Le parrainage des candidats à l’élection présidentielle : un système en proie aux stratégies ? Par Thibault Desmoulins
Tandis qu’une proposition de réforme de la procédure de « parrainage » des candidats à l’élection présidentielle a été rejetée en avril dernier, certains hommes politiques se plaignent aujourd’hui de leurs difficultés à rassembler 500 signatures malgré leur nombreux adhérents et leur faveur auprès de l’opinion publique. Ce billet a pour objectif de présenter les règles juridiques et les exigences démocratiques entourant le « système » des parrainages, que les « stratégies » des candidats et des parrains mettent, une fois encore, à l’épreuve dans la perspective de l’élection présidentielle de 2022.
Whilst a bill to revise the requirements to run for the French presidential election failed in April 2021, some politicians claim they contend with gathering the support from 500 elected officials despite their numerous adherents and a strong favour with the public. This article aims at presenting the legal and democratic requirements of this system of electoral supports or « parrainages », which is now again, ahead of the 2022 presidential election, challenged by both candidates and elected officials.
Par Thibault Desmoulins, Docteur en droit de l’Université Panthéon-Assas, Qualifié aux fonctions de maître de conférences en droit public (CNU 02)
Les règles de présentation des candidats aux élections présidentielles sont souvent qualifiées de « casse-tête » ou de « marronnier » et leur réforme de « serpent de mer »[1]. Pour n’en citer que deux illustrations récentes, la Commission Balladur de 2007 et la Commission Jospin en 2012 ont respectivement affirmé que l’exigence de parrainage de chaque candidat par au moins 500 élus de la République a « vécu » et qu’elle « ne correspond plus aux exigences d’une démocratie moderne ».
Si la question semble éternelle, c’est qu’elle est fondamentale. Disons-le d’emblée, le régime des parrainages n’a rien d’une technique rébarbative du droit électoral : tout au contraire, les règles de présentation des candidats structurent l’offre électorale, conditionnent le résultat de chaque scrutin et donc la légitimité du candidat élu. L’on y aperçoit d’ailleurs certaines tensions fondatrices de la Ve République : l’importance du suffrage universel, l’influence des partis, le rôle du Conseil constitutionnel, etc.
Chaque élection présidentielle fournit donc l’occasion d’en rappeler les règles et d’en proposer la réforme, mais l’actualité complique toutefois cette tâche en même temps qu’elle la rend nécessaire. Le succès de candidatures isolées (Emmanuel Macron en 2017), l’entrée en lice de nouveaux candidats (Éric Zemmour aujourd’hui) et l’accroissement du nombre de concurrents (16 en 2002, 12 en 2007, 10 en 2012, 11 en 2017, 38 déclarés pour 2022 dont 15 inclus dans les sondages) permettent de penser à nouveaux frais les questions soulevées par les règles de présentation. Plus encore, tandis qu’une proposition de réforme a été rejetée en avril dernier[2], certains hommes politiques interpellent aujourd’hui les élus et se plaignent de leurs difficultés à rassembler 500 signatures malgré leurs nombreux adhérents et leur faveur auprès de l’opinion publique[3]. Plus que jamais, les stratégies des candidats et des parrains semblent donc mettre à l’épreuve les textes juridiques et les exigences démocratiques entourant l’élection présidentielle.
En premier lieu, il faut rappeler que la finalité des « règles de présentation », c’est-à-dire du dispositif juridique encadrant les candidatures à la présidentielle et plus particulièrement le « système de parrainage », est d’écarter les candidatures fantaisistes, insincères, voire mal intentionnées, sans que cela ait pour effet de limiter l’offre électorale sérieuse présentée aux Français. Il s’agit en cela d’un système de régulation démocratique des candidatures (I).
En second lieu, la pratique des présentations laisse toutefois une large place à des « stratégies de parrainage » particulièrement ambivalentes : d’un côté, elles peuvent faciliter l’obtention de parrainages mais, d’un autre côté, elles peuvent conduire à la mise à l’écart de certaines candidatures, pourtant sérieuses mais dépourvues d’appareil et de soutien partisans. En d’autres termes, ces stratégies font planer la menace d’un dérèglement démocratique des candidatures (II).
