Et si la loi de finances n’était pas votée dans les délais ? Par Lucile Tallineau
Ce billet vise, d’une part, à présenter les règles du droit des finances publiques qui encadrent aussi bien l’adoption de la loi de finances que celle de la loi de de financement de la Sécurité sociale, en le faisant de façon systématique et historique, et d’autre part, à examiner comment l’actuel « projet de loi spéciale » tend à surmonter, au moins provisoirement, les difficultés issues de la motion de censure.
This post aims, on the one hand, to present the rules of public finance law that govern the adoption of both the Finance Act and the Social Security Financing Act, in a systematic and historical way, and on the other hand, to examine how the current “special bill” tends to overcome, at least temporarily, the problems arising from the vote of no confidence.
Par Lucile Tallineau, Agrégée des facultés de droit
Dans son allocution télévisée du 5 décembre 2025, le Président de la République, anticipant le retard sur l’adoption de la loi de finances pour 2025, suite à l’adoption d’une motion de censure (article 49-3 de la Constitution) le 4 décembre 2024 entrainant la démission du Gouvernement, a voulu rassurer en invoquant l’intervention d’une « loi spéciale ». Un projet de loi autorisant la perception de l’impôt et le recours à l’emprunt pour l’année a été présenté au conseil des ministres du mercredi 11 décembre. Le fait que le gouvernement soit démissionnaire ne devrait pas interférer. La notion d’affaires courantes n’est pas définie, elle est d’origine prétorienne mais l’urgence est ici indéniable et c’est ainsi que le Conseil d’État l’a compris dans son avis du 9 décembre. Une loi de finances autorisant la perception l’impôt pour le 1er janvier 2025 est indispensable pour assurer « la continuité de la vie nationale ». La « loi spéciale » prévue explicitement au deuxième alinéa de l’article 45 alinéa 2 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) serait cependant élargie puisqu’y figurerait également l’autorisation d’émettre des emprunts. Avec un déficit budgétaire prévisionnel pour 2025 de l’ordre de 150 milliards, le Conseil constitutionnel pourrait difficilement annuler cette loi spéciale compte tenu des circonstances dans lesquelles il a à plusieurs reprises invoqué cette continuité de la vie nationale.
Le texte qui a provoqué la motion de censure n’est pas celui relatif au budget de l’État puisqu’il s’agissait de voter la loi de financement de la Sécurité sociale. A la suite d’une réforme de 1996 (article 47-1 de la Constitution), celle-ci est votée parallèlement au projet de loi de finances, alors que la loi de finances détermine et autorise l’ensemble des ressources et des charges de l’État pour une année. La loi de financement de la Sécurité sociale également annuelle prévoit les objectifs de dépenses des organismes sociaux compte tenu de leurs prévisions de recettes.
L’adoption des deux projets de loi est soumise à des délais précis. Ces projets de loi doivent être déposés au plus tard le premier mardi d’octobre. Leur discussion est encadrée afin de respecter les compétences des deux chambres et permettre une adoption rapide. L’absence de vote dans les délais, c’est-à-dire au 31 décembre, peut, dans les deux cas, permettre au Gouvernement (article 47 et 47-1 de la Constitution) de mettre leurs dispositions en vigueur par voie d’ordonnance.
Le retard dans l’adoption de ces lois financières n’a pas pour autant les mêmes conséquences. La loi de financement sur la Sécurité sociale est, sauf en ce qui concerne les emprunts, exclusivement un instrument de prévision. Il doit se contenter de déterminer les conditions générales de son équilibre financier. Le financement social repose sur l’articulation entre cotisations perçues sur les particuliers, les entreprises et les prestations versées aux particuliers. Les dépenses de Sécurité sociale ne sont pas, en principe, financées par l’impôt. Chaque année le Parlement prévoit le montant des ressources sociales afin de dégager un équilibre mais n’a pas à les « autoriser ».
L’impôt, sans contrepartie déterminée, est en revanche une contrainte qui doit annuellement être consentie dans les démocraties parlementaires. Le consentement annuel de l’impôt a entrainé le contrôle de sa nécessité et le suivi de son emploi. C’est donc à l’occasion du vote du budget que le Parlement donne au Gouvernement, dans un article distinct (article 1er de la loi de finances) l’autorisation de prélever l’impôt pour l’année à venir. Cette autorisation concerne également les collectivités locales et les organismes publics habilités.
