Finances publiques, pratique du référendum et Ve République

Par Arnaud Marthinet

<b> Finances publiques, pratique du référendum et Ve République </b> </br></br> Par Arnaud Marthinet

La proposition du Premier ministre d’un référendum sur un plan d’ensemble pour réduire le déficit des finances publiques et la dette, relayée par le Journal du Dimanche le 4 mai dernier, n’en finit pas de faire réagir la classe politique française. Elle soulève par ailleurs, et une fois encore, la question du champ du référendum en France sous la Ve République, ainsi que son application au domaine des finances publiques.

 

The Prime Minister’s proposal for a referendum on a comprehensive plan to reduce the public finance deficit and debt, reported in the Journal du Dimanche on May 4, continues to provoke reactions from the French political class. It also raises, once again, the question of the scope of referendums in France under the Fifth Republic, and their application to the field of public finance.

 

Par Arnaud Marthinet, Administrateur territorial

 

 

 

L’idée d’un référendum sur un « plan d’ensemble » pour réduire le déficit des finances publiques et la dette émise par le Premier ministre, relayée dans la presse le week-end prolongé du 1er mai 2025, a occasionné de nombreuses réactions sur la scène politique française. Au-delà du débat en opportunité politique de recourir ou non à un tel mécanisme de notre Constitution, le sujet questionne l’usage du référendum pour des sujets d’ordre financiers et budgétaires en France sous la Ve République.

 

 

Si le champ du référendum sous la Ve République a connu un progressif élargissement, son périmètre objectif demeure strictement délimité par la Constitution

Selon l’article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958 : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Si le référendum n’apparaît pas initialement dans le discours de Bayeux prononcé par le Général de Gaulle le 16 juin 1946, son mécanisme se trouve en définitive inscrit aux articles 11 (lois ordinaires) et 89 (lois de révisions) de la Constitution de 1958. Outre les articles 60 et 61 relatifs aux prérogatives du Conseil constitutionnel, le référendum se trouve également mentionné par l’article 88-5 (projet de loi autorisant la ratification d’un traité relatif à l’adhésion d’un État à l’Union européenne). Le terme ne se confond pas avec celui de « consultation », privilégié aux articles 72-1 (création d’une collectivité à statut unique ou modification de son ressort territorial), 72-4 (organisation d’une collectivité d’outre-mer), et 77 pour notamment autoriser la consultation spéciale calédonienne du 8 novembre 1998 relative aux accords de Nouméa, et les scrutins sur l’accession à la pleine souveraineté qui en découlent. En effet, et conformément à l’article 3 de la Constitution, seul le référendum permet au peuple français d’exercer pleinement sa souveraineté. Il ressort d’ailleurs des travaux du comité d’experts et du comité interministériel des mois de juin et juillet 1958 sur le projet de nouvelle Constitution, qu’il fut même un temps envisagé que puisse être soumis au référendum tout projet de loi refusé par le Parlement[1]. Comme le souligne alors Michel Troper : « Naturellement, le prestige et l’influence du Parlement risquait d’en souffrir. Là encore, les ministres issus de la IVe République protestèrent et obtinrent des concessions »[2]. L’avis du conseil consultatif constitutionnel sur l’avant-projet de Constitution du 20 août 1958 traduit en ce sens le compromis trouvé[3]. Finalement, le recours au référendum se trouve limité dans son domaine matériel (ratification d’un traité, loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics). Son usage sous la Ve République demeure également sporadique (huit recours à l’article 11 depuis 1958, dont quatre sous le mandat du Général de Gaulle), voire délicat en raison d’un partage des rôles entre le Premier ministre ou les Présidents des Assemblées (proposition de référendum), et le Président de la République (décision de soumettre à référendum ou non la proposition reçue).

 

La faible utilisation du référendum n’est en outre pas spécifique à la France. Toutes les constitutions ne prévoient d’ailleurs pas la possibilité de recourir à un tel mécanisme (Etats-Unis d’Amérique par exemple). La Constitution de certains États prévoit également et uniquement des référendums consultatifs, et non normatifs (Espagne)[4]. En outre, le champ du référendum n’est, dans aucun État illimité – si permissif soit-il comme la Confédération suisse souvent citée à titre d’exemple[5]. En France, le Conseil constitutionnel veille à la régularité des opérations de référendum depuis 1958 (art. 60 de la Constitution). Il opère un contrôle de constitutionnalité a priori des propositions de loi mentionnées à l’article 11 (i.e. procédure dite « d’initiative partagée » depuis 2008), avant qu’elles ne soient soumises au référendum (art. 61 de la Constitution).

 

Une première tentative d’élargissement du champ de recours au référendum souhaitée en 1984 par le Président Mitterrand s’était heurtée aux réticences du Sénat[6]. Un second projet amendé fut également déposé sur le Bureau du Sénat en 1993, mais jamais discuté[7]. Ces projets ont finalement trouvé un aboutissement lors des révisions du 4 août 1995 et du 23 juillet 2008, qui ambitionnent alors tous deux de revitaliser le référendum. Son champ se trouve ainsi étendu aux « réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent ».

 

A première vue, les sujets budgétaires et fiscaux semblent donc exclus en France du champ du référendum dit « ordinaire » de l’article 11 de la Constitution.

 

 

Le débat et le vote du budget apparaissent par ailleurs, en France sous la Ve République, comme des objets relevant de la compétence exclusive du Parlement

L’article 47 alinéa 1 de la Constitution dispose que : « Le Parlement vote les projets de loi de finances dans les conditions prévues par une loi organique ». Ces dispositions se retrouvent également en des termes analogues pour les textes de financement de la sécurité sociale à l’article 47-1. Il découle de ces dispositions que les débats ainsi que les textes budgétaires relèveraient de la compétence exclusive du Parlement sous la Ve République. La technicité des débats, les arbitrages et compromis à construire et nécessaires pour parvenir à la construction d’un texte budgétaire cohérent, ainsi que la procédure budgétaire régie par des règles précises posées par la loi organique du 1er août 2001, semblent autant d’éléments difficilement conciliables avec la pratique du référendum.

