Retour sur le non-lieu accordé aux ministres dans l’affaire de la Covid19. Quelques observations critiques sur « le duo infernal » presse-justice et sur la Cour de justice de la République Par Olivier Beaud

Ce billet résulte de l’étonnement suscité par le fait qu’un grand journal du soir est revenu en octobre 2025, de façon très critique, sur le non-lieu accordé, en juillet 202, aux ministres impliqués dans la gestion de la crise de la Covid19. Ainsi a ressurgi, selon nous, « le duo infernal » presse/justice qui avait déjà sévi lors de l’affaire du sang contaminé. Surtout, cette longue instruction à l’égard des trois ministres témoigne de ce que la criminalisation de la responsabilité des gouvernants pour mauvaise gestion ministérielle est une impasse. D’où notre critique de l’action des autorités judiciaires (la Commission d’instruction et la Commission des requêtes) ayant eu à gérer cette affaire au sein de la Cour de justice de la République.[1]
This article stems from our astonishment at the fact that, in October 2025, a major evening newspaper took a highly critical look back at the dismissal in July 2020 of the case against the ministers involved in the management of the Covid-19 crisis. In our view, this marked the resurgence of the “infernal duo” of the press and the justice system, which had already emerged during the contaminated blood scandal. Above all, this lengthy investigation into the three ministers shows that criminalizing the responsibility of government officials for ministerial mismanagement is a dead end. Hence our criticism of the actions of the judicial authorities (the Investigating Commission and the Petitions Commission) that had to deal with this case within the Court of Justice of the Republic.
Par Olivier Beaud, Professeur de droit public à l’Université Paris Panthéon-Assas, Directeur-adjoint de l’Institut Michel Villey
Les citoyens se souviennent peut-être que le 7 juillet 2025, la Commission d’instruction de la Cour de justice de la République (CJR désormais) a accordé un non-lieu aux trois ministres qui étaient poursuivis devant elle à cause de leur prétendue inaction pendant l’épidémie de la Covid19 : l’ancien Premier ministre (Edouard Philippe), les deux anciens ministres de la Santé (Agnès Buzyn et Olivier Véran). Comme d’habitude, la fin de cette odyssée judiciaire a suscité beaucoup moins d’articles que son début car il n’y avait rien de sensationnel à annoncer au public… Mais les commentaires de la presse furent souvent défavorables aux ministres. Le journal Libération s’est notamment illustré par un titre très tape-à-l’œil : « Buzyn, Véran et Philippe s’en tirent indemnes »[2], sous-entendant qu’ils eurent de la chance de s’en sortir aussi bien. Quant au Monde, il a estimé que le non-lieu était « confortable »[3]. Ce jugement ne surprendra pas ceux qui savent que les deux auteurs de l’article (MM. Davet et Lhomme) avaient écrit, dans Le Monde du 7 mai 2020, un article à charge contre Mme Buzyn[4] et qu’ils ont récidivé cinq ans plus tard en publiant un livre-brûlot sur la gestion ministérielle de la pandémie, intitulé Les juges et l’assassin : Enquête au cœur du pouvoir, qui fut complaisamment relayé par la presse.
Pourtant, l’issue de cette affaire, ici le non-lieu, était prévisible depuis le 21 mai 2025, date à laquelle le Parquet de la CJR l’avait requis, en tirant les conséquences d’un arrêt de la Cour de cassation rendu le 10 janvier 2023 (sur lequel on va revenir). Dans son réquisitoire, le Procureur général (Rémy Heitz) observait, d’une part, que « les investigations établissent que de nombreuses initiatives ont été prises par le gouvernement pour combattre la pandémie de Covid-19, faisant obstacle à ce que l’infraction d’abstention volontaire de combattre un sinistre soit constituée à l’encontre d’Édouard Philippe et d’Olivier Véran », et, d’autre part, concernant Agnès Buzyn, qu’il ne pouvait lui être reproché « aucune violation d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement »[5].