Le retard dans les votes des deux lois n’a donc pas les mêmes conséquences. Les prélèvements obligatoires que sont les cotisations sociales et les prestations sociales versées n’ont pas à être autorisées chaque année (les cartes vitales ne seront pas périmées au 31 décembre ! ). En revanche, l’autorisation d’émettre des emprunts est donnée chaque année dans la loi de financement de la sécurité Sociale. C’est donc à juste titre que le projet de loi spéciale de décembre 2024 s’étend de façon large aux emprunts souscrits par plusieurs organismes sociaux habilités à recourir à des mesures non permanentes. On peut regretter cependant que l’annonce de la loi spéciale n’ait pas été accompagnée d’une autre annonce concernant les crédits. Ceux-ci, dans de telles circonstances, doivent être mis à la disposition des ministres par voie de décret de répartition se rapportant aux « services votés ». Ces derniers représentent le minimum de crédits que le gouvernement juge indispensable pour poursuivre l’exécution des services publics dans les conditions approuvées l’année précédente (article 45 de la LOLF).
L’absence de loi de finances au 1er janvier de l’année en cours priverait le Gouvernement de ressources et mettrait ce dernier dans l’incapacité de dépenser, faute de crédits. L’article 47 de la Constitution et l’article 45 de la loi organique relative aux lois de finances actualisée par la loi organique du 28 décembre 2021 ont prévu une telle situation : ils ont consacré des dispositions détaillées en cas d’absence de vote du budget.
On ne peut pas constater l’importance apportées par l’article 47 de la Constitution et l’article 45 de la loi organique sans évoquer les circonstances de l’élaboration des dispositions qui concerne le vote tardif du budget.
Assurer le vote du budget avant le 1er janvier à venir s’avérait difficile sous les 3ème et 4ème Républiques, l’instabilité ministérielle, la longueur des délibérations sur la répartition détaillée des crédits qui intervenait sans cadrage préalable sur une masse globale, faisaient que le budget était rarement voté à temps. Le Gouvernement demandait alors au Parlement de voter des douzièmes provisoires. Dans ce cas, intervenaient, d’une part, une autorisation globale d’ouverture de crédits valable pour un mois et calculée sur la base du douzième des sommes inscrites au budget de l’exercice précèdent et, d’autre part, une autorisation de perception des impôts et taxes sur la base des lois existantes. Il y avait de ce fait, autant de « douzièmes provisoires » que de mois de retard. L’incertitude financière pouvait durer jusqu’en mai. Le désordre financier qui en résultait jetait le discrédit sur les assemblées parlementaires. On dénonçait les discussions stériles menées sans ordre.
La Constitution de 1946, comme les lois constitutionnelles de 1875, reconnaissaient la priorité de l’Assemblée sur la deuxième chambre en matière financière en prévoyant que le projet de loi serait d’abord présenté à l’Assemblée nationale. Mais l’article 16 de la Constitution de la 4ème République prévoyait, en plus, l’intervention d’une loi organique qui devait régler le mode de « présentation » du budget. Celle-ci n’est pas intervenue. Un décret (dit « organique ») à la suite d’une série de délégations de compétence devait la remplacer tardivement. Le décret du 19 octobre 1956, limité à la « présentation » du budget, ne pouvait apporter de solution aux conditions de vote en cas de retard dans l’adoption du texte financier. Ce décret tardif limité à la seule « présentation », élaboré par la sous-commission des lois organiques de l’Assemblée, en collaboration avec l’Université de Paris, devait, du fait de sa substance même, permettre l’adoption, en un temps record, d’un texte très technique de 45 articles. Trois mois seulement se sont écoulés entre la Constitution du 4 octobre 1958 et l’ordonnance portant loi organique relative aux lois de finances du 2 janvier 1959. Cette dernière a été prise dans le cadre, cette fois, d’une habilitation large. L’article 47 de la Constitution dispose en son alinéa premier « Le Parlement vote les lois de finances dans les conditions prévues par une loi organique ».
L’ordonnance de 1959 devait donc proposer une structure du texte de la loi de finances, une définition de son contenu, une réduction importante du nombre des votes en matière de crédit et en particulier préciser les dispositions de l’article 47 de la Constitution concernant les retards dans l’adoption du budget.
