L’ÉTUDE D’IMPACT A LA CROISÉE DES CHEMINS [Par Bertrand-Léo Combrade]

L’ÉTUDE D’IMPACT A LA CROISÉE DES CHEMINS [Par Bertrand-Léo Combrade]

L’obligation d’étude d’impact des projets de loi est un dispositif susceptible d’apporter un concours significatif aux activités des assemblées, à condition toutefois qu’elles s’en saisissent davantage et qu’elles le perfectionnent.

 

The legislative impact assessment requirement can enhance the working conditions of Parliament. It implies that the members of Parliament use more effectively this mechanism and amend its content.

 

Bertrand-Léo Combrade, Maître de conférences à l’Université de Picardie-Jules Verne

 

Les développements qui suivent sont la retranscription d’une communication présentée devant le groupe de travail « Procédure législative » de l’Assemblée nationale, lors d’une table ronde intitulée « Un nouveau regard sur le Parlement ». Le texte présenté ici a été révisé après l’audition publique qui a eu lieu le 8 novembre 2017 [1].

 

L’obligation d’étude d’impact figure parmi les dispositifs introduits lors de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 en vue d’« améliorer la qualité de la loi en même temps qu’à renforcer le Parlement » [2]. Par renvoi à une loi organique adoptée le 15 avril 2009, elle impose au Gouvernement d’accompagner la présentation de ses projets de loi d’une étude d’impact rendant compte, notamment, de la nécessité de légiférer, des consultations menées et des incidences attendues du texte dans les domaines juridique, économique, financier et environnemental [3].

 

À ce jour, les effets produits par cette réforme, plébiscitée par le Conseil d’État, la haute administration française et certaines organisations internationales [4], sont contrastés. La présentation des études d’impact devait permettre au Parlement de légiférer en meilleure connaissance de cause, tout en lui fournissant un référentiel solide pour l’évaluation des lois et le contrôle de l’action du Gouvernement. En pratique, sans nier son influence sur les rapports entretenus par les pouvoirs publics et les méthodes d’élaboration des projets de loi, l’obligation d’étude d’impact n’a pas bouleversé le travail parlementaire [5].

 

Le groupe de travail « Procédure législative » de l’Assemblée nationale souhaiterait que cette réforme améliore plus significativement les conditions d’exercice du travail parlementaire. À cette fin, il s’interroge sur l’opportunité de modifier le régime juridique des études d’impact [6]. L’amélioration de la réforme passe d’abord, il faut le souligner, par une meilleure application du dispositif existant (I). Cela n’interdit pas, cependant, d’envisager des adaptations du droit positif (II).

 

I. Appliquer l’obligation d’étude d’impact

 

La constitutionnalisation de l’obligation d’étude d’impact des projets de loi s’est accompagnée de l’inscription dans le droit positif de dispositifs qui n’ont que faiblement suscité l’intérêt de l’Assemblée nationale. La sollicitation de l’étude d’impact à des fins d’amélioration des conditions d’exercice du travail parlementaire impliquerait de se saisir des prescriptions inscrites, d’une part, dans la Constitution par renvoi à une loi organique (A), d’autre part, dans le règlement de votre Chambre (B).

 

A. Appliquer la Constitution

 

Aux termes de l’article 39 alinéa 3 de la Constitution, la Conférence des présidents de la première assemblée saisie d’un projet de loi peut, à la majorité des membres qu’elle représente par un système de pondération des voix [7], refuser son inscription à l’ordre du jour en cas de présentation d’une étude d’impact jugée insuffisante. À ce jour, cette faculté n’a été mise en œuvre qu’à une seule reprise. Le 26 juin 2014, la Conférence des présidents du Sénat a refusé d’inscrire à l’ordre du jour le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral [8].

 

Le fait que l’article 39 alinéa 3 n’ait été mis en œuvre qu’à une seule reprise ne signifie pas, loin de là, que depuis 2009 le Gouvernement a toujours veillé à présenter des études d’impact strictement conformes aux exigences fixées par la loi organique. Pour s’en tenir à l’actualité, l’étude d’impact du projet d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, présenté le 27 juin 2017 devant l’Assemblée nationale, ne respectait pas cette loi organique. La Conférence des présidents de cette assemblée aurait dû s’opposer à l’examen du texte en séance dans l’attente de la communication, par le Gouvernement, des informations manquantes.

