Le conseil municipal doit-il pouvoir révoquer « son » maire ?

Par Éric Landot

<b>Le conseil municipal doit-il pouvoir révoquer « son » maire ?</b></br></br> Par Éric Landot

Sur le présent blog, un débat a été ouvert sur l’opportunité qu’il y aurait à permettre, en droit, à un conseil municipal de révoquer « son » maire. De fait, cette faculté n’existe pas en droit. Mais ajouter ou retrancher un élément aussi important qu’une révocation ne peut s’envisager sans prendre en compte le fait que les collectivités territoriales vivent, essentiellement, un régime présidentiel. Ce cadre, il est possible d’en changer ou de l’amender. Mais pas sans l’avoir observé en son entier ni sans avoir pesé les possibles conséquences d’une évolution de sa nature même.

 

A recent post opened a debate on whether it would be appropriate to allow a city council to remove « its » mayor from office. There is no such power in law. But adding or subtracting an element as important as dismissal cannot be considered without taking into account the fact that local authorities are essentially under a presidential regime. It is possible to change or amend this framework. But not without observing it globally and weighing the possible consequences of a change in its very nature.

 

Par Éric Landot, Avocat

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Une étrangeté

Étrangement, en droit des collectivités territoriales, un exécutif ne peut être révoqué par l’Assemblée délibérante. Le Professeur Olivier Beaud, sur le présent blog, y a vu une anomalie [1].

 

Cet auteur reste constant dans son souhait que la responsabilité pénale des exécutifs laisse en tout ou partie la place à une vraie responsabilité politique : déjà, dans « Le sang contaminé », aux PUF [2], Olivier Beaud, se livrait à une très nette critique d’ensemble de la « criminalisation de la responsabilité » des ministres. À l’époque, il rejetait le principe même d’une responsabilité pénale des ministres, au profit d’une restauration de la responsabilité politique ; au risque d’être confronté aux difficultés propres à toute Restauration.

 

La « responsabilité pénale des ministres en régime parlementaire français » [3] avait justement connu ses premiers pas modernes sous la monarchie libérale, puis une traduction concrète avec le pouvoir constituant instaurant, en 1993, la Cour de Justice de la République pour[4] « dépolitiser la responsabilité pénale des membres du gouvernement » (que l’on pense à cette difficulté — pour euphémiser — à dissocier les deux, par exemple, dans le célèbre « procès Malvy » de 1918) [5].

 

 

D’une responsabilité l’autre

Aujourd’hui, le Professeur Beaud ne va pas jusqu’à demander que la responsabilité politique aille jusqu’à l’exclusivité de celle-ci, jusqu’à l’éradication de la responsabilité pénale : un tel point de vue peut se concevoir au niveau national et se retrouve à l’état de traces dans l’immunité parlementaire et comme dans celle du Président de la République en exercice, et ce pour des raisons de séparation des pouvoirs qui n’ont pas leur place au niveau local.

 

Il est d’ailleurs difficile de ne pas abonder dans le sens de cet universitaire lorsque celui-ci constate que : « tout le monde raisonne à partir du droit pénal et plus personne ne [semble] comprendre qu’on pourrait penser la question de la responsabilité politique, indépendamment de la question de la responsabilité pénale ». Le Professeur O. Beaud propose dès lors que soit envisagée la révocation du maire par le conseil municipal.

 

Mais qu’il nous soit permis de réagir à ces réactions, afin de tenter de démontrer que procéder à cette réforme imposerait de repenser profondément l’équilibre institutionnel de notre démocratie municipale.

 

 

Un présidentialisme

Le droit municipal fonde un régime présidentiel, ce qui n’est pas le moindre des exotismes du droit des collectivités territoriales.

 

Certes le maire n’est-il pas élu au suffrage universel : il procède, avec une parfaite analogie avec ce qu’est le régime parlementaire, de l’assemblée délibérante. Encore ce trait de parlementarisme est-il à nuancer en raison du mode de scrutin propre aux élections municipales des communes de mille habitants ou plus[6], à de regrettables exceptions près [7]. Le maire procède donc, très « parlementairement », d’une désignation faite au sein de l’assemblée délibérante qu’est le conseil municipal. Et encore, ce trait résiduel, et unique, de parlementarisme local est-il trompeur : en effet, le mode de scrutin fait tant prévaloir la « tête de liste » qu’il présidentialise, déjà, non pas juridiquement mais, à tout le moins symboliquement, le scrutin pour les citoyens.

