La réforme du régime politique italien souhaitée par Giorgia Meloni : l’élection directe du chef de l’exécutif comme antidote à l’ingouvernabilité chronique ? Par Anna Maria Lecis Cocco Ortu
La Présidente du Conseil italienne, Giorgia Meloni, a exprimé sa volonté de mettre en place un « semi-présidentialisme à la française », pour mettre fin à l’instabilité chronique qui affecte la vie politique italienne. Face à l’opposition annoncée par toutes les autres forces politiques sur l’élection directe du Chef de l’État, le dialogue sur la réforme des institutions se poursuit aujourd’hui autour de l’élection directe de l’autre tête de l’exécutif, le Premier ministre, par la mise en place de ce qui serait un régime néo-parlementaire ou de « premierat ». Pourtant, une telle réforme ne semble pas en mesure de garantir au système politiques italien les effets escomptés en termes de stabilité et d’efficacité politiques.
The Italian Head of Government, Giorgia Meloni, declared she wanted to establish a “French-style semi-presidentialism”, in order to put an end to the chronic instability affecting Italian political system. Faced with the opposition announced by all the other political forces on the direct election of the President, the dialogue on the institutional continues today on the direct election of the other head of the executive, the Prime Minister, through the establishment of a neo-parliamentary system. However, such a reform does not seem able to guarantee the Italian political system the expected effects in terms of political stability and efficiency.
Par Anna Maria Lecis Cocco Ortu, Maîtresse de conférences en droit public à Sciences Po Bordeaux – CED
Après les élections du 25 septembre 2022, remportées par la coalition de droite guidée par Giorgia Meloni, la leader du parti d’extrême droite Frères d’Italie, s’est rouvert, en Italie, le débat sur la réforme des institutions.
Lors de sa déclaration de programme devant la Chambre des députés le 26 octobre 2022, G. Meloni, fraichement nommée Présidente du Conseil, a exprimé sa volonté de réviser la Constitution pour mettre en place un « semi-présidentialisme à la française », à travers l’introduction de l’élection directe du Chef de l’État[1]. Le 9 mai 2023, elle a convoqué les leaders des partis d’opposition pour en discuter. Face à l’opposition annoncée par toutes les autres forces politiques sur l’élection directe du Président, le dialogue sur la réforme des institutions se poursuit aujourd’hui autour de l’élection directe de l’autre tête de l’exécutif, le Premier ministre, par la mise en place de ce qui serait un régime néo-parlementaire ou de « premierat », pour reprendre la définition utilisée dans le débat public italien. Cheval de bataille de la droite guidée par l’actuelle Présidente du conseil depuis plusieurs années[2], il s’agit en réalité d’une question ancienne qui revient cycliquement dans le débat italien sur les réformes institutionnelles (I). Pourtant, une telle réforme ne semble pas en mesure de garantir au système politique italien les bienfaits souhaités en termes de stabilité et d’efficacité politiques (II).
I. La tentation récurrente de l’élection directe d’une des têtes de l’exécutif
L’élection directe d’une des têtes de l’exécutif a été souvent envisagée comme antidote au principal défaut structurel du régime politique italien, à savoir son incapacité à générer des gouvernements stables et en mesure de mener de manière efficace un programme politique annoncé en amont aux électeurs.
La Constitution italienne de 1948 a mis en place un régime parlementaire caractérisé par une faible rationalisation et par l’élection directe des deux assemblées parlementaires dans le cadre d’un bicamérisme égalitaire. Ces éléments constitutionnels, conjointement à d’autres facteurs inscrits dans la loi, à l’image du mode de scrutin proportionnel à correctif majoritaire, ou propres au contexte social et historique, comme la fragmentation politique et la forte opposition idéologique entre les forces politiques, ont conduit à l’instabilité ministérielle que tout observateur de la vie politique italienne connait très bien (68 gouvernements en 75 ans, avec souvent des changements de majorité politique au cours de la même législature ou avec l’investiture de gouvernements dits « techniques » soutenus par des larges coalitions). Si le passage d’un mode de scrutin proportionnel pur à des mécanismes mixtes proportionnels à correctifs majoritaires a légèrement prolongé la durée de vie des gouvernements à partir de 1994, le constat de l’instabilité et de l’inefficacité gouvernementales n’a pas profondément changé.
