Un nouveau site au Conseil constitutionnel. Hélas !

Par Olivier Beaud

<b> Un nouveau site au Conseil constitutionnel. Hélas ! </b> </br> </br> Par Olivier Beaud

L’affaire a fait moins de bruit que la décision du Conseil constitutionnel sur l’aide aux migrants et la constitutionnalisation « osée », pour ne pas dire plus, du principe de fraternité, mais le public doit savoir qu’au cours de l’été, le site internet de cette Haute instance a été modifié. Il a été même entièrement refondu. Hélas, devrait-on dire tant la nouvelle version s’avère dysfonctionnelle et peu pratique.

 

L’ancien site avait de nombreuses vertus à tel point d’ailleurs qu’on pouvait le considérer comme un site de référence. Parfaitement lisible et accessible, il permettait au lecteur de « naviguer » avec beaucoup de sûreté en cliquant sur les diverses options qui lui étaient offertes. Sur le point capital, qui est la recherche de la jurisprudence, il avait une supériorité manifeste sur de nombreux autres sites (y compris celui de la Cour de cassation) en ce que, sans connaître forcément la date d’une décision, on pouvait la retrouver assez aisément en consultant la liste des décisions année par année. Il permettait aussi facilement de repérer facilement les différents types de décisions que prenait le Conseil, pas uniquement les décisions prises sur le fondement de l’article 61 C (DC) ou 61-1 (QPC), mais aussi les décisions relevant du très nourri contentieux électoral ou encore les déclarations de déchéance ou d’incompatibilité, ce qui donnait au lecteur du site une image très frappante de la variété de ses compétences qu’il pouvait découvrir parfois un peu par hasard. En outre, lorsqu’on comparait ce site avec celui de certaines juridictions constitutionnelles étrangères, on s’apercevait de la supériorité du site français. C’est évident pour ceux qui fréquentent le site de la Cour de Karlsruhe, où l’on ne peut pas accéder encore à toutes les décisions. On a même entendu dire que le concepteur de ce site du Conseil constitutionnel était souvent invité à l’étranger pour le présenter. Bref, ce site était un produit d’exportation et un petit chef d’œuvre de « documentation juridique » permettant un accès aisé du grand public au monde parfois ésotérique du droit.

 

Or, le nouveau site du Conseil constitutionnel déçoit beaucoup. Il plaira peut-être à ceux qui apprécieront la page d’accueil, qui fait penser à la « Une » d’un magazine glamour du genre Relais et Châteaux : on y voit en effet la photo du premier étage du Palais Montpensier sur un fond bleu très audacieux, et contenant en surimpression l’affichage des plus récentes décisions. Le site de la Cour des comptes est un peu du même genre, mais en plus sobre, et même plus sombre, avec une photo d’une file d’attente du public accédant au rez-de chaussée de la noble institution de la rue Cambon. Mais si l’on aborde l’essentiel, à savoir l’aspect pratique du site du Conseil, l’usager doit très vite déchanter tant l’utilisation de ce nouveau site s’avère difficile et pénible. Mais, dira-t-on, il faut s’habituer à un nouveau site et tout lecteur ou tout usager est un brin conservateur. C’est comme avec une nouvelle voiture ou un nouvel appareil, il faut dompter la machine avec un peu de patience et d’exercice. Mais en l’espèce ce sera difficile tant est malaisée la navigation sur ce nouveau site où le clinquant et le « convivial » comme on dit dans le jargon du marketing informatique, semblent avoir été systématiquement privilégiés sur l’accès à l’information. Sur le point capital de la recherche d’une décision, le recul est manifeste et inquiétant. Il n’est plus désormais possible de retrouver facilement une décision si on ne connait, pas sa date exacte ou son numéro, même si l’on peut évidemment toujours effectuer une recherche par mot ou dans les tables analytiques. Bref, pour trouver quelque chose, il faut savoir exactement ce qu’on cherche !…. Plus aucune chance de faire des découvertes aléatoires au gré de recherches par année, par exemple. Le site du Conseil constitutionnel égale, en illisibilité celui de la Cour de justice de l’Union européenne, et il n’y a pas de quoi en être fier.