 

Cet élément mis à part, tout le reste du droit municipal témoigne d’un régime présidentiel. Le maire a des pouvoirs propres que le conseil municipal ne saurait, légalement, rogner par ses délibérations, qu’il s’agisse par exemple de ses pouvoirs de police [8], des cas où le maire agit en tant qu’agent de l’État [9]… etc.

 

De même un maire ou un président de région, comme celui d’un département, ne disposent-ils pas des pouvoirs classiques d’un exécutif en régime parlementaire : on ne trouve nulle trace d’un droit de dissolution de l’Assemblée délibérante, par exemple. Et, comme le signalait le Professeur O. Beaud, cet exécutif n’est pas responsable devant l’assemblée délibérante. Encore moins peut-il être contraint de démissionner s’il ne dispose plus d’une majorité.

 

Il s’avère même très significatif que celui qui pourra démettre la tête d’un exécutif local sera soit le Préfet (pour tirer les conséquences d’une inéligibilité résultant du code électoral[10] ou d’une condamnation pénale accessoire[11]), soit le Gouvernement lui-même [12], soit le juge administratif [13]. La sanction sera étatique, en provenance de l’administration active ou du juge, mais pas politique dans un cadre para-parlementaire.

 

Tout au plus le pouvoir délibérant territorial peut-il s’essayer à ces outils de contre-pouvoirs malaisés que sont le droit d’information [14], les questions écrites ou orales, voire le « débat portant sur la politique générale de la commune »[15], les commissions et autres « missions d’information et d’évaluation » [16]… Mais rien de ceci ne peut conduire à s’approcher, même de loin, d’une sanction infligée par le pouvoir délibérant à l’exécutif [17].

 

Ce régime présidentiel repose donc sur une séparation stricte des pouvoirs dont les néfastes conséquences, à Saint-Etienne [18] (perte de confiance dans le régime démocratique représentatif si lesdits représentants ne peuvent prendre leur responsabilité pour « faire le ménage » ; primat du juridictionnel et, même, du répressif…) ont conduit le Professeur Beaud à réagir.

 

 

Penser le local dans sa globalité

Mais examinons ce que serait le passage à un vrai régime parlementaire, avec révocation du maire par le conseil, et dissolution du conseil par le maire.

 

Du côté des avantages, sans doute trouverait-on une restauration de la responsabilité politique et, surtout, l’éradication de ces fins de mandats bloquées, des années durant, dans des communes devenues immobiles faute de majorité et/ou d’entente entre exécutif et délibérant.

 

Mais, d’un autre côté, il importe de prendre en considération les inconvénients d’une telle révolution : un pouvoir local doit être efficace, réactif, ce que permettent les pouvoirs propres du maire mobilisables en quelques heures parfois, combinés avec la figure symbolique, quasi-présidentielle, conférée au maire par ces institutions locales. Un pouvoir de police, en cas d’inondation par exemple, peut-il être sous le contrôle d’un conseil municipal ? Les services municipaux de nettoiement ne peuvent recevoir d’instructions hiérarchiques que via des délégations du maire : veut-on, pour des activités à forte opérationnalité, perdre cette verticalité ?

 

 

Charmes et limites des ajouts baroques

Certes peut-on retoucher, de-ci, de-là, ces institutions locales. Mais, à tous les niveaux de la vie politique, y compris donc au niveau, local, gare aux additions de correctifs hâtifs, émotionnels, faisant passer année après année nos cadres juridiques de la ligne claire au baroque le plus échevelé.

 

À l’heure où le Président de la République confirme qu’il envisage une nouvelle et ambitieuse loi décentralisatrice [19], voulons-nous collectivement : changer de régime local ? le maintenir ? l’amender au risque du baroque ? Le Professeur O. Beaud a eu le mérite de poser, dans le présent blog, ces questions. Espérons que, si une réponse vient à celles-ci, le législateur aura la sagesse d’opter pour un régime clair et conforme aux vocations de ces collectivités. Car l’acceptation de nos institutions par les citoyens passe par leur lisibilité et par leur efficacité.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] https://blog.juspoliticum.com/2022/10/01/laffaire-perdriau-le-maire-et-la-democratie-locale-par-olivier-beaud/

[2] https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k48084633.texteImage

[3] P. Desmottes, LGDJ, 1968.

[4] A. Fanton, J.O., débats, A.N., 23/6/93, p. 2137.

