Que reste-t-il du principe d’un pays, deux systèmes ? L’introduction (controversée) d’une nouvelle loi de sécurité nationale à Hong Kong

Par Virginie Kuoch

<b> Que reste-t-il du principe d’un pays, deux systèmes ? L’introduction (controversée) d’une nouvelle loi de sécurité nationale à Hong Kong </b> </br> </br> Par Virginie Kuoch

Durant l’été 2020, la loi sur la sécurité nationale de Hong Kong a été adoptée par l’Assemblée populaire nationale chinoise puis promulguée par le parlement local, le Conseil législatif de la Région administrative spéciale de Hong Kong. Sur le fondement de l’article 23 de la Loi Fondamentale de Hong Kong, « mini-constitution » du système juridique hongkongais, une nouvelle loi ayant le même objet a été adoptée et promulguée par l’organe législatif local le 19 mars dernier. L’introduction de ce nouvel instrument juridique dont le but est de prévenir, réprimer et punir les actes et activités mettant en danger la sécurité nationale de Hong Kong fait l’objet de nombreuses interrogations notamment celle de son contenu. Est-elle plus répressive que celle adoptée par Pékin il y a deux ans ? Quid de l’éventuel conflit entre les deux lois?

 

The Law of the People’s Republic of China on Safeguarding National Security in the Hong Kong Special Administrative Region has been adopted by the Standing Committee of the National People’s Congress and promulgated by the local parliament, the Legislative Council in the summer of 2020. On the ground of Article 23 of the Basic Law of Hong Kong, Hong Kong’s “mini-constitution”, a new law on the same topic has been adopted and promulgated by the local legislative body on March 19th. The introduction of this new legal instrument which aim is to prevent, suppress and punish acts and activities that endanger Hong Kong’s national security, has raised several questions, notably concerning its content. Is it being more repressive than the one adopted by Beijing two years ago? What about a possible conflict between the two laws?

 

Par Virginie Kuoch, Doctorante et ATER en droit constitutionnel comparé, IRJS, Ecole de droit de la Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

 

 

Contexte historique et juridique de l’article 23 de la Loi fondamentale

L’introduction d’une loi portant sur la sécurité nationale sur le territoire de Hong Kong n’est pas une question nouvelle. Elle est même une exigence constitutionnelle prévue par l’article 23 de la mini-constitution de Hong Kong. Ce dernier dispose que la région administrative spéciale de Hong Kong adoptera ses propres lois afin d’interdire tout acte de trahison, de sécession, d’édition, de subversion contre le Gouvernement central ou de vol de secrets d’État, pour interdire aux organisations ou organes politiques étrangers de mener des activités politiques dans la Région et enfin pour interdire aux organisations ou organes politiques de la Région d’établir des liens avec des organisations ou organes politiques étrangers[1]. Cette obligation constitutionnelle est une manière de garantir l’autonomie de l’ancienne colonie britannique vis-à-vis de ses affaires internes et donc de préserver le principe d’« un pays, deux systèmes ». En 2003, le gouvernement hongkongais a tenté d’introduire une telle législation sur le fondement de cet article. Cependant, plus de 500 000 personnes sont descendues dans les rues afin de protester contre l’adoption de celle-ci. Ces rassemblements ont rapidement conduit au retrait du projet. Les gouvernements se succédant, aucun n’a réintroduit un projet de loi sur la sécurité nationale. Il a fallu attendre 2019, à la suite des manifestations contre le projet de loi d’extradition vers la Chine, pour que cette fois-ci, l’organe central de Pékin considère urgente l’introduction d’une telle législation pour éviter d’éventuels rassemblements à l’avenir.

 

Le 28 mai 2020, l’Assemblée populaire nationale (APN), organe suprême du système politique chinois, retardée par la pandémie de la COVID-19, a adopté une décision visant à prendre les mesures nécessaires pour établir et améliorer le système juridique et les mécanismes d’application du droit chinois pour la région administrative de Hong Kong afin de sauvegarder la sécurité nationale, et pour prévenir, arrêter et punir conformément à la loi, les actes et les activités mettant en danger la sécurité nationale. Par la suite, son comité permanent (CPAPN) a été chargé de prendre une loi en ce sens. Pour appliquer celle-ci sur le territoire hongkongais et sur le fondement de l’article 18 de la Loi fondamentale de Hong Kong[2], le CPAPN a décidé de l’inclure dans l’annexe III de la mini-constitution hongkongaise. Cet article permet l’application de certaines lois chinoises sur le territoire de l’ex-colonie britannique. Le premier procès pour violation de la loi chinoise de sécurité nationale a eu lieu en 2021[3]. Alors que le procès est toujours en cours, Jimmy Lai, fondateur du journal Apple Daily, est accusé de collusion avec un pays étranger ou avec des éléments extérieurs pour mettre en danger la sécurité nationale, infraction prévue aux articles 29 et 30 de la loi chinoise de sécurité nationale[4]. En ce début d’année 2024, le gouvernement a décidé de débattre à nouveau de la mise en œuvre de l’article 23 de la mini-constitution, qui impose au Gouvernement de Hong Kong de légiférer pour sanctionner pénalement sept infractions listées, celles-ci visant des comportements individuels contraires à la sécurité de l’État. Un document de plus de 100 pages a été adressé à la population hongkongaise le 30 janvier 2024, lui laissant ainsi un mois pour exprimer son opinion. Le 19 mars dernier, la loi de sécurité nationale a été adoptée et promulguée à l’unanimité par le parlement local composé de députés pro-Pékin. Aux infractions prévues par la loi chinoise de sécurité nationale de 2020 ont été ajoutées d’autres infractions dans la nouvelle loi de 2024 (I). Ces différences dans le contenu de ces deux lois mènent certainement à des conflits d’interprétation à l’avenir, qui ne peuvent être ignorés (II).

