Les élections sénatoriales de 2017 ou la sourde évolution des rapports de force institutionnels et partisans [Par Benjamin Morel]

Les élections sénatoriales de 2017 ou la sourde évolution des rapports de force institutionnels et partisans [Par Benjamin Morel]

Les élections sénatoriales n’ont pas fait la une de la presse tant elles semblaient jouées d’avance. Pourtant, une analyse précise de leurs résultats permet de mieux comprendre les évolutions dont elles témoignent. Derrière une apparente permanence, elles offrent l’occasion d’apprécier les ruptures au sein des pôles partisans, ainsi que la continuité du personnel politique local. Le Sénat se trouve aujourd’hui devant un dilemme. Si la logique politique doit le pousser à se transformer en tribune et en force d’obstruction, l’intérêt de l’institution devrait le conduire à entamer un dialogue avec le Gouvernement. À terme, c’est la manière dont les sénateurs concilieront ces deux logiques qui décidera de l’action du Sénat et de l’avenir des réformes institutionnelles.

 

Benjamin Morel, Attaché Temporaire d’Enseignement et de Recherche à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne

 

« Le Sénat : litanie, liturgie, léthargie » raillait Égard Faure, qui fut pourtant sénateur à deux reprises. Au cours d’une année électorale qui a profondément perturbé le schéma partisan, les élections sénatoriales semblent ainsi un îlot immobile au cœur d’un océan en pleine tempête. Il serait facile d’attribuer ces résultats au conservatisme d’une institution représentative de ce que d’aucuns nomment l’« Ancien Monde ». Pourtant, si les évolutions sont difficiles à discerner, elles n’en sont pas moins réelles. Comme le notait Daniel Carton « Au Palais du Luxembourg, on ne cause pas, on murmure. On ne déclare pas, on confie. » Et les murmures de cette élection nous en apprennent beaucoup sur l’évolution des rapports de forces politiques comme tentera de le montrer ce billet.

 

Il convient tout d’abord de rappeler les faits. Le printemps 2017 a vu l’élection d’un président et d’une nouvelle majorité à l’Assemblée nationale issus d’une formation politique dont l’existence n’était pas vieille d’un an. Pour de nombreuses raisons qu’il ne saurait être question d’analyser ici, les grands partis de gouvernement ont, non seulement perdu les élections, mais se sont vu marginaliser au sein d’un jeu partisan devenu quadripolaire. À l’inverse, les élections sénatoriales du 24 septembre ont témoigné d’une grande continuité. Les partis de la droite gouvernementale ont affermi leur assise sur la seconde chambre (de treize sièges pour les Républicains et de sept pour l’Union centriste). En dépit d’un revers historique aux élections municipales de 2014 — dont étaient issus 96 % des grands électeurs votant en 2017 —, la gauche socialiste et communiste a subi une défaite relativement limitée (respectivement huit et quatre sièges). Le groupe socialiste se maintient comme second groupe du Sénat avec soixante-dix-huit membres, et les communistes, sans l’appui de la France insoumise, conservent un groupe de quinze membres dans la seconde chambre. En revanche, les deux formations qui avaient porté leurs candidats au second tour de l’élection présidentielle subissent un échec incontestable. Le Front national, qui n’y envoie aucun nouvel élu, ne dispose que de deux sénateurs siégeant sur les bancs des non-inscrits. La République en marche perd deux élus le 24 septembre et huit après constitution des groupes. Les ambitions de la jeune formation majoritaire à l’Assemblée nationale étaient pourtant bien de représenter un pôle puissant capable de structurer une nouvelle majorité sénatoriale composite, entre socialistes « progressistes » et centristes « constructifs ». Une semaine plus tard, Gérard Larcher est réélu avec 223 voix (soit plus que l’addition des sièges des groupes de la droite et du centre) contre Didier Guillaume et Éliane Assassi.

 

Au-delà de l’impression d’immobilisme qui prévaut de prime abord, ces élections sénatoriales méritent d’être analysées de près. Elles permettent en effet de mieux comprendre l’évolution politique et institutionnelle du pays au regard de la transformation du rapport de force partisan (I) et de l’équilibre des institutions auquel participe la seconde chambre (II).