Cour de cassation, Parquet et Commission d’instruction (de la CJ.R) concourant au non-lieu, on aurait pu croire que l’affaire était close et bien close depuis ce 7 juillet 2025, date de l’arrêt de non-lieu de la Commission d’instruction. C’était sans compter l’obstination des deux journalistes précités du Monde qui ont publié le 17 octobre 2025 un article intitulé « Covid-19 Le document judiciaire qui critique la gestion du gouvernement ». Ils ont en outre ajouté une sorte d’annexe en mettant à disposition un lien sur internet donnant accès à l’arrêt de non-lieu, long de près de cinq cents pages[6].
Leur article laisse entendre que la Commission d’instruction s’est résignée à ordonner le non-lieu pour les trois ministres, au vu de l’arrêt de la Cour de cassation mais n’en pense pas moins, de sorte que son très long arrêt (plus de 400 pages) se livre à « un impitoyable réquisitoire », qui confond encore responsabilité politique et responsabilité pénale. Selon les deux journalistes, « les trois magistrats de la CJR étrillent une gestion gouvernementale émaillée, selon eux, de multiples dysfonctionnements. Révélant les erreurs – et, parfois, les mensonges – de l’exécutif, ils concluent que nombre de décès, sur les 32 000 recensés de janvier à juillet 2020, auraient pu être évités. » Tout le reste de l’article est à l’avenant, et vise à encenser ces courageux magistrats de la Commission d’instruction qui n’auraient pas hésité à relever toutes les défaillances de l’État et à tancer les ministres qui auraient menti et n’auraient jamais voulu reconnaître leurs erreurs, notamment dans la gestion des masques. L’article frappe aussi par ses approximations juridiques, comme le prouve notamment le fait que ses auteurs s’obstinent à nommer la commission d’instruction « la Cour », ce qui laisse penser que le non-lieu proviendrait d’une juridiction de fond !…
Ce cas singulier d’une curieuse alliance, au moins objective, entre une partie de la presse et une partie des magistrats nous a rappelé ce qui s’était passé à l’époque de l’affaire du sang contaminé et qu’on avait appelé « le duo infernal presse-justice ». Cela mérite de s’y attarder (I) avant de proposer une brève réflexion sur la situation actuelle de la responsabilité pénale des ministres et de la Cour de justice de la République (II).
I – Le resurgissement du « duo infernal » presse/justice à l’occasion de l’épidémie Covid
A lire l’article du Monde du 17 octobre, on a l’impression que le non-lieu prononcé envers les ministres serait injustifié. Pourtant, ses auteurs sont bien obligés de rappeler les faits, à savoir que la Commission d’instruction de la CJR a dû constater que les délits reprochés – le délit de mise en danger de la vie d’autrui et le délit d’abstention volontaire de combattre un sinistre – n’étaient pas constitués. Même s’ils mentionnent ce fait incontournable mais gênant pour leur « cause », les deux journalistes passent bien trop rapidement sur le fait que les trois magistrats de la Commission d’instruction se sont vu « tordre le bras » par la Cour de cassation elle-même. En effet, dans son arrêt du 10 janvier 2023, la Chambre criminelle avait remis en cause la qualification juridique de délit de mise en danger de la vie d’autrui, grâce à laquelle notamment la Commission d’instruction avait mis en examen Mme Buzyn[7]. Elle avait considéré que les conditions de ce délit n’étaient pas réunies. Elle avait même pris la peine de publier un communiqué dont les termes apparaissaient sans appel :« Le délit de mise en danger de la vie d’autrui ne peut être reproché à une personne que si une loi ou un règlement lui impose une obligation particulière de prudence ou de sécurité », en précisant que « cette obligation doit être objective, immédiatement perceptible et clairement applicable ». Or aucun des textes auxquels s’était référée la Commission d’instruction — textes tirés du Code de la santé publique et du Code de la défense — pour mettre en examen Mme Buzyn « ne prévoit d’obligation particulière de prudence ou de sécurité ». Réagissant à cet arrêt de la Chambre criminelle, la doctrine juridique n’a pas manqué, d’une part, d’observer que c’était un « beau désaveu pour la commission d’instruction de la part de la plus haute juridiction pénale » (C. Jamin) et, d’autre part, de témoigner de son ahurissement de voir que « la commission d’instruction a pu commettre une erreur de droit aussi grossière » (D. Rebut).
Toutefois, une chose est sûre : on ne peut pas reprocher à la Commission d’instruction (du moins à la majorité de celle-ci[8]) de manquer de suite dans les idées. En effet, dans l’incapacité de retenir la responsabilité pénale des ministres, elle a cru utile dans son arrêt de non-lieu d’infliger une leçon de politique et de morale aux ministres, leçon que les journalistes précités du Monde exposent tout au long de leur article. Son attitude illustre à merveille – hélas – ce que nous cessons de dénoncer depuis l’affaire du sang contaminé : les juges ici s’immiscent dans l’appréciation de la bonne ou de la mauvaise gestion d’un ministère. Ils pensent, à tort, être les mieux placés pour évaluer la responsabilité politique des ministres alors que, en réalité, ils jouent le rôle très confortable de « procureurs rétrospectifs ».
Revenons maintenant aux journalistes en question qui manifestent tant d’empathie avec la Commission d’instruction et qui ont de curieuses méthodes de travail. En effet, ils ont eu accès bien avant le non-lieu à de nombreuses pièces du dossier d’instruction de cette affaire pour écrire leur brûlot précité (Les juges et l’assassin) contre les ministres poursuivis. Livre dans lequel ils citent à plusieurs reprises le Journal d’Agnès Buzyn qui fut saisi dans son ordinateur par la police lors de sa perquisition à son domicile. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle celle-ci a tenu à publier rapidement son Journal, avant que d’autres personnes ne l’utilisent. Son livre, sobrement intitulé Journal, est en effet paru deux ans avant celui de Davet et Lhomme (chez le même éditeur d’ailleurs Flammarion, éditeur « œcuménique » si l’on peut dire). Le fait que les journalistes ont – semble-t-il – eu accès au dossier judiciaire couvert par le secret de l’instruction ne semble pas provoquer l’étonnement[9]. Ainsi munis de ces précieux documents, il leur est assez facile, on s’en doute, d’en tirer un « livre-choc », issu d’une « enquête secrète » (quelle trouvaille sémantique !), remplie de prétendues révélations qui reprennent seulement les documents figurant dans le dossier d’instruction, documents qu’ils agencent et manipulent à leur aise, l’essentiel étant de révéler un scandale, c’est-à-dire, selon nous, un prétendu scandale.
Pour conclure cette digression sur la façon de travailler de ces journalistes d’investigation, il faut noter que dans leur article du 17 octobre 2025 ils rappellent l’existence du rapport de la mission Pittet datant du 13 octobre 2020 (rapport de cet infectiologue genevois commandité par le président de la République). Ils en résument le contenu par une formule lapidaire : « Quarante pages au vitriol ». Seul petit problème : il n’y a pas de vitriol dans le rapport Pittet qui est très mesuré, comme en témoigne d’ailleurs un article du Monde (leur journal pourtant) que MM. Davet et Lhomme auraient bien fait de lire[10]. S’ils avaient d’ailleurs un peu plus de rigueur, ils auraient également pu utilement évoquer les études statistiques comparatives faites depuis lors qui démontrent, chiffres à l’appui, que la France est un des pays qui s’en est le mieux sorti en termes de taux de mortalité. Cela démontre objectivement que la gestion de la pandémie par l’Etat et les pouvoirs publics fut efficace. En tout cas, la France eut moins de morts que l’Allemagne (où la population est certes plus élevée) et nettement moins que le Royaume Uni et surtout que le Brésil et les Etats-Unis[11]. Ce constat est important car il démontre, sans contestation possible, que la Commission d’instruction de la CJR se trompe dans son prétendu diagnostic de complète faillite de l’Etat. Nul ne disconviendra qu’il y eut des ratés, parfois importants dans la gestion étatique de l’épidémie notamment quant au stock des masques, mais la vision qu’en donne l’arrêt de non-lieu apparaît comme étant quelque peu exagérée.