[5] Voir par exemple : M. Degoffe, « La responsabilité pénale du ministre du fait de son administration », RDP, n°2-1998, pp. 433-466. Du même auteur, « Responsabilité pénale et responsabilité politique du ministre », RFDC, 26, 1996, pp. 385-402.

[6] Articles L. 260 à L. 270 du Code électoral.

[7] Car le Code électoral continue de receler les articles L. 271 à L. 272-6 propres à Paris, à Lyon et à Marseille.

[8] Voir par exemple CE, 24 janvier 1994, Cne Vauxaillon, n° 140685.

[9] Tel est le cas en de nombreuses matières, dont certaines se trouvent énumérées aux articles L. 2122-27 à L2122-34-2 du CGCT. Citons l’état civil, la révision et de la tenue des listes électorales, l’organisation des élections, le recensement citoyen… Pour une illustration très récente, voir  décret n° 2022-1295 du 5 octobre 2022 relatif à l’obligation de fermeture des ouvrants des bâtiments ou parties de bâtiments à usage tertiaire, chauffés ou refroidis.

[10] Voir notamment l’article L. 239 du Code électoral, applicable aux élus municipaux (et par renvoi aux élus intercommunaux : CE, 13 décembre 2017, n° 407448). Les autres strates se voient appliquer, par d’autres dispositions du code électoral, un régime tout à fait comparable.

[11] Si un élu local est condamné au pénal à la privation de ses droits civiques, avec exécution provisoire, celui-ci sera privé de son mandat en cours (et ce même si entre temps, à hauteur d’appel, cet élu n’est plus condamné à cette peine accessoire au jour où statue à titre définitif le juge administratif : CE, 20 décembre 2019, n° 432078 ; voir également CE, 3 octobre 2018, 419049). Si c’est un parlementaire, il sera protégé par une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel (décision n° 2021-26 D du 23 novembre 2021 ; voir antérieurement — entre autres — la décision 2009-21S D, 22 octobre 2009, cons. 4 et 5).

[12] S’applique alors la rarement usitée, mais puissante, procédure de révocation par décret en conseil des ministres en application des dispositions de l’article L. 2122-16 du CGCT (CE, 2 mars 2010, n° 328843 ; CE, 7 novembre 2012, n° 348771 ; CE, 26 février 2014, n° 372015 ; CE, 3 septembre 2019, n° 434072).

[13] Pour le cas de la démission d’office d’un élu municipal prononcée en cours de mandat par le juge, cf. les articles L. 2121-5 et R. 2121-5 du CGCT… Les grands classiques en ce domaine sont le refus de siéger en CAO (voir par exemple TA Lille,  8 janvier 2016, n° 1510220) ou de présider un bureau de vote voire d’y être assesseur (CE, 26 novembre 2012, 349510). Le juge refuse d’appliquer ce régime en cas de simple absentéisme au conseil municipal (CAA Paris, 8 mars 2005, 04PA03880 ; sous réserve cependant d’un régime propre à l’Alsace-Moselle sur ce point) ou du refus d’être élu adjoint (voir, pour un cas très atypique : CAA Nantes, 4 février 1999, 98NT02546). Peut même être ainsi démissionné d’office le doyen d’âge (et par ailleurs ancien maire battu…) refusant de présider la séance d’installation du nouveau conseil municipal résultant des élections CAA Marseille, 16 novembre 2020, 20MA03043).

[14] Tant en vertu du droit commun fixé aujourd’hui par les dispositions du CRPA que par le régime, assez puissant, de l’article L. 2121-13 du CGCT.

[15] Article L. 2121-19 du CGCT.

[16] Articles L. 2122-22 et L. 2122-22-1 du CGCT.

[17] Certes les praticiens connaissent-ils, tous, les jeux consistant à mettre un maire en minorité, à tenter de mettre la collectivité sous tutelle budgétaire, à rogner les indemnités de fonctions (ce qui sera illégal si le motif politique ressort trop évidemment, d’ailleurs…). En sens inverse, le maire dans les communes de 1000 habitants et plus peut parfois tenter d’obtenir, par des séries de démissions en cascade, des élections partielles. Mais ce ne sont que des voies de contournement, de très faible capacité d’ailleurs.

[18] Cf. supra, note n°1.

[19] https://www.publicsenat.fr/article/politique/collectivites-emmanuel-macron-souhaite-ouvrir-un-nouveau-chapitre-de-la

 

 

 

Crédit photo : Velvet, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons