Peut-on envisager une démission de convenance du président de la République ?

Par Kamel El Hilali

<b> Peut-on envisager une démission de convenance du président de la République ? </b> </br> </br> Par Kamel El Hilali

Le 11 juin, la presse rapportait des propos tenus par le Président de la République selon lesquels il aurait envisagé une démission ouvrant la voie à des élections anticipées. Cette hypothèse a été immédiatement réfutée par l’Elysée. Cette éventualité mérite une analyse au regard du précédent de 1969. Cependant, la finalité et la méthode séparent ces deux scénarios. La démission de convenance du président de la République, loin de représenter un mode de responsabilité du Président, marquerait un pas de plus vers l’épuisement de la Ve République.

 

On June 11, the press reported remarks by the President of the French Republic that he was considering resigning, paving the way for early elections. This hypothesis was immediately refuted by the Elysée. This eventuality merits analysis in the light of the 1969 precedent. However, the purpose and method separate these two scenarios. The resignation of the President of the Republic, far from representing a mode of responsibility for the President, would mark a further step towards the exhaustion of the Fifth Republic.

 

Par Kamel El Hilali, Doctorant à l’Université Panthéon Assas (Paris 2)

 

 

Hypothèse rarement évoquée sous la Ve République tant elle est sensible, la démission du Président de la République, oubliée et inexplorée depuis 1969, fait son retour dans le débat politique et constitutionnel alors que la France clôt lentement le chapitre de l’état d’urgence sanitaire.

 

Ce scénario aurait, selon la presse, été évoqué par le Président de la République lui-même. A l’occasion d’un échange avec un groupe de donateurs basé à Londres, Emmanuel Macron aurait surpris ses interlocuteurs en annonçant réfléchir à une possible démission afin de « prendre son risque » et refonder ainsi sa légitimité au lendemain d’une crise qui, dit-on, doit marquer un tournant. « Sûr de gagner », le chef de l’Etat exercerait un second quinquennat débarrassé de la concurrence et de la défiance de l’opinion.

 

L’Elysée a rapidement démenti cette information auprès de l’AFP par un communiqué bref et sans détour : « Le Président de la République n’a jamais évoqué sa démission ». Certes, il semble plus probable que le chef de l’Etat se séparerait de son actuel Premier ministre pour se relancer dans la seconde partie de son mandat. Mais quelle que soit la réalité des faits, rien n’interdit au constitutionnaliste d’évoquer cet épisode pour soulever une question importante. Le Président de la République peut-il disposer librement de la durée de son mandat ? Si l’article 6 fixe la durée du mandat présidentiel à « cinq ans » en son alinéa 1 et prohibe dans le suivant l’exercice de « plus de deux mandats consécutifs », le texte demeure néanmoins silencieux sur la faculté discrétionnaire qu’aurait le Chef de l’Etat de mettre volontairement fin à son mandat, avant son terme.

 

Telle qu’énoncée, une fin de mandat provoquée révèle moins une volonté d’engager la responsabilité politique du chef de l’Etat comme l’a fait le général De Gaulle en 1969 que la consécration pratique d’une démission de convenance. Cette notion désigne la décision unilatérale par laquelle le Président de la République met un terme à son mandat dans le but de provoquer des élections anticipées auxquelles il entend être candidat. Le parallèle avec la dissolution de convenance permettant au Premier Ministre britannique d’organiser des élections législatives anticipées semble convaincant. Mais peut-on transposer ce pouvoir propre implicite au cas de la Ve République ?

 

 

La démission du Président dans la Constitution de 1958 : une porte dérobée

Le texte de 1958 ne prévoit pas expressément la démission du chef de l’Etat. Néanmoins, cette lacune ne signifie pas que le constituant de 1958 ignorait cette hypothèse ou la tenait pour déraisonnable, indigne, ou imprévisible. Plutôt, ce silence correspond à la volonté des constituants (en particulier De Gaulle et Debré) de préserver la clé de voûte du régime parlementaire de toute forme d’influence de l’opinion ou des partis. On imagine sans difficulté la pression qui pourrait s’exercer sur un Président impopulaire, « inaudible », ou contesté pendant des mois par des manifestants ou l’opposition si la Constitution lui ouvrait expressément la voie à une démission.