Comme on l’a compris, le livre-choc de MM. Davet et Lhomme ne fait que vulgariser à l’attention du grand public la thèse accusatrice des magistrats de la Commission d’instruction de la Cour de justice de la République. Il en résulte que ces derniers et les deux journalistes agissent comme deux parties faisant cause commune ; ils se comportent comme des procureurs autodésignés vilipendant les ministres pour leurs prétendues incapacités ou turpitudes. Des juges d’instruction à charge, voici ce qui avait déjà eu lieu lors de l’affaire du sang contaminé où le procureur général de la Cour de cassation de l’époque, Jean-François Burgelin (un grand juriste) s’était opposé, en vain, aux thèses accusatrices de la Commission d’instruction de la CJR. Bis repetita dans l’affaire de la Covid, mais avec cette fois une différence capitale, les réquisitions du procureur de la Cour de justice de la République, également Procureur général de la Cour de Cassation (Rémy Heitz) ont été finalement suivies par la Commission d’instruction. Il est certain que la « gifle » (dixit la presse) reçue par cette dernière en janvier 2023 de la part de la Chambre criminelle l’a un peu calmée et surtout que l’opinion publique n’était pas chauffée à blanc, comme elle le fut dans l’affaire du sang contaminé. Mais battue juridiquement, la Commission d’instruction n’a pas renoncé à prononcer dans son arrêt de non-lieu un réquisitoire purement « politique » au sens où l’ensemble de leur propos met essentiellement en cause la responsabilité politique des ministres.
Retenons surtout que c’est la version réductrice de ces « procureurs » qui a dominé l’espace public, donnant une image faussée d’une réalité bien plus contrastée. Il suffit de lire le Journal d’Agnès Buzyn et le livre d’Aurélien Rousseau pour s’en convaincre. Or, déformer ainsi la réalité en chargeant unilatéralement les ministres est nécessairement grave dans la période actuelle où la défiance à l’égard de la classe politique est immense. Il y a déjà suffisamment de choses à reprocher à celle-ci pour qu’on n’en rajoute pas d’autres largement montées en épingle.
II – Deux brèves leçons de ce non-lieu
1/ Ce cas révèle parfaitement le caractère inadéquat de la responsabilité pénale des ministres pour dysfonctionnement (ou prétendu dysfonctionnement) de l’action des ministres et des ministères. Ce qui était vrai pour l’affaire du sang contaminé l’est encore plus pour l’affaire de l’épidémie de la Covid19. En effet, les ministres étaient encore en fonction au moment des poursuites pénales (à l’exception de Mme Buzyn). Le Parlement pouvait demander des comptes aux gouvernants, ce qu’il a fait d’ailleurs avec les commissions d’enquête parlementaire. Les poursuites pénales étaient redondantes. Elles étaient en plus inopportunes car elles eurent lieu à un moment exceptionnel (confinement de la population et instauration d’un état d’urgence sanitaire). Les ministres et les hauts fonctionnaires, qui tenaient la barre de l’Etat en plein tempête, avaient évidemment autre chose à faire qu’à déférer aux convocations des juges d’instruction. Pour s’en convaincre, il suffit de renvoyer d’une part, aux témoignages d’Olivier Véran et d’Agnès Buzyn sur les perquisitions qu’ils ont subies à leur domicile, et d’autre part, au livre d’Aurélien Rousseau (direction de l’ARS de l’Ile de France) qui révèle le caractère proprement « lunaire » de ces auditions pénales en pleine lutte contre la pandémie[12].
