Le veto wallon contre le traité CETA : une leçon à méditer
Les journaux français découvrent grâce à la résistance du Parlement wallon et de son ministre-président (socialiste), Paul Magnette, l’existence du traité CETA. Cet accord commercial de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada est resté un peu dans l’ombre du traité TAFTA entre l’UE et les Etats-Unis. Il était prévu que la signature de ce traité CETA, préparé depuis sept ans, aurait lieu à Bruxelles le 27 octobre. La résistance de la Wallonie sorte de « village gaulois » dans l’Empire bruxellois, vient de remettre en cause cette signature à la surprise générale. Comment ce veto wallon a-t-il été rendu possible ?
Pour entrer en vigueur, un traité doit être à fois conclu par les autorités compétentes et ensuite ratifié par d’autres autorités. En France, le cas normal pour les traités les plus importants est qu’ils sont conclus par le Président de la République (art 52) puis leur ratification est autorisée par le Parlement (art 53 C) ou exceptionnellement par référendum (art. 11). Dans le cas d’un traité signé par l’Union européenne, les choses se compliquent. D’abord parce que pour certains traités relevant de la compétence exclusive de l’Union, les Etats-membres n’ont pas leur mot à dire. Mais pour le traité CETA, l’Allemagne et la France ont considéré qu’il s’agissait d’un accord « mixte », affectant des compétences nationales et exigeant alors une approbation des Etats-membres. Dans ce cas, il faut après la conclusion de ce traité une ratification émanant non seulement du Parlement européen, mais aussi des 28 Etats-membres.
Nos brillants négociateurs européens avaient ici simplement oublié le cas belge d’où est venu le grain de sable. De la Wallonie plus exactement. Dans la Belgique, qui est devenu un Etat fédéral, les « régions » — c’est-à-dire des Etats fédérés — ont le droit de conclure et de ratifier des traités qui sont appelés « mixtes », c’est-à-dire dont l’objet recoupe une partie des compétences attribuées par la Constitution fédérale à ces entités fédérées. Aux termes de l’article 167 (al. 3) de la constitution belge, « Les Gouvernements de communauté et de région visés à l’article 121 concluent, chacun pour ce qui le concerne, les traités portant sur les matières qui relèvent de la compétence de leur Parlement. Ces traités n’ont d’effet qu’après avoir reçu l’assentiment du Parlement. » Ainsi, le fédéralisme impose une solution incompréhensible pour les Français car il faut deux types d’autorités pour conclure et ratifier de tels traités : d’un côté, l’Etat fédéral belge et, de l’autre, les trois régions (flamande, wallonne et bruxelloise). Un accord de coopération du 8 mars 1994 entre l’Etat fédéral, les Communautés et les Régions relatif aux modalités de conclusion des traités mixtes a prévu deux types de procédure applicable. Dans le cas du CETA, un représentant commun était habilité pour signer ce traité mais il fallait obtenir l’accord de toutes les autorités compétentes, parmi lesquelles figure la région de Wallonie, pour la conclusion du traité. Or, dans sa résolution du 25 avril 2016, le Parlement wallon s’est opposé à cette signature.
Par conséquent, cette région belge, a usé de son droit de veto pour s’opposer, peut-être provisoirement, à un traité principalement négocié par la Commission bruxelloise. Un tel pouvoir de blocage n’existe pas dans tous les Etats fédéraux. Au Canada les Provinces n’ont pas un pouvoir de co-décision en matière de traités conclus par Ottawa ; elles ne sont d’ailleurs pas des parties signataires dans ce traité CETA, même si elles ont été consultées en amont par le gouvernement canadien, et d’ailleurs à la demande de l’UE.
Le refus par la région wallonne de conclure ce traité CETA pour l’instant s’explique surtout pour des raisons de procédure. Elle conteste d’une part, son « application provisoire » prévue à l’article 218, § 5, du Traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE) en vertu de laquelle une application anticipée d’un accord mixte peut avoir lieu, sans même attendre sa ratification qui est longue et compliquée. En outre et surtout, elle reproche à Bruxelles d’imposer le tempo en donnant des délais ridicules pour examiner ce dossier du CETA en brandissant aussitôt l’arme de l’ultimatum : « la signature ou le chaos ». Les Français connaissent – hélas ! – trop bien cette technique de gouvernance de la bureaucratie moderne qui donne un dossier à étudier le jeudi pour donner une réponse le vendredi … C’est ce petit jeu « impérial » et bureaucratique auquel Paul Magnette s’est opposé au nom de la démocratie, déclarant : « Le débat démocratique n’est pas le problème, mais la solution. Nous avons besoin de plus de contrôle parlementaire, pas moins. »[1]
S’il avance la solution démocratique, c’est que l’actuelle configuration institutionnelle de l’Union européenne – soit le classique triangle institutionnel – Commission, Conseil des Ministres, Conseil des Ministres – soit le nouveau et fort peu démocratique « Conseil européen » (composé des chefs d’Etat de gouvernement) – n’est pas satisfaisante du point de vue démocratique. Faute de démocratie au niveau de l’Union, il faut bien en retrouver au niveau des Etats-nations, et même – s’il le faut – au niveau des Etats fédérés d’un Etat fédéral !
Bref, loin d’être considéré comme une anomalie, le cas wallon devrait devenir un cas d’école à étudier. Que ce soit un ancien professeur d’université, pro-européen, et auteur d’un excellent ouvrage sur les institutions politiques européennes[2], qui administre cette leçon démocratique à l’Union européenne et aux autres Etats-membres est d’une certaine manière une bonne chose. Du moins si l’on est démocrate.
[1] Le Monde du 22 octobre 2016
[2] Paul Magnette, Le régime politique de l’Union européenne, Paris, Presses Sc po, 2009
Olivier Beaud, Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)