DEMOCRATIE PARTICIPATIVE : L’INOPPORTUNE REFORME DU CESE Par Denis Baranger
La réforme en cours du CESE par la voie de deux lois organiques entend contribuer à dynamiser la démocratie participative en France, dans le sillage de la Convention citoyenne pour le climat. Mais le texte actuellement en discussion suscite un certain scepticisme : était-il souhaitable de faire par voie de loi organique ce qu’il a été impossible de faire l’an dernier par voie de révision constitutionnelle ? Est-ce au CESE, institution dont la légitimité et l’utilité ont été régulièrement questionnés, qu’il faut confier le pouvoir de prendre l’initiative de nouvelles conventions participatives ?
France has seen recently a growing interest in participative democracy, as evidenced by the successful « citizen’s convention for climate ». The French executive is trying to cash in on this success by bringing before Parliament a bill granting new prerogatives to the « Conseil Economique Social et Environnemental » an unelected body with mere advisory powers. This blogpost questions both the form and substance of the bill.
Par Denis Baranger, Professeur de droit public à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2)
Le Gouvernement a engagé pendant l’été une importante réforme du Conseil Économique Social et Environnemental (CESE), qui prend la forme de deux lois organiques. La première a d’ores et déjà été adoptée[1] : elle proroge le mandat des membres du CESE jusqu’à l’entrée en vigueur de la seconde, portant réforme de cette institution, et au plus tard jusqu’au 1er juillet 2021. Elle ne nous occupera pas ici. La seconde, inscrite dans un second projet de loi organique déposé devant l’Assemblée Nationale le 7 juillet dernier, contient une importante refonte de l’institution du Palais d’Iéna visant à « faire de cette Assemblée le carrefour des consultations publiques »[2]. On s’en tiendra ici à l’examen de ce projet qui remodèle de manière significative le statut et les compétences du CESE. S’agissant du statut du CESE, le nombre de ses membres est abaissé d’un quart, pour être porté à 175 membres (contre 233 aujourd’hui), et son organisation interne est remodelée. Mais surtout les prérogatives de l’institution sont accrues, en vue de faire de cette « assemblée consultative » placée « auprès des pouvoirs publics » (article 1er de l’ordonnance du 29 décembre 1958) le nouveau « forum de la société civile ». Il est certainement louable de la part du législateur d’œuvrer à un renforcement de la démocratie participative, dont l’utilité a été récemment illustrée par l’expérience réussie de la Convention citoyenne pour le climat. Mais était-il si urgent de redorer ainsi le blason d’une institution peu visible et le plus souvent décriée ? Le texte le fait en tout cas d’une manière qui suscite un certain scepticisme, tant du fait du recours au législateur organique (I) que par la manière dont ce texte fait évoluer la démocratie participative dans notre pays (II).
I. Le recours à la loi organique : habileté légistique ou maladresse démocratique ?
C’est d’abord la forme juridique employée qui suscite l’interrogation. La loi organique est-elle le type de règle approprié pour transformer aussi profondément un organe constitutionnel[3] tel que le CESE ? Une loi organique n’est en effet pas une loi comme les autres. Sa finalité est de compléter la Constitution, sur le fondement d’une habilitation conférée par une disposition constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel a pu dire que la loi organique était une « modalité d’application de la constitution »[4].
Il faut ici mettre en perspective le texte qui nous occupe avec les deux projets de révision constitutionnelle déposés en 2018 et 2019 et qui tous deux comportaient des dispositions relatives au CESE. En 2018, le projet de loi constitutionnelle « pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace », présenté le 9 mai 2018 (et retiré le 29 aout 2019) modifiait dans son article 14 les articles 69 à 71 de la Constitution en vue de transformer le CESE en « chambre de la société civile » ayant vocation à éclairer les pouvoirs publics sur les enjeux économiques, sociaux et environnementaux, en particulier à long terme » (exposé des motifs). Dans le projet de loi constitutionnelle de 2019 (« pour un renouveau de la vie démocratique »), le CESE devenait un « Conseil de la participation citoyenne » envisagé comme « un lieu de rencontre entre la société civile organisée et les citoyens, avec des missions nouvelles ».
Aucun de ces deux projets n’a abouti, du fait en particulier de l’opposition du Sénat. Il est difficile de ne pas penser que face à la difficulté récurrente rencontrée pour modifier la Constitution, il ait été jugé plus opportun d’éviter de passer par cette « face nord » de la révision sur le fondement de l’article 89 de la Constitution, et qu’on ait préféré passer par une route plus aisée à emprunter : celle de la loi organique. En visite au Palais d’Iéna en janvier 2020, Emmanuel Macron n’en a pas fait mystère : « la réforme qu’on a pensée et co-conçue (sic), je pense qu’il est possible de la mettre en œuvre dans ce quinquennat, parce que compte tenu de sa nature elle est moins compliquée que d’autres ». Moins compliquée…parce que ne supposant pas, probablement, d’en passer par l’article 89 de la Constitution et ses désagréables contraintes procédurales…
Le résultat est un texte hybride, s’apparentant à une synthèse entre une loi de révision constitutionnelle et les textes organiques d’application devant l’accompagner. Un examen comparatif du projet de loi constitutionnelle de 2019 et du projet de loi organique de 2020 montre en effet que ce dernier texte contient des éléments visiblement repris du projet de loi constitutionnelle de 2019. C’est le cas par exemple du pouvoir donné au CESE de convoquer des consultations de citoyens sur la base du tirage au sort (article 9 du projet de loi constitutionnelle 2019 ; article 4 du texte de 2020). Ou bien, de manière encore plus frappante, on trouve dans le projet de loi organique des dispositions qui portent sur le même objet que le projet de loi constitutionnelle de 2019 mais avec un contenu qui a été modifié. Par exemple, le nombre de membres du CESE passe d’un maximum de 155 (projet de loi constitutionnelle de 2019) à 175 (loi organique de 2020). Des arbitrages jugés relever en 2019 de la « norme » constitutionnelle ont donc été revus et corrigés par le législateur organique… Tout cela montre que le véritable « aiguilleur », selon la fameuse formule de Georges Vedel, déterminant le passage d’une disposition par la voie constitutionnelle ou par la voie organique se trouve au Secrétariat Général du Gouvernement, et que le choix de la voie normative retenue se fait pour des raisons d’opportunité pure.
Cette manière de procéder n’est pas saine. Il n’est pas souhaitable que le législateur organique intervienne ainsi en lieu et place du législateur constituant. Il est permis de regretter le brouillage normatif qui s’opère ici entre les différents types de règles. Certes, le Conseil d’Etat dans l’exercice de sa fonction consultative n’a pas considéré que le projet de loi organique empiétait sur le domaine de la loi constitutionnelle. Il a pu estimer dans son avis du 25 juin 2020 que « la possibilité donnée au CESE de recourir à la consultation du public sur un sujet relevant de sa compétence constitue une modalité d’exercice de sa mission consultative, qui peut être rattachée à ses règles de fonctionnement ». Le même raisonnement sauvera peut-être la loi organique lorsqu’elle passera devant le Conseil constitutionnel. Mais est-il convaincant ? Est-il persuasif de considérer qu’une réforme d’ensemble d’un organe prévu par la Constitution, affectant la définition de ses missions et modifiant significativement son statut, ne porte que sur son « fonctionnement » ? En particulier, sauf à ce que les mots n’aient plus aucun sens, les compétences du CESE ne sont pas des « règles de fonctionnement » au sens de l’article 71 de la Constitution, seules concernées par l’habilitation organique prévue dans cet article. Les articles 69 et 70 de la Constitution qui définissent les compétences du CESE ne contiennent pas d’habilitation au législateur organique, hormis concernant la procédure des pétitions.
