Une non-réforme constitutionnelle : le référendum italien pour la réduction du nombre de parlementaires Par Eleonora Bottini
Les 20 et 21 septembre dernier, un référendum constitutionnel a permis au peuple italien d’adopter la réduction du nombre des parlementaires. En dehors d’un cadre plus général intégrant une telle réforme, les effets – positifs comme négatifs – de celle-ci sont pratiquement inexistants.
On September 20th and 21st 2020, a constitutional referendum was held that allowed the Italian people to approve reducing the number of members of Parliament. Outside a more comprehensive framework for such a reform, its effects – both positive and negative – are virtually non-existent.
Par Eleonora Bottini, Professeur de droit public à l’Université de Caen
Les 20 et 21 septembre derniers, les électeurs italiens se sont prononcés sur une proposition de révision constitutionnelle visant à réduire le nombre de parlementaires[1]. Après un vote parlementaire, très largement favorable à la Chambre des députés mais n’ayant pas obtenu la majorité qualifiée des deux tiers au Sénat, la révision a été soumise au référendum selon la procédure prévue à l’article 138 de la Constitution. Cette révision a été approuvée par une majorité de 69,96 % contre 30,04 % avec une participation de 51,12 % des électeurs. L’électorat italien s’est donc montré largement favorable à la réduction significative nombre des parlementaires, de 945 à 600 pour les deux chambres (le nombre de députés passe de 630 à 400 et le nombre de sénateurs passe de 315 à 200, avec un maximum de 5 sénateurs à vie).
Une telle prémisse laisserait croire à un évènement majeur dans la politique constitutionnelle italienne. Bien au contraire : si l’on réfléchit au sens général de cette réforme, il n’en est rien[2].
La loi constitutionnelle n° 214-515-805-B du 12 octobre 2019, approuvée par référendum ne contient pas un projet nouveau. Elle s’inscrit dans une série de tentatives de réformes plus globales des institutions italiennes, qui ont jusqu’à maintenant toutes échoué. Proposée notamment lors d’un projet de révision de 2006, la proposition de réduire le nombre des parlementaires avait également été insérée dans la réforme de 2016 promue par le Gouvernement de centre-gauche dirigé par Matteo Renzi. À ces deux occasions, le peuple italien s’était exprimé par référendum contre les propositions de révision constitutionnelle. L’échec de 2016 avait provoqué les démissions de Matteo Renzi et de son Gouvernement. À la suite des élections législatives du 4 mai 2018, le premier gouvernement dirigé par Giuseppe Conte s’était engagé à maintenir l’une des promesses électorales du Mouvement 5 Étoiles de réduire le nombre des parlementaires. Ce gouvernement de coalition voyait le Mouvement 5 Étoiles allié avec La Ligue, parti d’extrême droite dirigé par Matteo Salvini, resté en place jusqu’au 5 septembre 2019. Le Gouvernement italien actuel, dénommé « Conte II », est un autre gouvernement de coalition : il s’est formé à la suite de la chute du précédent, soutenu par un accord politique différent entre le Parti Démocrate, de centre gauche, le parti Italia Viva, créé par Matteo Renzi après sa sortie du PD, et le Mouvement 5 Étoiles. Lors de la formation de la coalition, le Mouvement 5 Étoiles avait présenté la réforme sur la réduction du nombre des parlementaires comme conditio sine qua non pour son soutien. La ligne politique du Mouvement n’a cessé, depuis sa création, de diriger ses attaques contre « la caste » des élites politiques ; tel est le principal moteur des propositions de réformes proposées. La réduction du nombre des parlementaires a été mise en avant à la fois comme une forme de « punition » symbolique face à l’inefficience de la classe politique et comme un moyen d’économiser sur les coûts du fonctionnement politique du pays, au profit d’une participation plus directe du peuple, notamment par voie électronique. Si cette réforme devait initialement s’inscrire dans un mouvement réformateur plus vaste, elle est restée isolée à l’instar d’une question de principe (et d’affichage) que l’on ne manque pas de qualifier de « populiste »[3], en raison de la méfiance du Mouvement 5 Étoiles vis-à-vis de la démocratie représentative. Pourtant, quasiment tous les autres partis politiques italiens se sont entre-temps ralliés à cette initiative, permettant d’expliquer la très large majorité (553 contre 14 députés) que la proposition de révision constitutionnelle a obtenu lors du vote en deuxième lecture à la Chambre des députés le 8 octobre 2019.
Au regard de la quasi-totale absence d’effets positifs sur les institutions italiennes, la réduction du nombre de parlementaires italiens peut être définie comme une non-réforme constitutionnelle. Cette même conclusion semble s’appliquer également aux prétendus effets négatifs, notamment la crainte, exprimée par certains constitutionnalistes, d’un affaiblissement du caractère démocratique du Parlement italien.
