Référendum d’auto-détermination de la Nouvelle-Calédonie : acte II

Par Mélissandre Talon

<b> Référendum d’auto-détermination de la Nouvelle-Calédonie : acte II </b> </br> </br> Par Mélissandre Talon

Le 4 octobre prochain, les électeurs néo-calédoniens devront se prononcer à nouveau sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la « pleine souveraineté », comme le prévoit l’Accord de Nouméa du 5 mai 1998. En 2018, à la question « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? », les électeurs néo-calédoniens avaient répondu « non » à 56,67%. Le référendum à venir pourrait être déterminant pour l’avenir institutionnel et constitutionnel du pays. Si le résultat de la consultation s’avérait à nouveau négatif, il pourrait donner lieu à l’organisation d’un troisième référendum en 2022.

 

As mentioned in the Noumea Accord of 1998, on October 4, New Caledonia will hold a second referendum on independence from France. At the first referendum, in 2018, to the question “Do you want New Caledonia to accede to full sovereignty and become independent ?”, New Caledonian voters answered « no » at 56.67%. The upcoming referendum could be decisive for New Caledonia’s institutional and constitutional status. A negative result could lead to the organization of a third referendum in 2022.

 

Par Mélissandre Talon, doctorante contractuelle à l’Université de Montpellier, CERCOP

 

 

 

Le 4 octobre 2020 sera l’occasion de fêter les soixante-deux années de promulgation de la Constitution française de 1958. Cette date marquera également possiblement le tournant institutionnel et constitutionnel de la Nouvelle-Calédonie : après avoir répondu « non » à 56,67 % (contre 43,33 % de « oui ») à la question « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? » en 2018, les électeurs néo-calédoniens seront appelés à y répondre à nouveau ce dimanche. En effet, l’Accord de Nouméa du 5 mai 1998 prévoit qu’à l’issue de la première consultation, « [s]i la réponse des électeurs à ces propositions est négative, le tiers des membres du Congrès pourra provoquer l’organisation d’une nouvelle consultation qui interviendra dans la deuxième année suivant la première consultation. Si la réponse est à nouveau négative, une nouvelle consultation pourra être organisée selon la même procédure et dans les mêmes délais. Si la réponse est encore négative, les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée. » L’« acte II » ne constitue donc pas le point final de la question institutionnelle néo-calédonienne : en cas de nouveau vote négatif, un « acte III » pourrait voir le jour en 2022.

 

 

Des modalités d’organisation contestées

Les modalités d’organisation de la campagne et du référendum à venir sont similaires, en de nombreux points, à celles du référendum de 2018[1]. Après avoir fait l’objet de nombreux débats lors du premier référendum, il a été décidé que la question posée aux électeurs demeure identique. Il est également prévu la présence d’observateurs nationaux et internationaux en vue d’assurer la régularité du scrutin. Ces modalités n’ont toutefois pas été exemptes de difficultés et de critiques. En effet, à l’instar des élections municipales du mois de mars, l’organisation du deuxième référendum d’auto-détermination a souffert de la crise sanitaire. Le 30 mai dernier, le Premier ministre Édouard Philippe annonçait par le biais d’un communiqué de presse le report de la consultation du 6 septembre au 4 octobre, dans le but de « garantir le caractère irréprochable de l’organisation du référendum »[2]. Ce report a été acté par l’article 1er du décret n° 2020-776 du 24 juin 2020 portant convocation des électeurs et organisation de la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie. Ne donnant pas suite à la demande formulée par une trentaine d’élus loyalistes au Congrès de la Nouvelle-Calédonie d’opter pour un bulletin unique, ce texte prévoit également que, comme en 2018, « [d]eux bulletins de vote imprimés sur papier blanc par les soins de l’administration, comportant chacun le texte de la question mentionnée au premier alinéa et dont l’un portera la réponse « oui » et l’autre la réponse « non » seront mis à leur disposition, à l’exclusion de tout autre » (art. 2).

 

