Le référendum d’initiative citoyenne, enfin ?

Par Bruno Daugeron

<b> Le référendum d’initiative citoyenne, enfin ? </b> </br> </br> Par Bruno Daugeron

Le mouvement des gilets jaunes est l’occasion de reposer la question de la place du référendum à l’initiative des citoyens dans nos institutions et de mettre en avant les bienfaits qui pourraient en être tirés à commencer par une réelle participation des citoyens à l’expression de la volonté nationale et une remise en cause du présidentialisme majoritaire.

 

The “Yellow Vests” movement is an opportunity to question the role of the citizen’s initiative referendum in our institutions and to highlight its potential benefits, a real participation of citizens in the expression of the national will and a challenge of majority presidentialism.

 

Par Bruno Daugeron, Professeur de droit public à l’université Paris Descartes

 

 

L’énergique mouvement des « gilets jaunes » intervient l’année d’un double anniversaire : celui des cinquante ans de mai 1968, révolution libertaire largement célébrée dans les médias, et celui, plus discret, du soixantième anniversaire de l’adoption de la Constitution de 1958. Il a aussi un double mérite : en plus de faire apparaître au grand jour une France oubliée, il a celui de poser la question du rapport entre la démocratie et la Ve République. Voulue et regardée en son temps comme une Révolution constitutionnelle ayant restauré, sous l’impulsion du général de Gaulle, le Pouvoir et l’Etat, le texte de 1958 présentait de nombreux éléments de rupture avec les Républiques précédentes, leurs délices et leurs poisons. Elle introduisit en particulier, dans son article 11, le référendum. Ecarté de nos Constitutions sous les IIIe et IVe République de peur des « dérives plébiscitaires » conduisant au « pouvoir personnel » honni des républicains qui voulaient voir dans le Parlement, être collectif sans chef, le seul pouvoir légitime, il devait permettre au corps électoral de revenir dans le jeu institutionnel. En cela, il constituait une rupture.

 

Rupture modérée toutefois puisqu’elle consiste seulement en une possibilité offerte au président de la République, sur proposition du Gouvernement ou conjointe des deux assemblées, de soumettre au corps électoral tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics ou sur la ratification d’un traité. L’initiative vient en effet du pouvoir exécutif et de lui seul, pas des citoyens. Rupture avortée surtout puisqu’il ne fut utilisé que neuf fois en soixante ans et que son élargissement en 1995 aux « réformes relatives à la politique économique ou sociale de la Nation et aux services publics qui y concourent » ne déboucha sur aucune consultation. L’introduction à l’alinéa 3 de l’article 11 d’un référendum dit d’initiative partagée par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 censé permettre à un cinquième des membres du Parlement (c’est-à-dire 185 députés ou sénateurs) soutenu par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales (c’est-à-dire pas moins de 4,5 millions de personnes) de soumettre une proposition de loi au référendum n’est qu’une plaisanterie cynique tant les conditions de mise en œuvre sont difficiles et contradictoires dans leur principe, encore renforcées par la loi organique du 6 décembre 2013 censée en permettre l’application.

 

Tout ceci n’en a pas moins valu à la Ve République, depuis 1958, le qualificatif baroque de « démocratie semi-directe ». L’appellation de « démocratie » est sans doute usurpée si l’on considère que la démocratie directe est un pléonasme et la démocratie représentative une contradiction dans les termes. Mais la qualification est vraie si le « semi » désigne l’inaboutissement d’une procédure qui ne donne pas aux citoyens l’essentiel, c’est-à-dire l’initiative de la consultation référendaire et le libre choix du sujet. Cette revendication du référendum d’initiative citoyenne qui jaillit des manifestations des « Gilets jaunes » dit bien que la Ve République n’est pas allée jusqu’au bout de sa logique fondatrice telle qu’a pu la défendre René Capitant par exemple, c’est-à-dire la participation active des citoyens à l’expression de la volonté nationale. Elle est révélatrice du sentiment que le corps électoral est en réalité tenu à l’écart des choix collectifs faits au nom du peuple souverain au point d’être contraint de se réfugier dans l’abstention tant ils savent que leur vote n’est d’aucun poids sur la politique menée dès qu’il ne s’agit plus d’une question de personne. Mais elle est aussi constructive dans la mesure où elle exprime le vœu d’une part importante des citoyens de disposer d’une procédure institutionnelle permettant d’exprimer, dans le cadre des institutions de la République, leurs revendications et de les transformer en décisions souveraines qui s’imposent aux gouvernants. Elle montre enfin qu’ils sont de moins en moins dupes du piège que constitue l’élection du président de la République au suffrage universel sur un programme de gouvernement et de la rhétorique qui en est tirée : en votant pour un homme c’est sa politique qui serait souverainement ratifiée « par le peuple » au prix d’une confusion funeste entre élection et souveraineté. Censée constituer et épuiser à elle seule toute la question de la « légitimité démocratique », elle est ensuite jetée à la face des gouvernés pour leur interdire toute consultation voire toute protestation sur la politique qui s’applique à eux puisqu’ils sont censés l’avoir approuvé, via l’élection présidentielle, fondement à l’action du pouvoir majoritaire élu pour cinq ans et irresponsable de fait pendant cette période.

 

Le référendum d’initiative citoyenne permettrait de sortir de cette logique perverse du « présidentialisme programmatique ». Non seulement en plaçant le corps électoral à l’initiative des propositions législative, constitutionnelle, abrogative voire révocatoire comme le pratiquent des Etats aussi différents que la Suisse, l’Italie ou certains Etats des Etats-Unis (la Californie en particulier) selon des modalités diverses pouvant toutefois fort bien être transposées en France. Toutes permettraient de corriger les mécanismes de contrôle parlementaire le plus souvent défaillants en raison de l’emprise du « fait majoritaire ». Mais aussi et surtout en lui offrant la possibilité d’examiner dans le détail les « réformes » que l’on prétend appliquer au pays, de les écarter le cas échéant voire de les abroger une fois les effets connus, et non de se les voir imposer au prétexte d’une pseudo ratification aveugle faite à l’occasion d’une élection quinquennale relevant plus du happening médiatique que du choix démocratique. Il faudra pour cela que les conditions posées par le gouvernement sur la nature des questions posées, les limites des domaines, le contrôle des questions opéré sur les propositions référendaires (vraisemblablement confié au Conseil constitutionnel) et le seuil quantitatif du déclenchement ne réduisent pas à rien son principe même comme c’est à craindre. Mais si cette demande de souveraineté est prise au sérieux, peut-être pourrait-on enfin arriver à mettre fin à cette irrationnelle peur française du référendum, et modérer ainsi, à défaut d’une solution plus radicale, le présidentialisme par le référendum comme R. Carré de Malberg entendait, à la fin de la IIIe République, combiner référendum et parlementarisme. Et ainsi redonner, autant qu’il est possible, un sens au mot démocratie.