Avantages sans inconvénients des anciens Premiers ministres

Par William Almeida Pires

<b> Avantages sans inconvénients des anciens Premiers ministres </b> </br> </br> Par William Almeida Pires

Un décret en date du 20 septembre 2019 s’efforce de limiter et de rationaliser les avantages accordés aux anciens Premiers ministres. On ne saurait pour autant considérer que sont dorénavant résolues toutes les questions que pose l’octroi d’avantages matériels aux anciens chefs de gouvernement.

 

A new decree signed on September 20th tries to sum up and limit the benefits granted to former Prime Ministers to maintain their welfare. Some questions remain however unanswered.

 

Par William Almeida Pires, Doctorant à l’Université Paris-Nanterre

 

 

Publié au Journal officiel le dimanche 22 septembre, le décret primoministériel n°2019-973 du 20 septembre 2019 « relatif à la situation des anciens Premiers ministres » suscite de prime abord le doute : l’actuel Premier ministre se préparerait-il un confortable après-Matignon ? La réponse est négative. Si le texte énumère effectivement les avantages octroyés aux anciens chefs de gouvernement (secrétariat particulier, véhicule de fonctions, chauffeur et prise en charge des dépenses afférentes), ces derniers existaient déjà : ils figuraient dans un décret du 22 octobre 1997, non publié au Journal officiel et signé notamment par Jacques Chirac, Président de la République et Lionel Jospin, Premier ministre.

 

En l’espace de quinze jours, l’actuel Premier ministre fut interrogé par les parlementaires à deux reprises, sur la situation matérielle et financière des anciens Premiers ministres[1]. Avant d’y répondre formellement[2], Édouard Philippe annonçait sur LCI le 13 février, sur fond de crise des Gilets Jaunes, qu’il limiterait les avantages accordés aux anciens résidents de l’Hôtel Matignon. C’est donc chose faite et le régime révisé des avantages accordés aux anciens Premiers ministres apparait d’ailleurs moins généreux que son prédécesseur. Si les faveurs sont identiques, deux limites font leur apparition : d’une part, la mise à disposition du secrétariat particulier ne s’étendra plus que sur une durée maximale de dix ans après la cessation des fonctions et au plus tard jusqu’à ce que l’ex-Premier ministre atteigne l’âge de soixante-sept ans. Doit-on comprendre par là qu’à soixante-sept ans, l’ancien chef de gouvernement est prié de prendre sa retraite ? En tout état de cause, cette première limite ne s’applique pas au bénéfice du véhicule de fonctions avec chauffeur et à la prise en charge des dépenses afférentes, qui demeurent sans restriction de durée. La seconde limite ne manquera pas de satisfaire le contribuable soucieux du bon usage des fonds publics : ne pourront bénéficier de ces avantages les anciens Premiers ministres disposant des mêmes privilèges au titre de « l’exercice d’un mandat parlementaire, d’un mandat d’élu local ou d’une fonction publique ». En ce qui concerne enfin l’application de ce texte aux actuels ex-Premiers ministres, ces derniers continueront de bénéficier d’un secrétariat particulier pour une durée de dix ans à compter de la publication du décret et cesseront de cumuler les avantages au troisième mois à compter, là encore, de la publication du texte. Ce dispositif relatif aux avantages matériels s’ajoute à celui relatif à la sécurité, les anciens Premiers ministres bénéficiant d’une protection rapprochée, à vie, coordonnée par le service de la protection du ministère de l’Intérieur[3]. Enfin, les Premiers ministres quittant leurs fonctions continuent de percevoir pendant une durée de trois mois[4] une indemnité équivalente au traitement qu’ils percevaient à l’occasion desdites fonctions[5]. Ces trois textes forment ensemble le régime complet des avantages accordés aux anciens Premiers ministres.

       

À ce jour, dix personnalités sont concernées par ce régime : Édith Cresson, Édouard Balladur, Alain Juppé, Lionel Jospin, Jean-Pierre Raffarin, Dominique de Villepin, François Fillon, Jean-Marc Ayrault, Manuel Valls et Bernard Cazeneuve. Figurent dans cette liste d’anciens chefs de gouvernement ayant occupé leurs fonctions pour des durées plus ou moins longues et qui, pour certains, ont disparu du paysage politique ou médiatique depuis bien longtemps. Si aujourd’hui, plus aucune de ces personnes ne bénéficie de l’indemnité de cessation des fonctions et si leur sécurité ne saurait être remise en cause, le bénéfice d’un secrétariat et d’un véhicule avec chauffeur mérite justifications. Ces avantages matériels se justifient-ils ?