Des correctifs de ce système parlementaire avaient été envisagés à partir des années 1980. Ils prônaient tantôt l’introduction d’autres dispositifs de rationalisation (comme la motion de censure constructive), tantôt l’investiture directe d’une des têtes de l’exécutif comme chef de la majorité parlementaire, dont l’effet escompté serait une plus grande stabilité gouvernementale grâce à la bipolarisation de la vie politique que l’élection directe du Président ou du Premier ministre est censée favoriser. Néanmoins, l’attachement au régime parlementaire ainsi qu’une certaine méfiance à l’égard des révisions constitutionnelles portées par des majorités politiques (et non trans-partisanes), ont condamné à l’échec toute modification du régime politique.
Dans ce contexte, le débat sur l’élection directe du Président ou du chef du gouvernement est aujourd’hui relancé par la droite, qui y voit un remède à l’instabilité gouvernementale à travers un double renforcement de l’exécutif, aussi bien en termes de légitimité démocratique – grâce à l’élection directe d’une de ses têtes – qu’en termes de compétences dans les relations avec le Parlement, grâce à l’attribution de pouvoirs d’arbitrage, à commencer par celui de dissolution, qui serait attribué à l’organe exécutif élu au suffrage universel direct. Une telle réforme pourrait-elle mettre fin à l’ingouvernabilité chronique de l’Italie ? Rien n’est moins sûr.
II. Un antidote inadapté au système politique italien
Il y a lieu de douter que l’élection directe d’une des têtes de l’exécutif assurerait au système politique italien la stabilité et l’efficacité souhaitées, ces conditions dépendant d’une série de facteurs, électoraux certes, mais aussi politico-culturels et sociaux.
L’idée de pouvoir transplanter en Italie le semi-présidentialisme à la française[3] par effet des modifications constitutionnelles envisagées, comme initialement souhaitée par la Présidente du conseil G. Meloni, est le fruit soit d’une certaine incompréhension du système français soit d’une utilisation abusive des modèles. En effet, il convient de noter que, parmi les nombreux systèmes considérés comme formellement semi-présidentiels, seule la France fonctionne vraiment selon le modèle souhaité par G. Meloni. Dans les autres pays, l’on observe davantage une tendance parlementaire à degré variable sans véritable emprise présidentielle[4], bien que les tendances récentes à la régression démocratique dans plusieurs pays adoptant ce modèle invitent à remettre en cause ce constat[5]. S’agissant ensuite de l’élection directe du Premier ministre, l’expérience du régime néo-parlementaire israélien en vigueur entre 1992 et 2001 ne semble pas constituer un exemple vertueux[6]. Maintenue uniquement pour trois élections (1996, 1999 et 2001), l’élection directe du Premier ministre n’avait pas atteint l’objectif d’assurer une plus grande stabilité, ne parvenant pas à empêcher la fragmentation politique de la Knesset.
Dans le système politique italien, aussi réfractaire qu’il est à la gouvernabilité et à l’émergence de majorités nettes et solides malgré les correctifs majoritaires apportés au mode de scrutin au fil des années[7], l’élection directe du Président ou du Premier ministre serait difficilement en mesure d’apporter la stabilité et l’efficacité souhaitées. De surcroît, une telle réforme entrainerait un fort déséquilibre dans les relations entre le gouvernement et le Parlement, par effet du renforcement de l’exécutif, selon une tendance à la personnalisation et à la concentration du pouvoir dans les chefs des exécutifs récemment répandue dans les démocraties contemporaines.
Par ailleurs, si les échanges entre les représentants politiques se poursuivent en dehors des hémicycles parlementaires, une réforme portant sur l’élection directe du Président ou du Premier ministre ne semble pas, dans les circonstances actuelles, avoir des chances d’aboutir. Pour réviser la Constitution, l’art. 138 du texte constitutionnel italien prévoit une procédure plutôt lourde. Tout d’abord, deux approbations des assemblées en deux délibérations successives sont nécessaires, séparées d’un intervalle d’au moins trois mois entre la première et la deuxième. Lors de la seconde délibération, la majorité absolue des membres de chaque chambre est requise. La réforme ainsi approuvée par le parlement est ensuite soumise au référendum si un cinquième des membres d’une chambre ou 500 000 électeurs ou cinq assemblées régionales en font la demande dans les trois mois qui suivent sa publication, à moins que la loi constitutionnelle n’ait été approuvée, lors de la seconde délibération, par chacune des Chambres à la majorité des deux tiers de ses membres.
