Réforme du Règlement du Sénat : se réinventer à cadre constitutionnel constant Par Chloë Geynet-Dussauze et Alexis Fourmont
Le 1er juin 2021, le Sénat a adopté une résolution visant à réviser son règlement. Cette réforme vise principalement à concentrer l’essentiel des discussions en commission ainsi que, plus fondamentalement, à organiser un meilleur suivi des ordonnances en vue notamment d’augmenter le nombre de ratifications expresses. Il s’agit également de renouveler les modalités de l’exercice par les citoyens du droit de pétition.
On June 1st 2021, the French Senate adopted a resolution to revise its rules of procedure. This reform aims at concentrating most of the discussions within committees and, more fundamentally, at improving the oversight of the « ordonnances » (art. 38 of the French Constitution) in order to increase the number of express parliamentary ratifications. It also attempts to renew the modalities by which citizens exercise their right of petition.
Par Chloë Geynet-Dussauze, Docteur en droit public qualifié aux fonctions de Maître de conférences, Enseignante-chercheuse contractuelle en droit public à l’Université d’Aix-Marseille, et Alexis Fourmont, Maître de conférences en droit public à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne [1]
Le 1er juin 2021, le Sénat a adopté une résolution visant à améliorer le suivi des ordonnances, rénover le droit de pétition, renforcer les pouvoirs de contrôle du Sénat, mieux utiliser le temps de séance publique et renforcer la parité. Cette réforme fait suite à la réflexion menée par le groupe de travail sur la modernisation des méthodes de travail du Sénat, qui a réuni tous les groupes politiques de décembre 2020 à mars 2021 sous la présidence de Gérard Larcher (LR). Sur le rapport de Pascale Gruny (LR), ce groupe transpartisan a adopté 39 propositions, dont 14 impliquaient une modification du Règlement du Sénat. Le 1er juillet 2021, le Conseil constitutionnel a rendu une décision de conformité sous réserve.
Contribuant à parachever la réforme constitutionnelle de 2008, l’actuelle révision du Règlement du Sénat vise à concentrer l’essentiel des discussions en commission au détriment de la séance, où la durée de droit commun des interventions a été réduite à deux minutes (art. 35 bis, 44, 46 bis et 47 quinquies). Durant les débats, le renforcement de la parité a été unanimement salué (art. 2 bis, al. 4), tout comme la création d’une motion de procédure ad hoc (art. 44, al. 1 bis) permettant au Sénat de refuser l’examen d’une proposition de loi déposée en application de l’article 11 de la Constitution, lui offrant ainsi la possibilité d’obtenir l’organisation d’un référendum d’initiative partagée. Issue de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et entrée en vigueur le 1er janvier 2015, la procédure du référendum d’initiative partagée permet qu’un référendum portant sur un objet spécifique soit organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenu par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. En vertu de l’article 11 de la Constitution, cette initiative prend la forme d’une proposition de loi qui est soumise au référendum par le Président de la République, si « elle n’a pas été examinée par les deux assemblées », dans un délai fixé à six mois par la loi organique n° 2013-1114 du 6 décembre 2013 portant application de l’article 11 de la Constitution. Autrement dit, l’organisation d’un référendum ne peut découler que de l’absence d’examen de la proposition par l’une ou l’autre ou les deux assemblées dans le délai consacré : en s’abstenant d’examiner la proposition de loi, chaque chambre dispose de la faculté de contraindre à l’organisation d’un référendum. Face à la crainte que le Gouvernement « force » l’examen du texte par une assemblée (empêchant ainsi le référendum), le Sénat a donc préféré introduire cette motion de procédure lui permettant de ne pas examiner ladite proposition de loi et ainsi de manifester clairement son souhait de voir organisé un référendum d’initiative partagée. Faisant écho à un souhait du groupe socialiste, cette procédure n’a, par ailleurs, pas suscité de censure de la part du Conseil constitutionnel, alors même qu’elle paraît aller à l’encontre du délai mentionné à l’article 11. En effet, l’adoption d’une telle motion rend compte d’une position politique, mais la proposition de loi en cause est susceptible d’être réinscrite à l’ordre du jour plus tard.