I. LE SYSTÈME DES PARRAINAGES : UNE RÉGULATION DÉMOCRATIQUE
Le régime juridique des parrainages se veut bien sûr protecteur des exigences démocratiques applicables aux élections. Sa fonction de « filtre » des candidatures est adossée à l’exigence de « dignité » des parrainages.
Le « filtrage » des candidatures
L’objectif de ce filtre est a priori d’écarter les candidatures fantaisistes et de préserver ainsi la lisibilité de l’offre électorale et la sincérité de la vie démocratique. Diminuer le nombre de candidatures présente également des effets simplificateurs intéressant l’organisation même de l’élection (contrôle de l’égalité du temps de parole entre candidats, du financement des campagnes et de leur remboursement étatique, etc.). Il faut néanmoins résister à la tentation d’un régime de candidature trop rigide, qui ne permettrait qu’un nombre réduit de candidats, diminuant l’offre électorale, frustrant l’opinion publique et « confisquant » le scrutin au profit des grands partis. A contrario, avec un régime trop souple, un nombre élevé de candidats perturbera le bon déroulement de l’élection et fragilisera la légitimité de son résultat. La recherche d’un juste milieu conduit à distinguer quatre critères d’ajustement de ce « filtre » en droit français.
Un premier critère réside dans le nombre de parrains disponibles, comprenant notamment les élus parlementaires, les conseillers régionaux et départementaux ainsi que certains élus du « bloc communal » (maires et présidents de conseil d’une communauté). Leur nombre est légèrement réduit par le cumul de mandats, un phénomène lui-même en régression depuis la réforme de 2014[4]. Le groupe des parrains potentiels rassemble encore environ 42 000 élus essentiellement composés des maires et des élus locaux.
Un deuxième critère renvoie au nombre de parrainages requis, élevé par la réforme de 1976 à 500 (au lieu de 100 précédemment)[5] afin de réduire efficacement le nombre de candidatures à une dizaine environ par élection jusqu’en 2002 (16 candidatures, contra : 12 en 1974 ; 10 en 1981 ; 9 en 1988 et 1995). Une condition d’autant plus exigeante qu’elle doit être remplie à l’aide d’élus exerçant leur mandat dans 30 départements différents au moins, sans qu’un dixième d’entre eux ne provienne d’un même département.
Un troisième critère consiste dans la règle d’exclusivité des parrainages, ces derniers ne pouvant d’ailleurs « en aucun cas […] faire l’objet d’un retrait après leur envoi ou leur dépôt », ce qui a pour conséquence de rendre invalide l’éventuel envoi d’un second parrainage[6]. Sans cette règle, ajuster le nombre de parrains et le seuil de parrainages à obtenir deviendrait naturellement vain.
Un quatrième et dernier critère est indirectement fourni par le régime de publicité accordé aux parrainages, car cette publication peut dissuader ou, à tout le moins, inhiber l’attribution d’un parrainage par les élus à un candidat qu’on leur reprocherait d’avoir soutenu. Cette exigence de transparence née de la réforme de 1976 prévoyait initialement que le Conseil constitutionnel publie pour chaque candidat une liste de parrains tirés au sort dans la limite des 500 parrainages requis. Elle a été étendue en 2016 à la publication de l’intégralité des parrainages par le Conseil constitutionnel, au fur-et-à mesure de leur réception et au moins huit jours avant le premier tour du scrutin[7]. En pratique, cette règle s’avère principalement contestée par les partis les plus isolés ou situés aux extrêmes de l’offre politique.
La combinaison de ces quatre facteurs rend la limite des 500 parrainages suffisamment rigide pour continuer d’inquiéter certains candidats sans pour autant les écarter de l’élection[8]. On ne peut donc suffisamment insister sur le caractère critique de ce seuil. S’il est trop haut, l’élection présidentielle sera réservée aux seuls candidats investis par un parti dominant (disposant de plus de 500 élus locaux). S’il est trop bas, le nombre de candidatures possible augmente et entraine, avec lui, un risque accru d’éparpillement des voix au premier tour. Il s’agit bien d’un « risque » car dans ce contexte, l’écart de voix entre les candidats s’amenuise et réduit d’autant leur légitimité à accéder au second tour.
