.
On the 11th of April 2023, the Italian Council of Ministers declared a state of emergency for a period of six months in view of a massive arrival of migrants since the beginning of the year. This exceptional regime, introduced in 1992 by the law establishing the National Civil Protection Service, is now applied systematically to deal with the most varied phenomena, whether or not they are characterized by a real emergency. A real parallel normative system, derogating from ordinary law, now regulates several sectors, including the management of migratory flows. Surprisingly, this time the Minister of the Interior expressly affirmed the non-existence of a migratory emergency, setting up the state of emergency as a technocratic, managerial « model » for solving problems.
Par Nicoletta Perlo, MCF HDR, Université Toulouse I Capitole
« Nous avons décidé d’instaurer l’état d’urgence en matière d’immigration afin d’apporter des réponses plus efficaces et plus rapides à la gestion des flux migratoires »[1]. C’est ainsi que le 11 avril 2023, la Présidente du Conseil des ministres italien, Giorgia Meloni, a, à la fois, annoncé un état d’urgence pour une durée de six mois sur tout le territoire national, et justifié cette décision au vu de l’arrivée de 31 200 migrants depuis le début de l’année 2023, ce qui constituerait une augmentation de 300 % par rapport à l’année dernière. Comme le ministre de l’Intérieur Piantedosi l’a précisé quelques jours après, l’urgence concerne l’exigence d’accueillir les migrants dans des structures adaptées et « dignes »[2], les centres italiens et européens (les hotspots) étant actuellement dans l’incapacité de recevoir les migrants qui débarquent illégalement sur les côtes siciliennes et calabraises.
Pour ce faire, l’ordinanza de nomination du commissaire délégué à l’état d’urgence, adoptée le 16 avril 2023, confie au préfet Valerio Valenti la mission de coordonner les activités visant à accroître la capacité du système d’accueil, « en créant des structures temporaires, dans lesquelles sont assurés la nourriture, le logement, les vêtements, les soins médicaux et la médiation linguistico-culturelle »[3].
À la lecture des déclarations officielles, l’on pourrait penser qu’il s’agit d’un état d’urgence poursuivant un but humanitaire : les conditions d’accueil, soudainement, se seraient empirées à cause d’une augmentation imprévisible des migrants illégaux, ce qui rendrait nécessaire une intervention rapide que seule l’administration, libérée des lenteurs parlementaires, pourrait mettre en œuvre.
Or, qu’il nous soit permis de douter, à la fois, de la condition de l’urgence et de la finalité humanitaire.
En ce qui concerne le premier aspect, les conditions d’accueil dégradées, sinon indignes, des migrants en Italie sont autant structurelles que le phénomène migratoire lui-même. En plus des rapports rendus par les associations de défense des droits de l’homme sur la condition des migrants dans les hotspots italiens[4], deux condamnations de l’Italie par la Cour européenne des droits de l’homme, l’une de 2016[5] et l’autre, très récente, du 30 mars 2023[6], font état de traitements inhumains et dégradants (art. 3 CEDH), de violations des droits à la liberté, à la sécurité (art. 5 §§ 1, 2 e 4 CEDH) à la circulation (art. 2 prot. 4 CEDH), à l’intérieur notamment de l’hotspot de l’île de Lampedusa.
Au regard du but prétendument humanitaire arboré par le gouvernement italien, celui-ci représenterait un revirement très surprenant de la part d’une coalition dominée par un parti postfasciste, qu’instrumentalise tout particulièrement la lutte contre l’immigration pour répondre aux attentes de son électorat d’extrême droite.
Dès les premiers jours suivant l’entrée en fonction du nouveau gouvernement (le 22 octobre 2022), la politique des « ports fermés » inauguré par le gouvernement Conte en 2018, et consistant à refuser aux navires des ONG qui sauvent les migrants en mer de débarquer dans les ports italiens, a été à nouveau appliquée. Puisque par le passé la justice pénale a affirmé à plusieurs reprises la légalité des actions des navires humanitaires[7], et qu’à l’heure actuelle une seule procédure pénale est en cours à l’encontre non d’une ONG mais de l’ancien ministre de l’Intérieur Matteo Salvini pour le délit de séquestration de migrants avec circonstances aggravantes, le gouvernement Meloni s’applique maintenant à baliser juridiquement sa politique répressive. Il le fait à coup de décrets-lois. Tout d’abord, le décret-loi n°1/2023 – déjà converti par la loi n°15 du 24 février 2023 – qu’impose une nouvelle réglementation pour les activités des ONG qui effectuent des opérations de sauvetage dans la Méditerranée centrale. De façon très habile, la loi dépénalise les comportements interdits, en prévoyant des sanctions administratives, en faisant en sorte que le contrôle de légalité du juge judiciaire soit contourné. Ensuite, le décret-loi n°20/2023, qui a fait suite à la tragédie de Cutro, où 94 migrants ont perdu la vie, entend restreindre fortement les garanties des demandeurs d’asile et les droits des migrants. Au cours de la conversion en loi, la majorité parlementaire a proposé un amendement visant à supprimer la « protection spéciale », un titre de séjour accordé aux demandeurs d’asile qui ne peuvent pas bénéficier des deux autres formes d’asile : le statut de réfugié et la protection subsidiaire pour les ressortissants de pays en guerre.
La déclaration de l’état d’urgence doit alors être analysée à l’aune de cette politique migratoire répressive, fondée sur la logique de la défense des frontières et sur la lutte contre « le remplacement ethnique », selon l’expression très évocatrice, utilisée récemment par le ministre de l’Agriculture Francesco Lollobrigida[8].
Une présentation rapide de l’état d’urgence italien et de ses applications permet de comprendre que, tout comme en France, celui-ci représente désormais un « modèle » de gestion de crises réelles ou fictives. Un « modèle » qui bouscule en profondeur les sources du droit en créant un système normatif parallèle, dérogatoire à la loi, caractérisé par la prééminence de l’exécutif et de l’administration (I). Appliqué au phénomène migratoire, l’état d’urgence est à la fois un instrument du discours politique et un mécanisme normatif puissant pour renforcer des mesures contestables du point de vue du droit constitutionnel et international (II).
I. Le « modèle » italien de l’état d’urgence
À la différence de la Constitution française, la Constitution italienne ne prévoit pas d’états d’exception. L’état d’urgence a été institué relativement tard, en 1992, par la loi n°225 qu’institue en même temps le Service national de protection civile.
La loi prévoit que le Conseil des ministres, sous la proposition du Président du Conseil ou d’un ministre, face à « des calamités naturelles, des catastrophes ou d’autres événements qui, en raison de leur intensité et de leur étendue, doivent être gérés avec des moyens et des pouvoirs extraordinaires », délibère l’état d’urgence. Le Conseil, sans besoin de ratification parlementaire, détermine la durée et l’étendue territoriale de l’état d’urgence par rapport à la nature et à la qualité des évènements. Lorsque l’état d’urgence s’applique au territoire national, la durée ne peut pas dépasser les 12 mois. En cas de prorogation de l’état d’urgence, la ratification parlementaire s’impose.
La conséquence principale de l’état d’urgence est, on le sait, le bouleversement de la séparation des pouvoirs et des sources du droit. Tout comme en France, le gouvernement décide seul de mesures à effet immédiat, à commencer par la nomination du commissaire délégué qui doit coordonner les interventions nécessaires. Les ordinanze – actes administratifs de l’urgence – peuvent ainsi déroger aux lois en vigueur, dans le respect des principes généraux de l’ordre juridique[9].
Si l’élaboration de la loi sur la protection civile de 1992 constituait une tentative ambitieuse d’encadrer et de rationaliser les actions face à des évènements exceptionnels, les interventions législatives successives ainsi que la pratique ont rendu l’instrument de l’état d’urgence plus ambigu et incertain.
Sur le plan normatif, d’une part, en 2001 et en 2005, les cas d’urgence ont été élargis aux « grands événements » rentrant dans la compétence du département de la protection civile et aux « interventions à l’étranger dérivant de calamités ou d’événements exceptionnels ». D’autre part, en 2008, les ordinanze adoptées pendant l’état d’urgence ont été soustraites au contrôle de la Cour des comptes.
