La destitution présidentielle à l’épreuve du filtre parlementaire : le contrôle politique de la recevabilité des propositions visant à réunir le Parlement en Haute Cour

Par Robin Delcourt

<b> La destitution présidentielle à l’épreuve du filtre parlementaire : le contrôle politique de la recevabilité des propositions visant à réunir le Parlement en Haute Cour </b> </br> </br> Par Robin Delcourt

Les récentes propositions de résolutions visant à réunir le Parlement en Haute Cour en vue d’engager la procédure de destitution du président de la République ont été déclarées irrecevables par le bureau de l’Assemblée nationale. Ce faisant, celui-ci n’a fait que confirmer la pratique de ses prédécesseurs, adoptant une conception politique de son contrôle.

Recent proposals for resolutions to convene Parliament as a High Court in order to initiate impeachment proceedings against the President of the Republic have been declared inadmissible by the Bureau of the National Assembly. In doing so, the Bureau has merely confirmed the practice of its predecessors, adopting a political approach to its oversight role.

 

Par Robin Delcourt, doctorant contractuel à l’Université Paris-Panthéon-Assas.

 

Les 9 et 11 septembre 2025, ont été déposées à l’Assemblée nationale par des députés de La France insoumise (LFI), dans une rédaction quasi identique, deux propositions de résolution visant à réunir le Parlement en Haute Cour en vue de destituer le président de la République (propositions de résolution n° 1777 et 1780), sur le fondement de l’article 68 de la Constitution. Était reprochée au président de la République son « incapacité à assurer la stabilité des institutions, à respecter la souveraineté populaire et à garantir le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ».

 

 Il s’agit de la troisième tentative d’engager la procédure de destitution du président, après les propositions qui avaient été déposées respectivement par la droite républicaine le 10 novembre 2016 (proposition de résolution n° 4213) et par les « insoumis » le 4 septembre 2024 (proposition de résolution n° 178). Comme celles qui les ont précédées, les deux dernières propositions en date n’ont pas abouti : le bureau de l’Assemblée nationale les a déclarées irrecevables à dix voix contre cinq le 8 octobre dernier. Cette décision est de nature à étonner, dans la mesure où les propositions reprenaient globalement les termes de celle de 2024[1], déclarée pour sa part recevable par ce même bureau. Ce sont donc ici les fondements de cette déclaration qu’il s’agira de mettre à jour, et à travers eux la conception que se fait le bureau de l’Assemblée nationale de son rôle dans l’examen de la recevabilité de telles propositions.

 

Contrôle formel de la recevabilité ou examen préalable au fond ?

 

Comment comprendre le changement de « jurisprudence », si l’on peut dire, du bureau de l’Assemblée ? La déclaration d’irrecevabilité n’étant pas motivée, la recherche de ses fondements n’en est que plus délicate.

 

Il convient à titre préliminaire de rappeler en quoi consiste, à la lecture des textes, ce contrôle de la recevabilité. Les modalités techniques de la procédure de destitution sont fixées par la loi organique du 24 novembre 2014 portant application de l’article 68 de la Constitution. Celle-ci, en son article 2, confie le soin au bureau de l’assemblée saisie d’examiner la recevabilité de la proposition de résolution au regard des conditions posées en son article 1er, qui sont au nombre de deux : d’une part, la proposition de résolution doit être signée par un dixième des membres de l’assemblée concernée, et d’autre part elle doit être motivée et « justifier des motifs susceptibles de caractériser un manquement » du président qui serait manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. C’est ici la seconde condition qui nous intéresse. À la lecture de ces dispositions, ainsi que des travaux préparatoires, il apparaît que le contrôle de la recevabilité que doit exercer le bureau de l’assemblée saisie est de pure forme[2]. Il ne s’agit pas pour lui, en principe, de déterminer la matérialité des faits qui seraient avancés, ni d’exercer un contrôle de la qualification de ces faits, mais seulement de constater l’existence ou non d’une motivation dans la proposition de résolution. Or, indéniablement, cette motivation existe dans celles qui ont été déposées en septembre dernier par La France insoumise. Toutes deux contiennent un exposé des motifs, dans lequel Emmanuel Macron est accusé d’avoir violé les articles 3, 5 et 8 de la Constitution, motifs qu’elles rappellent dans leur dispositif, proposant la destitution du président de la République « en raison du manquement manifestement incompatible avec l’exercice de ses fonctions que constitue son incapacité à assurer la stabilité des institutions, à respecter la souveraineté populaire et à garantir le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ». Indépendamment de la pertinence que l’on peut accorder aux motifs avancés, ainsi qu’à la qualité de la motivation, il est difficile de nier que ces deux propositions étaient bien motivées au sens de l’article 1er de la loi organique de 2014.