En outre, la diminution des écarts de voix entre candidats au premier tour porte en elle un risque d’aléa démocratique : celui de voir un parti minoritaire mais très mobilisé, voire une forte abstention générale, permettre à un candidat d’accéder au second tour alors que ses idées sont nettement réprouvées par le reste de l’électorat. En témoigne, à l’évidence, le déroulement de l’élection présidentielle de 2002 : lors du premier tour, une forte abstention (plus de 28%) et une forte mobilisation de l’électorat du Front National ont permis à Jean-Marie Le Pen de se qualifier pour le second tour. Lors de celui-ci, la victoire écrasante de Jacques Chirac (plus de 80%) a pu laisser croire qu’une large part d’électeurs n’avait pas voté par conviction mais par contradiction (contre le candidat d’extrême droite). Or, fut-il le résultat d’une « polarisation » de la vie politique, un vote de dépit ou de défaut n’induit qu’un résultat final imparfaitement représentatif, susceptible de fragiliser la légitimité du candidat élu et, avec elle, l’autorité de la fonction présidentielle.
La « dignité » des parrainages
L’exercice de cette faculté de parrainer fait-elle, par ailleurs, l’objet d’un contrôle par le juge ? On pourrait être tenté d’y voir une autre façon de rigidifier indirectement le régime des candidatures à l’élection présidentielle, fût-ce de manière souple, en exigeant des parrains qu’ils exercent cette faculté avec « dignité ». Cette condition n’a en effet rien d’hétéroclite en matière électorale, où elle atteste s’il en est encore besoin que droit et morale s’entremêlent perpétuellement. Elle permet d’appréhender avec souplesse la question des abus et des refus de parrainage par les élus.
Les élus peuvent-ils « abuser » de leur parrainage, en les accordant de manière aléatoire ou en les promettant au candidat le plus offrant ? La compétence du Conseil constitutionnel dans cette matière lui a fourni l’occasion de préciser les limites de « la dignité qui sied » aux candidatures et aux élections présidentielles, par voie de « communiqué de presse » dont la portée juridique reste évidemment incertaine. Il a certes affirmé que le parrainage constitue un « acte personnel et volontaire, qui ne peut donner lieu ni à marchandage, ni à rémunération » (Cons. const., comm. de presse du 8 mars 2007), excluant ainsi qu’il soit publiquement conditionné aux promesses de subventions des candidats en cas de victoire, ou encore publiquement attribué à un candidat par tirage au sort (Cons. const., comm. de presse du 15 mars 2007). Dans ces cas, le Conseil « a donc décidé de ne pas tenir pour valides les présentations en cause » (Cons. const., comm. de presse du 15 mars 2007 et du 24 févr. 2012). Il faut néanmoins préciser que ces interventions, par voie de communiqués de presse, consacrent une simple vérification pré-électorale car le juge n’exerce, en réalité, aucun contrôle sur les motifs du parrainage qui relèvent d’une sphère irréductible d’opportunité. En dehors de cette hypothèse, seul le droit commun, pénal ou électoral, pourrait trouver à s’appliquer.
Les élus peuvent-ils « refuser » d’accorder leur parrainage, et se livrer ainsi en quelque sorte à une « grève » du parrainage ? Cette expression est utilisée lato sensu pour désigner l’attitude de deux catégories d’élus refusant de donner leur parrainage. Par le passé[9], c’est la politisation du parrainage qui a été rejetée et considérée comme réductrice par certains élus, refusant d’y voir un prolongement de leurs fonctions locales. Plus récemment, au contraire : un groupe d’élus socialistes a préconisé de prêter « le serment de n’accorder [leur] parrainage que lorsque les conditions du rassemblement auront été réunies »[10], de façon à privilégier une candidature socialiste unique.