 

 

I. Le contenu de la nouvelle loi de sécurité nationale

La loi chinoise de sécurité nationale de 2020 prévoit quatre infractions : la sécession, la subversion, les activités terroristes, ainsi que la collusion avec les forces étrangères. La nouvelle loi hongkongaise vient compléter celle de 2020 en introduisant des infractions qui n’existaient pas dans le texte précédent. La troisième partie de la loi porte sur l’infraction de l’insurrection et l’incitation à la mutinerie. Les infractions liées aux secrets d’États et à l’espionnage sont prévues dans la quatrième partie. Il est important de noter que la notion de secret d’État est entendue plus largement et comprend non seulement l’aspect politique, mais également l’aspect économique, ainsi que l’aspect technologique. Le sabotage mettant en danger la sécurité nationale est également une nouvelle infraction ajoutée dans la loi hongkongaise. De plus, la partie 6 de la loi prévoit l’infraction des immixtions externes en vue de mettre en danger la sécurité nationale.  

 

Un autre élément vivement contesté dans la loi de 2020 est sa portée extraterritoriale. L’article 38 de la loi adoptée par Pékin prévoit que cette dernière s’applique aux infractions commises en dehors du territoire hongkongais et par toute personne ne disposant pas du statut de résident permanent[5]. Cet élément d’extraterritorialité se retrouve également dans la loi de sécurité nationale de 2024. En effet, pour chaque infraction, il est expressément indiqué que la loi s’appliquera aux actes commis à l’extérieur du territoire, par un hongkongais, ou par toute personne disposant d’une entreprise établie à Hong Kong.

 

Enfin, de la même manière que dans la loi de sécurité nationale de 2020, la peine la plus haute, à savoir, la réclusion criminelle à perpétuité, peut être prononcée à l’encontre des auteurs d’insurrection, contre ceux qui incitent les membres de l’armée chinoise à la mutinerie, et également prononcée envers les responsables de sabotage en cas de collusion avec des forces étrangères.

 

La nouvelle loi de sécurité nationale proposée par le gouvernement hongkongais n’est cependant pas tout à fait identique à la loi adoptée par Pékin en 2020. D’éventuels conflits d’interprétation peuvent se manifester.

 

 

II. Les éventuels conflits entre la loi chinoise de sécurité nationale et la loi hongkongaise de sécurité nationale

La loi de 2020 prévoit que seul l’organe permanent de l’Assemblée populaire nationale est compétent pour interpréter sa propre loi. En revanche, la loi de sécurité nationale hongkongaise ne contient aucun article portant sur l’interprétation de celle-ci. De manière logique et comme le prévoient les articles 11[6] et 158 de la Loi fondamentale[7], ainsi que la jurisprudence constante et peu contestée[8], les juridictions hongkongaises sont compétentes pour vérifier la compatibilité de la loi par rapport à la Loi fondamentale. Par ailleurs, il n’est pas non plus contesté que la loi doit être conforme à la Bill of Right Ordinance, ayant valeur constitutionnelle et dont les articles sont semblables à celles du Pacte international des droits civils et politiques. Toutes les lois hongkongaises doivent être conformes à ce traité international comme le prévoit l’article 39 de la Loi fondamentale[9].

 

Si la compétence des juridictions hongkongaises n’est pas contestée, elle n’est pas exclusive. D’une part, selon le premier paragraphe de l’article 158 de la Loi fondamentale, l’interprétation de celle-ci est également entre les mains de l’organe permanent de Pékin[10]. D’autre part, le même article prévoit dans son troisième paragraphe que le juge suprême hongkongais doit saisir l’organe législatif de Pékin pour interprétation s’il la considère nécessaire et si l’interprétation concerne une disposition entrant dans les compétences du comité permanent, c’est-à-dire si elle porte sur toutes les questions qui ne relèvent pas de l’autonomie de Hong Kong.  Ainsi, il est tout à fait envisageable que lorsqu’un litige porte sur la conformité de la loi de sécurité nationale hongkongaise à la Loi fondamentale, le comité permanent de l’Assemblée populaire nationale se saisisse de la question, soit de sa propre initiative, soit à l’initiative des juges de Hong Kong.

