Un référendum sur le projet de loi travail est-il vraiment inconstitutionnel ?
Le droit du travail n’est pas le seul à être convoqué par les débats sur le projet de loi (dit) El Khomri, le droit constitutionnel finit par l’être aussi. Par les conditions du débat parlementaire et l’utilisation de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, c’est-à-dire son adoption sans vote en première lecture à l’Assemblée nationale et donc considéré comme adopté le 12 mai 2016 d’abord. Mais aussi désormais sur les moyens de mettre un terme au conflit social sur le point de dégénérer en blocage généralisé du pays voire en émeutes contre les forces de l’ordre. Interrogé à la radio sur les moyens institutionnels d’en finir avec les manifestations d’opposition au projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs et la discorde qu’il semble provoquer dans le pays, notamment par une consultation directe des citoyens premiers concernés qui devraient être en droit de trancher, le Premier ministre a déclaré (jeudi 26 mai) qu’il n’était pas possible de recourir au référendum à l’appui de deux arguments bien étranges et, à dire vrai, fort contestables. Le premier est que la réforme du code du travail n’entre pas dans le champ du référendum prévu par la Constitution ; le second qu’il est étranger à ce choix n’ayant aucune part dans la procédure. Les deux arguments sont pour le moins surprenants du point de vue constitutionnel.
D’abord parce que, sur le premier point, comme nul n’est censé l’ignorer, c’est l’article 11 de la Constitution de 1958 qui pose les règles en matière de référendum, notamment son champ d’intervention qui concerne précisément « tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics ou à des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent ». Le projet de loi de réforme portant principalement sur le code du travail peut-il vraiment être considéré comme étranger à la politique sociale de la nation ? La chose est vraiment difficile à soutenir tant le texte est clair, sauf à nier le lien entre politique sociale et droit du travail et contester l’objet même sur quoi le projet de loi dit porter dans son propre exposé des motifs : les réformes concernant simultanément le modèle social, le dialogue social, la démocratie sociale, les relations sociales, la conciliation des « performances économique et sociale », la modernisation sociale, les garanties sociales, l’action sociale, bref, la politique sociale de la nation le tout examiné à titre principal devant la commission des affaires sociales des assemblées. Nulle possibilité ici de jouer sur l’ambiguïté soulevée et entretenue entre « social » et « sociétal » à l’époque des débats sur le mariage pour tous pour rejeter l’hypothèse référendaire en disqualifiant le second par rapport au premier. Le doute est d’autant moins permis que c’est précisément pour ce type de sujet qu’a été pensée et opérée la révision traduite par la loi constitutionnelle 95-880 du 4 août 1995 portant extension du champ d’application du référendum. « L’article 11 de la Constitution qui prévoit la possibilité de soumettre des projets de loi au référendum, limite cette procédure aux textes relatifs à l’organisation des pouvoirs publics et à la ratification des traités. Aussi, est-il proposé d’inclure dans le champ d’application du référendum les projets de loi portant sur les orientations générales de la politique économique et sociale de la nation » pouvait-on lire dans l’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle du 29 juin 1995. Si le refus du référendum relève du choix politique, alors pourquoi ne pas l’assumer plutôt que de le disqualifier et de faire dire à la Constitution ce qu’elle ne dit pas au nom de son respect ?
Ensuite, parce que sur le second point, le Premier ministre joue bien un rôle majeur dans la décision de recourir au référendum : c’est en effet sur proposition du Gouvernement, dont il est le chef, que le président de la République, pendant la durée des sessions – ce qui est bien le cas aujourd’hui – peut décider de soumettre au référendum tout projet de loi sur le domaine précité. Il y a même un régime particulier en ce cas prévu par l’alinéa 2 de l’article 11 reconnaissant le rôle particulier du Gouvernement lorsqu’il est à l’initiative de la proposition : lorsque le référendum est organisé sur proposition du Gouvernement, celui-ci fait, devant chaque assemblée, une déclaration qui est suivie d’un débat.
On ne peut donc que s’étonner de l’analyse du Premier ministre. Le référendum en France serait-il à ce point mal vu des gouvernants français pour que non seulement ils refusent d’y avoir recours mais qu’ils aillent jusqu’à nier son existence et, avec elle, leur propre compétence constitutionnelle ?
Bruno Daugeron, Professeur à l’Université Paris Descartes