Dans un cas comme dans l’autre, cette pratique s’avère licite et hors de portée d’un contrôle juridique. Les dispositifs applicables ne permettent pas de sanctionner ces deux positions, et le contrôle du Conseil se limite à la régularité de la liste des candidats autorisés à concourir. Lorsqu’il s’est risqué à une appréciation plus large du système de parrainage, il a seulement affirmé qu’« il est […] indispensable que tout courant réel d’opinion puisse susciter une candidature » (Cons. const., no 74-33 PDR du 24 mai 1974, §. I. A), laissant ainsi aux élus le pouvoir d’apprécier chacun de ces « courants réels d’opinion ». L’intrusion du juge dans ce domaine essentiellement politique serait d’ailleurs périlleuse.
À travers les positions radicalement opposées des élus, on voit toutefois coexister deux conceptions concurrentes du parrainage. D’un côté, il ne s’agirait pas d’un acte politique de soutien à un candidat mais d’une simple formalité juridique, d’un acte politiquement « neutre » permettant seulement l’incarnation d’une offre électorale. Dans cette perspective, les élus pourraient se borner à un examen minimaliste des candidatures, les conduisant à n’écarter que celles « manifestement incompatibles » avec la vie démocratique ou avec leurs fonctions. D’un autre côté, le parrainage exigerait de son auteur d’assumer une participation politique à la « pré-sélection » des candidats à l’élection présidentielle. À tout le moins, le régime de publicité contribue sans doute à conférer une irrémédiable signification politique aux décisions des élus, qui s’en trouvent donc publiquement responsabilisés. Le parrainage présente ainsi toute l’ambivalence d’une liberté dont les parrains pourraient, volontairement ou non, être dépossédés dans les faits.
II. LES STRATÉGIES DE PARRAINAGE : UN DÉRÈGLEMENT DÉMOCRATIQUE ?
Passer de l’étude du « système » à celle des « stratégies » nécessite d’adopter un point de vue différent, seul à même de mettre en lumière le dérèglement possible du système de parrainage : celui des partis politiques dont l’emprise ne fait aucun doute ; celui des citoyens dont la participation est souvent recherchée par des propositions de réforme.
Les stratégies partisanes en cause
Le principal problème de ce mécanisme est d’ordre politique : il résulte du fait que les élus sont eux-mêmes déjà « actifs » dans la vie politique et potentiellement « captifs » d’un parti politique, susceptible de leur adresser des « consignes » de parrainage. En d’autres termes, le dispositif du parrainage ne permet-il pas que le « régime des partis » ne ressurgisse dans l’élection présidentielle ? Le vœu du Général de Gaulle de faire du président un « homme au-dessus des partis » serait-il brisé par le régime des parrainages ? Les véritables parrains seraient-ils les partis et non les élus ? Répondre à ces questions renvoie à l’étude des différentes stratégies partisanes, dont on peut distinguer quatre types principaux.
Premièrement, la stratégie de « soutien » consiste évidemment à solliciter les élus de son propre parti pour en obtenir le parrainage. Quoiqu’assez naturelle, cette stratégie a pour effet de favoriser les candidats issus des structures partisanes préexistantes, disposant déjà d’un ancrage local. Les partis les plus anciens et les mieux ancrés dans la structure bipolaire de la vie politique s’en trouvent logiquement avantagés, tandis que les partis plus modestes ou plus récents risquent de voir leur candidat écarté, faute de soutiens naturels. Les dernières élections ainsi que la prochaine prouvent toutefois que cette logique du soutien naturel n’a rien d’une loi de la fatalité : en 2017, Emmanuel Macron quoiqu’ancien ministre ne disposait d’aucune structure si ce n’est de sympathisants venus de tous bords ; aujourd’hui, le candidat Éric Zemmour bénéficie également de parrainages tandis qu’il ne dispose d’aucun appareil politique préexistant. La création de règles à l’encontre de cette stratégie serait donc non seulement inutile mais aussi ardue : interdire aux élus de soutenir leur propre parti est évidemment impensable.
