Péril technocratique et utilité du référendum

Par Laurence Morel

<b> Péril technocratique et utilité du référendum </b> </br> </br> Par Laurence Morel

Dans un billet publié sur ce blog en décembre dernier (« Péril populiste et illusion référendaire »), Denis Baranger critique le référendum, qui ne serait « pas adapté quand il est question, non pas d’un choix existentiel central, mais de la conduite d’une politique gouvernementale ». On revient ici sur cette critique et les arguments développés par l’auteur. Pour une plus ample discussion, on renverra à notre ouvrage paru en novembre dernier (La question du référendum, Presses de Sciences Po, Paris, 2019, 312 p.).

 

In a post published on this blog last December (“Populist peril and referendum illusion”), Denis Baranger  criticizes the referendum, which would be “inappropriate when it comes to the question, not of a central existential choice, but of the conduct of a government policy”. We come back here to this criticism and the arguments developed by the author. For a further discussion, we will refer to our work published last November (La question du référendum, Presses de Sciences Po, Paris, 2019, 312 p.).

 

Par Laurence Morel, Maître de conférences de science politique à l’Université de Lille, Chercheuse associée à Sciences Po (CEVIPOF)

 

                                                                                                        

La critique du référendum d’après laquelle le citoyen ordinaire n’aurait pas la compétence requise pour gouverner, est la plus ancienne des critiques adressées à la démocratie directe. Elle est déjà au coeur de l’argument platonicien contre la démocratie athénienne: les bonnes lois nécessiteraient une « science du gouvernement », que seul un petit nombre détient, la législation populaire serait donc incompatible avec le « bon gouvernement ». Alors que l’on aurait pu la croire dépassée avec l’élévation massive du niveau d’instruction, il est frappant de constater à quel point cette critique est toujours au centre du débat sur les procédés de démocratie directe. C’est que l’effet des progrès de l’éducation aurait été en quelque sorte annulé par la complexification de l’action publique, dont la sphère d’intervention s’est élargie et qui doit répondre aux besoins d’une société beaucoup plus différenciée, dans un monde globalisé aux multiples interdépendances.

 

Ainsi la compétence du citoyen ordinaire aurait toujours un train de retard sur la complexité: insuffisante quand les problèmes étaient simples, elle le serait toujours, malgré son accroissement, quand ils sont devenus plus compliqués. Les « politiques publiques », sorte de législation de second degré qui brouille la distinction classique entre législatif et exécutif – au point que Denis Baranger parle de « politiques gouvernementales » – ne seraient pas adaptées au référendum. Seuls le seraient les « grands choix existentiels », devenus rares. Le référendum est implicitement renvoyé à un passé révolu où l’on discutait encore des fins, avant que la politique ne soit devenue la science experte des moyens, hors de portée du citoyen ordinaire, et même, dans une large mesure, de l’élu. Diffuse chez les partis de gouvernement, cette critique du procédé tranche avec sa défense par les partis dépourvus de culture de gouvernement, au premier rang desquels les populistes, dont la vision du monde, précisément,  nie la complexité.

 

 

La simplification « savante » des politiques, enjeu fondamental de notre époque

Il ne s’agit pas ici de contester la tendance lourde à la complexification de l’action publique, relevée par des auteurs aussi divers que Schumpeter, Burdeau ou Dahl[1], et dont les premières victimes auront été les parlements, au profit des exécutifs, comme l’a bien montré Rosanvallon[2]; ni la nécessité d’éviter les référendums sur les sujets trop techniques, où la compétence fait souvent défaut, et favorise la manipulation, les glissements d’enjeu, ou l’abstention. Dans l’ouvrage que nous venons de publier, nous insistons particulièrement sur l’idée que le bon référendum, c’est d’abord le référendum sur la bonne question, définie au regard de deux critères: son degré de technicité, qui ne doit pas être excessif, et l’intérêt qu’elle soulève dans la population, qui peut combler, quand il est élevé, un déficit de compétence initial (en suscitant une recherche d’information). En croisant ces deux critères, on obtient quatre types de questions, dont le tableau ci-dessous fournit quelques exemples: les plus adaptées au référendum (quadrant B) tendent à être les questions de société ou de souveraineté (qui sont aussi celles sur lesquelles les citoyens souhaitent le plus de référendums[3]), tandis que les moins adaptées (quadrant C) sont les questions économiques et budgétaires, souvent prépondérantes dans les traités européens[4].

 

Types de questions soumises au référendum:

 

 

Technicité

Intérêt

élevée faible
élevé A.