2/ L’autre leçon porte sur la CJR dont on peut dire qu’elle est une institution qui n’est pas sauvable. On a ici suffisamment critiqué la commission d’instruction dans cette affaire pour ne pas y revenir. Mais la responsabilité première incombe à la commission des requêtes de la CJR qui commit la grave erreur de déclarer recevables certaines plaintes, lançant ce que nous avons appelé, avec Cécile Bargues, « la machine infernale » des poursuites[13]. En effet, il revenait aux sept membres la composant – trois magistrats du siège hors hiérarchie de la Cour de cassation, deux conseillers d’Etat et deux conseillers maîtres à la Cour des comptes — de jouer le rôle institutionnel de filtre, qui leur a été dévolu par les auteurs de la révision constitutionnelle de 1993, afin de bloquer d’emblée les plaintes inopportunes. Or, qu’y avait-il de plus inopportun en pleine pandémie que de déclarer recevables des plaintes contre les ministres qui devaient la gérer ? Ils n’ont donc pas, selon nous, exercé correctement leur office et en plus, ils le font dans la plus grande opacité, sans avoir à en rendre des comptes à quiconque…. Le résultat est là : plus de cinq ans de procédure inutile, des milliers d’heures de travail de policiers et de hauts magistrats gaspillées alors que tout le monde se plaint – la police autant que la justice – du manque de moyens. Tout cela pour finir par un non-lieu, qui se serait d’ailleurs de toute façon transformé en relaxe si les ministres avaient été renvoyés au fond devant la Cour.
Enfin, on s’arrêtera sur le plus grave qui est une erreur de construction de la CJR, une parmi tant d’autres. On a voulu « criminaliser » la procédure et la calquer sur la procédure pénale. Progrès de l’Etat de droit a-t-on dit. Mais d’un autre côté, on a conservé la politisation de sa composition avec douze jurés parlementaires et trois magistrats professionnels. Le résultat est le suivant : tout le monde croit qu’on a affaire à un procès ordinaire pendant toute la durée de la procédure jusqu’au renvoi devant la juridiction de fond. Et puis, quand on arrive devant la formation de jugement, on bascule dans la pure justice politique. Ce qui, dans deux cas d’espèce (le sang contaminé et l’affaire Dupond-Moretti) ne nous a pas choqué outre-mesure[14] tant était critiquable, dans le premier cas, la criminalisation de la responsabilité et dans le second la poursuite du Garde des Sceaux, victime de la vindicte des magistrats qui n’ont pas supporté sa nomination et qui ont fait preuve d’un regrettable corporatisme en défendant à tout prix le Parquet national dont les graves dysfonctionnements ont été à l’origine de cette regrettable affaire.
Résumons : ce non-lieu accordé aux ministres dans l’affaire de la Covid19, qui est une bonne chose en soi puisqu’il cantonne la responsabilité pénale à ce qu’elle doit rester, à savoir une responsabilité assise sur des textes explicites sanctionnant une véritable hostilité aux règles de vie en société, révèle néanmoins l’impasse de la criminalisation de la responsabilité des gouvernants. Sur ce point, le mot de la fin doit être laissé au Doyen Vedel. Il fut en effet, en sa qualité de président de la Commission de révision constitutionnelle à l’origine de la naissance de la CJR en 1993 car les travaux de celle-ci ont directement inspiré cette réforme. Pourtant, après-coup, il aurait reconnu son erreur : « Je me suis fourré le doigt dans l’œil, mais je n’étais pas tout seul ! »[15]
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On a bien conscience que cette critique de la commission d’instruction de la CJR dans cette affaire de la Covid19 pourrait donner l’impression que l’on souhaiterait absoudre les « politiques ». Ce n’est pourtant pas notre intention. En effet, d’abord, il nous semble légitime de reprocher aux gouvernants d’avoir sciemment menti sur la question des masques, prenant les citoyens pour des enfants à qui l’on doit cacher la vérité. Ensuite, nous sommes convaincu, comme d’autres observateurs, que les réformes effectuées au sein du ministère de la santé, consistant notamment à multiplier des Agences de santé ont conduit à une délégation excessive, synonyme de dilution de l’autorité et des responsabilités. Enfin, nous sommes aussi sensible à la critique adressée par Bernard Manin et Charles Girard à l’endroit des gouvernants, leur reprochant en juin 2020 de ne pas vouloir donner les raisons de leurs décisions prises pendant la crise du Covid. Les gouvernants, écrivirent-ils, ont manqué à leur « devoir de justification »[16].