La structure et le contenu de la loi de finances s’articulent selon une logique interne qui permet, le cas échéant, de détacher la première partie et de la voter séparément.
La première partie contient les éléments essentiels à savoir l’autorisation, pour l’année de prélever les ressources de l’État ainsi que les impositions de toutes natures affectées à des personnes morales autres que l’État. Le projet de loi doit également fixer le plafond des dépenses et arrêter les données générales de l’équilibre par comparaison au montant des ressources prévues. Il doit également comporter les autorisations relatives aux emprunts. Ces dernières dispositions se comprennent dans la mesure où « les lois de finances déterminent, pour un exercice, la nature, le montant et l’affectation des ressources et des charges de l’État, ainsi que l’équilibre budgétaire et financier qui en résulte » (article 1er de la loi organique). A côté de ces mentions obligatoires, d’autres mesures « peuvent » figurer dans la loi de finances sans risquer d’être annulée comme « cavalier budgétaire ». Ainsi, l’article 34 de la loi organique prévoit que des dispositions fiscales affectées à l’État et qui pourraient d’ailleurs peser sur le calcul global des ressources peuvent figurer dans la loi de finances. Il en va de même concernant « les dispositions relatives à l’assiette, au taux, à l’affectation et aux modalités de recouvrement des impositions de toutes natures affectées à une personne morale autre que l’État ».
Le vote détaillé des crédits réservé à la seconde partie ne peut intervenir qu’une fois votée la première partie. C’est là rompre avec une pratique préjudiciable aux équilibres dans la mesure où le terrain privilégié des parlementaires des Républiques précédentes concernait l’attribution des crédits. Le Conseil constitutionnel a sanctionné cette disposition dans une décision du 24 décembre 1979 qui a annulé la loi de finances pour 1980. En la circonstance le Gouvernement avait engagé sa responsabilité sur l’ensemble du projet, la motion de censure n’ayant pas abouti, la loi de finances avait été considérée comme adoptée. Mais le Conseil Constitutionnel a considéré que la loi organique n’avait pas été respectée. Il eût fallu utiliser l’article 49-3 « successivement » sur les deux parties.
La structure et le contenu de la loi de finances permet de comprendre les procédures complexes prévues en cas de retard dans les votes. A côté de mesures radicales on a voulu préserver, a minima, l’autorisation annelle de l’État de lever l’impôt.
Il s’est agi tout d’abord d’encadrer la procédure législative. Le projet de loi de finances pour le prochain exercice doit être déposé au plus tard le 1er mardi d’octobre accompagné des annexes prévues aux articles 50 et 51 de la LOLF. Il est immédiatement envoyé en commission. La procédure se trouve ralentie depuis 2001 dans la mesure où le projet de loi de finances de l’année ne peut être mis en discussion devant une assemblée avant le vote par celle-ci, en première lecture de la loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l’année qui précède celle de la discussion dudit projet de loi (article 41).
Le débat ne doit pas s’enliser. L’Assemblée nationale doit se prononcer, en première lecture, dans le délai de quarante jours après le dépôt du projet. Le Sénat dispose de 15 jours. Si l’Assemblée nationale n’a pas émis un vote en première lecture sur l’ensemble du projet dans les 40 jours, le Gouvernement saisit le Sénat du texte initial modifié le cas échéant par les amendements votés par l’Assemblée et qu’il a acceptés. Le Sénat doit alors se prononcer dans les 15 jours. Si le Sénat n’a pas émis un vote en première lecture sur l’ensemble du projet dans le délai imparti, le gouvernement saisit à nouveau l’Assemblée nationale du texte soumis au Sénat, modifié éventuellement par les amendements votés par le Sénat prévue à l’article 45 de la Constitution qu’il a acceptés.
Le projet de loi de finances est ensuite examiné selon la procédure accélérée prévue à l’article 45 en provocant la réunion de la commission mixte paritaire après une seule lecture.
Une sanction doit normalement permettre d’accélérer le débat. « Si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de 70 jours, les dispositions du projet peuvent être mis en vigueur par ordonnance ». Dans ce cas le Parlement est dessaisi et les choix du Gouvernement vont s’appliquer. Cette procédure a été exclue lors de l’intervention du chef de l’État, elle peut se montrer dissuasive au cas où les différentes dispositions concernant les retards dans les votes ne donneraient pas de résultats.
