La constitution de 2022 à 2027 : Les réformes institutionnelles à faire et à ne pas faire (1/2)

Par Denis Baranger

<b> La constitution de 2022 à 2027 : Les réformes institutionnelles à faire et à ne pas faire (1/2) </b> </br> </br> Par Denis Baranger

Ces deux billets s’efforcent d’envisager en quoi pourraient consister les réformes institutionnelles mises en œuvre lors du prochain quinquennat. Ils prennent appui sur les projets constitutionnels de 2018-2019 pour identifier ce qu’il ne faut pas faire, et ce qui devrait être entrepris.

 

In 2018-2019, a set of constitutional reform bills was voted down by the French Senate, thus bringing to a temporary end President Macron’s agenda of constitutional reform. As a presidential election is due this spring, it is of interest to pay attention to the question of constitutional reform. What is attempted here is an overview of what should and should not be done in this regard.

 

Par Denis Baranger, Professeur de droit public à l’Université Paris-Panthéon-Assas 

 

 

 

PREMIERE PARTIE

 

En 2020, notre ouvrage collectif « L’Etat de la Constitution », qui couvrait les deux années écoulées d’actualité constitutionnelle (2018-2019), comportait une partie intitulée « La Cinquième république : en attendant la réforme, les crises »[1]. Les crises ont été incessantes. La réforme n’est pas venue. Adviendra-t-elle après la prochaine élection présidentielle d’avril-mai 2022 ? Certes, la question institutionnelle soucie assez peu les Français, et elle n’est pas au premier rang de ce qui préoccupe nos candidats déclarés ou non déclarés. De manière compréhensible, l’opinion se concentre sur d’autres sujets : pouvoir d’achat et inflation, crise sanitaire, crise climatique, maîtrise des flux migratoires, rapports entre les religions et l’Etat… Pourtant, la question institutionnelle n’est pas dépourvue d’importance. La prise de distance (désormais appelée « désaffiliation ») des citoyens vis-à-vis des institutions est devenue un thème majeur du débat public. Le régime fonctionne, mais au prix de déséquilibres criants, au premier rang desquels celui entre un exécutif hyperactif et un parlement déprimé. Ni la crise démocratique, ni le déséquilibre institutionnel ne sont faciles à résoudre. Une fois passé le stade de l’incantation politique, les appels au changement de régime (pour une « sixième République ») ne vont pas très loin dans le détail ni dans le pouvoir de persuasion. Le régime actuel, dans ses lignes de force, a de solides raisons d’être. Cela ne veut pas dire qu’il est parfait, loin de là. Mais ce qui suit ne vise pas à proposer une remise en question d’ensemble de nos institutions. Ce serait un autre projet. Ce n’est pas le nôtre.

 

Nos institutions politiques ont une double assise : le gouvernement parlementaire d’une part, l’autorité présidentielle d’autre part. On peut déplorer l’épuisement de la logique représentative, ou la faiblesse du Parlement. On peut se plaindre d’avoir un Président trop puissant. Mais ces plaintes seront vaines si l’on ne comprend pas la raison d’être de ces phénomènes. A défaut, les réformes d’ensemble ne réussiront jamais. Pis encore, elles n’auront pas même un vague commencement de crédibilité. Elles se heurteront à ces courants puissants qui nous ont donné au dix-neuvième siècle un régime représentatif et parlementaire ; au milieu du vingtième, un Président fort s’appuyant sur un appareil d’État solide. Les inconvénients de ce dispositif sont manifestes, et pourraient attirer l’attention des réformateurs. Prenons le problème posé par l’irresponsabilité politique du Chef de l’Etat. N’est-ce pas là l’un des traits les plus embarrassants du régime actuel ? Certainement, mais changer cette pièce du mécanisme constitutionnel reviendrait à faire tomber l’un des piliers de l’édifice que constitue notre régime politique. En modifiant sur ce point la Constitution, on changerait bel et bien de République, avec des conséquences systémiques très importantes. Si la République cinquième du nom n’est pas remise en cause de manière sérieuse, c’est parce que la solution de remplacement n’est offerte par personne. C’est donc par le bas qu’il faut selon nous examiner le régime. S’attacher à des réformes ponctuelles ne veut pas dire ignorer les grandes forces qui animent nos institutions. C’est au contraire les regarder de près, là même où elles agissent.

