LA DEMOCRATIE PARTICIPATIVE DANS LA REPUBLIQUE : ETAT DES LIEUX ET SCENARIOS POUR L’AVENIR Par Denis Baranger
Où en est la démocratie participative en France ? La question a été posée par le Premier Ministre Jean Castex à une mission d’information présidée par M. Patrick Bernasconi et qui devrait rendre prochainement ses conclusions[1]. A la suite de deux grands exercices participatifs, le Grand débat national (janvier-avril 2019) et la Convention citoyenne pour le climat (octobre 2019-juin 2020), et d’une loi organique confiant au CESE un rôle pilote dans ce domaine[2], la question se pose en effet avec une certaine acuité. La lettre de mission du Premier ministre, en date du 25 juin 2021, confiait deux tâches à la mission « Bernasconi » : d’abord, « établir un état des lieux (…) de la participation citoyenne et de la démocratie délibérative en France ainsi qu’un bilan des grands exercices participatifs conduits récemment ». Ensuite « proposer des scénarios d’évolution institutionnelle et des politiques publiques ». « Etat des lieux » (I) et « scénarios d’évolution institutionnelle » (II) : tel est aussi le plan qu’on suivra dans ces pages.
I. ETAT DES LIEUX
A. Problème représentatif et solution participative
1. Le problème : la crise des institutions représentatives dans le monde contemporain
On constate depuis plusieurs décennies un phénomène de découplage entre les citoyens et les institutions, visible à nombre de symptômes. Les sondages indiquent un accroissement de la perte de confiance dans les institutions. Cet accroissement est aussi perceptible avec ce qu’un récent rapport parlementaire a appelé la « banalisation de l’abstention », phénomène qui a connu des niveaux records (dépassant à chaque fois le chiffre de 65 %) lors des élections régionales et départementales de 2021[3].
Les citoyens ne sont pas seulement passifs ou méfiants. Ils s’impliquent désormais différemment dans la vie publique, de manière pacifique (réseaux sociaux, formes nouvelles d’action collective) ou moins paisible (mouvement des gilets jaunes, violences lors de manifestations, …).
2. L’ardente obligation participative
Il semble désormais hors de question de se passer de la démocratie participative. S’impose en la matière quelque chose comme une « ardente obligation », selon le mot fameux employé naguère par le Général de Gaulle au sujet de la planification. Les expériences se multiplient partout et à tous les niveaux. Au niveau local : il n’est pas une commune, un département, une région, qui ne développe maintenant des initiatives en la matière. Pour ne citer qu’un exemple, la mairie de Charleville-Mézières s’est même dotée de son « service de la démocratie participative ». Beaucoup de collectivités locales ont au moins désormais des sites conçus à cette fin. Au niveau européen, citons les panels de citoyens tirés au sort organisés dans le cadre de la « Conférence sur l’Avenir de l’Europe », qui résulte d’une initiative conjointe du Parlement, du Conseil et de la Commission européenne.
Reste l’échelle des initiatives nationales. La formule est convenue, mais il est permis de dire que la démocratie participative est à la croisée des chemins. La lettre de mission du Premier ministre à la mission Bernasconi fait mention d’un souhait politique de « faire de la participation citoyenne une modalité d’action pérenne du gouvernement ». Encore faut-il en définir les voies et moyens. Avant d’y arriver, on peut risquer un bilan des grandes expériences récentes.
B. Les grands exercices participatifs
1. Le Grand débat national : une expérience utile, mais sans lendemain ?
Le Grand débat national a été une réussite participative (2 millions de participants, 10.000 réunions, 1,4 millions de contributions soumises, 16.000 « cahiers de doléances », 14 conférences thématiques). Elle fut aussi, de l’aveu commun, une réussite politique pour le président Macron, qui en a fait un outil de sortie de crise après la mobilisation des gilets jaunes. Mais que reste-t-il du Grand débat national ? Peu de choses, semble-t-il. L’exercice est tombé dans un oubli quasi immédiat[4]. Par ailleurs, ses failles ont été fréquemment soulignées. Signalons-en deux. La première est le manque de représentativité des participants. La seconde est l’absence de débouché clair : aucune décision, ni orientation mais des « opinions » et des « attentes » rassemblées dans des « synthèses » rédigées par des prestataires extérieurs. Le Grand débat national s’apparente donc à un exercice aux perspectives limitées. Il n’est d’ailleurs semble-t-il pas question de le renouveler.