Deuxièmement, la stratégie de « l’exclusivité » consiste à interdire aux élus d’accorder leur parrainage à d’autres candidats que celui de leur parti, notamment sous la menace d’une exclusion ou du retrait de leur investiture. Cette stratégie pourtant courante s’est avérée assez inefficace lors des dernières élections présidentielles, tant à l’endroit de candidats d’extrême droite que de ceux présentés comme des dissidents issus du même parti[11]. Elle est de facto difficile à mettre en œuvre car elle dépend d’un fragile rapport de force, tentant de contraindre une libre faculté des élus qu’ils revendiquent exercer dans un intérêt démocratique supérieur et non au titre d’un soutien politique. L’intervention du droit face à cette stratégie semble également impossible : consisterait-elle à devoir prouver l’existence de consignes politiques, que les élus demeurent juridiquement libres de suivre ou non ? Ou, à l’excès, faudrait-il obliger les élus à soutenir d’autres candidats que celui de leur parti et, donc, à leur interdire de soutenir le leur ?
Troisièmement, la stratégie d’« assèchement » consiste à exiger le soutien de tous les élus partisans afin d’assécher le vivier des parrains, ce que le droit en vigueur n’exclut pas. L’on en trouve notamment l’illustration au sein d’un parti politique échaudé par sa défaite au premier tour de l’élection de 2002 – leçon ayant conduit ses candidats ultérieurs à rassembler près de 4 700 parrainages en 2007 et près de 5 000 en 2012[12]. Cette stratégie s’avère toutefois assez inefficace compte tenu du large nombre de parrains possibles et des limites de l’influence partisane : parmi les 42 000 parrainages possibles, seuls 17 000 furent accordés en 2007, et environ 15 000 depuis, en 2012 et 2017. Il en résulte que combattre cette stratégie en interdisant la pratique des parrainages surabondants, actuellement licite, ne présente guère d’intérêt réel.
Quatrièmement, la stratégie de « subversion » consiste à favoriser le parrainage de candidatures adverses afin d’en affaiblir les chances d’accéder au second tour, voire de favoriser l’accès au second tour d’un autre candidat. Cette stratégie est sans doute la plus audacieuse mais aussi la plus incertaine. D’une part, il est difficile de savoir avec certitude si, en 2002 par exemple, elle a permis la candidature de l’extrême droite ou contribué à la fragmentation des candidatures socialistes ; il semble également difficile de déterminer si la candidature d’Éric Zemmour est aujourd’hui favorisée afin de diviser l’extrême droite au profit de quelque parti que ce soit. D’autre part, la publicité des parrainages n’y répond qu’imparfaitement en ne dévoilant que les noms des signataires et non, à l’évidence, leurs intentions.
Aussi choquantes, fréquentes ou variées soient ces stratégies, elles ne font donc l’objet d’aucune appréhension juridique. Comme le Conseil constitutionnel l’a déjà affirmé, « les circonstances […] selon lesquelles des pressions exercées sur les personnes susceptibles de présenter sa candidature […] ne lui auraient pas permis d’obtenir un nombre suffisant de présentations, sont sans incidence sur la régularité de la décision par laquelle le Conseil constitutionnel a arrêté la liste des candidats à l’élection présidentielle » (Cons. const., no 95-77 PDR du 9 avril 1995, cons. 3), excluant ainsi toute intervention de sa part. La circonstance que ces stratégies puissent se formaliser dans des déclarations, y compris par voie de presse, ne permet pas davantage l’immixtion du juge (Cons. const., 7 avril 2002, cons. 2 ; JORF no 84 du 10 avril 2002, texte no 86). Seule tentative d’y remédier, une proposition de loi a vainement tenté, en 2007, de prévoir des sanctions pénales en cas de « pressions » ou de « représailles », ce qui semble être un instrument bien dangereux pour réguler ce sujet politique[13]. La prudence du juge constitutionnel se comprend d’autant mieux si l’on admet qu’il reste le gardien de la vie politique et de la liberté des élus dans leur parrainage, irrémédiablement politisés. Partant, la sagesse recommande de chercher les perspectives de réforme dans d’autres voies.