En revanche, plusieurs points de tension sont apparus, notamment à propos des conditions d’examen du droit de pétition par la Conférence des présidents. De même, les dispositifs ayant trait à la délibération parlementaire en séance, dans la continuité de ceux adoptés dans la réforme du Règlement du Sénat de 2015[2], ont fréquemment suscité l’hostilité des groupes d’opposition. La réduction des temps de parole à deux minutes, comme à l’Assemblée nationale, a été particulièrement critiquée, même si le régime reste plus libéral au Sénat, en ne restreignant pas ou bien moins le nombre d’orateurs.
Cette pomme de discorde qui se cristallise autour de la liberté et du temps de parole des sénateurs dans l’hémicycle tend à souligner que la culture politique française demeure empreinte d’« idéalisme législatif »[3], alors même que la législation n’est probablement plus la fonction la plus décisive pour le Parlement, comme le notait déjà Walter Bagehot. D’ailleurs, la notion de loi n’est « plus forcément ce qu’elle était »[4], si bien que l’on peut se demander si elle n’a pas rejoint la figure du citoyen « sur les tristes rivages où errent les idées pures »[5].
In fine, le Conseil constitutionnel a validé ces dispositions restrictives, tout en formulant sa traditionnelle réserve d’interprétation, en vertu de laquelle il appartient au président de séance d’appliquer ces limitations du temps de parole et, à propos de la lecture des conclusions d’une commission mixte paritaire, à la Conférence des Présidents d’organiser les interventions des sénateurs, « en veillant au respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire ».
Plus fondamentalement, cette réforme poursuivait essentiellement deux objectifs : il s’agissait, d’une part, de conforter la position institutionnelle du Sénat en tant qu’acteur essentiel du contrôle de l’activité gouvernementale et, d’autre part, de moderniser ses méthodes de travail pour plus d’efficacité dans la délibération et d’ouverture démocratique aux citoyens. Aussi la question des effets concrets de cette révision se pose-t-elle.
La lumière doit être portée sur les deux aspects les plus novateurs dans cette résolution. La chambre haute s’est efforcée de renforcer ses activités de contrôle, en particulier s’agissant des ordonnances de l’article 38 de la Constitution, ce que le Conseil constitutionnel a globalement neutralisé (I). De plus, le Sénat tente de renouveler les modalités de l’exercice par les citoyens du droit de pétition. Si la souplesse du mécanisme consacré paraît favoriser l’exercice de ce droit, il est cependant possible de douter de sa lisibilité globale du point de vue des citoyens (II).
I. L’indispensable amélioration du suivi des ordonnances
Depuis 50 ans, le Sénat s’enquiert de l’application des lois en vue d’assurer sa mission constitutionnelle de contrôle de l’action du Gouvernement et, depuis 2008, d’évaluation des politiques publiques. En particulier, la question des ordonnances attire son attention dans les plus récents rapports d’information annuels sur l’application des lois et il plaide à cet égard en faveur de davantage de ratifications expresses.
En effet, l’inflation législative s’accompagne d’un essor des ordonnances depuis les années 2000. Sous cette législature, 59 ont été publiées en 2018-2019, puis 100 durant la session suivante. Naturellement, la crise sanitaire n’a pas été neutre, puisque la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 a suscité 63 ordonnances par exemple. Aussi, la procédure législative de droit commun n’est « plus le principal mécanisme d’adoption de la loi »[6], au sens où la part des ordonnances parmi les textes intervenant dans le domaine de la loi s’élève à 70 % (100 sur 143) au cours de l’actuelle session.
Cette évolution revêt des atours tant quantitatifs que qualitatifs. Elle traduit « un renversement complet de perspective quant à la “doctrine d’usage” »[7] des ordonnances. Originellement, elles étaient censées demeurer exceptionnelles et permettre de mener une politique prioritaire. Toutefois, cette procédure s’est banalisée et cela n’est pas sans poser de difficultés pour le Parlement, dépossédé de la compétence législative qu’il partage avec les organes exécutifs notamment. Élaborés dans la précipitation, ces textes contiennent fréquemment des malfaçons.
Pourtant, et de façon paradoxale, le délai moyen d’adoption de la loi d’habilitation elle-même est important. De plus, une fois l’acquiescement parlementaire obtenu, le délai moyen entre l’adoption de la loi d’habilitation et la publication des ordonnances est de 209 jours. Il chute à 29 jours pour les ordonnances relatives à la crise sanitaire, mais grimpe à 570 pour les autres. À titre de comparaison, le délai moyen d’adoption d’une loi s’élève à 235 jours au cours de l’actuelle session. Variable, cette gestion ministérielle du temps contraste avec la célérité exigée des assemblées.
En outre, certaines habilitations demeurent non utilisées, ce qui souligne « un manque d’anticipation du Gouvernement »[8]. À l’inverse, d’autres ordonnances excèdent les limites de l’habilitation accordée par le Parlement, ce qui a par exemple conduit le Conseil d’État à annuler une partie de l’ordonnance n° 2019-362 relative à la coopération agricole prévue par l’article 11 de la loi EGalim. Par-delà ces flottements dans le calibrage des ordonnances, la plupart d’entre elles ne sont pas ratifiées dans des conditions permettant aux chambres de débattre des mesures ainsi instituées et de contrôler leur conformité à l’habilitation initiale. L’exécutif dépose toujours des projets de loi de ratification pour empêcher la caducité desdites ordonnances, sans pour autant que leur discussion ne soit inscrite à l’ordre du jour : sur les 100 ordonnances publiées en 2019-2020, seules 8 avaient été ratifiées au 31 mars 2021. Les débats s’en trouvent escamotés, ce qui ne favorise aucunement la qualité de la loi.
Enfin, cette situation est d’autant plus préjudiciable que le Conseil constitutionnel a estimé, dans sa décision n° 2020-843 QPC du 28 mai 2020, dite Force 5, qu’une ordonnance non ratifiée acquiert rétroactivement une valeur législative à compter de l’expiration du délai d’habilitation, à condition bien sûr que le projet de loi de ratification ait été déposé dans le délai imparti. Afin de circonscrire ce revirement à la procédure de la QPC, il a cependant précisé, dans sa décision n° 2020-851/852 QPC du 3 juillet 2020, que « si les dispositions d’une ordonnance acquièrent valeur législative à compter de sa signature lorsqu’elles ont été ratifiées par le législateur, elles doivent être regardées, dès l’expiration du délai de l’habilitation et dans les matières qui sont du domaine législatif, comme des dispositions législatives au sens de l’article 61-1 de la Constitution ». Cette jurisprudence semble aller à l’encontre de la lettre de l’article 38, précisément révisé en 2008 pour que les ratifications expresses supplantent les ratifications tacites. Le besoin d’un suivi parlementaire accru est donc bien réel. En ce sens, Jean-Pierre Sueur a déposé, le 22 juillet dernier, une proposition de loi constitutionnelle garantissant le respect des principes de la démocratie représentative et de l’État de droit en cas de législation par ordonnance[9].
Pour toutes ces raisons, le groupe de travail a souhaité conjurer le risque d’un double dessaisissement du Parlement : les assemblées doivent pouvoir débattre du contenu de l’ordonnance, lors de sa ratification, et le modifier si elles l’estiment nécessaire. Dans cet esprit, la résolution du 1er juin 2021 renforce le rôle des commissions permanentes dans le contrôle des ordonnances, en le leur confiant expressément. En outre, le rapporteur d’une loi devra suivre les ordonnances publiées sur son fondement. Quant à la commission saisie au fond, elle sera compétente pour déclarer irrecevables les amendements sénatoriaux créant, étendant ou rétablissant une habilitation à légiférer par ordonnances, de façon à mieux protéger la compétence législative du Parlement, tout en respectant la jurisprudence constitutionnelle, qui exclut tout initiative parlementaire en matière d’habilitation (décisions n° 2004-510 DC et 2014-700 DC).
Dans cette perspective, l’article 2 de la résolution révise l’article 29 bis RS, en prévoyant qu’au début de chaque session, puis au plus tard le 1er mars, ou après la formation du Gouvernement, ce dernier informe la Conférence des Présidents des projets de loi de ratification qu’il entend inscrire à l’ordre du jour, ainsi que des ordonnances qu’il prévoit de publier au cours du semestre. L’objectif est d’inciter à ratifier davantage.
Concernant le programme des ratifications, le Conseil constitutionnel estime que les dispositions de la présente résolution sont conformes à l’article 48 de la Constitution, les informations ainsi délivrées ne possédant « qu’un caractère indicatif ». Elles ne lient nullement le Gouvernement. Un tel raisonnement ne surprend guère, dans la mesure où il avait déjà été déployé dans la décision n° 2009-581 DC du 25 juin 2009 relative au RAN : il en allait de même de l’information donnée par le Gouvernement à la Conférence des Présidents sur les semaines qu’il prévoit de réserver pour l’examen des textes et les débats dont il demandera l’inscription à l’ordre du jour.
S’agissant du calendrier de publication des ordonnances, et cette fois dans la continuité de la décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020, le Conseil affirme que les prescriptions révisées se rattachent à l’exercice par le Parlement de ses missions de contrôle et d’évaluation. Si elles ne s’avèrent pas contraires à la distinction des pouvoirs[10], leur portée a été neutralisée par le biais d’une réserve d’interprétation, aux termes de laquelle « les informations susceptibles d’être ainsi données par le Gouvernement […], qui n’ont qu’un caractère indicatif, ne lient pas celui-ci dans l’exercice de la compétence qu’il tient de l’article 38 de la Constitution ». Certes, cette décision prolonge la jurisprudence antérieure, mais il y a lieu de l’interroger. Le contrôle ainsi corrigé des ordonnances risque de s’avérer essentiellement formel.
II. La rénovation attendue de l’exercice du droit de pétition
L’un des autres objectifs de la réforme vise à « rénover le droit de pétition » à partir des modalités expérimentales mises en œuvre depuis janvier 2020. Dans le prolongement des propositions du groupe de travail sénatorial sur la révision constitutionnelle formulées en mars 2019, l’expérimentation a, en effet, mis en place une plateforme de dépôt de pétitions en ligne permettant à tout citoyen de proposer ou soutenir la création d’une mission d’information sénatoriale ou de soumettre une proposition de texte législatif en vue de son inscription à l’ordre du jour. Malgré des conditions de recevabilité libérales, le mécanisme traditionnel de la pétition était tombé en désuétude, aucune pétition n’ayant, par exemple, été déposée en 2018. Ce constat n’était pas propre au Sénat et avait, par ailleurs, conduit à une réforme du régime des pétitions à l’Assemblée nationale en 2019[11].
Déclaré conforme à la Constitution[12], l’article 4 de la présente résolution prévoit désormais la possibilité, pour toute personne[13], d’adresser une pétition au Sénat – et non plus à son Président – sur une plateforme dédiée ou, à défaut, par courrier électronique ou papier. Alors que le Bureau du Sénat est chargé de fixer les règles de recevabilité, de caducité ou de publicité des pétitions, la Conférence des présidents est la « seule juge de l’opportunité des suites » à donner aux pétitions.
Dès lors, seules les pétitions ayant atteint un certain seuil de signatures sont « évoquées[s] » en Conférence des présidents (au lieu d’un renvoi à la commission compétente). Ainsi les pétitions réunissant suffisamment de signatures ne donnent-elles pas automatiquement lieu à des suites. Malgré les contestations des membres du groupe communiste qui souhaitaient limiter le rôle de la Conférence des présidents à une simple vérification de la recevabilité d’une pétition, cette règle a été maintenue à l’issue des débats pour préserver le pouvoir d’appréciation des instances du Sénat. Cependant, les sénateurs ont consacré la possibilité qu’une pétition n’ayant pas atteint le seuil retenu puisse tout de même être « évoquée » en Conférence des présidents, dans des conditions définies par le Bureau. Cette disposition s’inspire pleinement de l’expérience acquise lors de la phase d’expérimentation : la pétition déposée sur la plateforme du Sénat demandant la désolidarisation des revenus du conjoint pour le paiement de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) avait alors été prise en compte par les sénateurs avant d’avoir atteint le seuil de 100 000 signatures. Le Sénat retient donc ici une souplesse caractéristique de son fonctionnement, lui permettant de conserver son pouvoir d’appréciation. Il garde la main sur les pétitions qui lui sont soumises, et cela qu’elles atteignent ou non le seuil déterminé.
La modernisation de cette niche citoyenne s’inscrit dans la volonté fréquemment rappelée par Gérard Larcher « d’enrichir les procédures de démocratie représentative par des éléments de démocratie participative ». La réhabilitation du dispositif a pour objectif de rapprocher les citoyens de l’institution sénatoriale et, ainsi, de renouer le dialogue entre les citoyens et leurs représentants. Si la visée de cette réforme n’est pas d’offrir un droit d’initiative directe aux citoyens, mais d’améliorer le relais entre ces derniers et le Sénat, constituant, de la sorte, une forme de correctif au système représentatif, certains sénateurs ont néanmoins pu regretter que l’aboutissement de cette ouverture démocratique soit, en réalité, conditionné par la volonté de la majorité sénatoriale. Certes, celle-ci demeure logique, et conforme à la Constitution[14], ainsi qu’aux prérogatives qu’elle confie aux assemblées[15], mais la mainmise sénatoriale sur le devenir des pétitions – qu’elles atteignent ou non le seuil fixé – risque de fragiliser le processus et d’accroître l’incompréhension des citoyens dont la pétition atteindrait le seuil fixé. Il aurait sans doute été préférable de consacrer, a minima, une obligation de réponse du Sénat aux pétitions atteignant le seuil défini. Au demeurant, il est politiquement improbable qu’il ne soit pas donné suite à une pétition dépassant le seuil… et même à une pétition qui s’en approcherait, sauf à dévitaliser le système nouvellement établi. À cet égard, une mission d’information n’est pas difficile à mettre en place.
De la dématérialisation de la pétition aux conditions de sa prise en compte par le Sénat, la présente réforme tend, malgré tout, à encourager la réappropriation par les citoyens de cet instrument d’interpellation. À la différence du mécanisme consacré à l’Assemblée nationale, la souplesse qui caractérise le processus sénatorial semble porteuse d’espoir pour les pétitions à venir.
Conclusion
Cette nouvelle réforme du Règlement du Sénat s’inscrit dans une double volonté : celle de confirmer son savoir-faire et ses traditions en matière de contrôle parlementaire et celle de moderniser ses méthodes de travail à la suite d’une réflexion ouverte et transpartisane.
Par sa capacité à se réformer, le Sénat se positionne en acteur essentiel du jeu institutionnel. Il tire ainsi les leçons de la crise sanitaire, sans perdre de vue les enjeux relatifs à la crise (plus structurelle) de la représentation. Il lui faudra, cependant, veiller à ce que la recherche constante d’efficacité qui guide ses réformes ne le transforme pas en une chambre « de la vitesse »[16], où la rapidité d’examen des textes et la durée (trop) réduite des prises de parole empêche, in fine, la tenue d’un véritable débat à la fois éclairé et sincère.