 

Cette réticence de la majorité à utiliser un droit qui lui est reconnu par la Constitution aurait pour origine le fait majoritaire. Pourtant, « [l]’union du gouvernement et de la majorité dans l’exercice du pouvoir » [9] n’exclut pas l’expression de désaccords portant sur les conditions d’élaboration d’un projet de loi, et non sur l’opportunité de celui-ci. Tout se passe comme si les députés de la majorité ne parvenaient pas à se détacher d’un habitus qui persiste en dépit de l’adaptation des textes constitutionnels en 2008 : celui de leur subordination à l’égard de l’autorité gouvernementale.

 

B. Appliquer le règlement

 

Le règlement de l’Assemblée nationale contient plusieurs dispositions relatives à l’utilisation de l’étude d’impact dans le cadre du travail parlementaire. La plupart d’entre elles ne sont pas utilisées. Le contenu de deux dispositions introduites lors de la réforme du règlement en 2014 mérite, en particulier, d’être rappelé.

 

L’article 86 alinéa 7 du règlement permet à un membre de l’opposition de formuler des observations sur l’étude d’impact accompagnant un projet de loi. Ces observations sont consignées dans le rapport de la commission. La finalité de ce dispositif semble assez claire. Il s’agit de donner la parole à un député « plus naturellement enclin à discuter l’étude d’impact et à la soumettre à la critique » [10]. Si l’on excepte la contribution de Patrick Devedjian sur le projet de loi relatif aux attributions du garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en 2013 [11], ou encore celle d’Éric Ciotti sur le projet de loi de délimitation des régions en 2014 [12], le dispositif n’a jamais été mis en oeuvre.

 

L’article 145-7 alinéa 3 du règlement de l’Assemblée nationale, quant à lui, prévoit la présentation de rapports d’évaluation faisant « état des conséquences juridiques, économiques, financières, sociales et environnementales » produites par la loi. La prise en compte des critères d’évaluation éventuellement définis dans l’étude d’impact préalable doit permettre d’apprécier l’efficacité de la réforme. Ces rapports d’évaluation, rédigés conjointement par un député de la majorité et un député de l’opposition, sont censés être produits dans les trois ans suivant l’entrée en vigueur d’une loi. Or, à ce jour, aucun rapport d’évaluation fondé sur cet alinéa n’a été publié.

 

La constitutionnalisation de l’obligation d’étude d’impact des projets de loi s’est donc accompagnée de l’inscription dans la loi organique et le règlement de l’Assemblée nationale de plusieurs dispositifs dont les députés pourraient se saisir, et ce, sans attendre la modification éventuelle des textes encadrant ce mécanisme.

 

II. Perfectionner l’obligation d’étude d’impact

 

Les propositions de réforme qui vont être exprimées ont été nourries par l’analyse des pratiques suivies au sein des assemblées ces dernières années. Sans nier l’intérêt qui s’attacherait à l’adoption d’autres prescriptions [13], deux catégories de propositions mériteraient de retenir toute l’attention de l’Assemblée nationale. D’abord, celles visant à enrichir le contenu de l’étude d’impact (A), ensuite, celles qui permettraient d’associer davantage les parlementaires au processus législatif (B).

 

A. Introduire de la contradiction dans les études

 

La retenue avec laquelle les parlementaires se saisissent de l’étude d’impact a principalement deux origines. D’une part, l’attribution de la responsabilité de ce document au ministre principalement porteur du projet de loi, qui fait naitre un doute sur la sincérité des informations qui y figurent. D’autre part, leur rédaction par des membres des administrations ministérielles, qui suscite la crainte d’une emprise excessive de certains grands corps de l’État sur les choix politiques.

 

Avant de proposer des adaptations répondant aux préoccupations qui animent les membres de groupe de travail, il convient de dissiper un malentendu. L’étude d’impact n’est pas destinée à exprimer une vérité scientifique objective. Elle se borne à formaliser la rencontre entre le choix politique et l’expertise au sein du Gouvernement. Dans cette perspective, confier la réalisation des études d’impact à un organisme indépendant n’aurait pas de sens. C’est au Gouvernement, responsable devant le Parlement, qu’il revient de rédiger ces études. Pour autant, afin qu’elles ne soient plus perçues comme un « argument massue » à la disposition de l’auteur du projet de loi [14], il importerait d’y introduire davantage de contradiction.