L’imprécision de la définition normative de l’urgence a eu pour conséquence que, dans la pratique, l’état d’urgence a été déclaré dans les domaines les plus divers, même ceux qui ne sont pas véritablement caractérisés par l’imprévisibilité et l’exceptionnalité : des tremblements de terre aux risques volcaniques, des inondations à l’urgence des poubelles, de la surpopulation carcérale à l’urgence des transports, de l’urgence de la communauté nomade à l’urgence de la lagune de Venise, de l’urgence sanitaire du Covid-19 à l’urgence migratoire. Actuellement, 20 états d’urgence sont en cours sur le territoire italien.
En outre, les prorogations des états d’urgence, d’année en année, font que des secteurs entiers sont désormais réglementés exclusivement par le gouvernement, soustraits à tout contrôle parlementaire. Ainsi, le caractère temporaire des mesures d’urgence se perd et l’urgence se stabilise.
La gestion des flux migratoires rentre à plein titre dans ce « système normatif parallèle », selon la définition du constitutionnaliste Cesare Pinelli[10]. Utilisé pour la première fois dans les années 1990 pour faire face à l’arrivée massive des citoyens albanais sur les côtes des Pouilles, l’état d’urgence migratoire a été déclaré en 2002 et prorogé jusqu’au 31 décembre 2011. Neuf ans d’état d’urgence pour « poursuivre les activités de lutte contre et de gestion face à l’arrivée de citoyens extracommunautaires »[11] !
Le recours systématique au régime d’urgence en la matière montre, d’une part, l’échec de cette approche réglementaire face à un phénomène structurel, désormais largement prévisible, qui devrait être traité par des politiques de longue durée ; d’autre part, ce recours marque la volonté, dangereuse, des gouvernements de garder la main sur un phénomène très sensible socialement et qui constituent, de ce fait, un enjeu crucial de la campagne électorale.
Or, par la déclaration de l’état d’urgence en avril 2023, le gouvernement Meloni contribue à consolider davantage les tendances à la normalisation de l’urgence en matière migratoire et, plus en général, à l’érection de l’état d’urgence en « modèle », banalisé, de gestion des crises.
II. L’instrumentalisation de l’état d’urgence par l’exécutif
La nouvelle déclaration de l’état d’urgence migratoire détourne les finalités normatives de ce régime. D’une part, la banalisation de l’exception sert l’intérêt d’un discours technocratique, qui se veut aseptisé et désidéologisé (a). D’autre part, ce même discours sert à cacher la volonté bien politique de l’exécutif de maîtriser de façon exclusive la réglementation en matière migratoire, en se soustrayant à tout contrôle parlementaire et juridictionnel (b).
A. La réduction de l’état d’urgence à une solution technique
La déclaration de l’état d’urgence de 2023 s’accompagne d’un double discours, une double justification, qui, bien qu’à l’apparence contradictoire, sert finalement la même cause politique : légitimer l’adoption de mesures dérogatoires au droit commun.
Le premier discours est celui classique de la nécessité absolue d’adopter des mesures immédiates et exceptionnelles face à « l’invasion » des côtes italiennes. « 300% d’arrivées en plus par rapport à l’année dernière », répètent comme un mantra les différents responsables politiques, tout en soulignant l’insuffisance des aides européennes et l’indifférence des autres États de l’UE. L’argument de l’urgence présente ainsi l’intérêt de neutraliser un débat politique qui, surtout après la tragédie du naufrage de Cutro en février 2023, a contribué à construire une unité à gauche, tous les partis de l’opposition s’étant mobilisés pour la défense des droits des migrants. Face à l’urgence, qui est un argument « technique », les divisions politiques perdent une partie de leur sens.
Le second discours est plus original et mérite d’être analysé de façon plus approfondie.
Quelques jours après la déclaration de l’état d’urgence, le ministre de l’Intérieur, en réagissant aux critiques de la Conférence des évêques italiens, s’est livré à des affirmations très surprenantes. En effet, en se contredisant par rapport au discours sur l’urgence tenu quelques jours auparavant, le ministre a déclaré qu’« En Italie, n’existe pas une alarme ou une urgence immigration ». Il explique alors différemment la nécessité du régime d’urgence : « L’état d’urgence que le gouvernement a adopté n’est rien d’autre qu’une formule technique, c’est le modèle auquel nous avons eu recours aussi pour les réfugiés venant de l’Ukraine et je crois que personne ne pensait qu’il existait vraiment une urgence relative aux flux provenant de l’Ukraine. C’est tout simplement une formule technique pour faire en sorte que le nombre d’institutions qui peuvent s’occuper de ce phénomène s’élargisse et que des procédures accélérées, simplifiées puissent être mises en œuvre »[12].