 

Le décret du 20 septembre 2019 semble améliorer la pratique antérieure, sans que l’on puisse pour autant considérer que sont dorénavant résolues toutes les questions que pose l’octroi d’avantages matériels aux anciens chefs de gouvernement.

 

 

1. Un progrès mesuré

Sans pour autant être une thématique d’une sensibilité particulière, la situation matérielle des anciens chefs de gouvernement a en commun avec celle des anciens chefs d’État d’avoir été établie de manière, sinon confidentielle, du moins discrète.

 

En réalité, la situation des anciens Premiers ministres s’est construite de la même manière que celle des « anciens Présidents de la République et des conjoints des Présidents de la République décédés ». L’octroi d’avantages matériels aux anciens chefs d’État et aux conjoints des chefs d’État décédés a d’abord figuré dans une lettre du 8 janvier 1985 rédigée par Laurent Fabius, alors Premier ministre et adressée à Valéry Giscard d’Estaing. À l’époque, étaient donc concernés le destinataire de la lettre ainsi que Claude Pompidou. Ce courrier n’a été rendu public qu’en 2010, grâce aux demandes répétées du député René Dosière. La lettre, qui prétendait « fix[er] de manière permanente le statut dans la Nation des anciens Présidents de la République et des conjoints des Présidents de la République décédés » a ensuite fait l’objet d’un recours contentieux, avant d’être reprise quelques jours plus tard dans le décret du 4 octobre 2016[6]. Si on peut trouver curieuse l’idée de déterminer, au moins pour partie, le statut d’un ex-chef d’État au travers d’un courrier à destinataire unique, il n’en demeure pas moins qu’on y trouve les divers moyens matériels et financiers accordés à ces personnalités, ainsi que les règles protocolaires les concernant. Cette lettre a été contestée par la voie du recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État, dont l’un des moyens souligne le caractère inexistant de l’acte afin de le considérer comme nul et de nul effet. Dans la lignée de sa jurisprudence relative aux actes inexistants, le juge administratif rejette le recours[7], considérant que « la circonstance que les règles litigieuses ne figurent dans aucun document écrit autre que le courrier du 8 janvier 1985 et n’ont pas fait l’objet d’une publication au Journal officiel de la République française, n’est pas de nature à faire regarder ces règles comme inexistantes alors même qu’elles revêtent un caractère réglementaire ».

 

Cette quasi absence de publicité accordée aux textes qui définissent les avantages accordés à ceux qui ont pu occuper les plus hautes fonctions peut surprendre face à la demande croissante de transparence qui s’exprime au sein de l’opinion publique. La reprise des dispositions relatives au soutien matériel des anciens Premiers ministres dans un nouveau décret, cette fois-ci publié – et qui n’est d’ailleurs pas passé inaperçu – satisfait en revanche l’objectif d’accessibilité du droit, tout en permettant au gouvernement de le faire évoluer. L’audace de la réforme est toutefois mesurée, étant donné que finalement, la limite de temps introduite ne vise que le bénéfice du secrétariat particulier et d’interdire le cumul des avantages mentionnés avec ceux inhérents à l’exercice d’une fonction parlementaire, publique ou exécutive locale. L’auteur de l’acte peut également surprendre : un décret du Premier ministre intervient pour prévoir les avantages accordés aux anciens Premiers ministres. Certes, l’article 34 de la Constitution ne remet pas au législateur compétence pour déterminer le régime des avantages accordés aux anciens membres du gouvernement. Mais le procédé manque un peu d’élégance. Il n’aurait pas été absurde d’envisager que de telles mesures soient prévues grâce à la collaboration d’organes autres que le futur bénéficiaire de ces avantages, surtout à une époque où la rhétorique du Nouveau Monde sert de base à l’action publique.

 

 

2. Des avantages difficiles à justifier

Le nouveau décret, comme l’ancien, est relativement concis et s’abstient de justifier de quelconque façon l’octroi de tels avantages. Que l’État prenne en charge la sécurité des anciens Premiers ministres, cela se comprend. Qu’en quittant leurs fonctions, ils bénéficient d’une indemnité pour une période de trois mois, on le conçoit parfaitement. Mais est-il indispensable aux anciens premiers ministres de disposer d’un secrétariat, pendant dix ans, ainsi que d’un véhicule avec chauffeur et prise en charge des dépenses afférentes sans limitation de durée ? Au regard des bénéficiaires et de la nature des avantages, ceux-là sont-ils réellement nécessaires ?