Bref, il serait absurde de nier l’existence de défaillances de l’Etat ou de fautes politiques, mais on ne cesse de le répéter, ce n’est pas au droit pénal d’y répondre.
[1] Pour ne pas alourdir ce billet, nous ne citerons pas toutes nos références que le lecteur trouvera dans un article intitulé « Les poursuites pénales contre les ministres en fonction au moment de la pandémie. Un exemple affligeant de criminalisation de la responsabilité des gouvernants », qui sera publié dans les actes des colloques organisés par Eleonora Bottini et Antonia Baraggia sur « La responsabilité des gouvernants en période de crise: une étude comparée France-Italie », in numéro 34 de Jus Politicum (à paraître, 2026)
[2] Libération du 8 juillet 2025
[3] « Covid-19 : non-lieu général pour Agnès Buzyn, Edouard Philippe et Olivier Véran dans l’enquête sur la gestion de la crise sanitaire. » Le Monde du 7 juillet 2025.
[4] « Les regrets de Mme Buzyn », Le Monde du 17 mars 2020.
[5] Réquisitoire du Parquet cité dans l’article suivant : « Covid : pourquoi la justice blanchit les ministres… sans laver l’État », Le Point du 7 juillet 2025
[6] Ce qui pose un certain problème dans la mesure où le même journal n’a pas publié les réquisitions du Parquet qui allaient dans le sens contraire de la commission d’instruction. Bel exemple d’asymétrie dans l’information du public …..
[7] Edouard Philippe et Olivier Véran conservèrent le statut de témoin assisté, statut « bâtard » par excellence, qui pour résumer, désigne le statut de quelqu’un qui n’est pas une personne « mise » en examen, tout étant « sous » examen.
[8] On ose espérer que parmi les trois magistrats la composant, l’un d’entre eux ne partageait pas les opinions des deux autres ayant endossé le rôle de « procureur » avec autant d’ardeur que de constance ….
[9] Règle qui serait devenue lettre morte depuis la jurisprudence de la CEDH en faveur de la liberté d’expression et de la nécessité du débat d’intérêt général.
[10] « Le rapport Pittet critique à la marge la gestion de la crise sanitaire », Le Monde du 19 mai 2021.
[11] Voir pour ce tableau statistique, l’article suivant « Nombre de personnes décédées à cause du coronavirus (COVID-19) dans Le Monde au 18 août 2023, par pays »
[12] On se permet de renvoyer à notre billet de blog, « L’État et la crise de la Covid19 : un témoignage instructif », Blog de Jus Politicum, (13 octobre 2022)
[13] Voir le billet de blog écrit avec C. Guérin-Bargues, « CJR et plaintes pénales contre les ministres : La “machine infernale“ est lancée », Blog de Jus Politicum (9 juillet 2020)
[14] En revanche, l’éminent pénaliste Philippe Conte s’est littéralement déchaîné contre cet arrêt dans la revue Droit pénal, dans un commentaire dévastateur.
[15] Cité par le regretté avocat Daniel Soulez Larivière, in M. Dosé, D. Soulez-Larivière, Deux générations, un barreau. Dialogue d’avocats sur un paysage judiciaire, Paris, Dalloz, coll. Sens du droit, 2023, p. 104.
[16] B. Manin et Ch. Girard, « Assumer les décisions prises n’est pas assez, il faut en livrer les raisons », Le Monde du 15 juin 2020.