Or, les précédentes propositions de révision portant sur le régime politique ayant été soumises au référendum ont été rejetées par les électeurs (en 2006 et en 2016), à l’exception de celle portant sur la réduction du nombre des parlementaires (qui ne touchait pas au fonctionnement des institutions). Pour ne pas se heurter à cette résistance, due à un sens de protection par l’opinion publique italienne du régime politique prévu par la Constitution, la Présidente du conseil a affirmé vouloir travailler de concert avec les autres forces politiques, pour parvenir à une réforme susceptible d’être approuvée par la majorité des deux tiers. C’est la raison pour laquelle l’élection directe du Président a, pour l’instant, été abandonnée au profit de celle du Premier ministre, qui trouverait pour sa part le soutien, en plus de la majorité gouvernementale, des parlementaires du centre sous l’égide de Matteo Renzi. L’objectif des deux tiers des membres de chaque assemblée semble difficile à atteindre, mais le débat autour de cette réforme est en train de prendre une certaine ampleur même dans la doctrine, qui essaie de suggérer des pistes de compromis. Ainsi, même au sein du centre-gauche représenté par le Parti démocrate, certains sont ouverts à un « premierat non électif », dans lequel les électeurs voteraient pour une coalition en soutien d’un Premier ministre annoncé (méthode qui rappelle la réforme voulue par Berlusconi et rejetée par référendum en 2006).
Seul le temps nous dira s’il s’agit de l’énième « saison des réformes » sans réforme ou si une majorité trans-partisane pourra se réunir autour d’une nouvelle réorganisation des institutions politiques italiennes. Entretemps, force est de constater que les solutions sont encore une fois recherchées dans le renforcement de la personnalisation du pouvoir plutôt que dans le renforcement de l’institution parlementaire.
[1] Déclaration de programme de la Présidente du Conseil Giorgia Meloni devant la Chambre des députés, 26 octobre 2022: https://www.governo.it/it/articolo/le-dichiarazioni-programmatiche-del-governo-meloni/20770.
[2] Voir la proposition de loi constitutionnelle n° 716 déposée à la Chambre des députés au cours de la législature précédente, le 11 juin 2018, et rejetée le 10 mai 2022 (https://documenti.camera.it/leg18/pdl/pdf/leg.18.pdl.camera.716.18PDL0015210.pdf).
[3] La notion de régime semi-présidentiel nous parait en réalité insatisfaisante, à la fois d’un point de vue théorique et aussi du point de vue de son utilité pour identifier des régimes politiques différents, combinant aux deux caractères formels attribués à ce régime – l’élection directe du Chef de l’État et le rapport de confiance entre Gouvernement et Parlement – d’autres éléments spécifiques susceptibles de déterminer l’équilibre et le fonctionnement du système institutionnel (voir encore récemment à ce propos A. Gaillet, « Regard critique sur une catégorie constitutionnelle », Pouvoirs, vol. 184, n° 1, 2023, p. 7). Néanmoins, nous l’utilisons ici puisqu’il s’agit du terme utilisé dans le débat italien (même si parfois il est inexplicablement remplacé par le terme « présidentialisme » malgré le maintien de la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement…).
[4] A. Le Divellec, « Introuvable ‘‘semi-présidentialisme’’», Pouvoirs, vol. 184, n° 1/2023, p. 151.
[5] Ibidem. Voir aussi A. Iancu, A. Tacea. « Le semi-présidentialisme dans les régimes post-soviétiques : triomphe et régression démocratique », Pouvoirs, n° 1/2023, p. 107.
[6] Ce type d’élection existe en Italie au niveau régional, accompagné par la règle du simul stabunt simul cadent, impliquant la dissolution de l’assemblée législative en cas de démission de l’exécutif, avec des effets variables en termes de stabilité.
[7] Certains des correctifs majoritaires apportés au mode de scrutin proportionnel, par ailleurs, ont été déclarés inconstitutionnels par la Cour constitutionnelle lorsque, par l’attribution d’une prime majoritaire à partir d’un seuil trop bas de suffrages obtenus, ils comportaient une distorsion excessive du résultat électoral et, par conséquent, portaient une atteinte disproportionnée aux principes de représentativité et d’égalité des suffrages. Voir la décision n°1/2014, commentée par E. Bottini «Le juge et la (re)définition de la démocratie : l’arrêt n°1/2014 de la Cour constitutionnelle italienne », Jus Politicum, n° 13 ainsi que la décision n° 35/2017, sur laquelle nous nous permettons de renvoyer à A.M. Lecis Cocco Ortu, « La loi électorale après le contrôle de la Consulta : que reste-t-il de l’Italicum ? », La lettre d’Italie, n° 10, mars 2017, p. 27.
Crédit photo : Gouvernement italien, CC by NC SA 3.0