Ex:

  • retraîtes
  • nucléaire, climat
B.

Ex:

  • divorce, PMA
  • indépendance 
faible C.

Ex:

  • traités européens
  • impôt sur les sociétés
D.

Ex:

  •  quinquennat

 

 

Pour autant, même les questions a priori les moins adaptées au référendum peuvent surmonter leur « handicap » de départ. Ainsi, au moins quatre des dix référendums tenus en France depuis 1958 ont porté sur des questions à la fois techniques et peu mobilisatrices: la Constitution de la Cinquième République, la réforme du Sénat et des régions, et les deux traités européens (Maastricht et le projet de Constitution européenne). Or, si l’on prend la participation comme indicateur du sentiment de compétence, il apparaît que ce sentiment n’a pas été aussi bas que l’on aurait pu s’y attendre aux référendums sur les traités européens, où elle a atteint presque 70%. C’est que la campagne est passée par là: une campagne intense, éducative et équilibrée peut transformer un texte technique et dont les enjeux apparaissent peu clairs ou familiers en une question ramenée à quelques fondamentaux et aux retombées bien visibles. Au-delà, on peut affirmer que la plupart des questions techniques, ou abstraites, peuvent, et doivent subir cette transformation, référendum ou pas: la simplification « savante » des politiques est devenue un enjeu fondamental à l’âge de la « technocratisation »  de la politique. Comme l’est également la définition de règles permettant de conjurer les risques accrus de manipulation à l’ère numérique, justement soulignés par Denis Baranger. À défaut, le citoyen du 21ème siècle sera irrémédiablement dépassé, en proie à la simplification mensongère populiste, et tout autant incapable de voter aux élections qu’aux référendums.

 

Si une bonne campagne peut permettre de simplifier une proposition référendaire complexe, on peut aussi souhaiter que les référendums évitent les textes de lois illisibles et portent, en amont de la loi, sur des principes ou choix fondamentaux qui doivent l’orienter (comme cela est pratiqué dans beaucoup de pays). À charge ensuite du parlement ou du gouvernement de définir les détails. On entend déjà la critique, si souvent adressée au Brexit : ces référendums porteraient sur du vent, car la plupart des questions ne seraient pas dissociables de leurs modalités; ils ne permettraient donc pas la réalisation de la volonté populaire, et imposeraient parfois des choix inapplicables en pratique, comme le reproche Denis Baranger au Brexit. Cet argument n’est pas faux, et, à moins de soulever une authentique question de principe, il y a sans doute pour chaque référendum un niveau « optimal» de détail, en-dessous duquel une question est trop vague et au-dessus duquel elle est inutilement détaillée, que les autorités qui initient des référendums devraient chercher à atteindre (l’initiative populaire est plus à l’abri d’un excès de généralité). Il n’est pas sûr en revanche qu’il soit pertinent en ce qui concerne le Brexit : pour nombre de Britanniques, l’adhésion à l’Europe a toujours été une question située au niveau des aspirations profondes, identitaires, un peu à l’image des questions de société. Une sorte de « choix existentiel », pour reprendre l’expression de Denis Baranger. Ainsi les différentes hypothèses de deal de sortie qui se succèdent depuis trois ans n’ont-elles pas entamé la volonté des Brexiters. Et la difficulté de mise en œuvre de la sortie – en partie aussi dûe à l’absence de majorité aux Communes et d’autorité de Theresa May – ne peut constituer un argument contre celle-ci, ni contre le référendum.

 

 