2. La Convention citoyenne pour le climat : un républicanisme participatif ?
Tout autre est la situation de la Convention citoyenne pour le climat. L’exercice, auquel Thierry Pech, l’un de ses co-organisateurs, vient de consacrer un excellent ouvrage [5], a été mené avec un soin expérimental remarquable. La Convention combinait démocratie participative et démocratie délibérative de façon plus adéquate, nous semble-t-il que le Grand débat national, sorte de rendez-vous présidentiel avec les Français que n’aurait peut-être pas désavoué un Général de Gaulle rompu aux méthodes de notre temps. L’expérience de la Convention citoyenne pour le climat a posé deux grandes questions : celle de la légitimité des « conventionnels », celle de la nature des décisions auxquelles ils parviennent.
a. Les « conventions » et leurs « conventionnels » : une indiscutable légitimité
La légitimité intrinsèque du citoyen tiré au sort. Une assemblée citoyenne telle que la Convention pour le climat ne peut pas être seulement ramenée à une « commission d’experts » : elle réalise l’exigence présente dans l’article 6 de la Déclaration de 1789 de faire concourir « personnellement » le citoyen à la « formation » de la loi. Il n’est pas possible de considérer que les « citoyens-représentants » (selon la formule parfois employée au Québec) n’ont pas plus de légitimité qu’une simple commission d’experts ou un organe consultatif. Du moment que l’on réunit, y compris au tirage au sort, des citoyens, ils ne sont pas comme les scientifiques d’un comité d’experts, ou les « sondés » d’un sondage d’opinion. Ils font leur métier de citoyen. Ils réalisent en actes le principe républicain inscrit au frontispice de notre régime.
Il serait bon en la matière de distinguer le titre de légitimité et l’exercice de la légitimité. On ne peut pas réduire à rien le titre de légitimité du citoyen et lui opposer le titre de légitimité (par ailleurs indiscutable) que les parlementaires retirent de leur élection. Du point de vue cette fois de la légitimité d’exercice, si l’on peut dire, il est permis de penser que l’avantage est désormais aux citoyens. De nos jours, d’un point de vue concret, la légitimité politique des élus est fortement questionnée. La parole d’un citoyen tiré au sort est peut-être même plus légitime que celle d’un parlementaire…
Un procédé républicain. Plutôt que de « démocratie participative », on devrait peut-être plutôt parler de « participation républicaine ». Certes, on sait que le tirage au sort est le procédé démocratique par excellence, puisqu’il évite le biais élitiste de l’élection. Mais il semble pertinent de souligner que c’est aussi un procédé parfaitement en adéquation avec les principes républicains. Le citoyen tiré au sort et associé à un exercice participatif réalise l’idéal républicain de la participation civique. On peut aussi suggérer que le tirage au sort en vue de la formation de conventions de ce type est aussi un procédé conforme à l’idée de souveraineté nationale. Le corps des tirés au sort peut s’envisager comme un échantillon de la Nation, il permet de la reconstituer de manière limitée dans le temps et les thèmes abordés. Ces limitations temporelles et matérielles, comme d’ailleurs le tirage au sort lui-même, respectent le principe d’inaliénabilité de la souveraineté nationale. On peut voir là une manière de représenter la nation qui évite les penchants « localistes » de l’élu, prompt à se considérer comme le représentant de sa seule circonscription ou à se placer au service d’intérêts sectoriels. Il n’y a donc pas d’incompatibilité de principe, bien au contraire, entre démocratie participative et souveraineté nationale.
b. Le pouvoir quasi décisionnel des conventions citoyennes
Aucun exercice de démocratie participative n’est associé à un quelconque pouvoir de décision au sens juridique du terme. Pourtant, on ne peut pas en rester à la démocratie participative « purement consultative », mâtinée de techniques de synthèse des opinions, ou d’agrégation des préférences, sur le modèle du Grand débat national. Les citoyens ne s’en contenteront pas. Cela n’apportera pas de solution à la crise du modèle représentatif.