 

Surtout, ce silence ne vaut pas interdiction puisque l’article 7 al 4 C prévoit la « vacance de la Présidence de la République pour quelque cause que ce soit ». Une interprétation libre nous autorise à considérer que la démission est possible, dès lors qu’elle peut entrer dans une des « causes » prévues par le texte. Plus largement, il en ressort clairement que le Président peut disposer librement du terme de son mandat puisque la vacance vise la situation d’un Chef de l’Etat déjà en exercice.

 

La vacance emporte deux conséquences qui nous intéressent ici. Tout d’abord, sur saisine du gouvernement et après avoir déclaré la vacance ou l’empêchement définitif, le Conseil constitutionnel proclame l’intérim par le Président du Sénat. En pratique, en 1969, le Premier ministre avait simplement informé le Conseil sans solliciter une décision. Cela n’a pas freiné le Conseil qui, dans sa décision du 28 avril 1969 (69-12 PDR), « constate que (…) sont réunies les conditions prévues à l’article 7 de la Constitution, relatives à l’exercice provisoire des fonctions du Président de la République par le Président du Sénat ». La seconde conséquence est l’organisation de nouvelles élections présidentielles au plus tôt 20 jours et au plus tard 35 jours après la constatation de la vacance, quand bien même le Conseil constitutionnel interviendrait pour fixer la date.

 

Ces élections provoquées constituent, dans l’hypothèse ici travaillée de la démission de convenance du président Macron, donc l’effet recherché par une telle démission. Mais cette démission apparaît comme étant distincte en tous points de la démission du Général De Gaulle en 1969 par laquelle celui-ci actait le désaveu du peuple souverain.

 

 

La conception gaullienne de la démission, sanction de la responsabilité politique du chef de l’Etat

Le 27 avril 1969, à la veille du référendum qui entrainera sa démission immédiate, le Général De Gaulle annonce aux Français : « Si je suis désavoué par une majorité d’entre vous (…) ma tâche actuelle de chef de l’Etat deviendra évidemment impossible et je cesserai aussitôt d’exercer mes fonctions ». A minuit le 29 avril, le général de Gaulle fait transmettre ce communiqué à l’AFP : « Je cesse d’exercer mes fonctions de président de la République. Cette décision prend effet aujourd’hui à midi ».

 

Ainsi, le Général interprète le rejet du référendum par les électeurs comme une sanction populaire qui engage sa responsabilité[1]. La démission n’intervient pas au bon vouloir du Président – De Gaulle précise en 1962 que le Chef de l’Etat est « obligé de porter la charge suprême » – mais parce que le lien exceptionnel qui le lie au peuple souverain est rompu.

 

Sans tarder, la doctrine analyse la démission gaullienne au regard du contexte politique. En particulier, les manifestations de mai 1968 ont terni l’image et le prestige du Général. Les interrogations se multiplient. Ce dernier, en liant son sort au résultat du référendum, aurait-il fait un choix politique risqué ou imprudent, ou orchestré sa sortie de la manière qui lui semblait la plus honorable ? Le n. 16 de la revue Espoir publié en septembre 1976 titrait « Le référendum du 27 avril 1969 fut-il un référendum suicide ? ». La revue retrace l’origine de cette expression, proposée pour la première fois par Jack Hayward dans l’article « Presidential Suicide by Plebiscite: De Gaulle’s Exit »[2] publié dans la revue Parliamentary Affairs. Cependant, cette thèse du référendum-suicide a été vivement combattue au cours des débats reproduits dans la revue Espoir. Selon Jean-Marcel Jeanneney, ministre d’Etat chargé de la réforme constitutionnelle et de la régionalisation (1968-1969), De Gaulle ne voulait pas être battu. En outre, dans son allocution du 27 avril, le Général considérait la fin de son mandat comme un « terme régulier ». Jean-Marie Denquin en conclut avec lucidité que le postulat d’un suicide politique n’est qu’une « illusion a posteriori »[3].

 

Plus d’un demi-siècle après cet épisode, nul ne peut prédire si une hypothétique démission d’Emmanuel Macron tiendrait du suicide ou du génie. Quoi qu’il en soit, les différences avec la conception gaullienne sont flagrantes. En effet, d’une part, De Gaulle fait de la décision des électeurs le critère de sa propre démission, annoncée publiquement. D’autre part, Emmanuel Macron inverse le principe, et entend instrumentaliser la démission et l’élection présidentielle conséquente à laquelle il entend participer comme un moyen de plébisciter son action. Ni l’intention, ni la méthode, ni la finalité poursuivie ne se rejoignent. La déconnexion avec la conception gaullienne de la Présidence amorcée en 2000 serait donc portée à son paroxysme par l’avènement d’une démission de convenance.