« Bon gouvernement » direct, « meilleur gouvernement » représentatif

Le référendum peut donc produire du « bon gouvernement » (direct). Mais surtout, il peut rendre meilleur le gouvernement représentatif. La perspective du référendum incite en effet en amont des politiques publiques à une concertation plus ample, dont il est permis de penser qu’elle pourrait contribuer dans notre pays à réduire le « gap » technocratique et promouvoir une meilleure prise en compte des réalités et du terrain. Cet effet vertueux du référendum, qui n’a pas peu contribué au développement du modèle de concertation suisse, ne s’avère néanmoins qu’avec l’initiative populaire, qui fait peser sur les travaux préparatoires de la loi, telle une épée de Damoclès, la menace du référendum (quand il peut porter sur les lois à peine votées), ou le référendum obligatoire (où l’enjeu n’est plus d’éviter le référendum mais de le gagner). Plus concertées, les politiques publiques ont aussi plus de chances d’être bien acceptées. Et si elles ne le sont pas, le référendum permet de les contester de manière plus pacifique. A-t-on jamais vu les Suisses descendre dans la rue et bloquer le pays pendant des semaines comme en France? En langage politologique, on dit alors que le référendum est un précieux outil d’ « institutionnalisation des conflits », en amont et en aval des politiques publiques, ou remplit un « rôle tribunicien », en référence au tribun du peuple dans la République romaine. Une fonction de « soupape » qu’il n’est pas seul à pouvoir ou devoir assurer, mais à laquelle il pourrait utilement contribuer dans un pays qui rejette la proportionnelle (instrument par excellence de l’institutionnalisation des conflits) et où les partis, comme dans les autres démocraties, peinent de plus en plus à représenter les aspirations sociales. En langage constitutionnaliste, on dirait que le référendum est une sorte de troisième chambre (ou seconde dans les systèmes unicaméraux), populaire, susceptible d’être réunie à la demande des citoyens. C’est ainsi que Dicey concevait déjà le référendum pour l’Angleterre au début du siècle dernier (plus exactement le référendum obligatoire devait remplacer la Chambre des Lords)[5]. Il conjugue ainsi l’idéal libéral de division des pouvoirs (Montesquieu) et démocratique de souveraineté populaire (Rousseau).

 

 

Limites du RIP 

Hélas, le projet de réforme institutionnelle en cours semble prendre un tout autre chemin: le référendum-veto, qui permet de contester une loi que le parlement vient d’approuver, y est clairement conçu, dans le futur article 69, comme le mal dont il faut se prémunir. Le délai pour qu’une loi puisse être abrogée par un référendum d’initiative partagée (RIP) passe de un à trois ans, et, afin d’éviter que ne se reproduise le pataquès des Aéroports de Paris, il est désormais clairement précisé que le RIP ne peut porter sur le même objet qu’une disposition législative adoptée par le parlement mais non encore promulguée. Il est même prévu qu’il ne puisse concerner « une disposition introduite au cours de la législature et en cours d’examen au parlement”! Sauf à penser que les seules questions qui intéressent les Français sont celles qui ne sont pas à l’ordre du jour (il y en a certes), on ne peut que constater une fois de plus l’ingéniosité mise à désamorcer le procédé, comme s’il s’agissait d’une grenade prête à exploser: on avait déjà un seuil de signatures populaires pratiquement impossible à atteindre (que la réforme prévoit opportunément d’abaisser), la tenue non garantie en bout de course du référendum[6] (qui ne semble pas devoir être remise en cause);  on a maintenant l’élargissement illusoire de son champ, car si d’une main on l’accroît, avec l’ajoût (bienvenu) des questions de société, de l’autre on réduit drastiquement les dispositions législatives sur lesquelles le référendum pourra porter en pratique. L’exposé des motifs du projet de loi annonce clairement la couleur: il s’agit d’ « éviter que cette procédure ne soit utilisée pour organiser une forme de voie d’appel populaire des délibérations parlementaires », et qu’elle constitue « un mode de déstabilisation des institutions représentatives ou un moyen d’en contester constamment les décisions »[7]. Il en irait de la survie de la démocratie représentative.

 

Le ton est donné. La démocratie directe doit être maintenue à distance sanitaire de la démocratie représentative. On est loin de l’idée de complémentarité entre les deux formes de gouvernement, chère à l’illustre Carré de Malberg, qui proposait de « faire de l’initiative populaire un complément suffisant de l’idée de représentation » car « seul le référendum (…) donne satisfaction au concept sur lequel repose le régime représentatif, à savoir que, par les élus, c’est le sentiment du corps populaire qui se manifeste : ce concept appelle en effet, comme conséquence la reconnaissance du droit pour les citoyens de manifester un sentiment contraire à celui qui, sur un point déterminé, a été manifesté en leur nom par les représentants»[8]. En réalité, encore plus que le RIP actuel, le futur RIP est un simple procédé de mise en agenda de questions qui ne figureraient pas dans le programme de la majorité et qui ne garantit pas qu’elles fassent l’objet d’un référendum. Stricto sensu, il ne s’agit pas d’un droit référendaire, mais plutôt d’un droit d’initiative législative, ou de mise en agenda (agenda initiative en anglais): un dispositif beaucoup plus fréquent que le référendum dans les démocraties, et qui a aussi été institué au niveau européen avec l’ « Initiative citoyenne européenne » (ICE), mais qui s’apparente plus à un droit de pétition.