De ce point de vue, l’expérience de la Convention citoyenne pour le climat est instructive. Le président de la République lui avait confié un rôle que l’on serait tenté de qualifier de « quasi » ou « para-décisionnel » : « redessiner toutes les mesures concrètes » touchant à la transition climatique, « définir » des mesures « incitatives ou contraignantes », « proposer des financements ».
Le Président prenait aussi un engagement marquant : la promesse de soumettre « sans filtre » ce qui « sortira [ it ] » de la convention « (…) soit au vote du Parlement, soit à référendum, soit à application réglementaire directe »[6] . Nous avons eu l’occasion, dans ces mêmes pages, de remarquer l’effet d’intoxication de la promesse de transmission sans filtre[7]. Nous n’y reviendrons pas. Par-delà le « sans filtre », la véritable question est ici celle du sens des quasi décisions ainsi adoptées par les Convention citoyennes.
On a demandé aux citoyens de la Convention citoyenne pour le climat de faire des choix, d’ailleurs rassemblés dans des « paquets législatifs »[8]. Ils étaient ainsi constitués en partenaires de la confection des politiques publiques. Mais ce n’étaient pas là de vraies décisions au sens normatif du terme, venant prendre place au sein du droit positif. Thierry Pech a parlé à ce sujet de « pré-législation » et d’une « contribution à la formation de la loi ». C’est là ce qui sépare ces conventions de simples organes consultatifs. Ajouté à notre premier point – la légitimité intrinsèque des citoyens à participer à la décision publique – ce second point dessine un type de mesures préparatoires inédites, quasi ou para décisionnelles, pour lesquelles notre droit public n’a pas encore de nom ni d’emplacement adéquat. On ne peut pas en dire tellement plus à ce stade. C’est là qu’il faut continuer à expérimenter. Disons simplement que ce type de pouvoir quasi ou para décisionnel ne peut être reconnu de manière universelle à tous les types de panels citoyens ou commissions citoyennes qui fleurissent çà et là. Il faut réserver cette prérogative à des expérimentations conduites avec beaucoup de soin sur des sujets appropriés, comme l’a été la Convention citoyenne pour le climat.
II. QUELS SCENARIOS INSTITUTIONNELS ?
La mission « Bernasconi » doit aussi proposer à l’exécutif « des scénarios d’évolution institutionnelle et des politiques publiques ». On se contentera ici de faire apparaître les risques pesant sur le développement de la démocratie participative en France, donc le négatif, pour terminer, plus positivement, par quelques propositions et pistes d’évolution.
A. Un double péril
1. Le péril de la dilution
Il se peut que nos gouvernants soient si férus de démocratie participative qu’ils en multiplient les occurrences, à l’image de François Mauriac qui « aimait » tellement l’Allemagne que, disait-il, il était « ravi qu’il y en ait deux ». On peut tuer la démocratie participative par l’excès d’expérimentations non significatives. La dilution peut prendre deux formes. Tout d’abord une forme quantitative : multiplier les conventions citoyennes qui n’auront pas d’impact. Qui, par exemple, prête attention, ou a tiré de quelconques conclusions, des travaux du « comité citoyen » sur la vaccination organisé par le CESE depuis décembre 2020[9] ? Le second péril consiste dans une dilution qualitative : en rester, sous les apparences d’une véritable expérimentation participative, à des « panels » purement consultatifs. Les deux périls peuvent d’ailleurs se conjoindre.