L’absence d’effets sur les dysfonctionnements institutionnels italiens
En premier lieu, cette réforme n’aura aucun impact sur les dysfonctionnements généralement identifiés dans la structure institutionnelle italienne. L’Italie est l’une des rares démocraties bicamérales (avec la Bosnie-Herzégovine et la Suisse) qui met en place un bicaméralisme parfait. La chambre haute, le Sénat, a donc comme la Chambre des députés la possibilité de censurer le Gouvernement, doublant de fait les possibilités de crises de gouvernement. On observe ainsi un nombre record de gouvernements en 60 ans d’existence de la Constitution républicaine de 1948 (66 gouvernements entre 1946 et aujourd’hui). Plus problématique encore, les compétences identiques entre les deux chambres sont susceptibles de provoquer, en l’absence de mécanismes de rationalisation du parlementarisme, une inefficience chronique dans le processus législatif. Le dépassement du bicaméralisme parfait par une réforme du Sénat, avec une modification de la répartition des compétences entre l’État et les régions, et, précisément, la réduction du nombre des parlementaires, était l’un des principaux aspects de la réforme échouée de 2016. Avec cette dernière mesure comme seul objet de la révision constitutionnelle, les problématiques liées au bicaméralisme parfait resteront inchangées.
En outre, la réduction du nombre des parlementaires n’aura aucun effet notable sur la fragmentation politique du Parlement, considérée également comme une cause de l’instabilité gouvernementale de l’Italie. Certes, moins de petits partis politiques seraient susceptibles d’être représentés au Parlement, mais en l’absence de changement du système électoral, la mise en place de majorités plus stables est loin d’être garantie[4].
Un autre aspect souvent critiqué de la démocratie représentative italienne réside dans le rôle des partis politiques qui aurait pris, selon certains, une ampleur trop importante. Les lois électorales se sont succédé dans le pays dans les vingt dernières années, mettant par exemple en place le mécanisme des listes bloquées. Le sentiment d’exclusion d’une partie de la population, typique des discours sur la crise de la représentation, a sans doute contribué à l’anti-parlementarisme que de nombreux auteurs ont vu dans la réforme constitutionnelle qui vient d’être approuvée. Seulement, encore une fois, la réduction du nombre des parlementaires n’y change rien. Dans quelle mesure un Parlement plus réduit contribuerait, au-delà de l’affichage, à faire évoluer le comportement des partis politiques et des acteurs politiques en général, dans le sens d’une meilleure légitimité de l’institution parlementaire ? Cela n’est pas expliqué. Au contraire, il est certain que le poids électoral des électeurs pris individuellement diminue avec l’augmentation de la taille des circonscriptions et du nombre de voix nécessaires pour être élu ; cela pourrait renforcer, et non limiter, le rôle des partis politiques, les sièges devenant plus « chers » à obtenir[5].
Il est vrai que cette critique de l’ineffectivité d’une telle réforme à cause de son caractère minime et non compréhensif risque de justifier un certain immobilisme[6]. On se demande néanmoins si l’argument consistant à dire qu’il vaut mieux réformer quelque chose que rien du tout n’est pas tout aussi spécieux. Dans le même sens, la justification d’une politique de réformes « des petits-pas », qui ne verrait dans celle-ci qu’un début, se heurte à la réalité politique italienne, dominée par des gouvernements de coalition qui ne tiennent souvent qu’à un fil (comme c’est le cas du gouvernement actuel). Certes, s’il s’avérait que cette réforme n’était en réalité qu’un premier pas vers une amélioration globale du dessein institutionnel italien, et non seulement l’expression d’une position « anti-politique »[7] particulièrement à la mode, le jugement pourrait être différent[8]. Pour l’heure, il est difficile de l’anticiper et même de l’espérer. De plus, même une politique des petits pas – comme l’était celle de la construction européenne, par exemple – nécessite d’avoir un objectif final clair, un cadre d’ensemble vers lequel les différentes étapes tendent ; or, rien de tel n’est apparu dans le débat qui a mené à cette réforme constitutionnelle.
En second lieu, l’argumentation principale des auteurs de la réforme tient aux économies sur la dépense publique réalisées du fait de la diminution des rémunérations et des dépenses de fonctionnement du Parlement. Dans le même sens, un Parlement réduit serait plus efficace dans son action législative. Ces arguments, qui ont sans doute eu un fort impact sur l’opinion publique, montrent en revanche le caractère vain de cette réforme. Rien ne permet d’affirmer que les mêmes problèmes relatifs à l’organisation du travail parlementaire ne se poseront pas tout autant dans un Parlement plus petit. Les économies annoncées, qui varient d’ailleurs fortement en raison du mode de calcul employé[9] semblent négligeables et dans tous les cas ne permettent pas d’affirmer que « l’on restitue au peuple les privilèges des politiques »[10].