 

Enfin, une autre question se pose en matière de contrôle judiciaire de la loi. La loi de sécurité nationale récemment adoptée doit être conforme à la Loi fondamentale. Doit-elle l’être vis-à-vis de la loi de sécurité nationale chinoise de 2020 ? Existe-il une hiérarchie entre les deux textes ? Plusieurs hypothèses peuvent être avancées :

  1. Si la loi hongkongaise de 2024 doit être conforme à la loi chinoise de 2020, cela reviendrait à affirmer la primauté des lois chinoises sur le système juridique hongkongais et donc, la valeur supra-législative de celles-ci, ce qui susciterait très probablement l’approbation du gouvernement chinois.
  2. Dans le cas inverse, si la loi chinoise de 2020 doit être conforme à la loi hongkongaise de 2024 et donc à la Loi fondamentale, le juge hongkongais devra contrôler cette conformité. Cette solution provoquerait l’opposition de Pékin, qui ferait usage de son pouvoir d’interprétation pour contredire l’interprétation retenue par le juge hongkongais.

 

 

Conclusion

En 2020, le Comité permanent de l’Assemblée populaire nationale, conscient du caractère urgent de la question, a adopté une loi pour la sécurité nationale de Hong Kong. Quatre ans plus tard, le gouvernement hongkongais, a à son tour, introduit une loi de sécurité nationale sur le fondement de l’article 23 de la Loi fondamentale. À la différence du texte adopté par Pékin, cette loi est explicite et plus précise quant aux différentes infractions sanctionnées, en reconnaissant notamment de nouvelles infractions, qui viennent compléter celles déjà prévues par la loi de sécurité nationale de 2020. Par ailleurs, on ne peut pas ignorer certaines ressemblances, par exemple la peine à perpétuité pour certaines infractions ou encore le caractère extraterritorial de la loi.  Ces différences peuvent alors être à l’origine de conflits d’interprétation. La loi de sécurité nationale adoptée en 2020 est une loi chinoise, prise par l’organe suprême chinois. Celle de mars 2024 est une loi hongkongaise adoptée par le parlement local. Lors d’un conflit entre les deux, le comité permanent de l’assemblée populaire nationale restera la dernière instance compétente pour l’interpréter. Que reste-il du principe d’« un pays, deux systèmes » ?  Plus grand chose.

 

 

 

[1] Article 23 de la Loi fondamentale hongkongaise : « The Hong Kong Special Administrative Region shall enact laws on its own to prohibit any act of treason, secession, edition, subversion against the Central People’s Government, or theft of state secrets, to prohibit foreign political organizations or bodies from conducting political activities in the Region, and to prohibit political organizations or bodies of the Region from establishing ties with foreign political organizations or bodies ». Disponible en ligne : https://www.basiclaw.gov.hk/en/basiclaw/chapter2.html (consulté le 03 avril 2024).

[2] Article 18 de la Loi fondamentale hongkongaise : « […] National laws shall not be applied in the Hong Kong Special Administrative Region except for those listed in Annex III to this Law. The laws listed therein shall be applied locally by way of promulgation or legislation by the Region ». Disponible en ligne : https://www.basiclaw.gov.hk/en/basiclaw/chapter2.html (consulté le 03 avril 2024).

[3]HKSAR and Tong Ying Kit [2021] HKCFI 2200: https://legalref.judiciary.hk/lrs/common/search/search_result_detail_frame.jsp?DIS=137456&QS=%28tong%2Bying%2Bkit%29&TP=RV

[4] Articles 29 et 30 de la Loi de sécurité nationale de 2020.

[5] Article 37 de la loi chinoise de sécurité nationale « This Law shall apply to offences under this Law committed against the Hong Kong Special Administrative Region from outside the Region by a person who is not a permanent resident of the Region ».

[6] Article 11 de la Loi fondamentale hongkongaise: « No law enacted by the legislature of the Hong Kong Special Administrative Region shall contravene this Law. » Disponible en ligne : https://www.basiclaw.gov.hk/en/basiclaw/chapter1.html (consulté le 3 avril 2024).

[7] Article 158 de la Loi fondamentale hongkongaise : « […] The Standing Committee of the National People’s Congress shall authorize the courts of the Hong Kong Special Administrative Region to interpret on their own, in adjudicating cases, the provisions of this Law which are within the limits of the autonomy of the Region ».  Disponible en ligne: https://www.basiclaw.gov.hk/en/basiclaw/chapter8.html

[8] Ng Ka Ling & others and Director of Immigration [1999] 2 HKCFAR 4.

[9] Article 39 de la Loi fondamentale hongkongaise. Disponible en ligne : https://www.basiclaw.gov.hk/en/basiclaw/chapter3.html  (consulté le 3 avril 2024).

[10] Article 158 de la Loi fondamentale hongkongaise: « The power of interpretation of this Law shall be vested in the Standing Committee of the National People’s Congress ». Disponible en ligne : https://www.basiclaw.gov.hk/en/basiclaw/chapter8.html (consulté le 3 avril 2024).