2. Le danger d’une institutionnalisation hâtive
Par institutionnalisation, on peut vouloir dire deux choses. Premièrement, il peut s’agir d’une institutionnalisation qu’on pourrait dire « souple », c’est-à-dire la création de dispositifs stables pour les expériences de démocratie participative, à l’opposé de celles qui sont créées ponctuellement par le fiat d’un gouvernant quelconque. Deuxièmement, il peut être question d’une institutionnalisation qu’on pourrait appeler « rigide », c’est-à-dire la création d’un cadre législatif voire constitutionnel. Tout ce qui a été dit précédemment démontre que nous ne sommes pas sortis de l’âge des expérimentations, et qu’il serait prématuré de passer à l’âge de l’institutionnalisation rigide. L’avenir immédiat doit passer par des « expérimentations contrôlées » faites avec autant de soin que possible. L’institutionnalisation souple, qui permet l’expérimentation, est pour sa part souhaitable à ce stade, car elle peut permettre de mettre de côté le soupçon de calcul politique de la part de leur initiateur. Un récent rapport de l’OCDE[10] distingue huit sortes d’institutionnalisation de la démocratie participative, dont la nature est très diverse. On ne les étudiera pas ici en détail, mais il faut remarquer un point. Dans quatre des huit modèles examinés, on n’a pas craint de rapprocher la démocratie participative des institutions parlementaires. Cette voie semble en effet la plus recommandable.
B. Vers une meilleure implantation de la démocratie participative en France
1. Le Parlement est l’avenir de la démocratie participative. La démocratie participative est l’avenir du Parlement
Il faut avant tout réduire l’écart entre le Parlement, lieu traditionnel de la démocratie représentative, et la démocratie participative. Il importe en effet de ne pas s’exagérer l’incompatibilité entre l’institution parlementaire et la pratique de la démocratie participative. Il n’est pas pertinent de les opposer radicalement, soit en vue de décrédibiliser le régime représentatif sur le principe, soit au contraire en vue de contester la légitimité des conventions citoyennes, parfois ramenées à de simples « organes consultatifs » ou à des « comités d’experts », ce qu’elles ne sont et ne peuvent pas être.
Plutôt, il est permis d’espérer que la démocratie participative puisse constituer une planche de salut pour un Parlement frappé par une crise persistante d’efficacité et de légitimité. Il est à vrai dire curieux de prétendre défendre comme on le fait parfois, le Parlement contre les conventions citoyennes, la démocratie représentative contre la démocratie participative – qui dans ce contexte est aussi délibérative. C’est oublier dans quelle triste condition se trouve notre Parlement. Sa faiblesse politique a été soigneusement entretenue dans notre régime : il est soumis dans son activité quotidienne à la volonté de l’exécutif, circonvenu par la pratique proliférante des ordonnances, placé sous le boisseau par un Conseil constitutionnel qui s’ingénie depuis 1958 à amenuiser ses prérogatives politiques. On voit mal en quoi le rapprochement avec la démocratie participative lui serait plus préjudiciable que l’emprise étouffante des autres pouvoirs. Il ne faut pas opposer le Parlement et les citoyens, mais les rapprocher. Il n’y a pas pour le Parlement de « péril citoyen ».
D’autres institutions étrangères et internationales se sont déjà engagées sur cette voie. On connait le cas des « Panels citoyens » créés en Belgique par le Parlement de la région de Bruxelles. Dans le cadre de la conférence sur l’avenir de l’Europe, déjà citée, il est à noter que l’assemblée plénière de la conférence sera composée, outre les citoyens tirés au sort, de représentants du Parlement européen, du Conseil et de la Commission européenne, ainsi que de représentants de tous les parlements nationaux. Enfin, dernier exemple, le récent accord de coalition « tricolore » allemand (verts-SPD-FDP) en Allemagne en appelle à « améliorer la prise de décision en utilisant de nouvelles formes de dialogue citoyen, comme les conseils citoyens (Bürgerräte), sans pour autant abandonner le principe de la représentation »[11]. Tout cela est encore inchoatif, modeste et peut-être voué à ne pas prospérer, mais la direction est la bonne.