Le ministre a donc remplacé l’argument de l’urgence – qui n’existerait pas – par la réduction du régime de l’état d’urgence à un instrument technique normalisé. Si cela a peut-être servi à apaiser les évêques, en revanche, les juristes (et tous les citoyens italiens) ont de quoi s’inquiéter.
Le ministre et ancien préfet Piantedosi, présenté précisément par Giorgia Meloni comme un expert, choisi en raison de ses compétences et non de son affiliation politique, joue pleinement son rôle de technocrate. Pour lui, l’état d’urgence est une solution technique comme une autre qui peut être appliquée, indépendamment de l’existence d’une urgence, lorsque l’exécutif ressent l’exigence de « procédures accélérées et simplifiées ». L’état d’urgence serait alors un « modèle » managérial de problem solving et, de ce fait, tout débat politique autour de son instauration serait anéanti. La technocratie remplace, à l’apparence, le politique afin de déresponsabiliser le gouvernement pour des choix qui sont, en réalité, le fruit de décisions hautement politiques.
Or, la banalisation de l’état d’urgence non seulement dans la pratique, mais aussi dans le discours politique peut produire des conséquences très graves en ce qu’elle légitime la concentration des pouvoirs dans les mains de l’exécutif et l’affaiblissement des contrôles juridictionnels.
B. L’évitement des contrôles parlementaire et juridictionnel
Avec les recours systématiques aux décrets-lois, aux décrets législatifs et aux questions de confiance, l’état d’urgence participe au renforcement de l’exécutif au détriment du pouvoir législatif. S’il s’agit là d’une tendance commune à plusieurs États européens, en Italie, cela s’explique aussi à l’aune de l’exigence des gouvernements soutenus par des majorités parlementaires instables de poursuivre leur action politique. C’est en ce sens que l’état d’urgence est érigé en « modèle » permettant de dépasser les difficultés liées au régime parlementaire italien.
L’expérience de l’état d’urgence sanitaire du Covid-19 a certainement marqué une étape importante, d’une part, dans la prise de conscience par l’exécutif des facilités liées à ce régime et, d’autre part, dans l’acceptation par l’opinion publique de la légitimité d’un exécutif tout puissant.
Désormais, la législation de l’urgence apparaît comme trop contraignante pour un exécutif qui parle de façon décomplexée de « procédures simplifiées et accélérées ». Tout d’abord, l’adoption des décrets-lois a été encadrée assez strictement par la Cour constitutionnelle italienne. En outre, la conversion en loi de ces décrets peut conduire – comme c’est le cas actuellement pour le décret-loi n°20/2023 – à des longs débats parlementaires qui risquent de re-politiser une thématique, celle de l’immigration, qui, on l’a vu, doit demeurer d’ordre technique.
En revanche, les actes administratifs adoptés en raison de l’état d’urgence présentent l’avantage d’être déliés de tout contrôle parlementaire. L’ordinanza ou le décret du Président du Conseil des ministres (qui est l’acte qui a été utilisé pour régir la crise du Covid-19) sont des actes administratifs réglementaires – pouvant prévoir donc des normes générales et abstraites – qui, une fois autorisés ex ante par la loi, ne subissent plus aucun contrôle parlementaire ex post.
La quasi-absence de contrôle parlementaire se solde avec les difficultés d’effectuer un contrôle juridictionnel rapide des actes en question. L’expérience du régime d’urgence sanitaire l’a montré : à cette occasion, les juges administratifs, judiciaires et constitutionnel n’ont pas pu intervenir rapidement pour contrôler des actes administratifs qui, pour faire face à la pandémie, ont restreint les droits et les libertés des citoyens.