 

I. La transformation souterraine des rapports de force partisans

 

Les élections sénatoriales de 2017 semblent n’avoir que peu fait bouger les lignes dans la chambre haute. Si cette permanence est réelle et s’explique par le maintien d’un terreau d’élus sur lequel s’appuient les sénateurs (A), il ne faudrait pas pour autant croire l’élection sénatoriale imperméable à l’effritement du paysage politique (B).

 

A. La stabilité des structures du collège électoral

 

À première vue, les élections sénatoriales de 2017 semblent confirmer l’ancien système partisan, stabilisé en France depuis 1981. Il serait facile d’y voir une simple conséquence des élections municipales de 2014 — date à laquelle la République en marche n’existait pas — qui s’étaient soldées par une large victoire des partis de droite. Ce serait toutefois là une analyse à courte vue, comme en témoigne le sort du groupe socialiste et de la République en marche.

 

Ne perdant que huit sièges, le groupe socialiste ne subit qu’un recul limité, qui s’explique par trois raisons distinctes. D’abord, les sénateurs renouvelés en 2017 sont ceux qui ont été élus en 2011, à l’issue d’une élection particulièrement favorable à la Gauche qui y conquit une majorité, le groupe socialiste remportant vingt-cinq sièges. Ce résultat fut construit sur une série de victoires locales et apparut comme sanctionnant la droite après une réforme territoriale particulièrement mal ressentie par les élus locaux. C’est peu dire que la situation politique six ans plus tard pouvait être jugée différente. Outre une défaite historique aux précédentes municipales (la gauche y perdit 121 villes de plus quinze mille habitants), les socialistes pouvaient localement se voir reprocher la loi NOTRe, la suppression de la clause générale de compétence pour le département et la région et surtout la baisse continue des dotations (la dotation globale de fonctionnement est ainsi passée de 41,4 milliards en 2012 à 33,2 milliards en 2016). Ils étaient par ailleurs les plus susceptibles de subir les effets de l’émergence de la République en marche, la majeure partie des élus locaux de cette formation provenant du PS.

 

En miroir de ce succès relatif qui permit à Didier Guillaume de retrouver sans encombre la présidence du groupe, il faut considérer le revers de la République en marche. Ce dernier ne s’explique pas tant par la persistance d’un « vieux monde » — qui n’a de vieux que le fait de ne pas être la conséquence directe d’un événement électoral produit de facteurs contingents et survenu il y a moins de six mois dans un paysage politique éclaté — que par la conjonction de trois facteurs. Tout d’abord, les annonces gouvernementales ont eu pour effet, depuis le mois de juin 2017, de susciter la méfiance des élus locaux (suppression de la taxe d’habitation pour 80 % des foyers fiscaux, fin des emplois aidés, nouvelle baisse des dotations…). On peut ensuite y voir une conséquence de la faible implantation de la plupart des candidats de la République en marche, encore aggravée par des investitures tardives. Or s’il est possible de mener une campagne législative sous la seule étiquette partisane, l’élection sénatoriale repose sur une relation de confiance établie entre l’électeur et l’élu. En pratique, une campagne sénatoriale s’apparente à une odyssée où chaque candidat se doit de faire le tour des mairies. Le dernier facteur a trait à la surreprésentation au Sénat d’une France rurale et périphérique que n’incarne pas vraiment un mouvement politique très urbain comme la République en marche. C’est dans cette France rurale qu’Emmanuel Macron a fait ses plus mauvais scores et qu’il a même, souvent, été battu au second tour de l’élection présidentielle.

 

Le rejet de la République en Marche n’est pourtant pas la conséquence d’une radicalisation des grands électeurs, ni même d’un rejet d’une forme de centrisme comme en témoigne le bon score du groupe Union centriste qui progresse de sept sièges. Aux législatives et aux présidentielles, le rapport de forces entre formations partisanes dépend principalement de leurs capacités à occuper un espace politique plus ou moins important. La République en marche a sur ce point profité d’une conjoncture favorable, les deux partis de gouvernement s’étant éloignés du centre. Aux sénatoriales en revanche, la dynamique est celle d’un enracinement des structures politiques fondées sur un tissu social d’élus de terrain. Ces derniers ne sont pas tant sensibles aux évolutions partisanes qu’à celle du personnel politique. Or celui-ci est le produit de plusieurs élections successives qui, si elles peuvent avoir des résultats variables, ne transforment pas en profondeur les réseaux locaux. Beaucoup d’élus ruraux ne sont pas encartés et leur vote est davantage guidé par la confiance qu’ils portent au candidat que par son étiquette partisane. À la différence de la République en marche, le groupe socialiste possède ce type de personnel politique. Si les élections locales peuvent conduire à un renouvellement des majorités, en dehors des grands centres urbains elles ont peu d’influence sur la désignation des individus qui, passant localement d’un mandat à l’autre, perpétuent ces réseaux. Le collège électoral se construit ainsi à rythme lent, par strates successives au cours de chaque élection. De nouveaux visages arrivent certes, mais lentement. Cette représentation politique qui s’ancre dans une réalité sociale bien marquée n’est donc que peu sensible à l’évolution de la conjoncture politique.