 

Dès lors, il est nécessaire de trouver une autre explication à la déclaration d’irrecevabilité rendue par le bureau de l’Assemblée nationale, qui s’écarte de la solution retenue en 2024. Une hypothèse consisterait à opposer deux conceptions juridiques du contrôle de la recevabilité[3]. À la première lecture, précédemment évoquée, d’un contrôle de pure forme tel que le concevait le législateur organique, s’opposerait celle d’un contrôle préalable au fond. En ce sens, le bureau, chargé d’examiner si la proposition « justifie » des motifs susceptibles de caractériser le manquement en cause, se prononcerait sur le sérieux de cette justification. Autrement dit, il exercerait un contrôle restreint de la qualification juridique des faits. Si l’on retient la seconde interprétation, alors la décision du bureau impliquerait qu’entre septembre 2024 et septembre 2025, l’existence de la part du président de la République d’un potentiel « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat » ait cessé d’être caractérisée.

 

Cette explication ne nous semble pas emporter la conviction. Indépendamment de leur pertinence, les propositions de résolutions de 2025 ont en effet pu tirer des évolutions récentes de la crise politique des arguments supplémentaires en faveur d’une telle caractérisation. Alors qu’en 2024 était principalement reproché au président de la République de n’avoir pas nommé « une Première ministre issue de la coalition arrivée en tête des élections des élections législatives », et, d’une manière générale, de ne toujours pas avoir nommé de Premier ministre 46 jours après la proclamation de leurs résultats[4], désormais il est possible d’ajouter à cette liste une latence de 67 jours, ainsi que la nomination persistante de Premiers ministres issus du « bloc central » – Michel Barnier et François Bayrou – ayant rapidement été contraints à la démission par la perte de confiance de l’Assemblée nationale, participant ainsi à l’instabilité politique. S’il s’était prononcé en droit, même en adoptant une conception substantielle de son contrôle, le bureau aurait dû conclure à la même solution qu’en 2024. L’évolution des faits n’est donc d’aucun secours aux fins de comprendre la mutation qui s’est opérée entre la déclaration de recevabilité de 2024 et celle d’irrecevabilité de 2025.

 

Le caractère politique du contrôle de la recevabilité des propositions de résolution

 

Le changement pertinent, en réalité, est celui intervenu le 2 octobre 2025, avec le renouvellement du bureau et la modification de sa composition, qui reflète désormais celle de l’Assemblée nationale, ainsi que sa division. Il est ainsi marquant de constater que les votes relatifs à la recevabilité de la proposition de résolution suivent très précisément les lignes des trois « blocs » – le bloc central, le bloc de gauche et le bloc de droite. Les deux propositions ont en effet été déclarées irrecevables par dix voix contre cinq. Or, la majorité était presqu’exclusivement constituée de membres du centre et de la droite républicaine (Renaissance, Horizons, le MoDem et LR), tandis que les cinq voix favorables étaient toutes issues de la gauche (dont le PS, Les Écologistes et LFI). Les cinq abstentionnistes, quant à eux, appartenaient tous à l’extrême droite (le RN et UDR)[5]. On ne peut que conclure, dans ces conditions, que le vote du bureau de l’Assemblée nationale était un vote à caractère politique, et non un simple examen juridique de la recevabilité des propositions.