 

À cet égard, il conviendrait de porter son attention sur une proposition de loi organique malencontreusement tombée en sommeil sous la précédente législature. Elle prévoyait d’inclure dans l’étude d’impact « l’ensemble des avis recueillis [par le Gouvernement] en application d’une disposition constitutionnelle, organique ou législative » [15], ces avis pouvant porter, il faut le souligner, sur l’étude d’impact en préparation. L’adoption de cette proposition serait opportune. L’étude d’impact, jusque-là considérée comme étant la « voix du Gouvernement », deviendrait une plateforme de réflexion collective. Pour autant, afin que cet afflux d’informations apporte une réelle plus-value au travail parlementaire, il importerait que le Gouvernement soit tenu de rendre compte des suites qu’il a données à ces différents avis.

 

Au-delà de cette modification du droit positif, l’Assemblée nationale devrait donner plus de visibilité à l’article 83 alinéa 2 qui permet aux internautes de présenter leurs observations sur les études d’impact des projets de loi en cours d’examen en commission [16]. Lors de cet examen, les parlementaires pourraient également solliciter davantage l’avis des personnes auditionnées sur la qualité de ces études.

 

B. Renforcer l’implication du Parlement

 

Votre groupe de travail envisage de rationaliser le temps législatif par le biais d’une limitation du nombre de navettes. Cette limitation serait compensée par une participation plus étroite du Parlement en amont du processus législatif. Sur le modèle de l’expérimentation conduite par la Secrétaire d’État Axelle Le Maire lors de l’examen du projet de loi relatif au numérique le 14 janvier 2015 [17], il conviendrait de systématiser des débats d’orientation préalable. À l’occasion de ces débats, les députés pourraient inviter le Gouvernement à évaluer la pertinence et la faisabilité de certaines options politiques. Bien entendu, ces échanges devraient avoir lieu avant que les principaux arbitrages ne soient rendus en réunion interministérielle. Au stade du dépôt du projet de loi, le Gouvernement serait tenu d’exposer, dans l’étude d’impact, les résultats de ces évaluations.

 

La deuxième proposition est probablement moins consensuelle. Compte tenu de la réticence de la majorité à utiliser son droit de refuser l’inscription d’un texte à l’ordre du jour en cas d’étude d’impact insuffisante, il conviendrait d’ouvrir cette faculté à l’équivalent de soixante députés ou soixante sénateurs en Conférence des présidents. Cette proposition d’adaptation du droit positif suscite la retenue du Gouvernement et de certains membres de la majorité en raison d’un risque d’instrumentalisation de ce pouvoir par l’opposition. Cette retenue ne semble pas fondée. D’une part, en cas de désaccord entre le Gouvernement et la Conférence des présidents, l’article 39 alinéa 4 permet de saisir le Conseil constitutionnel afin qu’il se prononce sur la conformité de l’étude d’impact à la loi organique [18]. D’autre part, le refus d’inscrire le projet de loi à l’ordre du jour n’empêche pas la poursuite de l’examen du texte en commission dans l’attente de la production d’éléments d’information complémentaires. Par conséquent, cette réforme aurait le mérite de contraindre le Gouvernement à faire preuve de plus de rigueur lors de la préparation des textes sans pour autant attribuer à l’opposition un pouvoir discrétionnaire de blocage de processus législatif.

 

Enfin, il conviendrait d’associer davantage les parlementaires à l’évaluation ex post des textes. Les assemblées ne disposant pas des moyens d’évaluer les effets produits par chaque loi, pourquoi ne pas soumettre le Gouvernement à une obligation d’évaluation ex post qui constituerait, en quelque sorte, le pendant l’obligation d’étude d’impact ex ante. Il reviendrait aux parlementaires d’apprécier la pertinence de ces évaluations et de mener, le cas échéant, des contre-expertises. Les résultats obtenus devraient faire l’objet d’un débat qui précèderait, en toute hypothèse, l’élaboration de toute nouvelle réforme législative.