 

B. L’affaiblissement de la cohésion des groupes

 

La permanence des réseaux d’élus locaux sur lesquels reposent les élections sénatoriales permet donc d’expliquer la stabilité de la composition de la seconde chambre. Cette élection n’en témoigne pas moins d’évolutions profondes du système partisan, qui sont assez semblables à celles résultant des élections présidentielles et législatives. On note ainsi un émiettement des blocs politiques, notamment par l’intermédiaire d’une multiplication des listes ou candidatures dissidentes : alors que seuls 754 candidats s’affrontaient en 2008 et 1 374 en 2011, ils étaient 1 733 en 2017. Le phénomène n’est pas nouveau et a souvent pour but de contourner la loi sur la parité. Toutefois, la candidature dissidente permet aussi de s’affranchir de l’investiture du parti. Dans le cadre d’un mode d’élection favorisant le contact direct entre élus et électeurs, l’investiture est en effet un facteur secondaire. Aussi les élections sénatoriales permettent-elles à la fois de faire valoir une sensibilité politique qui ne s’inscrit pas dans la ligne du parti et de revendiquer une sensibilité politique propre à légitimer une aventure personnelle. L’exclusion du parti qui pourrait s’ensuivre ne condamne d’ailleurs pas à siéger sur les bancs des non-inscrits. D’une part, les groupes Union centriste et Rassemblement Démocratique et Social Européen se renforcent ainsi de l’accueil des dissidents des formations majoritaires. D’autre part, si les grands groupes devaient se priver de réintégrer la majeure partie des dissidents, ils en sortiraient fort affaiblis et se montrent donc accommodants.

 

Cette difficulté croissante à gérer les querelles de personnes et de courants sur le terrain est le symptôme d’un fort affaiblissement des grandes structures partisanes. En témoigne notamment l’absence dans tous les départements, à l’exception du Val-de-Marne, de liste d’union de la Gauche qui signe la rupture entre une frange plus radicale ou jacobine et une gauche girondine blessée par sa défaite aux primaires de janvier 2017. À droite, la situation a également conduit à un durcissement des lignes. Ainsi, à Paris, la droite présentait trois listes. Celle investie, emmenée par Pierre Charon, n’y a finalement remporté qu’un seul des quatre sièges obtenus. Jugées plus centristes, les deux autres en ont décroché trois. Face à un Front national mal armé dans un tel scrutin et à un électorat plus modéré, l’espace pour une droite bonapartiste est plus limité. Les luttes pour imposer une redéfinition d’une ligne politique au sein de la droite de gouvernement ont ainsi conduit à de fortes tensions sur le terrain.

 

La campagne sénatoriale ne s’est donc pas jouée sur un nouvel échiquier sur lequel ne seraient pas apparus les coups des précédents mois. Toutefois, la structure des groupes sénatoriaux masque ces enjeux. Ces derniers sont en effet beaucoup plus souples quant à leur discipline de vote et à leur organisation qu’à l’Assemblée nationale. Ainsi, le système des apparentements autorise des non-membres à se lier à un groupe tout en conservant leur absolue liberté. Cela représente un avantage important, puisque faire partie d’un groupe permet de disposer de moyens financiers et juridiques pour peser : obtenir plus facilement des fonctions de rapporteur, pouvoir espérer un soutien du groupe pour faire avancer ses initiatives (rappelons qu’au Sénat les modalités du scrutin public font qu’un seul sénateur peut disposer des délégations de vote de l’ensemble de son groupe). Le rapport coût/avantage à l’appartenance commune à un groupe est donc différent au Sénat et à l’Assemblée. Le groupe Communiste Républicains et Citoyens a ainsi abrité tour à tour non seulement des communistes, mais aussi des chevènementistes, des mélenchonistes et maintenant des écologistes. Ces mêmes écologistes se retrouvent aujourd’hui éclatés entre les trois groupes de gauche. Si l’aile dite « constructive » de la droite a finalement créé un groupe « République et territoires – les indépendants », sa principale figure de proue, Fabienne Keller, est restée au sein du groupe les Républicains. Les menaces de scission du Groupe socialiste ont été conjurées par son relatif succès. Le groupe de la République en marche, qui pouvait sembler le plus rigide, a pour sa part connu une déperdition de six sénateurs entre le soir de l’élection et l’officialisation de la composition des groupes. Beaucoup de sénateurs qui avaient été investis lui ont préféré la liberté offerte notamment par le groupe RDSE. Ce dernier, le plus vieux du Parlement français, abrita ainsi longtemps après leur scission des radicaux de gauche et des radicaux valoisiens. Comme lui, les autres groupes sénatoriaux semblent destinés à perdurer, tout en n’apparaissant plus que comme les maisons communes de familles désunies.

 

II. La lente évolution de la place du Sénat dans le paysage institutionnel

 

S’il est difficile, dans une perspective institutionnelle classique, de suivre Gérard Larcher lorsqu’il qualifie le Sénat de contre-pouvoir, l’institution paraît sans conteste avoir endossé le rôle d’un pouvoir modérateur (A), ce qui ne l’empêche pas d’être parfois prise dans des logiques institutionnelles et politiques assez profondément antagonistes (B).

 

A. Le maintien d’un rôle modérateur du Sénat

 

À l’origine, le Sénat possède deux fonctions essentielles sous la Ve République : celui de chambre législative dont l’apport est lié à une seconde lecture des textes et celui d’allié du Gouvernement. Ce second rôle a toutefois été rapidement mis à mal par l’institution elle-même. Dominée par les groupes centristes sous la présidence du général de Gaulle, elle se constitua alors en foyer de contestation contre le nouveau pouvoir. Si son ancrage structurel à droite en a fait une force de blocage pour les gouvernements de gauche, le caractère composite de sa majorité (le Sénat ne connut de majorité absolue que durant quatre ans de 2004 à 2008) et la volonté de l’institution de prouver sa différence en ont fait un allié délicat pour les gouvernements de droite. Dès lors, le Sénat constitue sans nul doute une institution dotée d’une capacité de blocage ; un pouvoir modérateur, fut-il imparfait. C’est de cette fonction que découle le bicamérisme moderne tant en France (Sieyès) qu’aux États-Unis (Hamilton et Madison). Les révolutionnaires américains envisagèrent d’ailleurs de nombreuses façons de composer la seconde chambre avant de convenir finalement d’en faire la représentante des États fédérés. Dans l’histoire du bicamérisme, la fonction d’équilibre de la seconde chambre fait ainsi souvent plus facilement consensus que celle de représentation ; cette dernière ne cessant d’ailleurs jamais d’être problématique.

 

D’un point de vue juridique, le Sénat ne cesse de représenter le souverain, donc le Peuple. D’un point de vue politique, la seconde chambre apparaît comme représentant un personnel politique local qui n’évolue que lentement élection après élection. Aussi le Sénat, de par sa composition, et en dépit de ses imperfections, peut-il exercer une fonction de modération face aux brusques revirements de la conjoncture politique ; renversements qu’accentue à l’Assemblée l’effet distordant du scrutin majoritaire. L’actuel président de la République et la majorité de députés qui s’en réclame n’ont ainsi réuni sur leurs noms, à chaque premier tour, qu’environ 15 % des inscrits. La logique des institutions, que l’on peut contester mais qui assure une légitimité à tout vainqueur de l’élection, permet, à partir d’un chiffre aussi modeste, de garantir la stabilité et de conduire une politique. En résistant à la vague En marche, comme il avait résisté à la vague gaulliste, le Sénat montre qu’un pays n’est pas radicalement transformé au lendemain d’une élection.

