Obama, la justice pénale et la revue
Le dernier numéro de la Harvard Law Review publié le 5 janvier, est quelque peu particulier. La raison tient à ce qu’il contient un article long de cinquante-six pages, portant sur la réforme de la justice pénale et dont l’auteur n’est autre que l’actuel Président des Etats-Unis, Barack Obama. Dans cet article, rédigé dans un langage accessible mais fort de trois cent dix-sept notes de bas de page, le Président met en exergue ses réformes en matière pénale, comme pour mieux les ancrer dans la postérité au moment où celles-ci semblent menacées.
C’est la première fois qu’un Président en exercice publie un article dans une revue juridique. Néanmoins, pour Barack Obama, il s’agit, à travers ces pages, d’un retour aux sources, d’un retour dans la Revue dont il fut le Président lors de ses études à la faculté de droit de Harvard au début des années 1990. On ne peut manquer de noter la symbolique à l’œuvre, d’une Présidence à une autre, de celle qui l’a mis en lumière il y a vingt-sept ans de cela, lorsqu’il devint le premier Président noir de cette revue prestigieuse, à celle qu’il s’apprête à quitter dans quelques jours.
L’article, intitulé « Le rôle du Président dans la mise en œuvre de la réforme de la justice pénale », est le premier article publié par Barack Obama dans une revue juridique. Cela a de quoi surprendre dans la mesure où, on le sait, l’intéressé a été professeur associé (senior lecturer) de droit constitutionnel pendant douze ans à l’Université de Chicago. La raison de ce « silence » tient sans doute à ce qu’il n’était pas intéressé par une carrière académique, ou plutôt qu’il entendait privilégier la carrière politique qu’il menait de front, preuve en est le fait qu’il ait refusé les offres de l’Université de Chicago pour un poste de professeur titulaire.
L’article s’articule autour de quatre parties. La première dresse le bilan d‘un système pénal en proie à de nombreux dysfonctionnements. Avec plus de deux millions de détenus, la population carcérale américaine est la plus élevée au monde en nombre absolu, mais également relativement au nombre d’habitants. Le Président critique les effets des politiques pénales mises en place dans les années 80 et 90 qui ont conduit à une incarcération massive et dénonce à la fois le coût économique engendré, et les biais des discriminations raciales dans le prononcé et l’application des peines.
La deuxième partie de l’article met en exergue les moyens mis en œuvre durant son mandat pour remédier à ces défauts structurels au niveau fédéral, qu’il s’agisse des réformes législatives qu’il a soutenues, des changements de politique mis en œuvre en matière de poursuite pénale, ou encore de l’usage du droit de grâce et de commutation des peines. Barack Obama a en effet usé de cette prérogative que lui confère la Constitution à plus de mille reprises, soit plus que l’ensemble de ses onze derniers prédécesseurs. Dans un exercice particulier, l’auteur loue ici les mérites de son action.
La troisième partie s’inscrit dans cette lignée, en se concentrant cette fois-ci sur les réformes au niveau étatique et local, soutenues et défendues par le Président. Il revient sur les évènements de Ferguson et la question brûlante des violences policières. Après avoir souligné que les policiers sont les « héros de nos communautés », le Président rappelle les évènements tragiques durant sa Présidence qui ont mis en lumière les ruptures du lien de confiance entre les forces de l’ordre et la population dans différents endroits. Il expose alors les solutions proposées permettant la restauration de ce lien de confiance.
Enfin, dans une quatrième partie, Barack Obama souligne les réformes qu’il reste à mener, de l’adoption de lois réduisant les inégalités dans le prononcé des peines, aux mesures de bon sens permettant la réduction des violences commises par armes à feu, en passant par la protection du droit de vote des individus condamnés.
L’article est intéressant car il est un exercice de style particulier, à un moment non moins particulier. Ces singularités prennent d’ailleurs le pas sur la valeur scientifique ou doctrinale de l’article à proprement parler. On a là un ancien universitaire qui écrit aujourd’hui en tant que Président au sujet du rôle et des compétences du Président, au moment même où il quitte le pouvoir. Il y a là, indéniablement, la volonté d’appuyer par la plume ce qu’a été son action, et de faire savoir, pour celui qui a été si souvent accusé de ne pas savoir vendre ses réalisations, quelles ont été les grands moments de son mandat en matière de justice pénale. Ceci soulève d’ailleurs une question liée au public visé par cet article, dans la mesure où celui-ci s’inscrit dans une stratégie de communication. Le lectorat de la Harvard Law Review, aussi prestigieuse soit cette revue, demeure restreint et l’article risque ainsi de n’atteindre qu’un public limité, une partie de la communauté des juristes, qui n’est d’ailleurs pas nécessairement celui qui était le moins informé à la fois des enjeux et des actions du Président. Sans doute, cette communication, qui a d’ailleurs été sollicitée par les éditeurs de la Revue eux-mêmes, doit elle se comprendre dans l’effort tout azimut de description et de narration de ce qu’a été sa Présidence, entrepris par Barack Obama ces dernières semaines.
Enfin, si on peut s’interroger sur le point de savoir si ou plutôt dans quelle mesure ce long article est le fruit d’une rédaction collective, on retrouve toutefois un ton particulier – « la manière dont nous traitons les citoyens ayant commis des erreurs, même graves, révèle notre nature et notre attachement à nos principes fondateurs » – et une note d’optimisme caractéristique en conclusion – « we are moving in the right direction » – alors même que son successeur à la Maison Blanche s’est dit déterminé à faire machine arrière sur l’ensemble de ses réalisations, y compris en matière de justice pénale.
Idris Fassassi, Maître de conférences à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)