Une assemblée vaine et bavarde*: regard critique sur la XVe législature

Par Jean-Jacques Urvoas

<b> Une assemblée vaine et bavarde*: regard critique sur la XVe législature </b> </br> </br> Par Jean-Jacques Urvoas

La marginalisation du Parlement est un lieu commun de la Ve République. Pourtant depuis la révision de 2008, en s’appuyant sur ses nouvelles prérogatives, l’Assemblée avait cherché à rééquilibrer le fonctionnement des institutions. C’est avec ce mouvement de « reparlementarisation fonctionnelle » qu’a brutalement rompu l’actuel quinquennat. Sans jamais réellement maquiller ses intentions, le Président aura systématiquement organisé le contournement des assemblées, cherchant en permanence à les vider de leur substance législative et les privant constamment de toute capacité de contrôle.

 

The marginalization of the Parliament is a commonplace of the 5th Republic. Yet since the 2008 revision, the Assembly had sought to rebalance the institutions by relying on its new prerogatives. The current five-year term has abruptly broken with this « functional reparliamentarisation » movement. The President, who never really disguised his intentions, has systematically organized the bypassing of the assemblies, constantly sought to empty them of their legislative substance and deprived them of any oversight capacity.

 

Par Jean-Jacques Urvoas, maitre de conférences HDR en droit public à l’université de Brest (Lab-LEX).

 

 

 

Les statistiques publiées par l’Assemblée nationale sonnent comme des records[2] :  733 jours de séance contre 664 lors de la XIVe législature, 1557 séances contre 1358, 200 173 amendements déposés en séance publique contre 115 200. La majorité sortante pourra d’ailleurs en tirer argument pour nourrir un bilan qui se doit par essence d’être avantageux. La présente contribution sera moins laudatrice, répondant ainsi à Richard Ferrand qui invite à apprécier le rôle du Parlement « en termes qualitatifs plutôt que quantitatifs »[3].

 

En effet, cette législature pourrait s’apparenter à une forme d’éclipse de l’institution parlementaire disparue quasi totalement dans l’ombre de la présidence de la République. En astronomie, un tel phénomène fascine. Mais en matière constitutionnelle, il inquiète car il accentue les déséquilibres caractérisant déjà la Ve République.

 

Rien n’annonçait une telle dépréciation. En 2017, Emmanuel Macron parla fort peu du Parlement, sans doute parce qu’il le connaissait mal. Dans sa campagne éclair, la rénovation démocratique dont il s’était fait le chantre ne concernait pas le Palais Bourbon. Était-ce l’illustration que la délibération n’était pas conciliable avec « le mode agile » de la « start up nation » ? Ou simplement que celui qui allait être « élu par une France dégagiste »[4] voulait rompre avec un système au sein duquel le Parlement occupait une place symbolique ?

 

Reste que si le candidat pouvait ignorer, le chef de l’État fut contraint de l’intégrer. C’est donc comme Président qu’Emmanuel Macron s’intéressa au Parlement. Il lui consacra quelques développements dans ses deux discours devant le Congrès, il lui réserva de nombreuses dispositions dans le projet de loi constitutionnelle qu’il fit déposer le 4 juillet 2018. Et surtout il s’attacha à développer une pratique caractérisant sa présidence par ses singularités. C’est la conjugaison de ces différents paramètres qui permet de dresser un bilan des dommages que ce quinquennat laissera à l’histoire de la Ve.

 

 

1 – L’ambition : un tâcheron législatif

Depuis 2017, une évidence s’est imposée. Le besoin présidentiel de captation du pouvoir nécessitait de contenir le Parlement dans les marges du système institutionnel.

 

Dans ces conditions, la loi ne pouvait être qu’un outil trop précieux pour être laissé à la merci d’une Assemblée inexpérimentée. « Faire la loi » fut de ce fait un impensé macronien. La seule attente exprimée portait sur la recherche de l’efficacité qui ne pouvait être atteinte que par l’accélération des procédures.

 

A/ Un objectif : la quête de l’efficacité

Le slogan claquait comme un défi « être efficace, c’est en finir avec le bavardage législatif »[5] et fut décliné sous des formes diverses. Ce fut d’abord dans son ouvrage qu’Emmanuel Macron répéta qu’il convenait de « prendre des dispositions permettant de lutter efficacement contre le bavardage législatif »[6], ou encore qu’être « efficace, c’est revoir la procédure d’adoption des lois »[7].

 

Puis dans son discours au Congrès le 3 juillet 2017, l’antienne servit de colonne vertébrale au propos. De même, un an plus tard, toujours devant le Congrès, il la reprit pour justifier la révision constitutionnelle qu’il s’apprêtait à présenter.