Cette mesure extrême qui vise à sanctionner le Parlement en cas de retard n’est pas, en effet, la seule procédure envisagée. La Constitution et la loi organique appréhendent aussi le cas où le retard incomberait au Gouvernement. Elles visent les situations où le dépôt du projet de loi n’aurait pas été fait « en temps utile » pour que la loi puisse être promulguée avant le début de l’exercice. Dans ce cas, selon l’article 47 de la Constitution, « le Gouvernement demande d’urgence au Parlement l’autorisation de percevoir les impôts et ouvre par décret les crédits se rapportant aux services votés ».
Dans cette configuration, l’article 45 de la LOLF vient alors préciser que le Gouvernement dispose de deux procédures. Il peut demander à l’Assemblée nationale, avant le 11 décembre de l’année qui précède le début de l’exercice, d’émettre un vote séparé sur l’ensemble de la première partie de la loi de finances. Ce projet de loi « partiel » est soumis au Sénat selon la procédure d’urgence accélérée. Dans le cas où cette procédure n’a pas été suivie ou n’a pas aboutie, « le Gouvernement dépose avant le 19 décembre de l’année qui précède le début de l’exercice, devant l’Assemblée nationale, un « projet de loi spéciale » l’autorisant à continuer à percevoir les impôts existants jusqu’au vote de la loi de finances de l’année. Ce projet est discuté selon la procédure accélérée ».
Dans une situation inédite, le Conseil constitutionnel a eu à statuer sur le contenu de cette loi spéciale. La loi de finances pour 1980 s’est trouvée annulée le 24 décembre 1979 pour les causes évoquées précédemment à savoir l’absence d’adoption « successive » de la première et la seconde partie. La loi spéciale du 27 décembre autorisait le prélèvement de l’impôt mais également celui des taxes parafiscales par les organismes concernés. Selon l’article 4 de l’ordonnance portant loi organique du 2 janvier 1959, la perception des taxes parafiscales, au-delà de leur première année d’établissement devait être autorisée chaque année dans une loi de finances. Le Conseil constitutionnel en constatant qu’en cas d’annulation du projet pour inconstitutionnalité il n’y avait pas « de disposition constitutionnelle et organique directement applicables », il appartenait « de toute évidence, au Parlement et au Gouvernement, dans la sphère de leurs compétences respectives, de prendre toutes les mesures d’ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale ; qu’ils doivent, pour ce faire, s’inspirer des règles prévues, en cas de dépôt tardif du projet de loi de finances. » Par là même, la loi spéciale qui autorisait « la perception des impôts, produits et revenus affectés à l’État, aux collectivités territoriales, aux organismes publics et organismes divers habilités à les percevoir ainsi que les taxes parafiscales existantes » n’est pas contraire à la Constitution. Elle (doit) être considérée comme une loi de finances, au sens de l’article 47 de la Constitution. Elle en « constitue un élément détaché, préalable et temporaire de la loi de finances pour 1980 ». Depuis, la LOLF a intégré en 2001 les lois spéciales de l’article 45 au sein de la catégorie des lois de finances.
Jusqu’ici les procédures d’urgence ont été utilisées deux fois. L’une en 1962 lors de la discussion du projet de loi pour 1963 dont le dépôt devant le Parlement avait été retardé par les élections législatives de novembre 1962. Une loi « spéciale » devait être votée et les crédits correspondant aux services votés répartis par décret. La seconde fois, les procédures d’urgences ont donc été utilisées lors de l’annulation par le Conseil constitutionnel de la loi de finances pour 1980. La décision du 24 décembre 1979 a laissé l’État sans budget pour l’exercice à venir.
Dans les circonstances actuelles, le projet de loi de finances pour 2025 a été déposé le 10 octobre 2024 devant l’Assemblée nationale et non pas le premier mardi d’octobre. Celle-ci a rejeté la première partie le 12 novembre entrainant le rejet de l’intégralité du texte. Le 13 novembre, la commission des finances du sénat devait commencer l’examen du projet. L’Assemblée nationale aurait dû procéder au vote de l’ensemble le 19 novembre mais ce vote n’a pas pu avoir lieu étant donné le rejet de la première partie. Le Sénat qui devait commencer l’examen du projet le 13 novembre a adopté la première partie le 1er décembre. La procédure prévue par la loi organique et qui vise les dispositions de la 1ème partie ne pouvait pas être utilisée. Le Gouvernement pouvait en effet, avant le 11 décembre, demander à l’Assemblée un vote séparé sur la seule première partie mais dans la mesure où celle-ci l’avait rejeté, en première lecture, ce n’était pas envisageable. Il ne pouvait pas y avoir ici de « loi séparée ». Refus et retard se sont conjugués.