Si de nombreuses questions organisationnelles ont été réglées par le décret du 24 juin, celui-ci a néanmoins fait l’objet d’une contestation portée en urgence devant la haute juridiction administrative à propos d’un encadrement jugé insuffisant de l’utilisation des couleurs du drapeau tricolore sur les affiches de campagne électorale. En effet, il exclut expressément en son article 8 l’application du premier alinéa de l’article R. 27 du code électoral, lequel dispose que « [s]ont interdites, sur les affiches et circulaires ayant un but ou un caractère électoral, l’utilisation de l’emblème national ainsi que la juxtaposition des trois couleurs : bleu, blanc et rouge dès lors qu’elle est de nature à entretenir la confusion avec l’emblème national, à l’exception de la reproduction de l’emblème d’un parti ou groupement politique. » Le groupement indépendantiste UNI (Union nationale pour l’indépendance) critiquait l’autorisation accordée aux partis loyalistes d’utiliser les couleurs du drapeau tricolore dans la campagne du « non », en méconnaissance notamment des principes d’indivisibilité de la République, de clarté et d’intelligibilité de la norme, ainsi que de la « norme de valeur constitutionnelle issue de l’esprit et de la lettre de l’accord de Nouméa ». Après avoir rappelé que l’interdiction des couleurs du drapeau français a pour but d’éviter de conférer un caractère officiel aux candidatures ou aux affiches afin de prévenir une altération de la sincérité du scrutin, le Conseil d’État a jugé que si le décret du 24 juin ne rend pas applicable cette interdiction à la campagne pour le référendum de 2020, il prévoit toutefois que les graphismes et symboles utilisés ne doivent pas leur conférer un caractère officiel, et institue une commission de contrôle en ce sens[3]. Dans un souci d’équité, le juge conclut que la possibilité offerte aux partis loyalistes d’utiliser les couleurs du drapeau français dans la campagne référendaire « n’est, en tout état de cause, pas plus de nature à créer un doute sérieux sur la légalité des dispositions contestées, au regard de l’enjeu du scrutin et de la possibilité pour les partisans de l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté d’utiliser les couleurs des signes identitaires de Kanaky-Nouvelle-Calédonie. »[4] Il rejette ainsi les moyens tirés de la clarté et de l’intelligibilité de la norme, ainsi que de l’Accord de Nouméa.

 

 

Un avenir institutionnel incertain

À la veille de l’« acte II », comme c’était le cas en 2018[5], l’avenir institutionnel et constitutionnel de la Nouvelle-Calédonie demeure fort incertain. Si la Constitution de 1958 organise en son titre XIII les « dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie », le processus d’autodétermination est entouré d’une incertitude juridique quant aux modalités concrètes d’accession à la « pleine souveraineté » si le résultat de la consultation s’avérait positif. Les forces politiques en présence, mais également la scène universitaire[6], se mobilisent afin d’envisager les conséquences d’une potentielle réponse positive.

 

Afin d’apporter des « éclairages utiles » aux questionnements formulés par les citoyens et les acteurs institutionnels et politiques du pays, l’État, par le biais du Haut-commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie, a rappelé que « chargé d’organiser la consultation dans la plus stricte impartialité, [il] ne participera pas à la campagne référendaire ». Il a néanmoins diffusé un document succinct, quasi identique à celui qui avait été diffusé en 2018, relatif aux « implications de la consultation du 4 octobre 2020 » dans lequel sont exposées les conséquences qui découleraient des différents scénarios possibles en fonction du résultat du vote[7]. Y sont notamment abordés les thèmes de la période transitoire d’accession à la souveraineté, les pouvoirs régaliens ainsi que la question de la nationalité. Dans l’esprit de dialogue instauré par les textes néo-calédoniens, le document prévoit que « l’État prendra l’initiative de réunir les responsables des forces politiques calédoniennes après le scrutin d’octobre et quel qu’en soit le résultat. »

 

Nul ne saurait se risquer à pronostiquer le résultat du référendum à venir sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Les résultats de la consultation de 2018 avaient déjà révélé les clivages géographiques et ethniques de la population néo-calédonienne quant à la question de l’accession à la souveraineté[8]. Dans un territoire marqué par la mémoire d’évènements historiques douloureux et engagé dans un processus actif de décolonisation, souhaitons que la consultation à venir soit davantage constructive et bénéfique qu’inutile et nocive[9].

 

 

 

[1] Chauchat M., « La Nouvelle-Calédonie demeure française pour le moment », JP Blog, 6 déc. 2018

[2] Service Communication du Premier ministre, Communiqué de presse du 30 mai 2020

[3] CE, ord., 1er septembre 2020, n°443429.

[4] La loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 prévoit que la Nouvelle-Calédonie détermine librement ses signes identitaires aux côtés de l’emblème national et des signes de la République. Depuis 2010, le drapeau tricolore et le drapeau dit « kanak », historiquement associé au FLNKS (Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste), sont arborés conjointement suite à un vœu du Congrès de la Nouvelle-Calédonie du 13 juillet 2010.

[5] Giraudeau G., « Que peut-on attendre du référendum de 2018 sur la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie ? », JP Blog, 13 déc. 2017

[6] V. par ex. Chauchat M. et Chauchat L., Le sens du Oui. La « sortie » de l’Accord de Nouméa, Essai, 2020 ; Faberon J.-Y., « Un nouveau « pari sur l’intelligence » », Les Nouvelles calédoniennes, 25 oct. 2019 ; Havard L., « Française, Calédonienne, les deux… Quelle(s) nationalité(s) au lendemain du référendum ? », Outremers360

[7] Haut-commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie, Les implications du référendum

[8] V. notamment les travaux de Pantz P.-C., « Référendum en Nouvelle-Calédonie. La double impasse électorale », Outremers360 

[9] Faberon J.-Y., « Inutile et nocif :  le référendum d’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie du 4 novembre 2018 », RFDC, 2019, n°117, p. 59.

 

 

Crédit photo: eGuide Travel, Flickr, CC BY-SA 2.0