En tout état de cause, par-delà le risque contentieux afférent au respect des domaines respectifs de la loi constitutionnelle et de la loi organique, la mauvaise pratique constitutionnelle est évidente. La loi organique devient en effet un outil banalisé et passablement opaque de révision de la constitution. Il est évidemment plus facile et plus discret de recourir (pendant l’été…) à des projets de lois organiques que de choisir la voie de la révision formelle de la Constitution, qui suppose d’obtenir l’accord du Sénat puis d’en passer soit par un référendum constituant soit par le Congrès de l’article 89 de la Constitution. Le passage par la voie organique supprime ces obstacles. Mais, au total, l’autorité de la Constitution s’en trouve amoindrie, et avec elle l’autorité du pouvoir constituant. Dans une constitution démocratique, une telle évolution, aussi technique qu’elle puisse paraître, n’est pas anodine. Il est permis de la regretter.
II. Le CESE et la démocratie participative
A. Une institution dont la voix ne porte pas
Cet « aiguillage » normatif est d’autant plus malencontreux que le projet de loi organique place l’avenir de la démocratie participative en France entre les mains d’un organe en crise, dont la légitimité est incertaine. En 2016, le rapport « refaire la démocratie »[5] rédigé par la commission « Bartolone-Winock » avait dressé un tableau assez critique de la place du CESE dans nos institutions. Le CESE, était-il observé, « peine à trouver sa place dans le système institutionnel français ». Le rapport mettait en avant le fait que « la représentativité et le mode de désignation de ses membres continuent de faire l’objet de critiques ». Par ailleurs, « la vingtaine de rapports et d’avis qu’il rend annuellement peut être parfois redondante avec les travaux menés au sein des assemblées ». Chaque président de la République vient rendre hommage au CESE lors de visites protocolaires et de cérémonies de vœux, mais aucun gouvernement ne juge pour autant utile de le saisir pour avis comme il pourrait le faire. Le nombre de saisines gouvernementales, comme d’ailleurs parlementaires, est infinitésimal. L’immense majorité des rapports du CESE sont élaborés sur le fondement d’une autosaisine.
Le rapport « Bartolone-Winock » avait résumé cette crise de l’institution du palais d’Iéna en présentant le CESE comme « une institution dont la voix ne porte pas »[6]. Non sans ironie, pour un texte qui en élargit tant les prérogatives, ce bilan désabusé se retrouve largement repris… dans l’étude d’impact du projet de loi organique lui-même (cf. p. 18). Il faut en effet bien comprendre la place qu’occupe le CESE dans nos institutions. Le CESE est dit l’ordonnance du 29 décembre 1958 « une assemblée consultative » placée « auprès des pouvoirs publics » (art. 1). C’est une manière de dire que malgré sa reconnaissance constitutionnelle, le CESE n’est ni une assemblée parlementaire ni un pouvoir public. Ses membres sont nommés, en partie par les organisations représentatives, en partie par l’exécutif, et non pas élus par le suffrage universel. Ils ne sont pas responsables devant le peuple. Le CESE ne représente pas la Nation ou la volonté nationale. Il n’exprime pas la Volonté Générale et n’a aucun pouvoir normatif. Ce ne sont pas là des stigmates, mais des limites intrinsèques voulues par le constituant. Ces limites doivent être gardées à l’esprit quand on envisage le projet de faire du CESE le nouveau « forum » de la démocratie participative. Le risque est en effet de conférer un surcroît de légitimité au CESE par le biais, non pas d’une réforme de son mode de nomination ou de sa composition, mais des compétences qui lui sont attribuées.