 

L’ancrage du Sénat dans ce terreau politique stable est une force. Certes, il est toujours possible au gouvernement de surmonter l’opposition du Sénat en donnant le dernier mot à l’Assemblée nationale. Les effets de la procédure sur la place institutionnelle du Sénat sont toutefois à relativiser. La navette permet en effet, même en cas de dernier mot, d’intégrer la plupart des apports des sénateurs. Près de 70 % des amendements sénatoriaux sont repris à l’Assemblée, qui plus est la règle de l’entonnoir interdit par la suite tout retour sur ce qui est entendu. Par ailleurs, l’usage veut que le rapporteur de l’Assemblée nationale reprenne à son compte les points d’accords trouvés en Commission Mixte Paritaire. Enfin, si pour le Gouvernement, le risque afférent à l’usage du dernier mot est moins immédiat, il n’en est pas moins plus important. Il est en effet dangereux d’envoyer un mauvais signe à une institution dont les membres ont été élus, d’abord et avant tout, car ils disposent de réseaux bien établis dans le pays. Toutefois, encore faut-il pour ce faire que ces mêmes relais se reconnaissent dans une institution sénatoriale qui serait pour la majorité autre chose qu’une tribune politique.

 

B. Le rôle du Sénat entre logique politique et institutionnelle

 

Peut-on prévoir comment se comportera la nouvelle majorité sénatoriale ? La réponse est bien évidemment négative, mais l’on peut toutefois évoquer la difficulté, traditionnelle pour le Sénat, de concilier les effets souvent antagonistes des logiques politiques et institutionnelles.

 

La logique politique interdit de détacher le rôle à venir de la seconde chambre de la lutte qui se joue actuellement pour prendre la tête de l’opposition. La présence de la République en marche reconfigure en effet d’autant plus le paysage politique que, le centre ne séduisant peu ou prou que 20 % de l’électorat, il est difficile pour un grand nombre de formations de cohabiter dans un tel espace. La difficulté est d’autant plus aiguë pour la droite que les récentes enquêtes d’opinion montrent que si le gouvernement perd en popularité à gauche, il en gagne au centre droit. Il est donc cohérent d’assister à une radicalisation de la droite parlementaire qui peut profiter par ailleurs d’un affaiblissement du Front national. Pour être audible, cette droite a besoin d’adopter une posture d’opposition forte. Le Sénat pourrait être ici un instrument idoine. Ce ne serait d’ailleurs pas la première fois que l’institution jouerait ce rôle. Elle l’a déjà endossé dans les années quatre-vingt face à François Mitterrand, mais aussi plus récemment lorsque la nouvelle majorité de gauche a souhaité faire de la seconde chambre un fer-de-lance pour l’alternance de 2012. Reste qu’une telle stratégie risque d’être difficile à faire admettre à des sénateurs dont on a déjà pu voir qu’ils étaient plus centristes que la moyenne des membres de leurs partis et peu enclins à une forte discipline majoritaire. Il est donc peu probable que le Sénat manifeste une opposition franche et systématique aux propositions du Gouvernement.

 

Parallèlement, la logique institutionnelle devrait conduire le Sénat à tenter de maintenir, voire de renforcer, sa capacité à compter dans le débat public. C’est ce même souci de perdurer qui a conduit le Sénat à se faire accommodant sous la seconde cohabitation ou au contraire assez critique sur certains textes lors du quinquennat de Nicolas Sarkozy. En cela, elle a montré ainsi que l’intérêt de l’institution ne se confond pas toujours avec celui de sa majorité. Gérard Larcher l’a bien compris en parvenant à convaincre au-delà des rangs de la droite et du centre par un discours d’affirmation de l’identité, de la différence et de l’importance du Sénat. Pour les sénateurs, une institution faible présente en effet un risque de marginalisation. Cette incapacité à peser ne manquerait pas de leur être reprochée par leurs électeurs. Cette logique institutionnelle ne pousse donc pas forcément le Sénat à l’accommodement. Ainsi, une réforme constitutionnelle et organique qui inclurait une diminution du nombre de sénateurs semble susceptible de heurter non seulement les sénateurs, mais aussi, parce qu’elle conduirait à abolir le minimum d’un sénateur par département, le tissu d’élus dont le Sénat se veut le représentant. Or, le blocage d’une telle révision constitutionnelle au sein du Sénat ne laisserait plus au Président de la République que la possibilité, toujours hasardeuse, d’user du référendum prévu à l’article 11 de la Constitution.