Le parrainage citoyen en question
Le moyen le plus souvent évoqué de réformer démocratiquement le régime des candidatures consiste dans l’avènement de parrainages citoyens, par ailleurs présentés comme un moyen de rehausser la participation des électeurs.
L’origine de cette proposition se situe dans les préconisations de la « Commission Jospin » de 2012, parmi lesquelles figurait déjà le parrainage de candidats à l’élection présidentielle par 500 000 citoyens. Il prouve d’ailleurs fonctionner ailleurs en Europe, soit en marge de parrainages d’élus (Autriche, Finlande), soit à titre exclusif (Portugal, Pologne). Une proposition de loi organique comprenant un dispositif similaire a par ailleurs été écartée récemment en France, tandis qu’elle proposait de fixer un seuil de 150 000 parrainages citoyens.
Outre le problème de la proximité de cette réforme avec l’élection, et la délicate question du nombre de parrainages, cette participation citoyenne présente un inconvénient substantiel pour l’élection elle-même. En effet, si les parrains sont des citoyens, ce mécanisme de présélection se rapprochera en réalité du vote et risque de se voir imputer une signification politique. Or, « la séquence politique de l’élection présidentielle se trouverait aussi modifiée en amont du vote lui-même »[14], si ce n’est influencée quant au vote et à ses résultats. À la différence des primaires pouvant être organisées à l’intérieur de chaque parti en amont du scrutin, une telle réforme créerait dès lors une sorte de « premier tour » de l’élection présidentielle sans pour autant garantir une participation électorale plus importante.
Le retour perpétuel de cette proposition témoigne toutefois des critiques partisanes provoquées par le système actuel et, plus encore peut-être, de la volonté d’impliquer davantage les citoyens dans la vie politique française sans recourir à la médiation des partis. Lorsque cette perspective était soumise à l’appréciation du Général de Gaulle, ne s’interrogeait-il pas en effet : « Est-ce que la démocratie, ce n’est pas, précisément, que tout le monde puisse se présenter à une élection ? Le Peuple fera le tri »[15].
* * *
L’étude des parrainages confirme qu’ils constituent davantage « une liberté fondamentale de tout élu »[16] qu’un « devoir démocratique »[17]. Ils possèdent une signification politique que leur régime actuel de publicité rend inéluctable, et ils sont soumis à une emprise partisane qui ne pourrait être combattue sans porter atteinte à la faculté de parrainer elle-même. Toutefois, ce pouvoir des élus fait aussi l’objet de soupçons contre lesquels la transparence est sans doute l’arme la plus efficace des élus.
Un impératif d’autant plus important qu’il s’accorde avec la dignité de l’élection présidentielle et de la procédure de désignation des candidats. Rappelons-le, celle-ci détermine la diversité de l’offre politique dont dépend la participation des électeurs et la sincérité du résultat électoral ; elle conditionne donc indirectement l’accès au second tour de l’élection et, au final, la légitimité du candidat élu ainsi que l’autorité du président de la République.
Faute de pouvoir être efficacement combattues, les contraintes politiques subies par les élus pourraient donc être réévaluées par l’instauration de nouveaux seuils quantitatifs, voire contournées par l’instauration d’un mécanisme de parrainage citoyen. Toutefois, ces velléités de réforme se heurtent pour l’instant à une sorte d’aporie démocratique : le parrainage des élus, comme celui des citoyens, ne deviendrait-il pas un premier tour de l’élection présidentielle ? Une telle réforme semble vouée à seulement déplacer, si ce n’est aggraver le problème auquel elle tente de remédier, sans garantir par ailleurs une participation accrue des citoyens.