B. Le CESE nouveau « forum » de la société civile ?
Le projet de loi organique vise en effet, selon les termes de son exposé des motifs, à faire du CESE « le carrefour des consultations publiques ». Cette terminologie, plus prudente que celle du projet de loi constitutionnelle de 2018 (qui renvoyait à l’idée de société civile) et de celui de 2019 (« conseil de la participation citoyenne »). Mais le projet de loi organique n’en modifie pas moins sensiblement le statut et les compétences du CESE. Passons sur le volet statutaire (composition, organisation), sinon pour remarquer qu’on voit mal comment on redonnera de la légitimité à une institution composée de membres nommés et non élus…en réduisant leur nombre ! Concentrons-nous plutôt sur les trois grandes innovations du texte organique touchant à cette fonction nouvelle de « forum de la société civile » : Les pétitions ; la substitution du CESE aux autres procédures de consultation (ce qu’on appellera ici le principe du « guichet unique ») ; l’initiative de consultations sur la base du tirage au sort.
1) Le CESE et les pétitions
Le projet de loi organique (article 3) entend « rénover » les conditions dans lesquelles le Conseil aura vocation à accueillir et traiter les pétitions. On pardonnera notre scepticisme : les pétitions nous paraissent appartenir à une conception révolue (si elle fut jamais actuelle) de la démocratie participative. Les tentatives récentes pour relancer le mécanisme des pétitions n’ont d’ailleurs guère été couronnées de succès. Il n’est pas certain que le dispositif des pétitions citoyennes mis en place par la révision constitutionnelle de 2008 ait porté tous les fruits qu’on pouvait en attendre. Seules trois pétitions ont été soumises au CESE en près de dix ans (2010-2019). L’une d’entre elles, portant sur l’ouverture du mariage aux couples de même sexe, fut de surcroît déclarée irrecevable. Elle montrait, au passage, que surmonter l’obstacle procédural des 500.000 signatures suppose la mobilisation d’un groupe d’intérêt très motivé et organisé plus qu’une réaction citoyenne spontanée. Le CESE n’est pas seul concerné. Les tentatives récentes pour redonner souffle et modernité aux pétitions devant le Parlement ne semblent pas avoir donné de résultats très visibles[7]. Pour en revenir au CESE, il semble assez clair que le législateur organique ne fait pas le nécessaire pour y permettre un afflux de pétitions. Pour cela, il faudrait avant tout abaisser le seuil très élevé de 500.000 pétitionnaires auquel le projet de loi organique s’est bien gardé de toucher.
2) Le CESE instance d’accueil de principe des consultations légales
En vue de simplifier et de rationaliser le dispositif des consultations citoyennes, l’article 6 du projet de loi organique prévoit que « lorsque le Gouvernement décidera de consulter le Conseil économique, social et environnemental sur un projet de loi portant sur des questions économiques, sociales et environnementales, le Gouvernement ne procédera pas, sauf exceptions limitativement énumérées et sous réserve des exigences constitutionnelles, des engagements internationaux de la France et du droit de l’Union européenne, aux consultations prévues en application de dispositions législatives ou réglementaires ». C’est ce que nous appellerons le principe du « guichet unique ». Ce volet de la réforme paraît le plus positif. Jusqu’ici, les dispositifs de consultation s’étaient multipliés, de manière assez fragmentée et mal coordonnée. Faire du CESE le « guichet unique » des consultations prévues par le législateur semble une évolution heureuse. Elle pourrait redonner sens à l’institution du Palais d’Iéna. Mais elle supposera de clarifier ses relations avec d’autres instances, au premier chef desquelles se trouve la Commission nationale du débat public, dont l’expertise en matière de consultations publiques est certainement supérieure à celle du CESE. Il faudra aussi apaiser les syndicats et autres organisations qui ont vu là un moyen supplémentaire « d’affaiblir le dialogue social » (sic) en supprimant ou en cessant de consulter des instances paritaires déjà existantes[8].