 

Cependant cette insistance n’avait d’égale que la discrétion des buts devant servir cette efficacité. Or parler d’efficacité sans en définir les objectifs est surprenant car par essence, le terme désigne le caractère de ce qui produit l’effet attendu. Or, jamais le Président ne précisa ce dernier. Dès lors, comment prétendre mesurer cette efficacité ?

 

Un discret élément de réponse est néanmoins contenu dans d’autres propos. Ainsi dans son allocution du 14 juin 2020, le chef de l’Etat résuma la place qu’il réservait à l’Assemblée : « Le Premier ministre et le Gouvernement ont travaillé d’arrache-pied, le Parlement s’est réuni, l’Etat a tenu, les élus de terrain se sont engagés ». Tout était dit, l’unique vocation du Parlement était de se réunir, pas de délibérer, pas de représenter ni de voter. Un rôle clairement formel.

 

Cette présentation ne devait rien au contexte sanitaire dans lequel le discours était prononcé. Elle était au contraire révélatrice d’une approche qui a matricé le mandat. Durant cinq ans, l’Assemblée, devenue une arène dérisoire, a bavardé de tout mais n’a décidé de rien.

 

B/ Une obsession : la nécessité de la rapidité

La nécessité de se presser est devenue dans nos démocraties un phénomène envahissant. Il ne s’agit même plus de gagner du temps mais de « gagner plus de temps »[8]. Mais pour E. Macron cette « chronopolitique » est la condition d’un bon fonctionnement de la démocratie.

 

C’est ainsi que cinq des dix-huit articles du projet de loi constitutionnel visaient à « revisiter » les procédures en vigueur pour raccourcir le temps d’examen des textes. Sa discussion ne dépassa cependant pas le stade de l’étude en commission. Interrompus par l’affaire Benalla, les débats reprirent sur une version modifiée en janvier 2019[9] à la suite du mouvement des gilets jaunes avant que la pandémie du Covid ne vienne l’enterrer définitivement.

 

Si son exposé des motifs n’évoquait qu’une intention d’« actualisation des mécanismes de la Ve République », sa réalité était bien pourtant celle d’une restriction punitive des prérogatives parlementaires[10]. Au gré des articles, tout n’était qu’encadrement, limitation, interdiction. C’était par exemple le cas de la « rationalisation » de la procédure budgétaire ramenée de 70 jours aujourd’hui[11] à 50 jours ou du durcissement des dispositions coercitives de l’article 41 en permettant de « rendre plus effective » l’appréciation par le gouvernement de l’irrecevabilité des initiatives parlementaires, ou encore du resserrement de l’article 45 que le Conseil d’Etat dans son avis du 3 mai 2018 présentera comme une « contrainte importante ».

 

Les attentions sucrées n’y font donc rien : pour le Président l’action doit l’emporter naturellement sur la délibération. Dès lors, la vocation des parlementaires doit se borner à adopter promptement les textes gouvernementaux en les enrichissant le moins possible. Pour reprendre les mots de Pierre Avril, il ne voyait dans l’Assemblée qu’un « tâcheron législatif »[12].

 

 

2 – La pratique : un tabernacle vide

L’Assemblée s’est ainsi limitée à être le bras législatif de la Présidence. Au demeurant, il suffisait de relire René Rémond pour l’anticiper. « On sait toute l’importance au début de tout régime des premières décisions : elles déterminent l’avenir des institutions qui prennent alors, comme un vêtement, un pli qui ne s’effacera plus » écrivait-il en 2002[13]. Or dans le cas d’espèce, l’un des premiers textes adoptés fut la loi d’habilitation portant réforme du code du travail qui contenait cinq ordonnances.

 

Le ton était ainsi donné : non seulement la délibération serait régulièrement sacrifiée, mais en sus, le droit produit ne serait majoritairement pas issu de la loi.

 

A/ Une constance : l’indifférence

Dans son discours devant le Congrès le 3 juillet 2017, le nouveau Président avait annoncé un « Parlement (…) renforcé dans ses moyens. (…) Un Parlement qui travaille mieux ». Mais concrètement, en cinq ans, il est surtout parvenu à le réduire à jouer les utilités, l’Assemblée ne remplissant au mieux qu’une simple fonction de spectateur quasiment muet.

 

Plutôt que de confier la production de la norme au débat contradictoire, ce quinquennat a en effet, choisi de faire écrire la loi par ses administrations. Si 230 textes (hors conventions internationales) furent promulgués, 369 habilitations furent accordées permettant aux gouvernements de prendre 332 ordonnances[14]. Certes, telle ordonnance se justifie naturellement[15] mais jamais le « robinet normatif » n’a été aussi ouvert. Rien n’atteste pourtant que le secret de bureaux parisiens garantisse un contenu d’une meilleure lisibilité que la confrontation publique par des élus du peuple. Ce renoncement législatif est d’autant plus symbolique que la majorité a systématiquement cherché à le valoriser en le présentant comme la marque de son efficacité. Comme si le fait d’abdiquer toute prétention à voter la loi en consentant à la déléguer à l’exécutif ne portait pas un risque d’effet d’hystérèse…

 

L’exercice de contrôle fut pareillement sacrifié. De l’étouffement méthodique de la commission d’enquête sur l’affaire Benalla durant l’été 2018 à la dissolution imposée de la mission d’information sur la crise du Covid-19 en janvier 2021, le bilan du quinquennat frôle l’étisie. Même lors de la création de l’état d’urgence sanitaire en 2020, le Sénat a dû batailler pour obtenir l’adoption d’un amendement garantissant l’accès des parlementaires aux mesures réglementaires ! Inversement, jamais la majorité ne s’est intéressée, par exemple, au caractère de nécessité de certaines mesures restrictives des droits et libertés adoptées au nom de la lutte contre l’épidémie.

 

B/ Une tentation : le contournement

Être la majorité d’un quinquennat est une ascèse surtout pour un groupe dépourvu de tradition et de doctrine dont seule la dévotion au chef de l’Etat cimentait la cohérence. Cela explique pour l’essentiel que les élus LREM aient été contraints d’assumer un véritable inversement de la logique parlementaire. Là où dans le passé, les majorités de droite ou de gauche portaient la voix de leurs électeurs sur les agoras de la République, les élus macronistes se sont contenter de porter la parole du Président auprès des citoyens scellant ainsi l’atrophie de l’Assemblée.

 

Comment alors s’étonner de ce que Denis Baranger a justement baptisé la stratégie du « dépaysement »[16] ? Du « grand débat » à la « conférence citoyenne pour le climat », de la sollicitation d’une « commission indépendante » destinée à réécrire l’article 24 de la proposition de loi « Sécurité globale » dont le contenu était contesté à l’annonce « d’état généraux de la justice » alors que la première lecture du projet de loi « pour la confiance dans l’institution judiciaire » n’était pas terminée, cette multiplication nie la fonction de représentation de la « nation assemblée » pour reprendre les mots de Mirabeau. Sans oublier bien entendu, la décision très discutable de placer le conseil de défense sanitaire comme outil de pilotage de la crise sanitaire, puisque ses travaux étant couverts par le secret défense, ils sont exempts de tout contrôle parlementaire.

 

***

 

Les lumières rallumées par la révision constitutionnelle de 2008 se sont donc éteintes. À bas bruit, s’abîmant durablement au gré des renoncements, l’Assemblée s’est effacée pour se résumer à n’être qu’une « entreprise de scrutin doublée d’une société de conférences » pour parler comme Edgar Faure. Elle est d’ailleurs inexistante dans l’actuelle campagne présidentielle, témoignant par la négative que le Parlement ne pèse plus vraiment dans le fonctionnement institutionnel. A l’inverse, symboliquement mais logiquement, les candidats au mandat suprême rivalisent d’engagements sur le référendum…

 

 

 

[*] Flaubert (G), Dictionnaire des idées reçues, dans Œuvres, t.2, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1952, p.1006.

[2] https://www2.assemblee-nationale.fr/15/statistiques-de-l-activite-parlementaire

[3] Ferrand (R), Préface, in « Plaidoyer pour un Parlement renforcé », Editions Fondation Jean-Jaurès, 2021, p. 1.

[4] Mongin (O), Schmid (L), Emmanuel Macron à contretemps, Bayard, 2022, p. 58.

[5] Révolution, Ibid, p. 255.

[6] Révolution, Ibid, p. 245.

[7] Révolution, Ibid, p. 256.

[8] Bouton (C), Vitesse, accélération, urgence. Remarques à propos de la chronopolitique, Sens-Dessous, vol. 19, n°1, 2017, p. 76.

[9] Projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique, Assemblée nationale, n°2203, 29 août 2019.

[10] Martin (A), La réforme du Parlement, table ronde, in La réforme institutionnelle sous le quinquennat d’Emmanuel Macron, Philippe Claret, Florian Savonitto (Dir), L’Harmattan, 2020, p. 181.

[11] Dont 40 pour l’Assemblée, art. 47 de la Constitution.

[12] Avril (P), Le dévoiement, Pouvoirs, n°64, 1993, p. 141.

[13] Rémond (R), La politique souveraine, la vie politique en France 1879-1939, 2002, Fayard, p. 90.

[14] Chiffres arrêtés au 11 mars 2022.

[15] C’est notamment le cas des 91 ordonnances liées au Covid dont l’adoption répondait parfaitement à l’intention du constituant : permettre de faire face à l’urgence d’une situation imprévisible.

[16] Baranger (D), Une chronique législative : l’article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale, JP Blog, 27 janvier 2021 

 

 

 

Crédit photo: Présidence de la République du Bénin, CC BY-NC-ND 2.0