Crise grecque : le double échec de la démocratie
Libres propos à l’occasion de l’anniversaire d’un autre référendum
On l’aurait presque oublié, tant l’actualité politique est saturée, depuis presque quinze jours, par le « Brexit » décidé par les Britanniques dans le cadre du référendum organisé au Royaume-Uni le 23 juin dernier. Mais le 5 juillet est la date anniversaire d’un autre référendum : celui organisé en Grèce à l’été 2015 par le gouvernement de M. Tsipras, soutenu par sa majorité parlementaire.
Dans un contexte extrêmement tendu, le gouvernement grec avait décidé, sur le fondement des dispositions de l’article 44 de la Constitution grecque, de consulter le peuple au sujet d’un projet de plan d’aide proposé à la Grèce, le 25 juin 2015, par ses principaux créanciers (Etats membres de la zone euro, Banque Centrale Européenne, Fonds monétaire international).
Le gouvernement et la majorité parlementaire (d’ailleurs renouvelée depuis, après les élections législatives anticipées de septembre 2015 organisées à la suite de la démission de M. Tsipras qui avait perdu, durant l’été, sa majorité de soutien au parlement) avaient, immédiatement après les résultats du référendum et afin de permettre la reprise des négociations qui devaient aboutir à un nouveau plan d’aide, entrepris une série de réformes prévues par un accord conclu in extremis le 13 juillet entre la Grèce et ses créanciers.
Ce dénouement fut heureux – au moins dans une certaine mesure. Après plusieurs semaines de négociations infructueuses, il épargnait à la zone euro en général et à la Grèce en particulier un « Grexit » aux conséquences difficilement mesurables, sur les plans tant économique que politique et social. Mais il s’est fait, aussi, au prix de graves entorses au principe démocratique.
Car les nombreuses mesures d’austérité adoptées à l’été 2015 pour donner des gages aux créanciers du pays furent d’abord et avant tout la négation de l’expression directe de la souveraineté nationale, manifestée dans le cadre du référendum organisé le 5 juillet de l’an dernier. On pourrait légitimement faire valoir que la question qui fut alors posée était fort ambiguë. D’une part, parce que les documents soumis au référendum et à la désapprobation du peuple grec (le premier ministre s’était alors clairement engagé en faveur du « non ») ne constituaient pas une proposition définitive des créanciers, mais un simple document de travail. D’autre part, parce qu’une partie des réformes évoquées dans ce projet de plan d’aide devaient être adoptées par l’Etat grec avant le 1er juillet 2015. Autrement dit, les propositions soumises au vote du peuple le 5 juillet étaient (au moins partiellement) devenues caduques. Mais cette inadmissible confusion, imputable au gouvernement grec, n’a en rien affecté la signification politique du résultat, clair quant à lui, du référendum : 61,3% des votants ont alors rejeté la série de mesures que quelques jours plus tard, M. Tsipras, puis les députés grecs, furent finalement contraints d’accepter face à l’inflexibilité des créanciers.
Les mesures adoptées au lendemain du référendum du 5 juillet révèlent aussi et par ailleurs l’échec de la démocratie représentative et parlementaire en Grèce. D’une part, parce que la plupart de ces mesures (report de l’âge légal de départ à la retraite, dévalorisation des pensions de retraite, hausse de la TVA…), soutenues à contrecoeur par M. Tsipras et sa majorité (vivement ébranlée et très divisée après les compromis qu’il fallut accepter pour parvenir à un accord) étaient en tous points contraires au programme défendu par les candidats de SYRIZA, la coalition de mouvements de la gauche radicale largement victorieuse aux élections législatives grecques de janvier 2015, et dont M. Tsipras était issu. D’autre part parce que l’adoption de ces réformes, parfois profondes (comme la refonte complète du Code de procédure civile, objet principal d’une loi adoptée par le parlement grec le 22 juillet 2015), s’est faite sans que les représentants élus du peuple grec aient pu véritablement délibérer. Le projet de loi voté le 22 juillet, qui comptait plus de neuf cents pages, a été déposé par le gouvernement moins de 48 heures avant le débat en séance publique au parlement. Les commissions parlementaires chargées de son examen n’ont pas pu lui consacrer plus de quatre heures de débats. La procédure législative d’urgence, prévue aux articles 76 al. 4 de la Constitution et 109 du règlement du parlement, a été activée. Elle imposait un vote « après débat restreint en une seule séance » de « 10 heures maximum ». Comme l’a alors observé l’ancienne (et très contestée) présidente du parlement grec, Mme Zoé Konstantopoulou, dans une lettre adressée le 22 juillet 2015 au président de la République et au premier ministre grecs, les conditions de l’examen de ces textes ne garantissaient « ni le fonctionnement démocratique des institutions, ni les prérogatives du Parlement dans l’exercice de la puissance législative, ni la liberté de vote des parlementaires ».
Il y avait, bien entendu, urgence. Mais indépendamment du bien-fondé de la plupart des mesures adoptées et de la nécessité de poursuivre la réforme d’un Etat archaïque, impuissant à faire respecter le droit et très largement corrompu, le constat est, de ce point de vue-là, amer : quoi qu’en dise M. Tsipras qui célébrait dans un tweet du 5 juillet 2016 le premier anniversaire de cet « acte de résistance [sic] » du peuple grec, la démocratie fut profondément meurtrie sur la terre de sa naissance.
Elina Lemaire, Maître de Conférences à l’Université de Bourgogne