3) Le CESE « initiateur » de consultations citoyennes tirées au sort
Si cette idée d’un guichet unique pour les consultations « citoyennes » peut se révéler opportune, il en va autrement à notre sens de la compétence confiée au CESE par l’article 4 du projet. Cette disposition ouvre au CESE la possibilité, à son initiative ou à la demande du Gouvernement, d’organiser des consultations publiques, en recourant le cas échéant au tirage au sort, « afin d’éclairer le Gouvernement et le Parlement sur les conséquences à long terme des décisions prises par les pouvoirs publics ». Que le CESE organise des consultations de ce type à la demande du gouvernement ne pose aucun problème. Il en va semble-t-il autrement s’il en prend l’initiative. Cette habilitation ouverte au CESE méconnaît la vraie logique de la démocratie participative. Dans chacune des expériences récentes qui peuvent nous servir de repères, on voit comment l’initiative a appartenu aux pouvoirs constitués « classiques ». En France, il s’est agi du président de la République, notamment lors du Grand débat national et de la Convention citoyenne pour le climat. C’est la logique habituelle de notre Cinquième république : celle d’un rapport direct entre le chef de l’Etat et le peuple. On pourrait tout aussi sereinement envisager (rêvons un peu…) que le Parlement, grand oublié de ce projet de loi organique, puisse prendre l’initiative de telles consultations.
Quoi qu’il en soit, l’initiative de convoquer des conventions participatives tirées au sort doit revenir aux organes politiques de l’Etat. En confiant ce pouvoir au CESE (sans que le projet spécifie d’ailleurs qui au sein du CESE détiendra la compétence en question) on méconnaît les limites intrinsèques de cette institution, et notamment son manque de légitimité démocratique. Autant il est probablement pertinent de faire du CESE, comme il a su l’être pour la convention « climat », un lieu d’accueil pour la démocratie participative, autant lui permettre de prendre l’initiative de conventions composées de citoyens tirés au sort nous semble inapproprié. Cela tient à deux raisons. D’abord, le manque de légitimité du CESE, déjà évoqué : ni élu, ni responsable. Ensuite, le risque de dilution de la démocratie participative par la multiplication ou le mauvais choix thématique des consultations convoquées. Ajoutons que même lors de l’expérience (réussie) de la Convention citoyenne pour le climat, l’expertise en matière d’ingénierie participative n’est pas venue du CESE lui-même : elle a été « importée » par les organisateurs et par les experts qu’ils ont sollicités. Rien ne prouve qu’en la matière le CESE « sache faire »… Confier au CESE le pouvoir de prendre l’initiative de consultations de citoyens tirés au sort, c’est prendre le risque (réel) de diluer la portée politique et la légitimité des consultations de grande ampleur comme le Grand débat national ou surtout de grandes conventions comme la Convention citoyenne pour le climat.
Au total, en matière de démocratie participative, il semble imprudent d’intercaler le CESE entre les citoyens et les organes constitutionnels. La démocratie participative n’est pas une forme de démocratie directe. Elle est une forme de discussion politique entre des citoyens et des gouvernants.
III. Ne pas confondre conventions citoyennes et consultations participatives…
On voudrait terminer par une observation un peu plus théorique, mais à l’impact très concret. Le projet de loi organique nous semble faire persister une certaine confusion entre les consultations classiques et les conventions citoyennes comme la Convention citoyenne pour le climat. Le texte ne les distingue pas assez. Or, un processus raisonné d’institutionnalisation de la démocratie participative suppose de mieux cerner la vraie nature des conventions citoyennes, et de mieux les distinguer des consultations classiques ou « citoyennes ».