 

Cette vision un peu paranoïaque du référendum peut se comprendre, et même jusqu’à un certain point se justifier. On craint que l’initiative populaire ne soit instrumentalisée par des partis d’opposition et déclenchée à tout bout de champ, nuisant gravement à l’action publique. C’est peut-être en effet un risque de l’attribution du droit d’initiative à une minorité parlementaire, même si les exemples suisse et italien montrent que l’initiative exclusivement citoyenne  n’empêche pas que les partis soient le plus souvent à l’origine des initiatives populaires. L’effet perturbateur de l’initiative populaire peut toutefois être limité en ne permettant, comme en Suisse, de contester une loi que dans un délai très court après son approbation (deux mois dans la Confédération), après quoi elle entre  irrévocablement  en vigueur. Aucun référendum abrogatif, susceptible de la remettre en cause, n’est prévu dans le droit suisse. Seule une initiative populaire proposant un amendement constitutionnel peut en théorie l’annuler en la rendant inconstitutionnelle, mais ces initiatives ont un taux d’échec extrêmement élevé (comme les référendums-veto du reste). Cette crainte paraît donc surestimée. Certes, le processus législatif est plus laborieux en Suisse qu’en France, mais notre pays, on l’a dit, paye cher en aval son « efficacité », au travers des difficultés dans l’application de la loi et des mobilisations sociales. Comme le soulignait Liphart, le décisionnisme (typique des démocraties majoritaires) ne saurait être confondu avec la capacité à résoudre les problèmes[9]. En Suisse, la possibilité du référendum-veto est simplement l’étape finale de la loi, qui recule sa promulgation de deux mois, et parfois un peu plus, s’il est déclenché. Tout porte à croire en outre que la routinisation du référendum met de l’huile dans les rouages et élimine, avec le temps, son caractère disruptif. Ainsi peut-on affirmer qu’en Suisse le référendum ne déstabilise nullement la démocratie représentative et parlementaire. Et il  n’est pas sûr qu’un référendum abrogatif permettant de remettre en cause des lois en vigueur depuis trois ans serait moins déstabilisateur qu’un référendum-veto agissant à la source, avant que ne soit mise en branle la machine applicative.

 

Aussi nous paraît-il dommage de ne pas faire bénéficier nos institutions d’un outil favorisant la concertation et l’institutionnalisation des conflits tel que l’initiative populaire. Il y a certes d’autres façons d’accroître la concertation dans l’élaboration des politiques publiques. Mais l’initiative populaire reste unique en ce qu’elle détient une capacité à infléchir la pratique de gouvernement de manière structurelle, en  créant, à l’usage, une culture de gouvernement différente, plus consensuelle. Elle fournit une variable d’ajustement du mode de gouvernement dont la Cinquième République aurait tort de continuer à se priver.

 

 

Réforme des retraîtes

Pour autant, on admettra en conclusion que l’initiative populaire ou le référendum montrent leurs limites sur certains sujets. Mais il s’agit moins d’une question de compétence, autrement dit de complexité des politiques publiques, que d’impartialité, qualité tout aussi nécessaire au « bon gouvernement ». Dans l’un de ses derniers textes, Raymond Boudon défend le gouvernement populaire (non pas direct mais au travers de l’influence des gouvernés sur les gouvernants, qui lui paraît décisive dans le gouvernement représentatif), car le citoyen ordinaire serait, sur la plupart des sujets, un « spectateur impartial », en tous cas plus impartial que ses représentants[10]. Ainsi écrit-il: « Le spectateur impartial, c’est le citoyen quelconque dont on peut supposer que, sur telle ou telle question, il échappe à ses passions et à ses intérêts. D’une part, sur bien des sujets émaillant la vie de la cité, le citoyen quelconque est effectivement dans la position du spectateur impartial. D’autre part, bien des sujets n’impliquent pas la maîtrise de connaissances particulières. On peut donc supposer que, si l’on consulte le public sur ces sujets, nombre d’individus tendront à donner une réponse inspirée par le bon sens[11] ».

 

Le sociologue poursuit cependant: « il existe bien sûr des cas où la volonté générale et la volonté de tous ne coïncident pas : où il est peu vraisemblable en d’autres termes, que l’opinion soit en majorité le fait de spectateurs impartiaux »; et donne l’exemple de questions comme les trente-cinq heures, dont la plupart des gens ne perçoivent dans un premier temps que les avantages immédiats, auxquels ils ne sauraient renoncer. On peut se demander ici si une réforme comme celle des retraites n’entre pas dans la catégorie des politiques sur lesquelles les individus sont trop directement concernés pour prendre en considération l’intérêt général (ou des générations futures). Un peu comme le sont pour les partis les réformes institutionnelles, ou du mode de scrutin, dont Zagrebelsky disait joliment qu’elles soulèvent le « paradoxe du réformateur réformé »[12]. Ainsi est-il frappant de constater le rejet très fréquent, et souvent massif des réformes du système de retraite destinées à assurer sa capacité future de financement dans les pays où des référendums ont été tenus sur ces réformes depuis vingt ans: en Nouvelle-Zélande en 1997, en Lettonie en 1999, en Slovénie en 2011, et plus récemment en Suisse (2017), alors que les référendums-veto échouent pourtant la plupart du temps dans ce pays à remettre en question les lois fédérales[13]. En Croatie, l’année dernière, le gouvernement a choisi de retirer la loi de réforme des pensions approuvée par le parlement à l’annonce d’une initiative populaire, qui avait réussi l’exploit de dépasser en quinze jours le seuil requis de 20% de l’électorat, et dont il ne faisait aucun doute qu’elle aurait abouti à son rejet. Force est donc de reconnaitre que la « menace » du référendum (sauf en Nouvelle-Zélande, il s’est partout agi d’initiatives populaires contre des lois) n’a pas suffi à générer, par la négociation en amont, un texte acceptable par le plus grand nombre. On a ici l’exemple d’une politique qui exige sans doute une implication plus poussée et plus directe de la population. Une assemblée de citoyens tirés au sort chargée d’élaborer des propositions, comme actuellement sur le climat, peut s’avérer particulièrement adaptée, car plus apte qu’une concertation « normale » à conduire à un compromis, validé ensuite par un référendum. Sur les questions vitales pour l’avenir d’un pays et nécessitant des sacrifices importants, ces assemblées favorisent la prise de conscience et la responsabilisation. À notre connaissance, aucun pays n’a réalisé sa réforme des retraites en passant par ce processus et il est dommage que la France n’ait pas montré le chemin.

 

 

[1] Schumpeter J., [1942], Capitalisme, socialisme et démocratie, Paris, Payot, 1990. R. A. Dahl, “The problem of civic competence”, Journal of Democracy, Volume 3, Number 4, October 1992, pp. 45-59. G. Burdeau, Traité de Science Politique, notamment le tome V (Les régimes politiques, 1970).

[2] P. Rosanvallon, Le bon gouvernement, Paris, Seuil, 2015.

[3] Baromètre de la confiance, vague 9, CEVIPOF, décembre 2017 (questions NOU15)

[4] Dans une étude mesurant la compétence des votants lors de trois votations populaires suisses, Kriesi a montré que la question la plus technique et la moins familière, qui concernait l’impôt sur les sociétés (quadrant rouge), obtenait un score très inférieur aux deux autres, relatives aux politiques d’asile et de naturalisation (qui trouveraient ici leur place dans le quadrant rose): H. Kriesi, Direct Democracy Choice. The Swiss Experience, Lanham (MD), Lexington Books, 2005.

[5] A. V. Dicey,  A Leap in the Dark, London, John Murray, 1911, 2nd edition, p. 19. Voir aussi: “Ought the Referendum to be Introduced into England?”, Contemporary Review, vol. 57, Avril 1890.

[6] Une fois toutes les conditions remplies, le président de la République n’est tenu d’organiser le référendum que « si la proposition de loi n’a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai fixé par la loi organique » (article 11, alinéa 5).   

[7] “Projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique” déposé à l’Assemblée nationale le 29 août 2019.

[8] R. Carré de Malberg, « Considérations théoriques sur la question de la combinaison du référendum avec le parlementarisme », Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, vol. XLVIII, 1931, pp. 225-244.

[9] A. Lijphart, Democracies. Patterns of Majoritarian and Consensus Government in 21 Countries, New Haven: Yale U.P., 1984.

[10] R. Boudon  “La compétence morale du peuple”, Note de la Fondation pour l’innovation politique, novembre 2010 (http://www.fondapol.org/etude/boudon-la-competence-morale-du-peuple/ ).

[11] Qu’il définit plus loin comme une décision “fondée sur un système de raisons convaincantes”.

[12] G. Zagrebelsky, I paradossi della riforma istituzionale», Politica del Diritto, XVI, n°1, 1986, p. 174.

[13] On note cependant que cinq initiatives populaires constitutionnelles tenues en Suisse entre 1972 et 2010, qui visaient toutes à introduire des systèmes de pensions plus généreux, ont également été rejetées. De même en Lettonie en 2008 une initiative populaire visant à augmenter les pensions minimales a échoué, faute d’avoir atteint le quorum de participation.