2. Faire entrer la démocratie participative au Parlement
Les travaux de la Convention citoyenne pour le climat donnent à penser que les « conventionnels » tirés au sort n’étaient pas hostiles à l’institution parlementaire : dans la majorité des cas, ils ont opté pour une formulation législative de leurs propositions (plutôt que pour la voie du référendum). L’amplitude des votes « oui » sur la plupart des propositions (147 propositions étant approuvées à une majorité allant de 85 % à 100 %) lors du vote final a pu être interprétée comme signifiant : « nous voulons que le Parlement examine cette proposition » et non pas : « nous voulons que le Parlement adopte cette proposition »[12].
De ce rapprochement entre la démocratie participative et la législation, on commence à repérer quelques signaux, qui ne sont encore que des signaux faibles. Ainsi, l’exposé des motifs de la loi « Climat et Résilience » du 22 août 2021 comportait-il une double référence au Grand débat national et à la Convention citoyenne pour le climat. Il relève par ailleurs que les membres de cette dernière avaient été « associés à la réalisation de ce projet de loi »[13]. Un autre signal faible se trouve dans la loi organique du 15 janvier 2021 relative au CESE, dont l’article 4-3 énonce que « pour l’exercice de ses missions, le Conseil économique, social et environnemental peut, à son initiative ou à la demande du Premier ministre, du président de l’Assemblée nationale ou du président du Sénat, recourir à la consultation du public dans les matières relevant de sa compétence » y compris au moyen de conventions tirées au sort. Il faut maintenant aller plus loin et faire des assemblées les hôtes de conventions citoyennes dont elles auraient pris l’initiative.
3. Par-delà la législation : vers une « responsabilité citoyenne »
a. La responsabilité citoyenne
Le citoyen-représentant « conventionnel » est porteur d’une sorte de créance de responsabilité politique dont le débiteur est le décideur politique. Il n’y a pas besoin pour cela de déplacer le lieu de la compétence normative, ou de partager cette compétence. Ainsi, lorsque le président de la République a choisi de ne pas suivre toutes les recommandations de la Convention citoyenne pour le climat, et en particulier quand il a renoncé au référendum, c’était évidemment sa prérogative, mais il en a subi les conséquences devant le « tribunal de l’opinion publique », qui était avant tout ici le « tribunal des 150 » s’il est permis de s’exprimer ainsi.
Le Premier Ministre Edouard Philippe avait parlé à propos du Grand débat national d’un « risque déceptif ». On pourrait étendre la formule à toutes les expériences de démocratie participative. Cet effet déceptif est alors vu comme un péril, mais on peut renverser les choses et le voir aussi comme une chance. Il s’apparente en effet à une forme de responsabilité politique informelle de gouvernants qui, tels le président de la Cinquième république, peuvent échapper par ailleurs à toute responsabilité politique dans le cadre de la constitution. Les acteurs l’ont compris. Au moment de la création de la Convention citoyenne pour le climat, la lettre de mission du Premier ministre s’engageait à « répondr[e] publiquement aux propositions émanant de la Convention », et à publier « un calendrier prévisionnel de mise en œuvre de ces propositions ». Il ne s’engageait qu’à cela, c’est-à-dire à un exercice de responsabilité politique informelle, mais il s’y engageait bel et bien. La Convention a pu, en retour, « exprimer un avis sur les réponses du gouvernement »[14]. Si cet effet de responsabilité politique est fort, il n’est pas institutionnalisé et n’a d’autre issue tangible qu’une perte de légitimité mesurable par un sondage en berne, des critiques dans la presse, une non-réélection, voire la réapparition de contestations politiques spontanées, sur les ronds-points du pays ou ailleurs. On voit là s’articuler démocratie participative et démocratie d’opinion.