 

En définitive, l’obligation d’étude d’impact apparaît encore riche de potentialités pour le législateur qui souhaiterait en faire un vecteur de renouvellement significatif du travail parlementaire. Pour autant, l’efficacité des propositions exprimées apparaît largement tributaire de la conception que les députés se font de l’étude d’impact mais aussi, plus largement, de leur rôle sous la Ve République.

 

[1] La capture vidéo est disponible ici : http://videos.assemblee-nationale.fr/video.5150457_5a044f1f98b19.groupe-de-travail-procedure-legislative–table-ronde-un-nouveau-regard-sur-le-parlement–m-jean-9-novembre-2017.

[2] Assemblée nationale, Exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République, 23 avril 2008, p. 7.

[3] Loi organique du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, JORF du 16 avril 2009, p. 6528.

[4] Conseil d’État, Sécurité juridique et complexité du droit, Rapport public 2006, Etudes et documents, Doc. fr, 2006, n° 57, p. 313 et s. ; Premier ministre, Secrétariat général du Gouvernement, Rapport au Premier ministre du Groupe de travail chargé d’une réflexion sur les suites du Rapport public de 2006 du Conseil d’État, Doc. fr., janvier 2007, p. 5-9 ; OCDE, Recommandation concernant l’amélioration de la qualité de la réglementation officielle, 1995, cité par OCDE, L’analyse d’impact de la réglementation. Un outil au service de la cohérence des politiques, 2009, Éditions OCDE, p. 12.

[5] Qu’il soit permis de renvoyer à B.-L. Combrade, L’obligation d’étude d’impact des projets de loi, Dalloz, Nouvelle Bibliothèque de Thèses, 2017, 501 p.

[6] Assemblée nationale, Feuille de route du groupe de travail et questions susceptibles d’être abordées par ses membres, 27 octobre 2017, p. 2.

[7] Article 47 alinéa 3 du règlement de l’Assemblée nationale.

[8] Saisi dans les conditions prévues par l’article 39 alinéa 4, le Conseil constitutionnel a cependant considéré que l’étude d’impact ne méconnaissait pas les exigences fixées par la loi organique du 15 avril 2009. V. Cons. const., n° 2014-12 FNR, 1er juillet 2014, Présentation du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, JORF du 3 juillet 2014, p. 11023.

[9] J. Benetti, « L’impact du fait majoritaire sur la nature du régime », LPA, n° 138, 10 juillet 2008, p. 20.

[10] Assemblée nationale, Rapport n° 2381 de la commission des lois sur la proposition de résolution de M. C. Bartolone tendant à modifier le Règlement de l’Assemblée nationale, J.-J. Urvoas, 20 novembre 2014, p. 129.

[11] Assemblée nationale, Rapport n° 1047 de la commission des lois sur le projet de loi relatif aux attributions du garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et d’action publique, J.-Y. Le Bouillonnec, 21 mai 2013, p. 31.

[12] Assemblée nationale, Rapport n° 2120 de la commission des lois sur le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, C. da Silva, 10 juillet 2014, p. 40.

[13] Deux autres sujets mériteraient d’être discutés. D’une part, la question de l’institutionnalisation d’un organisme indépendant chargé d’émettre un avis sur la qualité des études d’impact, d’autre part, celle de la mise à jour de ces documents lors de la navette afin de tenir compte des amendements qui ont été adoptés.

[14] Assemblée nationale, Compte-rendu intégral, 16 janvier 2009, JORF du 17 janvier 2009, p. 565.

[15] Assemblée nationale, Rapport de la commission des lois sur la proposition de loi organique, adoptée par le Sénat, tendant à joindre les avis rendus par le conseil national d’évaluation des normes aux projets de loi relatifs aux collectivités territoriales et à leurs groupements, O. Dussop, 26 novembre 2013, p. 29.

[16] Consulter l’adresse suivante : http://etudesimpact.assemblee-nationale.fr/

[17] Assemblée nationale, Compte-rendu intégral, JORF du 15 janvier 2015, p. 62-80.

[18] À ce jour, le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel dans le cadre de cette voie de recours est empreint de la plus grande retenue. V. Cons. const., n° 2014-12 FNR, op. cit.