L’absence d’un véritable risque pour la démocratie parlementaire italienne
L’apport de cette réforme est donc juridiquement nul. Reste à savoir si la réforme peut être considérée comme nocive pour la démocratie italienne. Selon certains, fortement opposés à la réforme, elle pourrait même nuire au caractère démocratique, au sens de « représentatif », du régime parlementaire italien. L’écart quantitatif entre les citoyens et leurs représentants dans les assemblées augmente en effet avec la diminution de ces derniers. Il est vrai que la réduction apparaît drastique en termes quantitatifs : il s’agit d’éliminer 36,5% des représentants du peuple sur le plan national. Il est également vrai que même après cette réduction, le nombre de représentants élus directement par le peuple demeure élevé en Italie en comparaison avec les nombreux pays qui élisent la chambre haute au suffrage universel indirect ; seuls l’Allemagne et le Royaume Uni ont désormais un nombre plus élevé de représentants directs du peuple, mais les deux pays ont une population supérieure à la population italienne[11]. L’argument lié à la représentativité est d’une grande complexité car il implique de définir la représentation : seulement, comme il a été souligné lorsqu’un débat similaire a été entamé en France, « [S]i le mot est partout, le concept semble bien n’être nulle part »[12]. Sauf à prendre en compte le réflexe intuitif selon lequel plus de représentants garantiraient une meilleure « représentativité » de la population (et de ses différences), il n’a pas été démontré que 600 parlementaires représenteraient les italiens de manière moins juste ou équitable que 945.
Au-delà du débat sur les chiffres et les proportions, souvent accompagné par un usage assez désinvolte du droit comparé, il est surtout important de rappeler que la réduction du nombre de membres du Parlement ne modifie en rien ses attributions (ce qui est d’ailleurs potentiellement problématique du point de vue de l’intérêt même de la réforme, comme expliqué précédemment). Il est donc difficile de voir dans cette réforme le risque d’un affaiblissement ultérieur du pouvoir législatif face à l’exécutif : une telle conséquence ne tient pas au nombre mais aux attributions constitutionnelles ainsi qu’à la pratique institutionnelle. Pendant la crise de l’épidémie de COVID-19, la pratique constitutionnelle a notamment laissé carte blanche à l’exécutif pour réagir et intervenir avec les mesures sanitaires, tandis que les parlementaires se sont cantonnés à l’entériner, avec un certain retard d’ailleurs.
Juridiquement cette révision constitutionnelle est un non-évènement, un « micro-amendement »[13] ; politiquement, elle se présente comme une façon d’éviter une crise gouvernementale et permettre à l’actuel Gouvernement de rester en place. Le temps et surtout le travail parlementaire à venir (loi électorale, réforme des règlements parlementaires) permettront de répondre à la question : en valait-il la peine ?
[1] La Constitution italienne en ressort donc modifiée dans ses articles 56 (Chambre des députés), 57 (Sénat) et 59 (nomination des sénateurs à vie).
[2] Dans un sens similaire, à propos du caractère « terne » de la révision constitutionnelle en question, v. M. Goldoni, « Constitutional Dullness. What we can learn from the Italian Constitutional referendum”, Verfassungsblog, 9 septembre 2020.
[3] Pisaneschi A., « La banalizzazione della Costituzione », Federalismi.it, 9 septembre 2020.
[4] Lieto S., « Riforme costituzionali in itinere e ricadute sull’assetto democratico rappresentativo. Riflessioni in prospettiva », Diritto pubblico europeo, Rassegna Online, n° 2/2019. La loi électorale devra dans tous les cas être révisée pour permettre d’organiser des élections avec le nouveau nombre de membres du Parlement, la question est de savoir en quel sens cette réforme sera effectuée.
[5] Trucco L., « Audizione senatoriale in merito al DDL n. 881 su “Legge elettorale : per una determinazione dei collegi indipendenti dal numero dei parlamentari” », Consulta online, n° 1/2019, p. 14.
[6] Lupo N., « Una riforma giusta con la motivazione sbagliata », Il Mulino, 14 octobre 2019.
[7] Dans un premier temps, la proposition de révision contenait également l’introduction de formes de mandat impératif, interdit par la Constitution italienne, ce qui montre la méfiance vis-à-vis du personnel politique qui se trouve à la base de la réforme.
[8] Par exemple, le corps électoral du Sénat est différent de celui de la Chambre des députés (électeurs de 25 ans révolus) ainsi que l’électorat actif (seuls les citoyens de 40 révolus peuvent se présenter au Sénat) alors que les deux chambres ont les mêmes pouvoirs : v. Fusaro C., « Reducing the size of the Italian Parliament : a limited constitutional reform with no risks and some benefits », ICONnect Blog, 16 septembre 2020.
[9] Selon qu’il repose sur un calcul en termes absolus à partir d’une législature ou en pourcentage de la dépense publique, incluant ou excluant les remboursements non imposables des missions des parlementaires, …
[10] Affirmation de Luigi di Maio, membre du Mouvement 5 Étoiles et Ministre des Affaires Étrangères, en 2019 lorsqu’il était Vice-Président du Conseil des ministres.
[11] La comparaison fréquente avec l’Allemagne d’ailleurs repose souvent sur des mauvaises bases méthodologiques car contrairement à l’Italie la structure de l’État allemand est réellement fédérale.
[12] Denquin, J.-M., « Faut-il réduire le nombre des parlementaires ? Représentation et quantification », JP Blog, 19 février 2018.
[13] Lupo N., cit.
Crédit photo: Gouvernement italien, CC-BY-NC-SA 3.0 IT