 

Les projets institutionnels des candidats de 2022 ne sont pas très fournis. Les extrêmes des deux bords ont bien quelques idées sur la question. Elles se ramènent, qui à un projet de remise en question du socle républicain et de l’État de droit, qui à un rejet massif des institutions, tempéré toutefois par l’acceptation de la règle du jeu de l’élection présidentielle. Pour sa part, la droite qu’on disait autrefois « classique » ou « républicaine » en reste peu ou prou à la fidélité aux conceptions gaulliennes, comme si ni la France, ni la Constitution n’avaient changé depuis 1958. C’est à croire que la droite n’est restée gaulliste qu’en ce qui concerne le droit constitutionnel. La gauche est porteuse d’idées plus neuves dans certains domaines (le dernier exemple en date étant la primaire populaire [2], …) mais elle n’a pas non plus de projet d’ensemble dans le champ institutionnel. Enfin, le « nouveau monde » incarné par LREM est tenté, depuis la campagne d’Emmanuel Macron en 2017, de conduire une réforme des institutions. Deux tentatives ont échoué durant le dernier quinquennat. La première reposait sur le projet de loi constitutionnelle « pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace » de mai 2018, sur une loi organique modifiant le nombre de parlementaires et sur une loi ordinaire instaurant une « dose » de représentation proportionnelle. La seconde était fondée sur le projet de loi constitutionnelle « renouveau de la vie démocratique » d’août 2019.  Dans les deux cas, c’est le Sénat qui a fait échouer la réforme, aidé par des circonstances politiquement peu favorables à l’exécutif. Le chat échaudé ne semblant pas craindre l’eau froide, les proches du président appellent aujourd’hui de leurs vœux un (éventuel) second mandat qui serait plus ambitieux sur le terrain institutionnel.  

 

L’état de la discussion constitutionnelle avait été ainsi résumé en 2018 : « entre utopies (sixième République, suppression du Premier ministre) et mirages (efficacité et représentativité[3]), les pistes de réforme sont peu convaincantes ». Le même bilan reste malheureusement assez justifié en 2022. Sans espérer être complet, peut-on néanmoins aider nos candidats en effectuant un tour d’horizon des principaux chantiers de réforme institutionnelle ? L’exercice n’est pas aisé car le risque est réel de révéler, au travers d’un propos se voulant scientifique, des préférences personnelles qui sont celles du citoyen et non du juriste universitaire. On prend ici ce risque, car notre propos n’est pas d’aller dans le sens de tel ou tel candidat, mais d’aider à redonner de la substance au débat constitutionnel dans notre pays. A l’image des critiques cinématographiques d’un célèbre hebdomadaire satirique, qui distinguent les films « à voir » des œuvres qu’il « faut éviter », ce billet comportera deux rubriques : en prenant pour base les projets de 2018-2019, on commencera par les réformes auxquelles il serait préférable de renoncer (I) avant de passer à celles qu’il serait souhaitable de mettre en chantier (II).

 

 

I.  Les réformes qu’il faut éviter de faire…

La liste serait assez longue. Nous allons simplement ici puiser dans les projets gouvernementaux de 2018 et 2019.

 

La diminution du nombre de députés et de sénateurs. La réduction du nombre de députés et de sénateurs était une des idées centrales d’Emmanuel Macron : « un Parlement moins nombreux mais renforcé dans ses moyens » et qui, donc « travaille mieux » (discours du 3 juillet 2017). Le propos contenait une forme de démonstration supposée : la baisse du nombre des parlementaires entrainerait mécaniquement une amélioration de l’efficacité. De manière très persuasive, Thomas Ehrhard a montré par le biais de comparaisons internationales qu’il n’était pas établi que la France eût pêché par le nombre trop grand de ses parlementaires. Elle se trouve dans la moyenne européenne. Le même auteur a par ailleurs montré que « la corrélation entre nombre de parlementaires et inefficacité » n’était en aucun cas avérée [4]. On peut certes faire valoir, avec Jean-Marie Denquin, que l’inverse n’est pas vrai pour autant. N’est-il pas tout aussi « difficile d’étayer à l’aide d’arguments rationnels le souhait de ne pas réduire le nombre de sièges à pourvoir » [5] ? Nous persistons pourtant à ne pas voir en quoi la réduction « sèche » du nombre de parlementaires aurait des effets positifs sur la qualité de l’activité parlementaire. L’absence d’argument contraire ne signifie pas l’existence positive de raisons allant dans le sens de la réforme. Au demeurant, comme le montre la lecture de l’exposé des motifs du projet de loi ordinaire du 23 mai 2018, le gouvernement n’en avance pas. Le message, évident en termes performatifs (ce que fait le texte par-delà ce qu’il dit ou ce qu’il dit faire), est antiparlementaire : les élus de l’Assemblée nationale et du Sénat ne servent (presque) à rien, autant en diminuer le nombre. C’est, presque à coup sûr, la pensée de ceux qui nous gouvernent et qui nous administrent. En des temps où l’antiparlementarisme est d’ores et déjà fort dans l’opinion, il ne semble pas sain de convertir cette pensée en réforme institutionnelle.