b. L’évaluation citoyenne
Peut-on aller plus loin ? On pourrait à notre sens concevoir d’associer des citoyens à la fonction d’évaluation confiée au Parlement par l’article 24 de la Constitution. Avancer dans cette direction suppose, entre autres choses, de comprendre que la démocratie participative ne doit pas reposer seulement sur l’atomisation des individus que produit inévitablement le tirage au sort. Des formes de médiation et d’action collective comme les syndicats, les groupes d’experts, les ONG peuvent y participer. On se bornera à rappeler ici une proposition faite en 2016[15] et consistant à réformer le dispositif, aujourd’hui dysfonctionnel[16], des études d’impact. Les études d’impact sont aujourd’hui l’œuvre de ceux-là mêmes qui préparent les textes de loi. En un mot : des ministères et de leur administration. Une solution consisterait à confier la supervision des études d’impact préparées par les ministères au Conseil Economique Social et Environnemental (CESE) Rappelons que, dans plusieurs pays européens, les études d’impact sont contrôlées par une autorité indépendante[17]. Le CESE pourrait être aussi le lieu où seraient discutées des contre-études d’impact, réalisées par des institutions de la société civile (syndicats, ONG,…) dotées de leur propre capacité d’expertise. La fonction d’expertise socio-professionnelle du CESE serait ainsi utilement mise à contribution.
Denis Baranger, Professeur de droit public à l’Université de Panthéon-Assas (Paris II)
[1] Annoncées pour mi-janvier 2022 : cf. l’audition de P. Bernasconi à l’Assemblée nationale le 1er décembre dernier : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/comptes-rendus/micpelec/l15micpelec2122026_compte-rendu
[2] La loi organique du 15 janvier 2021. V. notre billet : https://blog.juspoliticum.com/2020/09/05/democratie-participative-linopportune-reforme-du-cese-par-denis-baranger/
[3] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/micpelec/l15b4790_rapport-information#_Toc256000003
[4] Perceptible au silence qui l’entoure désormais dans la presse nationale : pratiquement aucun article ne lui est plus consacré depuis l’automne 2019.
[5] Thierry Pech, Le Parlement des Citoyens, Le Seuil, 2021.
[6] Conférence de presse du 25 avril 2019.
[7] https://blog.juspoliticum.com/2020/01/13/convention-citoyenne-pour-le-climat-vers-un-droit-constitutionnel-souple-par-denis-baranger/
[8] T. Pech, Le Parlement des citoyens, p. 137.
[9] V. Le Monde du 17 mars 2021 : « Les débuts difficiles du comité citoyen sur les vaccins contre le Covid-19 ».
[10] OCDE (2021), « Eight ways to institutionalise deliberative democracy », Documents d’orientation sur la gouvernance publique de l’OCDE, n° 12, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/4fcf1da5-en.
[11] Texte disponible sur https://legrandcontinent.eu/fr/2021/10/15/esquisse-dun-pays-en-feu-tricolore/ Je remercie M. Lucas Gourlet des informations qu’il m’a communiquées à ce sujet.
[12] T. Pech, Le Parlement des citoyens, p. 145.
[13] Cf. le projet de loi « portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement
de la résilience face à ses effets », Assemblée nationale, n° 3875 (10 février 2021).
[14] Lettre de mission adressée par le Premier Ministre au Président du CESE, le 2 juillet 2019.
[15] Denis Baranger, « Notre Constitution », contribution au rapport « Refaire la Démocratie », Assemblée nationale, rapport n° 3100, 2016, p. 162.
[16] V. Assemblée Nationale, Rapport d’information n° 2268, Mieux légiférer, mieux évaluer : quinze propositions pour améliorer la fabrique de la loi, oct. 2014, p. 17.
[17] Regulatory Policy Committee au Royaume Uni ; Normenkontrollrat en Allemagne. Cf. le rapport La Raudière-Juanico, p. 57.
Crédit photo: Commission Nationale du Débat Public, Flickr, CC BY-NC-SA 2.0 Débat sur l’avenir de l’agriculture organisé à Châlons-en-Champagne le 11 septembre 2020