 

Le Conseil constitutionnel, par sa décision du 25 octobre 2022 a par ailleurs confirmé qu’une proposition de référendum, qui aurait pour seul objet l’instauration ou la modulation d’une taxe, ne pourrait être considérée comme relevant d’une réforme relative à la politique économique de la Nation au sens de l’article 11 de la Constitution[8].

 

Cette impossibilité de recourir au référendum sur les sujets de fiscalité place l’État à l’abri de débordements démagogiques, qui pourraient être agités via le recours au référendum. Il est à ce titre intéressant de noter que les constitutions de plusieurs États voisins en Europe écartent explicitement les sujets budgétaires et fiscaux du champ des référendums (Italie et Portugal par exemple)[9].

 

Les référendums en France adoptent par ailleurs un caractère normatif (projet ou proposition de loi) et ne peuvent prendre la forme d’une proposition conçue en termes généraux qu’il reviendrait au législateur de traduire à la suite de son adoption. L’idée d’un référendum sur un « plan d’ensemble » pour réduire le déficit des finances publiques et la dette, tel que proposé par le Premier ministre apparaît ainsi difficilement concevable, compte tenu uniquement du caractère abstrait en l’état d’une telle proposition.

 

 

Usages envisagés et aujourd’hui possibles du référendum en France

Il apparaît difficile de dessiner les contours d’objets référendaires susceptibles d’entrer dans le cadre élargi dessiné par les lois constitutionnelles de 1995 et 2008, tant la logique d’ouverture du champ du référendum en France semble inversement proportionnelle à son usage. En effet, on ne compte ces trente dernières années qu’un seul usage du référendum ordinaire, le 29 mai 2005[10], fondé sur le périmètre d’application de l’article 11 de la Constitution alors en vigueur depuis 1958 (« (…) autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions »).

 

A considérer que ce « nouveau » champ exclut donc bien les textes financiers et budgétaires, ses contours demeurent à ce jour encore largement à tracer. Le Conseil constitutionnel en a éclairé un angle dans sa décision du 9 mai 2019, laquelle précise que relève bien de l’un des objets mentionnés au premier alinéa de l’article 11 de la Constitution, la proposition de référendum visant à conférer à une entreprise publique les caractères d’un service public national au sens de l’alinéa 9 du Préambule de la Constitution de 1946[11]. En outre, si le Conseil précise que des sujets d’ordre social peuvent également entrer dans le champ d’application de l’article 11 de la Constitution (accès aux prestations par exemple), ceux-ci ne doivent pas contrevenir à d’autres exigences constitutionnelles[12].

 

Le sujet de l’environnement, ajouté à l’article 11 de la Constitution lors de la révision du 23 juillet 2008, et dont la prégnance des enjeux se fait de plus en plus forte ces dernières années y compris sur le plan judiciaire en France, pourrait également constituer un vaste espace à explorer en matière de pratiques référendaires.

 

 

 

[1] Documents pour servir à l’histoire de l’élaboration de la Constitution du 4 oct. 1958, t. 1 : Des origines de la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 à l’avant-projet du 29 juil. 1958, Paris, La Documentation française, 1987, 613 p.

[2] P. Brunet, F. Hamon et M. Troper, Droit constitutionnel, LGDJ, 45e éd., 2024, pp. 478 et s.

[3] JO n° 0194 du 20 août 1958, pp. 7739 et s. : « Le comité a pris acte, avec satisfaction, de l’esprit dans lequel est conçu le référendum qui ne peut être, en aucun cas, un moyen d’opposer le Gouvernement aux Assemblées. Pour souligner ce caractère, il a prévu, à la majorité, qu’il ne pourrait jouer que pendant la durée des sessions ».

[4] Art. 92 al. 1 de la Constitution espagnole du 27 déc. 1978 : « Les décisions politiques d’une importance particulière pourront être soumises à tous les citoyens par la voie d’un référendum consultatif ».

[5] V. en ce sens l’art. 139 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avr. 1999.

[6] Projet de loi constitutionnelle portant révision de l’art. 11 de la Constitution – Référendum sur les garanties fondamentales en matière de libertés publiques (présenté en conseil des ministres le 19 juil. 1984).

[7] Projet de loi constitutionnelle portant révision de la Constitution du 4 oct. 1958 et relatif à l’organisation des pouvoirs publics (présenté en conseil des ministres le 10 mars 1993).

[8] Cons. const., 25 oct. 2022, n° 2022-3 RIP, Proposition de loi portant création d’une contribution additionnelle sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises.

[9] Art. 75 al. 2 de la Constitution de la République italienne du 27 déc. 1947 : « Le référendum n’est pas admis pour des lois fiscales et budgétaires » ; Art. 115 al. 4 de la Constitution de la République portugaise du 25 avr. 1976 : « Les matières suivantes sont exclues du domaine du référendum : (…) b) les questions et les actes dont le contenu est d’ordre budgétaire, fiscal ou financier (…) ».

[10] D. n° 2005-218 du 9 mars 2005 décidant de soumettre un projet de loi au référendum.

[11] Cons. const., 9 mai 2019, n° 2019-1 RIP, Proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris.

[12] Cons. const., 11 avril 2024, n° 2024-6 RIP, Proposition de loi visant à réformer l’accès aux prestations sociales des étrangers.

 

 

Crédit photo : Ugo Bronszewski / CC BY 2.0