La constitution de 2022 à 2027 : Les réformes institutionnelles à faire et à ne pas faire (2/2)

Par Denis Baranger

<b> La constitution de 2022 à 2027 : Les réformes institutionnelles à faire et à ne pas faire (2/2) </b> </br> </br> Par Denis Baranger

Ces deux billets s’efforcent d’envisager en quoi pourraient consister les réformes institutionnelles mises en œuvre lors du prochain quinquennat. Ils prennent appui sur les projets constitutionnels de 2018-2019 pour identifier ce qu’il ne faut pas faire, et ce qui devrait être entrepris.

 

In 2018-2019, a set of constitutional reform bills was voted down by the French Senate, thus bringing to a temporary end President Macron’s agenda of constitutional reform. As a presidential election is due this spring, it is of interest to pay attention to the question of constitutional reform. What is attempted here is an overview of what should and should not be done in this regard.

 

Par Denis Baranger, Professeur de droit public à l’Université Paris-Panthéon-Assas 

 

 

SECONDE PARTIE

 

 

I.  Les réformes qu’il faut faire.

A. La constitution des citoyens

Si l’on veut qu’il vive, notre gouvernement représentatif doit être repensé, comme nous y appelle le changement des temps. Le défendre sans le réformer, par exemple en se réclamant de façon incantatoire du principe représentatif contre la menace que constituerait la démocratie participative, revient à ignorer cette fragilité. Ce serait ne point entendre l’enseignement que nous donnait Tocqueville quand il rappelait qu’en démocratie, chaque génération est un peuple nouveau. A chaque génération donc, ou du moins à chaque âge de la démocratie, ses formes propres de représentation, c’est-à-dire d’instauration des rapports entre gouvernants et gouvernés. Il n’est pas possible d’envisager ici tout ce qui serait à faire. On s’en tiendra à une idée force et à quelques mesures de moindre ampleur.

 

Une ou deux grandes conventions citoyennes par quinquennat. Nous avons récemment évoqué dans ces pages l’ardente obligation de la démocratie participative, qui semble de moins en moins discutée de part et d’autre de l’échiquier partisan. L’enjeu, comme nous l’avons écrit, est de faire progresser la démocratie participative sans pour autant la diluer. Pour y parvenir, on pourrait concevoir d’organiser une ou deux grandes conventions citoyennes par quinquennat, sur des sujets proposés soit par le Président soit par voie d’initiatives citoyennes ou de référendums préférentiels.  Cela n’implique en aucun cas de remettre en cause la démocratie représentative. Il s’agit plutôt, comme nous l’avons suggéré par ailleurs de « faire entrer la démocratie participative au Parlement »[1]. Par contre, il semble préférable de ne pas retenir les dispositions de 2018 et 2019 tendant à faire du CESE la « chambre de la participation citoyenne ». Telle n’est pas la vocation du CESE [2]. Lui confier cette mission ne conduira qu’à endormir et à banaliser la pratique des conventions citoyennes et plus largement de la démocratie participative. Au demeurant, hélas, il n’y a pas eu besoin pour cela d’une réforme constitutionnelle : la loi organique n° 2021-27 du 15 janvier 2021 a suffi pour confier au CESE un rôle central en matière démocratie participative [3]. A ce stade, comme on pouvait le craindre, l’assemblée du Palais d’Iéna n’a pas vraiment brillé en la matière. Qui a prêté une quelconque attention, par exemple, à la micro-convention citoyenne sur les vaccins réunie par ses soins l’an dernier ?

 

Constitutionnaliser le tirage au sort ? Une réforme plus audacieuse consisterait à donner un ancrage constitutionnel explicite au recours au tirage au sort. Le moment n’en est peut-être pas venu, et nous avons eu lieu de dire qu’il ne fallait pas se hâter d’institutionnaliser la démocratie participative. Mais il est permis de réfléchir à la question de principe. La réforme pourrait passer par une réécriture de l’article 3 de la Constitution en vue d’y introduire la possibilité du tirage au sort comme mode d’exercice de la souveraineté nationale : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants, par la voie du référendum, et par des conventions désignées sur la base du tirage au sort ». Cette révision relève pour le moment de l’utopie, et susciterait certainement l’hostilité d’une partie de l’opinion et de la classe politique. Relevons simplement qu’un pas (modeste) avait été fait en ce sens par le projet de loi constitutionnelle de 2019 qui prévoyait la possibilité pour le nouveau « conseil de la participation citoyenne » (un CESE rebaptisé) de « réunir des conventions de citoyens tirés au sort, dans des conditions fixées par la loi organique » (art. 9).