 

 

La démission de convenance du Président, symbole de l’épuisement de la Ve République ?

Telle que rapportée, l’initiative du plus jeune Président de la Ve République se rapprocherait davantage de la dissolution de convenance prononcée par le Premier Ministre britannique que de la démission-responsabilité du général De Gaulle.

 

La dissolution « à l’anglaise » – scénario certes rendu caduc depuis le Fixed-term Parliaments Act (2011) – consistait pour le PM à dissoudre la Chambre des communes afin de provoquer des élections législatives anticipées (early elections)[4].

 

Ce schéma, transposé à la démission du Président, présente des similarités évidentes. Tout d’abord, la décision intervient en dehors de toute crise politique. En effet, dans les deux cas, il ne s’agit pas de prendre acte de l’érosion de la majorité ou de la défiance manifeste du Parlement envers l’exécutif mais simplement d’anticiper un gain politique sur la base d’un calcul parfois heureux, parfois hasardeux ou contestable. L’effet escompté dans les deux scénarios est par conséquent similaire à deux égards. Premièrement, l’élection doit permettre le maintien au pouvoir du Chef de l’exécutif. En second lieu, la manœuvre vise à tirer profit du contexte afin de renforcer son autorité tout en coupant l’herbe sous le pied à la concurrence.

 

Dans le contexte actuel, outre l’état d’urgence sanitaire, aucune formation politique n’est prête à faire campagne à court terme. Les partis de gauche se lancent dans des tractations en vue d’une « union » – aussi attendue qu’improbable, voire à un programme commun a minima en cas de dissension. La droite peine à se relever d’affaires infâmantes et se trouve tiraillée entre une alliance avec le parti présidentiel (symbole de son renoncement à l’alternance) et la tentation de l’extrême droite (une trahison essentielle). En l’absence de figure charismatique émergente, et sans préjuger des chances de Gérard Larcher en cas de candidature, le contexte semble favorable au Président. Pire, un tel scénario offrirait à l’extrême droite une nouvelle occasion d’accéder au second tour voire à la présidence.

 

En outre, l’hypothèse d’une démission de convenance, bien qu’écartée officiellement par l’Elysée, n’est pas incohérente au regard des réflexions exposées par Emmanuel Macron au moment du grand débat. En effet, à cette occasion, le Chef de l’Etat avait pu déploré l’absence de mécanismes de « respiration démocratique, de mid-term à la française, (…) où le peuple français peut dire : “j’ai confiance dans vos projets donc je vous redonne une majorité pour le faire”. La réalité, si on allait au bout de la logique, c’est que le Président de la République, ne devrait pas pouvoir rester s’il avait un vrai désaveu en termes de majorité, en tout cas, c’est l’idée que je m’en fais et qui est la seule qui peut accompagner le fait d’assumer les fonctions qui vont avec »[5].

 

Un an après, dans un climat de défiance liée à la gestion de la crise sanitaire et au lendemain d’une défaite cuisante du parti présidentiel au second tour des élections municipales, le Chef de l’Etat pourrait en conclure à un échec voire à un désaveu. La fin de l’état d’urgence doit, pense-t-on, marquer le début d’un nouveau chapitre où les « certitudes seront balayées ». La démission du Président amorcerait le changement. Mais on pourrait objecter à cette idée que le changement du Premier ministre est une hypothèse beaucoup moins risquée pour l’actuel titulaire de la fonction présidentielle.

 

 

Un détournement contestable de la démission

La démission ne devrait jamais être exclue. Aussi contestable que puisse paraître cette manœuvre, Emmanuel Macron a le mérite de l’évoquer, brisant ainsi un tabou présidentiel. Toutefois, on peut craindre les éventuelles conséquences délétères d’une décision si grave pour les institutions de la Ve République. Outre le fait qu’elle créerait un précédent, une démission de convenance abîmerait la fonction présidentielle conçue comme devant soustraire le Président au jeu des partis. En 1962, De Gaulle expliquait que l’élection du Président au suffrage universel direct devait permettre à ses successeurs d’être « entièrement en mesure et complètement obligés de porter la charge suprême ». L’élection a donc pour fonction d’affermir les institutions, non de les affaiblir en facilitant le « retour au jeu des ambitions, illusions, combinaisons et trahisons » (allocution, 27/4/1969). Toutefois, on le sait, l’apparition du fait majoritaire puis l’instauration du quinquennat en 2000 ont affaibli cette conception gaullienne du fait de l’hyperprésidentialisation irrépressible du régime. Le chef de l’Etat est le chef de son parti qui le mène au pouvoir par son engagement lors de la campagne présidentielle.