La faiblesse du contrôle juridictionnel tient, tout d’abord, aux critères de répartition des compétences entre les juridictions ordinaire et administrative. À la différence de la France, en Italie, le critère de répartition est fondé sur le bien qui doit être protégé. Les droits subjectifs relèvent de la compétence exclusive du juge ordinaire ; en revanche, l’« intérêt légitime » – c’est-à-dire l’intérêt de l’individu qui se trouve face à l’Administration à ce que celle-ci agisse dans le respect de la loi – relève de la compétence exclusive du juge administratif. Par conséquent, en Italie, des procédures juridictionnelles d’urgences telles que le référé-liberté ou le référé-suspension, qui ont permis au juge administratif français de limiter les atteintes excessives de l’exécutif aux droits et libertés en période d’urgence sanitaire, n’existent pas.
Pendant la période pandémique, le juge administratif italien s’est limité essentiellement à régler des conflits de compétence entre l’État central et les autonomies locales et régionales.
En ce qui concerne le contrôle de constitutionnalité, l’absence de contrôle a priori et de recours direct n’ont pas permis à la Cour constitutionnelle italienne de vérifier la conformité à la Constitution de la loi qui a autorisé le gouvernement à régir l’urgence pandémique. Ce n’est que deux ans après, à partir de 2021, que la Cour s’est prononcée d’abord sur des conflits de compétence entre l’État et les régions (arrêt n°37/2021), ensuite sur le modèle de gestion de la pandémie (n°198/2021 et 127/2022), et, plus récemment, sur les obligations vaccinales contre le Covid-19 (n°14-15-16/2023).
Bien qu’il soit toujours hasardeux de faire des prévisions, il y a des fortes chances que les actes adoptés pendant l’urgence migratoire ne soient contrôlés que bien plus tard, au détriment de l’effet utile des décisions juridictionnelles.
En conclusion, le cas italien montre clairement comment une loi de l’exception peut se transformer progressivement en une réglementation à caractère fondamental et général, un instrument présenté comme indispensable pour gouverner. Cette transformation ne s’est pas produite aujourd’hui, mais elle est le résultat d’une pratique de banalisation poursuivie par les pouvoirs publics dans le temps, indépendamment de la couleur des majorités politiques. Toutefois, ce qui est nouveau – et effrayant -, c’est que la pratique s’accompagne désormais d’un discours prétendument technocratique qui théorise l’existence d’un « régime d’exception-modèle », à mettre en œuvre par-delà même l’existence d’une urgence.
C’est alors, peut-être, bien plus derrière le visage neutre d’un ministre technocrate, que derrière les boutades révisionnistes de certains membres du gouvernement, que se cachent les pulsions postfascistes pouvant réellement, dans le temps, atteindre l’ordre démocratique italien.
[1]https://finanza.repubblica.it/News/2023/04/12/migranti_il_governo_delibera_lo_stato_di_emergenza_cosa_cambia-3/
[2] https://www.interno.gov.it/it/emergenza-migranti-ministro-piantedosi-analizza-fenomeno
[3] https://www.ilpost.it/2023/04/16/valerio-valenti-commissario-stato-emergenza-migranti/
[4] V. : https://www.amnesty.it/rapporto-hotspot-italia/
[5] CEDH, Khlaifia et autres c. Italie (16483/12), 15 déc. 2016.
[6] CEDH, J.A. et autres c. Italie (21329/18).
[7] V. C. Siccardi, I diritti costituzionali dei migranti in viaggio, Ed. Scientifica, Naples, 2021.
[8] https://www.ilsole24ore.com/art/lollobrigida-aiutare-nascite-no-sostituzione-etnica-schlein-attacca-parole-sapore-suprematista-AErTvuID
[9] Cour const., arrêt n°127/1995.
[10] C. Pinelli, « Un sistema parallelo. Decreti-legge e ordinanze d’urgenza nell’esperienza italiana », Dir. pubb., 2009, p. 332.
[11] DPCM du 17 décembre 2010, prorogeant d’un an l’état d’urgence.
[12]https://www.repubblica.it/cronaca/2023/04/14/news/piantedosi_emergenza_immigrazione-396165337/ L’italique est de l’auteur.
Crédit photo : Laurin Schmid / SOS MEDITERRANEE