 

Remanier la procédure d’initiative partagée. Quid de la procédure couramment appelée « référendum d’initiative partagée » organisé par l’alinéa 3 de l’article 11 de la Constitution ? Il s’agit plutôt en réalité d’une forme d’initiative législative partagée pouvant éventuellement avoir pour issue un référendum. Le fait qu’elle ait été conçue en 2008 pour ne pas servir, au moyen de seuils excessivement hauts, ne signifie pas qu’elle soit sans vertus. Au stade de l’initiative, la procédure prend la forme d’une coopération – un « partage » d’où son nom usuel – entre une intervention parlementaire, via le dépôt d’une proposition de loi par un cinquième des membres du Parlement et un soutien venu des citoyens eux-mêmes. Ensuite, la procédure permet l’examen parlementaire de cette proposition de loi. Le référendum n’intervient que si cette proposition n’est pas examinée par les assemblées. On peut voir cette procédure sous un jour négatif, comme ceux qui pensent qu’elle vise à opposer une série de pare-feu à l’organisation du référendum : les seuils élevés de la double initiative d’une part, la relative facilité pour le Parlement d’inscrire une proposition de loi à son ordre du jour d’autre part. On peut cependant considérer que, dans le référendum d’initiative partagée, ce n’est pas tant (ou pas seulement) l’éventuel référendum qui a du prix que l’initiative partagée en elle-même. Par la coopération qu’elle instaure entre élus et électeurs, la procédure va dans le sens préconisé par nous d’un rapprochement entre le Parlement et les citoyens. On pourrait, la concernant, envisager d’abaisser significativement le seuil de signatures d’électeurs requis pour déclencher la procédure. La question des seuils peut être agitée sans fin, mais il est permis de penser que les résultats obtenus en 2019-2020 par l’initiative contestant la privatisation des Aéroports de Paris apportent quelques points de repère [4]. 248 parlementaires l’avaient signée. Cela conduit à penser que le seuil constitutionnel de 20 % n’est pas infranchissable. L’initiative avait ensuite recueilli le soutien de 1,09 millions d’électeurs inscrits sur les listes électorales. Cela démontre au moins que le nombre de soutiens requis (un dixième des électeurs soit 4,71 millions à l’heure actuelle) représente une barre beaucoup trop haute. Le chiffre atteint en mars 2020 (plus d’un million) a reflété une véritable mobilisation dans l’opinion. Si cette mobilisation est suffisante, le coût politique d’une mise à l’écart de l’initiative partagée par le gouvernement et la majorité pourrait être significatif. Il n’y aura peut-être pas de référendum, mais, comme lorsque le Président Macron a écarté celui demandé par la Convention citoyenne pour le climat, il sera porté au débit de l’exécutif et de sa majorité d’avoir négligé ce que leur demandait instamment l’opinion.

 

Supprimer les parrainages à l’élection présidentielle. Le dispositif des parrainages [5] appartient au passé. Il ne permet pas à l’offre politique lors de l’élection présidentielle de refléter efficacement l’état de l’opinion et des courants d’idées dans le pays. Il fait naître une intermédiation par des élus locaux dont la légitimité semble faible. Beaucoup de maires veulent gérer leur commune de façon apolitique. Le parrainage leur pèse. Il faut les en libérer. Le dispositif actuel doit être remplacé par un parrainage citoyen.