 

Parmi nos dix anciens Premiers ministres encore en vie, et qui bénéficieront d’un secrétariat particulier jusqu’à 2029, très peu ont disparu de la scène politique après avoir occupé l’Hôtel Matignon. La moitié s’est dirigée vers les travées des hémicycles parlementaires, soit immédiatement après la cessation de leurs fonctions primoministérielles, soit au terme d’un bref congé sabbatique. Les autres ont maintenu une existence politique plus ou moins marquée, que ce soit en assumant des responsabilités au sein de partis, ou en intégrant d’autres institutions. Se pose dès lors la question des raisons d’être de tels avantages.

 

En premier lieu, ces avantages semblent avoir vocation à faciliter la transition des fonctions. Il est toujours plus aisé de faire campagne pour un siège de parlementaire ou toute autre fonction élective lorsque l’on dispose d’un secrétariat particulier payé par l’État. C’est d’ailleurs une situation similaire qui avait été dénoncée par l’Association Anticor dans l’affaire qui a donné lieu à la décision du Conseil d’État de 2016 : il était reproché à la lettre fixant le régime des avantages accordés aux anciens Présidents de la République d’introduire une rupture d’égalité entre candidats à une élection où l’ancien Président de la République se présenterait, ce dernier bénéficiant de moyens matériels pris en charge par l’État qu’il peut mobiliser pour sa campagne. Or, l’après-présidence de la République ressemble assez largement à l’après-direction du gouvernement, d’où la nécessité de s’interroger sur l’affectation de ces avantages et sur son contrôle.

 

En second lieu, il est difficile de comprendre au nom de quoi certains ex-gouvernants qui ont disparu de la vie institutionnelle française, parfois depuis vingt ans, continuent à bénéficier des avantages de la retraite primoministérielle. Pourtant, les données livrées par Édouard Philippe, dans sa réponse à la question écrite de la députée Bénédicte Peyrol[8] montrent bien que chacun des dix ex-Premiers ministres jouit d’un secrétariat privé et d’un véhicule avec chauffeur. Le décret du 20 septembre 2019 est bienvenu sur un point : il met au moins un terme à cette situation baroque où l’ancien Premier ministre, dont l’âge avancé exclut toute participation à la vie publique, continue de disposer d’un secrétaire particulier. En revanche, le bénéfice du véhicule avec chauffeur et la prise en charge des dépenses qui y sont liées ne font l’objet d’aucune limite temporelle.

 

Le décret du 20 septembre 2019 a donc un double mérite. D’une part, il fixe de manière stable et régulière le régime des avantages accordés aux anciens Premiers ministres, à l’instar de ceux accordés aux anciens Présidents de la République. D’autre part, il favorise une certaine transparence de la vie publique, tout en s’efforçant de limiter les avantages accordés. Toutefois, en n’agissant que sur une partie de ces avantages et en ne justifiant aucunement le maintien de certains privilèges, le nouveau décret peine à convaincre. L’argument financier lui-même ne saurait servir de consolation en la matière, puisque les économies attendront 2029 et seront modiques. Si l’on prend pour référence l’année 2018, les dépenses au titre du secrétariat personnel s’élèvent à 373.460€. Pas de quoi en effet restaurer Notre-Dame.

 

 

[1] Questions n°16310 du 29 janvier 2019 et n°16795 du 12 février 2019.

[2] Respectivement le 9 avril et le 30 juillet 2019.

[3] Article 19 du décret n°2013-728 du 12 août 2013 « portant organisation de l’administration centrale du ministère de l’Intérieur et du ministère des Outre-mer ».

[4] Jusqu’à la loi organique n°2013-906 du 11 octobre 2013 « relative à la transparence de la vie publique », cette durée était de six mois.

[5] Article 5 de l’ordonnance n°58-1099 du 17 novembre 1958 « portant loi organique pour l’application de l’article 23 de la Constitution ».

[6] Décret n°2016-1302 « relatif au soutien matériel et en personnel apporté aux anciens Présidents de la République ».

[7] CE, 28 septembre 2016, Association Anticor, n°399173.

[8] Question n°16795 mentionnée supra, réponse publiée au Journal officiel le 30 juillet 2019.