Plusieurs questions sont posées. La première est relative à l’opportunité même de cette loi spéciale. Avec cette procédure, on se place dans le cas où le retard dans le vote serait dû à un défaut du Gouvernement, celui-ci ne l’aurait pas déposé « en temps utile » pour être voté à temps. Certes, le projet a été déposé le 10 octobre (comme celui relatif à loi de financement de la Sécurité Sociale) et non le premier mardi d’octobre (cette année le 1er octobre) comme cela est prévu. C’est un argument qui peut être présenté tant le « temps budgétaire » est compté mais il est évident que l’intervention de la motion de censure en plein débat des textes financiers a aggravé les conditions du vote. Il reste que le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 décembre 1979, face à un cas d’adoption tardive non prévu par la Constitution et la loi organique a admis qu’il fallait « s’inspirer » des règles applicables en cas de dépôt tardif du projet de loi, prévues par la Constitution et l’ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique au nom de la continuité de la vie nationale. On peut difficilement admettre que cette continuité ne soit pas évoquée d’autant plus qu’un gouvernement démissionnaire ne peut mettre en vigueur le budget par voie d’ordonnance.
Autre question posée : le texte de la loi spéciale peut-il contenir des autorisations d’emprunt ? Étant donné le montant des déficits budgétaires, ne pas autoriser le recours à l’emprunt mettrait le Gouvernement dans une situation ingérable. Il y va de notre crédit sur les marchés financiers. On voit difficilement le Conseil constitutionnel sanctionner un tel dispositif quand lui-même parle de « s’inspirer » des dispositions constitutionnelles et organiques en cas de retard dans les votes. Par ailleurs l’autorisation d’emprunter fait partie de la première partie de la loi de finances et, compte tenu des circonstances, elle en constitue une disposition essentielle.
Il reste que l’on peut s’interroger sur l’approbation même de cette loi spéciale. Il s’est trouvé au Parlement une majorité pour voter la motion de censure. Peut-on envisager le refus du texte dans le cas de majorité simple ? Cela nous semble improbable face au chaos qui en résulterait. Rappelons un exemple historique. En 1789, le Tiers État devenu Assemblée nationale a déclaré le 17 juin, à l’unanimité des suffrages exprimés, consentir provisoirement, pour la nation, que les impôts et contributions, quoique illégalement établis et perçus, continuent d’être levés de la même manière qu’ils l’ont été précédemment, et ce, jusqu’au jour de la première séparation de cette Assemblée, de quelque cause qu’elle puisse provenir.
La loi spéciale avec son contenu succinct ne peut être qu’un texte provisoire et il appartiendra au nouveau Gouvernement de faire adopter la loi de finances pour 2025. Pour lui, la question de l’ordonnance peut se poser mais peut-on dire, selon les termes de l’article 47 que le Parlement ne s’est pas « prononcé » dans les 70 jours ? A supposer qu’un décompte précis des jours lui donne cette possibilité, il reste que l’Assemblée nationale a rejeté la première partie de la loi de finances et que la seconde partie ne pouvait être mise en discussion. La motion de censure a été déposée lors du vote du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Si le gouvernement veut maintenir le projet initial, il peut demander une seconde lecture à l’Assemblée sur la première partie d’autant plus que d’importantes mesures fiscales non seulement relatives au barème de l’impôt sur le revenu mais également aux conflits sociaux, en cours, sont contenues dans cette première partie. Si le rejet est maintenu, ce qui risque de se produire, il ne s’agit pas ici d’un simple retard dû à des circonstances extérieures comme dans les deux cas précédents. Dans ces cas, il suffisait au Gouvernent de reprendre son texte initial. La motion de censure, exprimée à l’occasion du vote de loi de financement de la Sécurité sociale, traduit la volonté politique de la majorité de l’Assemblée de mettre le Gouvernement en difficulté. Alors, le nouveau Gouvernement ne peut que recommencer la procédure et déposer un nouveau projet de loi de finances. Le provisoire risque malheureusement de durer.
Crédit photo : Assemblée nationale