 

En particulier, la démission de convenance accentuerait la confusion entre Chef de l’Etat et chef de gouvernement. Ce risque avait motivé l’opposition des gaullistes au projet de loi constitutionnelle instaurant le quinquennat en 1973. A l’époque, le président Pompidou considérait que le « septennat ne correspond plus au rôle que le Président de la République joue dans la définition des orientations générales de la politique nationale »[6]. Si le projet a été abandonné par crainte de ne pas obtenir la majorité des 3/5e au Congrès, les épisodes de cohabitation des années 1980 et 1990 ont ouvert la voie à l’instauration du quinquennat en 2000. Depuis, le Président de la République se comporte de plus en plus comme le Premier ministre dans un régime parlementaire. Le Chef de l’Etat décide de tout et s’expose aux critiques irritantes de l’opinion qui l’incitent à priver le Premier ministre de toute son utilité. Les trois derniers présidents ont confirmé cette évolution par leurs expériences et leurs déclarations. En 2007, dans son discours d’Epinal, Nicolas Sarkozy estimait que le référendum ne jouait plus le rôle d’une question de confiance telle que la concevait De Gaulle. Partant, il souhaitait « gouverner » et « affirmer sa responsabilité ». Cet état de fait a motivé les propositions de François Hollande qui, épuisant cette logique, plaide en faveur de la suppression de la fonction de Premier Ministre. Ainsi, une démission de convenance d’Emmanuel Macron ne serait que l’aboutissement naturel d’un processus amorcé depuis longtemps.

 

Cependant, le recours à la démission doit demeurer exceptionnel pour permettre de dénouer une crise particulièrement grave ou tirer les leçons d’une défiance manifeste de la population envers l’exécutif, d’autant plus face à l’impossibilité de mettre en jeu la responsabilité de l’article 68. La situation actuelle ne correspond pas à ce standard. Elle envoie le signal que le chef de l’Etat ne dispose pas des moyens adéquats pour porter ses responsabilités. Pire, cette démission mènerait à « une sorte de plébiscite formel »[7].

 

Georges Donnez, député du Nord de 1973 à 1978, a évoqué ce scénario et ses risques au moment des débats sur la révision de l’art 7 de la Constitution en 1976. Le député était conscient de l’absurdité d’une bipolarisation « factice » de la société provoquée par « l’identité de vues complète entre le Président de la République et l’Assemblée nationale »[8]. En cas de conflit institutionnel, le député envisageait la démission du Président et sa réélection subséquente comme prélude à une « crise du régime démocratique pouvant déboucher sur n’importe quelle aventure politique ». Partant, il en appelait à la complémentarité de leurs compétences sous peine d’« aboutir à la négation de la démocratie ».

 

 

 

[1] Olivier Beaud, « Le 50ème anniversaire de la mort de René Capitant. Hommage à une grande figure de la République et de l’Université », Jus Politicum, 23 mai 2020

[2] Jack Hayward, 1969, “Presidential Suicide by Plebiscite: De Gaulle’s Exit,” Parliamentary Affairs 22:289, https://academic.oup.com/pa/article-abstract/22/1969jun/289/1541660

[3] « Le référendum du 27 avril 1969 fut-il un référendum suicide ? », Espoir, n.16, septembre 1976, p.6. On lira également, Arnaud Teyssier, De Gaulle, 1969. L’autre révolution, Perrin, 2019, 380 pages.

[4] Philippe Lauvaux, Armel Le Divellec, Les grandes démocraties contemporaines, PUF, Collection Droit fondamental, 4e ed., 2015, 1072 pages.

[5] Cité par Olivier Beaud, « Impressions diffuses sur le grand débat à l’Elysée : un témoignage et une analyse », Jus Politicum, 27 mars 2019

[6] Projet de loi constitutionnelle n.639 déposé le 11 septembre 1973 et portant modification de l’article 6 de la Constitution

[7]Allocution du général De Gaulle, 20 septembre 1962, https://www.senat.fr/evenement/revision/allocution_20091962.html

[8] JORF, Débats parlementaires, Congrès du Parlement, 14 juin 1976, http://www2.assemblee-nationale.fr/static/histoire/congres/1976_06_14.pdf

 

 

 

Crédit photo: Présidence du Pérou, CC NC SA 20