 

Supprimer les micro-partis, ou a minima revoir les avantages financiers liés à leur existence. Il ne se passe pas de semaine sans qu’il soit question des micro-partis dans la presse, et plutôt sous un jour défavorable. On les rencontre d’abord dans la rubrique judiciaire. Ils ont été par exemple, nous dit-on, à l’origine de soupçons de fraudes financières, en étant utilisés comme des moyens de défiscaliser des sommes ensuite reversées au moins en partie aux donateurs[6]. Les micro-partis servent aussi de dispositifs pour déjouer la législation sur le financement de la vie politique, en permettant le contournement de la limitation des dons à 7500 euros[7]. Enfin, s’ils n’avaient pas tous ces défauts, ils n’en auraient pas moins celui de morceler la vie politique et de rendre plus difficile la vie des grands partis. Nos femmes et hommes politiques résistent de plus en plus difficilement à la tentation de fonder leur propre micro-parti en vue de servir de plateforme à leurs ambitions personnelles. Cela fragmente et opacifie la vie partisane.

 

 

B. La constitution des valeurs

Consolider les principes républicains.

Nous vivons dans une République qui n’est pas assez consciente d’elle-même et dont les principes ne sont pas assez fortement exprimés dans la Constitution, ni rendus assez explicites par la jurisprudence. Il faut aller dans le sens d’une consolidation des valeurs de la République. Chaque courant d’opinion peut ranger des impératifs différents sous cette bannière, mais on peut faire tout de même quelques suggestions.

 

1) Constitutionnaliser la neutralité du service public. La loi du 24 août 2021 « confortant le respect des principes de la République » est avant tout une loi de concrétisation de principes constitutionnels préexistants, en particulier par la création de nouvelles infractions pénales ou en tant qu’elle impose des exigences plus précises aux cultes religieux, à l’éducation ou à la vie associative. Mais il est au moins un principe qu’elle a érigé en principe législatif : celui de la neutralité du service public. A notre sens, ce principe devrait désormais entrer dans la Constitution, où il n’a pas d’équivalent à ce jour.

 

2) Constitutionnaliser le jury criminel. Le jury était pour les fondateurs de nos régimes libéraux « l’expression de la raison populaire »[8]. On sait combien les citoyens sont attachés, et marqués personnellement, par cette prérogative qui les fait participer à la vie publique et au fonctionnement de la justice. La justice est en principe rendue en principe au nom du peuple français. Grâce au jury, ce principe trouve une réalisation concrète. Les jurés, issus du peuple et choisis sur les listes électorales, sont, au passage, une des rares institutions de notre République à être issue du tirage au sort. Les lois récentes sur la justice criminelle ont tout fait pour réduire la place du jury populaire. On en veut pour preuve l’institutionnalisation, dans la loi du 22 décembre 2021 « pour la confiance dans l’institution judiciaire » des cours criminelles départementales, compétentes en première instance pour les crimes punis de quinze ans ou vingt ans de réclusion criminelle, et dans lesquelles le jury populaire est remplacé par un jury composé de cinq juges professionnels[9]. Viendra un jour où le jury populaire sera totalement supprimé. Il faut prévenir cette atteinte à notre constitution républicaine, et ne pas tarder à constitutionnaliser le jury criminel.

 

Les réformes relatives à l’Etat de droit

Au moins deux réformes incorporées dans les projets de loi constitutionnelle de 2018 et 2019 méritaient un plein soutien. La première était la suppression de la Cour de Justice de la République. Il n’était pas moins urgent de mettre fin à la présence des anciens présidents de la République au Conseil constitutionnel, également prévue dans le texte de 2018. Cette réforme de faible portée ne remplacera pas une refonte d’ensemble de notre justice constitutionnelle, qui s’impose depuis longtemps. Mais elle apporterait un commencement de remède à la crise de neutralité de notre juridiction constitutionnelle, composée en partie de membres ayant eu des carrières politiques, parfois de premier plan. Une fois nommés au Conseil constitutionnel, ces anciens membres du personnel politique sont loin, malgré leurs hautes fonctions juridictionnelles, de s’abstenir de toute intervention dans la vie publique. Des faits passés bien connus, comme les conditions dans lesquelles, sous l’inspiration de son Président Roland Dumas, le Conseil constitutionnel a validé les comptes de campagne manifestement irréguliers de Jacques Chirac et d’Edouard Balladur en 1995 [10], sont là pour nous rappeler que ce risque de manque d’impartialité n’est pas purement virtuel. Cela pose problème. Ce qui serait attendu, de la part d’une juridiction constitutionnelle, serait le respect d’une impartialité objective aussi parfaite que possible. Les récents projets de nomination au Conseil constitutionnel (février 2022) semblent donner à penser qu’on en reste loin[11].

Enfin, il faut continuer à assainir les rapports entre l’exécutif et l’autorité judiciaire. On doit pour cela, à notre sens, réécrire l’article 64 de la Constitution pour ne plus faire du Président le « garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire ». Une réflexion pourrait aussi s’engager sur les conditions de détermination de la politique pénale, et en particulier de la politique des poursuites. Dans l’état actuel des choses, cela se fait de manière opaque, par voie de circulaires. La politique pénale devrait se décider au Parlement, voire, comme dans certains pays voisins du nôtre, au moyen d’une commission indépendante de l’exécutif. On ne peut pas supprimer entièrement l’opportunité des poursuites, mais il serait bon de la rationaliser et de relever la place de la politique pénale dans la hiérarchie des normes.

 

 

C. La constitution des pouvoirs

Repenser la place du Sénat dans les institutions. Le Sénat est un organe important de notre constitution et il joue en particulier un rôle de contre-pouvoir qui s’est révélé très utile dans les débuts de l’actuel quinquennat. Il suffit pour s’en convaincre de se souvenir de son rôle moteur dans le traitement de l’affaire Benalla. Cela ne veut pas dire que le Sénat ne doit pas être réformé. En particulier, il faudrait songer à supprimer le « verrou » sénatorial en matière de révision constitutionnelle. On pourrait pour cela supprimer l’obligation de vote dans les mêmes termes des projets de loi constitutionnelle qui se trouve dans le premier alinéa de l’article 89. Bien sûr, le Sénat sera peu enclin à accepter une telle « révision de la révision ». Cette réforme a donc peu de chances de prospérer, sauf à passer par l’article 11 de la Constitution pour modifier le texte de l’article 89. Mais sur le principe, la question n’en mérite pas moins d’être posée. Est-ce au Sénat de bloquer les réformes voulues par un Président élu et une majorité à l’Assemblée Nationale ? Ne serait-ce pas au peuple de se prononcer sur ce sujet ? Le cas américain le montre : une constitution irréformable est une constitution malade. La nôtre est en train de le devenir, du fait des blocages presque systématiques opposés par le Sénat (2018, 2019) ou des négociations fort peu transparentes au niveau du Congrès rendues nécessaires pour faire passer un texte de révision (comme en 2008). Si des réformes constitutionnelles doivent être écartées, que cela soit par le suffrage universel.

 

Instaurer une « dose de proportionnelle ». Le projet de loi ordinaire « pour un renouveau de la vie démocratique » de 2019 [12] aurait, s’il avait été adopté, instillé une « dose » de représentation proportionnelle de 20 % pour la désignation des députés en prévoyant l’élection de 87 d’entre eux à au scrutin de liste national sans panachage ni vote préférentiel. Thomas Erhard a jugé que la dose retenue aurait été « trop faible en elle-même pour que les effets attendus de la proportionnelle soient sensibles », ce à quoi il aurait fallu ajouter l’impact de la réduction prévue du nombre de parlementaires [13]. Cette observation est persuasive, mais seulement si l’effet attendu porte sur la modification des équilibres politiques et la possibilité d’une remise en cause de la sous-représentation des courants d’opinion minoritaires ou désavantagés par le système majoritaire et le découpage des circonscriptions. Si l’on comprend l’objectif gouvernemental de « meilleure représentation de la diversité des sensibilités politiques » au pied de la lettre, il sera atteint du moment que la présence d’un plus grand nombre de partis ou de courants d’opinion, ainsi que l’effet numérique même modeste de la présence d’élus supplémentaires, est réalisé. Sous l’actuelle législature, on voit bien, par exemple, que la « force de frappe » des élus de la France Insoumise n’est pas proportionnelle à leur nombre mais au rôle qu’ils parviennent à jouer dans le débat parlementaire. On aurait pu dire la même chose de la présence, réduite quantitativement mais significative politiquement, des élus du Front National dans l’Assemblée nationale élue (à la représentation proportionnelle) en 1986. Cela suffit à justifier cette « dose » de proportionnelle. Elle ne bouleverse pas les équilibres, ne met pas en péril les majorités, mais elle peut élargir le débat public et le replacer dans les assemblées.