Il faut à notre sens distinguer : 1/Les consultations administratives classiques, comme celles intervenant dans le domaine de l’urbanisme ou de l’environnement. 2/Les consultations « citoyennes ». On range dans cette catégorie des consultations qui vont au-delà des pratiques administratives parce qu’elles visent à associer les citoyens à la décision en matière de politiques publiques. On peut prendre l’exemple des Etats généraux de la bioéthique de 2009. Ou plus récemment et à une échelle plus large, du Grand débat national. On pourrait parler à leur sujet de « démocratie consultative ». Elles existent déjà et en assez grand nombre. On ne peut dire ni qu’elles ont été inutiles, ni qu’elles ont résolu le problème consistant à rapprocher les citoyens de la décision publique. 3/ Il y a enfin les conventions citoyennes, en particulier celles reposant sur le tirage au sort. Leur nature est tout autre. Dans une expérience comme celle de la Convention citoyenne pour le climat, les participants tirés au sort exercent en même temps un droit civique individuel (peut-être celui visé à l’article 6 de la Déclaration de 1789), et une fonction qui est malgré tout représentative (la représentation ne supposant pas toujours l’élection) ne serait-ce que parce qu’ils parlent au nom de leurs concitoyens dont ils ne sont qu’une sorte d’échantillon. L’institutionnalisation de ces conventions reste largement à faire, via des expérimentations et de nécessaires tâtonnements. A bien des égards, on peut penser qu’il faudra, les concernant, prendre modèle dans les règles constitutionnelles (et les règlements) applicables aux assemblées délibératives classiques bien plus que dans le droit (administratif) des consultations publiques, qui n’est pas toujours adapté les concernant.
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En conclusion, si elle devait être adoptée, cette loi organique ne pourrait constituer qu’une étape. Du point de vue du CESE, le texte fait certains progrès, notamment en lui donnant la compétence de principe s’agissant d’organiser les consultations citoyennes prévues par les textes. Mais il ne faut pas aller plus loin et donner au CESE un rôle d’initiative en matière de démocratie participative, qui n’est pas de son ressort. Il serait dommageable de négliger les limites intrinsèques d’une institution qui n’est pas et ne peut pas être une troisième chambre. Ce qui est donné ici au CESE est de facto refusé au Parlement. On consolide donc une institution à faible légitimité et qui n’a pas trouvé de véritable place dans la vie institutionnelle française, et cela se fait nécessairement au détriment des assemblées parlementaires. Du point de vue cette fois de la démocratie participative, le chemin est loin d’être terminé. Si le souci de l’ancrer dans nos institutions est louable, les voies et moyens de cette institutionnalisation restent encore à trouver. Il n’est pas certain que le chemin en passe toujours par la place d’Iéna…
[1] Loi organique n°2020-1022 du 10 août 2020. On se reportera à la décision n°2020-806 du Conseil constitutionnel en date du 7 août 2020 pour apprécier la rigueur du contrôle effectué à cette occasion sur le texte organique : la décision, totalement dépourvue du moindre commencement de motivation (la reprise du contenu de la loi examinée n’en tenant pas lieu) se borne à décider que les deux articles de la loi sont conformes à la Constitution.
[2] Exposé des motifs.
[3] Cf. le titre XI de la constitution.
[4] Décision n° 85−197 DC du 23 août 1985, « Loi sur l’évolution de la Nouvelle−Calédonie », cons. n° 16 . Les textes organiques ne peuvent « tenir en échec des règles constitutionnelles » car « ils n’en constituent que des modalités d’application ».
[5] Assemblée Nationale, Refaire la Démocratie, rapport n°3100, p. 103 s. Accessible sur : http://www2.assemblee-nationale.fr/static/14/institutions/Rapport_groupe_travail_avenir_institutions_T1.pdf
[6] Ibid. p. 103.
[7] Le Sénat a ouvert en 2019 une plateforme de pétitions en ligne. L’Assemblée Nationale a modifié son règlement (art. 148) par une résolution du 4 juin 2019 en vue de « revivifier ce droit » (rapport du député S. Waserman).
[8] Ce qui a été notamment dit par le secrétaire général de FO en réaction à ce projet : cf. Bulletin Quotidien, événements et perspectives, 1er juillet 2020.
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