 

Abandonner la réforme du droit d’amendement. Elle constituait à notre sens l’une des facettes les plus préoccupantes des projets de réforme de 2018 et 2019. En 2018, le gouvernement était allé jusqu’à envisager un contingentement des amendements. Sous la pression des parlementaires, y compris celles et ceux appartenant à la majorité LREM, le gouvernement a dû renoncer à ce projet [6]. Le contingentement pur et simple aurait représenté une atteinte grave à la liberté des parlementaires et à la démocratie représentative. Mais ce qu’il restait de la réforme du droit d’amendement dans le texte de 2018 n’était guère moins préoccupant. 

 

Le projet de loi constitutionnelle (article 3) prévoyait en effet de créer une irrecevabilité systématique, opposée en amont de la discussion parlementaire (sur le modèle de celle prévue par l’article 40 de la Constitution en matière financière), concernant les amendements non normatifs, ceux visant à intervenir dans un domaine réglementaire et ceux dépourvus de lien direct avec le texte. Cette irrecevabilité, censée porter tout aussi bien sur les amendements gouvernementaux que ceux des parlementaires, aurait été activable par le gouvernement ou le président de l’Assemblée concernée. En cas de désaccord, le Conseil constitutionnel aurait pu être saisi et aurait disposé de trois jours (et non plus de huit) pour se prononcer. Aucun des trois types d’irrecevabilité n’emporte la conviction. Même si elle jouit de la sympathie d’éminents praticiens de la procédure parlementaire, nous maintenons que la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les « neutrons législatifs » est une mauvaise chose, en ce qu’elle porte atteinte au principe de la loi, expression de la volonté générale. La loi doit pouvoir être en mesure de dire la volonté commune, celle de la Nation, sans pour autant que la portée normative de cette expression politique soit directement apparente. C’est le cas par exemple lorsque le législateur reconnait une vérité historique comme ce fut le cas dans la loi sur le génocide arménien [7]. Par ailleurs, la théorie du droit moderne a montré que la portée normative d’une disposition ne procédait pas de sa formulation mais de ce qu’en faisait l’interprète. Un juge, par exemple, peut tirer des conséquences normatives d’une disposition qui n’est pas formulée impérativement. La seconde irrecevabilité, celle portant sur les amendements intervenants dans le domaine réglementaire, ne semble aucunement s’imposer. Pour le moment, tout le monde semble très bien s’accommoder de la jurisprudence « Blocage des Prix » qui autorise ces immixtions du législateur dans le domaine de l’article 37 de la Constitution du moment que le gouvernement ne s’y oppose pas. Quant à la troisième irrecevabilité, celle frappant les amendements sans lien direct avec le texte en discussion, elle accorde bien trop de confiance à la capacité de notre juge constitutionnel à identifier quels sont (ou non) les cavaliers législatifs. Beaucoup trop de dispositions législatives sont censurées sur cette base, alors que le standard juridique employé fait dépendre ces annulations d’une appréciation très subjective de la part du juge constitutionnel.

 

Au total, il n’y a qu’une chose à faire à propos de la réforme des amendements envisagée en 2018 et 2019 : y renoncer. Il n’est pourtant pas question de nier l’existence d’un problème sérieux en la matière : la croissance massive du nombre d’amendements (128.288 recensés sous l’actuelle législature à la fin 2021 [8]) n’est pas soutenable. Mais, à notre sens, elle n’est qu’une conséquence de l’impuissance des parlementaires, qui ne trouvent plus pour s’exprimer que cette voie souvent inutile et chronophage, mais qui reste pour eux la seule façon de reprendre une parole qui leur est refusée par ailleurs. Si l’on veut réguler les amendements, il ne faut pas le faire en confiant au Conseil constitutionnel voire à des organes de contrôle internes aux assemblées (mais qui ne feraient en la matière qu’appliquer la jurisprudence venue de la Rue de Montpensier) un pouvoir de censure. Il faudrait pour cela, ce qui relève aujourd’hui de la science-fiction, que le gouvernement renonce à sa totale mainmise sur le travail parlementaire. En matière de régulation des amendements, d’ailleurs, on pourrait commencer par la prohibition de ceux déposés par le gouvernement en cours de procédure, comme vient de le préconiser la présidente de la Commission des lois, Madame Yaël Braun-Pivet, dans un récent rapport [9].

 

L’indésirable extension du référendum de l’article 11, al. 1er. Nous ne plaidons pas pour un recours plus étendu au référendum du premier alinéa de l’article 11 de la Constitution [10]. De ce point de vue, nous ne voyons pas quelle est l’opportunité, comme le proposait le projet de loi constitutionnelle de 2019, d’étendre le domaine de l’article 11 de la Constitution à l’« organisation des pouvoirs publics territoriaux » et aux « questions de société ». Le référendum classique (celui du premier alinéa de l’article 11 et celui de l’article 89) dont l’initiative appartient au chef de l’Etat, a sa place pour les décisions politiques fondamentales, celles qui concernent l’identité de la communauté politique, ses valeurs les plus essentielles, ses choix institutionnels majeurs. Mais, dans tous les cas, le référendum est un outil qu’il ne faut employer que d’une main tremblante. En ces temps de populisme et de contestation des pouvoirs établis et des élites, tout référendum est un péril pour la stabilité des institutions. Il faut faire parler, agir, décider politiquement, les citoyens, mais pas de cette façon. Le référendum accentue la brutalité de la décision politique, tout en maintenant une forte composante d’intermédiation par les gouvernants ou les partis et groupe d’intérêts, et sans apporter de plus-value délibérative. En des temps tels que les nôtres, tout référendum menace de nous inciter à la politique du conflit, du dissensus, et de nous éloigner d’une délibération collective raisonnable.

 

 

 

[1] D. Baranger et O. Beaud (dir.), L’Etat de la Constitution 2018-2019, Paris, Editions Panthéon-Assas. Ensuite : l’Etat de la Constitution.

[2] La primaire populaire est une expérience intéressante par les modalités retenues (dont le jugement majoritaire) et par le fait qu’elle se voulait une solution à un problème sérieux d’offre politique : l’éparpillement des candidatures à gauche. Elle a rencontré un réel succès en termes de participation. Elle n’a cependant pas suffi à pousser sur le devant de la scène la candidate victorieuse, Madame Christiane Taubira. Par contre, la primaire a eu d’évidence un impact (défavorable) sur la candidate de l’ancien plus grand parti de la gauche. Madame Anne Hidalgo a été mal classée (5e) et affublée d’une note (« passable plus ») qui rappellera aux cinéphiles les plus avertis le fameux « bien mais pas top » de la Cité de la Peur. La primaire populaire a fragilisé encore un peu plus les partis de gauche, à commencer par le Parti Socialiste. Mais elle n’était pas conçue pour apporter au vainqueur le soutien d’un appareil préexistant. La candidate victorieuse en a très vite payé le prix. Désormais la primaire populaire semble hésiter entre ce qu’elle a été (une primaire) et ce que certains en son sein désirent la voir devenir (un parti).

[3] Formules puisées par T. Ehrhard dans les exposés des motifs des projets de lois institutionnels de 2018. Cf. son billet : « La réforme électorale : la véritable réforme institutionnelle ? » (13 juin 2018), in L’Etat de la Constitution, p. 103-110.

[4] Ibid

[5] Jean-Marie Denquin, « Faut-il réduire le nombre des parlementaires ? Représentation et quantification », in l’Etat de la Constitution, p. 79.

[6] Cf. l’intervention d’Édouard Philippe en date du 4 avril 2018 : https://www.vie-publique.fr/discours/205578-declaration-de-m-edouard-philippe-premier-ministre-sur-les-grandes-or

[7] Loi n° 2001-70 du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915.

[8] Chiffre donné par Alexis Fourmont, Elina Lemaire, et Jean-Jacques Urvoas, « Un plaidoyer à contre-temps ? (à propos du plaidoyer pour un Parlement renforcé de Yaël Braun-Pivet) », JP blog, 14 décembre 2021.

[9] « Plaidoyer pour un Parlement renforcé », Fondation Jean-Jaurès, 2022

[10] V. Denis Baranger, « Péril populiste et illusion référendaire », JP Blog, 28 novembre 2019

 

 

 

Crédit photo: Mairie de St Brevin-les-Pins, Flickr, CC-BY-NC-SA-2.0