 

Rénover la fabrique de la loi. Il s’agit d’un sujet stratégique, mais vaste et particulièrement technique. L’objet de ce billet n’est pas de rentrer dans les détails, ni de revenir sur les contributions faites au débat public dans la période récente. Citons par exemple les rapports rendus par le groupe de travail « procédure législative et droits de l’opposition » présidé par le député Jean-Luc Warsmann en 2018 et, tout récemment, le rapport (déjà cité) de la présidente Yael Braun-Pivet (« Plaidoyer pour un Parlement renforcé ») publié sous l’égide de la Fondation Jean Jaurès. Le diagnostic est assez peu controversé. La fabrique de la loi en France est à revoir en profondeur. On fait mal la loi dans notre pays légicentriste. Les préconisations les plus centrales ne font pas non plus tellement débat. Citons entre autres la refonte de la gestion du temps parlementaire. Le rapport Warsmann de 2018 proposait tout un ensemble de réformes de réorganisation de la semaine parlementaire relevant du règlement de l’Assemblée Nationale.  Le rapport Braun-Pivet de 2022 propose pour sa part le passage à une session ordinaire allongée du 15 septembre au 30 juillet en vue de faire échec à la multiplication pathologique des sessions extraordinaires. On peut aussi approuver l’idée d’une clarification du planning législatif par l’établissement, comme le propose Yaël Braun-Pivet, d’un calendrier de travail prévisionnel par année, flanqué d’une liste prioritaire des propositions de lois devant être transmises par une assemblée à l’autre, …Enfin, et sans espérer épuiser ce sujet complexe, une des réformes contenues dans le projet de loi constitutionnelle de 2018 mériterait d’être reprise. Il s’agit du vote de certaines lois en commission, au demeurant approuvé par le groupe de travail « Warsmann » de la même année.

 

Restreindre la pratique des ordonnances. Voilà une réforme que l’exécutif, ou plus largement l’appareil d’État, sera peu pressé de mettre en œuvre. Reste que les ordonnances, cette forme de législation administrative qui échappe presque totalement au Parlement, sont devenues une maladie de notre régime. Les symptômes s’en montraient dès avant la crise sanitaire. Avec le Covid-19, les habilitations à adopter des ordonnances ont proliféré. La loi du 23 mars 2020 [14] dite « d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 » fut par exemple à l’origine de 63 ordonnances. Si on ajoute à cela les lois pour lesquelles est déclarée la procédure accéléré (environ 70 % des textes), les cas de recours à la procédure législative ordinaire représentent désormais une petite minorité des textes votés. Pour remédier à l’abus des ordonnances, il nous semblerait possible de plafonner constitutionnellement le nombre d’habilitations de l’article 38 de la Constitution pouvant être votées lors de chaque session. Et puisqu’on vient ainsi de poser les deux pieds dans le monde rêvé des réformes constitutionnelles idéales (et ayant fort peu de chances de convaincre…) suggérons aussi en la matière un « lit de justice ». Il serait en effet indispensable de revenir sur la jurisprudence « Association Force 5 » du Conseil constitutionnel ayant pour résultat de « légaliser » les ordonnances non-ratifiées[15]. Cette jurisprudence pose très sérieusement problème, en ce qu’elle accentue le brouillage entre les actes de l’exécutif et les lois parlementaires.

 

*

 