 

Il faut voir, dans cette détermination des votes du bureau de l’Assemblée, un clair dévoiement de la procédure telle qu’elle était prévue par le législateur organique. L’examen des propositions par le bureau devait être un examen de pur droit, un contrôle de la recevabilité au sens authentique du terme. Au contraire, c’est un examen politique qui est effectué par le bureau. Celui-ci ne se prononce pas véritablement sur la recevabilité, mais sur ce que l’on pourrait appeler la « prise en considération », ce mécanisme de la Chambre des députés sous la IIIe République qui précédait la discussion d’une proposition de loi, et par lequel une commission spéciale exerçait un filtre politique[6]. Il s’agissait alors non pas de se prononcer en droit, mais en pure opportunité. De même, ce qui a motivé la décision du bureau, c’est simplement le souhait que cette proposition ne soit pas examinée par l’Assemblée. La prise en considération fait ainsi son retour à l’Assemblée nationale[7].

 

Faut-il voir, dans cette pratique du contrôle de la recevabilité des propositions de résolution visant à la réunion du Parlement en Haute Cour, un retour en arrière par rapport à 2024 ? Le débat n’est pas nouveau. Dès 2016, le bureau de l’Assemblée nationale avait déclaré irrecevable la proposition de résolution issue de la droite républicaine, s’attirant la critique d’une partie de la doctrine[8]. La décision de 2024 aurait donc marqué le triomphe de la conception juridique de ce contrôle. Cependant, dans les faits, il semble qu’une telle conception n’ait jamais prévalu. En 2024, la proposition avait certes été déclarée recevable, mais ce vraisemblablement pour des raisons politiques. À l’époque en effet la recevabilité ne l’avait emporté qu’à une courte majorité de 12 contre 10, due à une surreprésentation anormale des partis de gauche au bureau de l’Assemblée nationale – conséquence de l’exclusion du RN et de ses alliés. Or, comme en 2025, les votes s’étaient conformés aux lignes partisanes : les dix membres du centre s’étaient prononcés contre la recevabilité, face aux douze membres du bloc de gauche, qui devaient l’emporter[9]. C’est donc, déjà, la logique partisane qui avait prédominé.

 

De tout cela, on peut conclure que la conception du contrôle de la recevabilité des propositions de résolutions qui a été celle du bureau en octobre 2025 a bien été celle d’un examen politique du texte qui lui était soumis. Il n’y a cependant en cela rien de nouveau, et le bureau n’a fait que confirmer la pratique antérieure. L’on peut désormais craindre que la politisation à l’œuvre dès ce stade de la procédure rejaillisse sur l’ensemble de la procédure de destitution du président de la République.

 

 

[1] Pour une analyse de cette proposition, v. C. Guérin-Bargues, « Retour sur la procédure visant à destituer Emmanuel Macron : l’article 68 pourrait-il devenir un instrument ordinaire du contrôle du chef de l’État ? », Jus Politicum Blog, 21 octobre 2024.

[2] À ce sujet, voir les développements de Mathieu Carpentier dans son billet sur « Le contrôle de la recevabilité des propositions de résolutions visant à réunir la Haute Cour », Blog de la chaire d’études parlementaires, 20 septembre 2024.

[3] Ibid.

[4] Proposition de résolution n° 178 précitée.

[5] Le Monde, « La motion de destitution du président de la République déposée par LFI déclarée irrecevable par le bureau de l’Assemblée nationale », 8 octobre 2025.

[6] Article 36 du règlement de la Chambre des députés du 16 juin 1876.

[7] La prise en considération existe encore aujourd’hui dans un cas très résiduel, au sujet des oppositions ou demandes de rectification des procès-verbaux des séances de l’Assemblée nationale (article 59 du règlement de l’Assemblée nationale).

[8] P. Avril, « Irrecevable, vous avez dit irrecevable ? Sur une étrange décision du bureau de l’Assemblée nationale », Les petites affiches, 3 février 2017, p. 6.

[9] LCP, « La procédure de destitution d’Emmanuel Macron jugée recevable par le bureau de l’Assemblée nationale », 17 septembre 2024.

 

Crédit photo : Sénat