Le principal enjeu du dispositif actuel concerne finalement davantage la limitation du nombre de candidats, que l’adéquation entre l’offre politique et l’opinion publique. Pour cette dernière, force est de rappeler d’une part, qu’elle ne se réduit pas à un nombre de formations politiques et d’autre part, qu’elle s’exprime également dans d’autres élections et à différents niveaux de l’État. En d’autres termes, la réflexion relative aux candidatures à l’élection présidentielle doit sans doute intégrer, outre l’évolution des courants et des idées politiques, le souci d’articuler le mandat présidentiel avec les autres. L’on y voit un moyen utile d’assurer la spécificité de la fonction présidentielle en France, ainsi que le bon fonctionnement de la Ve République dans son ensemble.
[1] Voir respectivement : G. Carcassonne, Le Point, 1541/2002. 50 et Les Échos, 8 déc. 2011 ; S. Pina, « Parrainages et élection présidentielle : le statu quo », RFDC 2013/4. 941.
[2] Proposition de loi organique no 3478 du 26 oct. 2020 (v. AN, Comm. lois const., CR no 79 du 14 avril 2021).
[3] « 2022 : Zemmour craint de ne pas obtenir les 500 parrainages requis », Le Point, 21 déc. 2022.
[4] L. org. no 2014-125 du 14 févr. 2014 (JORF no 40, 16 févr. 2014, texte no 1).
[5] L. org. no 1976-528 du 18 juin 1976 (JORF no 142, 19 juin 1976, p. 3676) modifiant L. no 62-1292 du 6 nov. 1962.
[6] Cons. const., no 69-16 du 17 mai 1969 (et no 74-27 du 21 avril 1974 ; v. décret no 2001-213 du 8 mars 2001).
[7] L. org. no 2016-506 du 25 avril 2016, art. 3 (JORF no 96, 26 avril 2016, texte no 1).
[8] J.-C. Colliard, « Les parrainages à l’élection présidentielle », NCCC, 2012/1, no 34, p. 13.
[9] Interview de M. Jean-Louis Borloo, porte-parole de l’UDF, Europe 1, 14 mars 2002.
[10] J. Pilleyre, « Présidentielle : pourquoi des élus de gauche font-ils la grève des parrainages ? », La Montagne, 23 déc. 2021.
[11] « Les élus socialistes qui parraineront Macron seront « bien sûr » exclus du PS, avertit Cambadélis », Le Monde, 7 févr. 2017 ; B. Houchard, « Pierre Bacqué, du front républicain au parrainage de Marine Le Pen », L’Opinion, 6 mars 2017 ; « Exclu du PS pour avoir parrainé Marine Le Pen », Le Point, 20 avril 2012.
[12] C. Cornudet, « La guerre des parrainages, nouveau rituel de l’élection présidentielle », Les Échos, 28 févr. 2007 ; A. Lemarié, É. Nunès et A. Pouchard, « Dix candidats ont déposé plus de 500 parrainages », Le Monde, 16 mars 2012. Nous empruntons le terme « assèchement » à Frédéric Rolin (Dalloz Actualité, 20 févr. 2012).
[13] Proposition de loi no 149 du 10 janv. 2007, déposée par le sénateur J.-L. Masson.
[14] D. Baranger et O. Beaud, « Un regard de constitutionnalistes sur le rapport Jospin », RFDA 2013. 389.
[15] A. Peyreffite, C’était de Gaulle, Paris, Gallimard, t. 1 (cit. in : F. Rolin, « Les « 500 signatures » pour l’élection présidentielle, un problème moins anecdotique qu’il n’y paraît », Dalloz Actualité, 20 févr. 2012).
[16] B. Accoyer, Entretien à France Info, 9 nov. 2006 (cit. in : P. Goulliaud, « Parrainer Le Pen ? Les élus de droite dans l’embarras », Le Figaro, 13 nov. 2006).
[17] Déclaration de M. Jean-Marie Le Pen sur le problème des parrainages par les élus pour les candidats à l’élection présidentielle 2007, 22 nov. 2006 [https://www.vie-publique.fr/discours/164335-declaration-de-m-jean-marie-le-pen-president-du-front-national-sur-le].
Crédit photo: Carl Campbell, CC BY 2.0