 

C’est également à des détails qu’on voit le piètre résultat obtenu par cette refonte. Lorsqu’on tape sur l’onglet le plus important « Décisions », on tombe sur une page largement vide où l’on doit répondre à la question « Rechercher une décision », ce qui suppose évidemment de savoir ce que l’on recherche, et si l’on glisse on a une rubrique peu informative qui est composée des « récentes décisions », comme si l’actualité devait primer sur tout. Par ailleurs il nous est arrivé parfois – pour des raisons que l’on ignore – en tapant sur la fonction « recherche d’une décision »  de voir apparaître d’abord en haut de l’écran une série de textes (les observations du gouvernement, les décisions de renvoi) avant de  repérer le plus important, à savoir la décision elle-même.  Par ailleurs, on ne peut plus copier/coller correctement les décisions sans avoir toute une ribambelle d’informations parasites ou de voir des onglets surgir inopinément. Alors qu’il fallait auparavant deux ou trois secondes pour effectuer cette opération, notamment en passant par la fonction RTF (toujours en usage chez Légifrance), il faut maintenant s’armer de patience pour constituer son fichier à partir de la décision sur le site. Beau progrès !… Tout aussi contestable est cette idée de faire figurer à côté de la référence de la décision, le lien vidéo sur lequel on peut cliquer pour « voir » l’audience quand elle est filmée. N’est ce pas ici encore, juxtaposer deux éléments d’importance inégale et privilégier indûment l’image par rapport à l’écrit ?

 

D’une manière générale, la régression que constitue la refonte de ce site est assez frappante. La somme d’informations que l’on trouve par exemple sur la page d’accueil est assez ridicule si on la compare avec ce qui figurait dans le site antérieur, et encore faut-il pour le nouveau site, faire glisser la souris de son ordinateur pour avoir toutes les informations pertinentes. Ce site est mal conçu tant il y a des espaces blancs perdus au profit d’image en filigrane, alors que le b.a.b.a d’un bon site ne serait-il pas de faire figurer le maximum d’informations sur la page que l’on ouvre en rendant lisible et compréhensible celle-ci pour que le lecteur trouve facilement son chemin, et tout seul ?  C’est ce que faisait efficacement l’ancien site. Or, ici on est loin du compte avec ce nouveau site qui est autant « bling-bling » que dysfonctionnel.

 

On pourrait s’étonner d’un tel billet. Une telle affaire est minime, dira-t-on ? Pas tant que cela en réalité car l’accessibilité d’un site est un élément déterminant pour garantir l’accès à l’information et une certaine hiérarchisation des priorités. On serait curieux de savoir qui a fait ce site, comment il a été conçu ou encore si l’on n’a pas pris modèle sur un site déjà existant (celui de la Cour des comptes, assez semblable ?) Si oui, les sites sont-ils interchangeables ? Sûrement pas. On aimerait aussi savoir qui, au sein du Conseil constitutionnel, a été en charge de cette opération, ou encore si la version finale du site a été « évaluée » (un gros mot pour une telle institution) par des tiers ou bien par les « Sages » eux-mêmes qui sont aussi les premiers concernés. Bref, qui a validé ce « machin » ? Et ultime question : pourquoi a-t-on changé l’ancien site ? Parce qu’il était trop vieux ? Parce qu’il était trop bien ?….. On aimerait aussi savoir combien a coûté cette plaisanterie. Peut-être un « pognon de dingues » pour arriver à cela ! ….

 

Une chose reste sûre :  un tel site se situe loin des exigences qu’une institution publique chargée d’un service public devrait avoir. On peut aisément soupçonner le Conseil constitutionnel d’avoir cédé aux sirènes de la « communication ». Quand ce dernier dissertera à l’avenir sur l’accessibilité et à l’intelligibilité de la loi, on pourra aisément lui conseiller de « balayer devant sa porte » et d’assurer une véritable accessibilité et intelligibilité de son site et des informations le concernant…

 

 

Olivier Beaud, Professeur de droit public à l’université Paris II Panthéon-Assas