En droit constitutionnel, il n’est évidemment pas vain de réfléchir aux formulations, aux cadres juridiques, à ce que l’on « met par écrit ». Toutefois, ce qui se produit dans le système politique n’est pas déterminé par le seul texte ni prévisible à sa seule lecture. Prenons le cas de la fonction présidentielle. On pourrait s’étonner que nous n’en ayons pas parlé. Aucune de nos propositions n’y renvoie. La raison est assez simple. Au sortir des deux précédents mandats des présidents Sarkozy et Hollande, on avait pu constater qu’ils s’étaient tous deux inscrits dans une séquence passant de l’hyperprésidence à la présidence faible. Le constat, assez solide en 2017, ne vaut plus à nos yeux en 2022. Quoi qu’on pense politiquement du premier mandat d’Emmanuel Macron, il n’est guère possible de prétendre que, depuis 2017, l’institution présidentielle aurait basculé dans une phase d’impuissance comparable à celle subie par ses deux prédécesseurs. De la même façon, on ne peut pas non plus conclure, comme on le faisait coutumièrement, à l’affaiblissement de la fonction du Premier ministre. Les deux Premiers ministres du premier mandat d’Emmanuel Macron ont conservé une autorité sur leur gouvernement propre à faire pâlir leurs prédécesseurs. On le mesure à l’amenuisement – voire la quasi disparition – des comportements de manquement à la solidarité gouvernementale qui étaient devenus une banalité sous la présidence Hollande. Le président Macron et ses gouvernements n’ont pas non plus connu de « fronde » de la part de leur majorité LREM et de ses alliés. Des scissions ont eu lieu au sein du groupe LREM (par exemple avec la formation du groupe « écologie, démocratie, solidarité » en mai 2020) mais leur impact politique a été réduit. Un président qui ne s’est pas manifestement effondré (sans d’ailleurs se renforcer : ses actuels sondages le placent exactement au même score, autour de 24 %, qu’au premier tour de l’élection de 2017). Des premiers ministres qui ont joué leur rôle de chef du gouvernement. Un fait majoritaire qui ne s’est pas détruit de l’intérieur…Rien de tout cela n’était prévisible en 2017. Rien de tout cela ne résulte de modifications apportées au texte de la loi constitutionnelle. Telle est la limite d’une réflexion sur les modifications du droit constitutionnel écrit. De surcroît, le catalogue de réformes qu’on vient d’esquisser, soit en négatif (celles à ne pas faire) soit en positif (celles qui s’imposent ou seraient du moins opportunes) pourra sembler désordonné, impressionniste, incomplet, mal avisé… A la lectrice ou au lecteur qui penserait ainsi, on dira pour terminer que la faible valeur de ce qui précède n’est tempérée que par les chances modestes qu’ont ces propositions d’être suivies d’effet. 

 

 

 

 

[1] V. notre billet : « La démocratie participative dans la République : état des lieux et perspectives pour l’avenir », JP Blog, 16 décembre 2021.

[2] Sur ce en quoi consiste positivement la vocation de cette assemblée, nous proposons d’ouvrir un concours sur le modèle de ceux organisés au dix-huitième siècle par les académies savantes.

[3] V. notre billet « Démocratie participative : l’inopportune réforme du CESE », JP Blog, 5 septembre 2020.

[4] V. la décision-bilan du Conseil constitutionnel n° 2019-1-9 RIP du 18 juin 2020.

[5] Cf. le récent billet de Thibault Desmoulins : « Le parrainage des candidats à l’élection présidentielle : un système en proie aux stratégies », JP blog, 7 janvier 2022.

[6] Cf. Le Figaro, 1er Octobre 2021 : « Le maire de Roubaix jugé en correctionnelle pour escroquerie aggravée ».

[7] Sur l’ensemble de la question : v. Eric Buge, Droit de la vie politique, Paris, PUF, coll. Thémis, 2018, p. 190 s.

[8] Lucien Jaume, L’individu Effacé, Fayard, 1998, p. 105.

[9] Article 9 de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 « pour la confiance dans l’institution judiciaire ».

[10] Pour un rappel des faits : v. Simon Piel, « En 1995, des comptes de campagne validés les yeux fermés », Le Monde, 19 janvier 2021.

[11] V. Jean-Baptiste Jacquin, « Conseil constitutionnel : trois projets de nomination politiques qui posent question », Le Monde, 16 Février 2022.

[12] Projet de loi n° 2205 du 29 aout 2019.

[13] Thomas Ehrhard, billet précité, p. 106.

[14] Voir sur ce point et pour des statistiques plus détaillées : Alexis Fourmont, Elina Lemaire, et Jean-Jacques Urvoas, « Un plaidoyer à contre-temps ? (…) », article précité, p. 4.

[15] Décision n° 2020-843 QPC du 28 mai 2020.

 

 

 

Crédit photo : Sénat