Du point de vue du jeu démocratique dans son ensemble, il n’est pas assuré que la réhabilitation du droit de pétition clarifie le rôle du Sénat en son sein. Alors que l’Assemblée nationale a récemment rénové ce mécanisme et que le Conseil économique, social et environnemental a, lui aussi, fait l’objet d’une refonte en ce sens pour devenir une Chambre de la participation citoyenne, rien ne garantit que la réforme sénatoriale rende plus lisible le schéma pétitionnaire actuel. Cette difficulté ne fait, en réalité, qu’illustrer la difficulté à articuler les mécanismes participatifs avec les principes d’une démocratie représentative au sein de laquelle le citoyen semble avoir bien du mal à trouver sa place.
[1] Nous remercions chaleureusement Jean-Félix de Bujadoux pour sa précieuse relecture.
[2] La résolution tendant à réformer les méthodes de travail du Sénat dans le respect du pluralisme, du droit d’amendement et de la spécificité sénatoriale, pour un Sénat plus présent, plus moderne et plus efficace, adoptée le 13 mai 2015, a consacré une réduction générale de la durée des interventions dans la discussion générale, la discussion des motions et la discussion des amendements, la durée d’intervention d’un sénateur en séance ne pouvant durer plus de deux minutes et demie.
[3] J.-M. Cotteret, Le pouvoir législatif en France, LGDJ, 1962, p. 11.
[4] J.-C. Colliard, Les régimes parlementaires contemporains, Presses de Sciences Po, 1978, p. 245.
[5] G. Burdeau, « Une survivance : la notion de constitution », rééd. in Écrits de droit constitutionnel et de science politique, éd. Panthéon-Assas, 2011, p. 243.
[6] P. Gruny, Rapport d’information n° 645 sur le bilan annuel de l’application des lois, Sénat, 2021, p. 35.
[7] Y. Aguila et B. Stirn, Droit public français et européen, Presses de Sciences Po et Dalloz, 2021, p. 148.
[8] P. Gruny, Rapport d’information n° 645, p. 16 et 36.
[9] L’objectif principal consiste à écrire en toute clarté que des dispositions prises par ordonnance dans le domaine de la loi ne sauraient acquérir valeur législative (ou être regardées comme législatives) tant que le législateur ne les aura pas expressément ratifiées.
[10] Ce qui n’était pas le cas de la transmission immédiate d’une copie de chacun des actes pris pour la mise en œuvre du système d’information destiné à lutter contre la pandémie (§ 82 de la décision précitée du 11 mai 2020).
[11] Articles 147 à 151 RAN.
[12] Décision n° 2021-820 DC du 1er juillet 2021, §13.
[13] Depuis la Révolution française, le législateur n’ouvre pas seulement le droit de pétition aux citoyens, mais à toute personne. Sur la plateforme, le dépôt ou le soutien d’une pétition est possible pour toute personne majeure inscrite sur le registre national d’identification des personnes physiques de l’INSEE, après s’être identifiée via le dispositif FranceConnect.
[14] Notamment en matière d’ordre du jour : une inscription automatique à l’ordre du jour serait contraire à l’article 48.
[15] La mission de contrôle et d’évaluation appartient aux assemblées, qui l’exercent souverainement, dans le respect du principe constitutionnel de liberté des parlementaires dans l’exercice de leur mandat.
[16] É. Kerrouche, dans F.-N. Buffet, Rapport fait au nom de la commission des lois sur la proposition de résolution visant à améliorer le suivi des ordonnances, rénover le droit de pétition, renforcer les pouvoirs de contrôle du Sénat, mieux utiliser le temps de séance publique et renforcer la parité, 26 mai 2021, p. 47.
Crédit photo: Sénat