Parlementarisme négatif, gouvernement minoritaire, présidentialisme par défaut : la formule politico-constitutionnelle perdante de la démocratie française

Par Armel Le Divellec

<b> Parlementarisme négatif, gouvernement minoritaire, présidentialisme par défaut : la formule politico-constitutionnelle perdante de la démocratie française </b> </br> </br> Par Armel Le Divellec

La convulsion politique actuelle en France peut être éclairée par une lecture mettant en relief sa dimension constitutionnelle : le système de gouvernement français peut être qualifié structurellement de parlementarisme négatif. Il a facilité le choix politique collectif d’établir un gouvernement minoritaire en 2022, qui ramène le pays à un présidentialisme par défaut, donc à la légitimité politique a priori faible, se condamnant presque immanquablement à être perpétuellement contesté au Parlement comme dans la société.

 

The current political convulsion in France can be enlightened by a reading that emphasizes its constitutional dimension: the French system of government can be structurally described as negative parliamentarism. It has facilitated the collective political choice to establish a minority government in 2022, which brings the country back to a presidentialism by default, thus with a priori weak political legitimacy, condemning itself almost inevitably to be perpetually contested in Parliament as in society.

 

Par Armel Le Divellec, Professeur de droit public à l’Université Paris-Panthéon-Assas (Centre d’études constitutionnelles et politiques)

 

 

 

La nouvelle convulsion politique (une de plus, pour qui n’a pas la mémoire courte) dans laquelle se trouve la France depuis plusieurs semaines peut certainement être déchiffrée de différentes manières et l’on peut sûrement en chercher des explications de divers côtés. Le droit constitutionnel est beaucoup mobilisé ces temps-ci, dans les discours publics. L’est-il toujours à bon escient ? On est parfois porté à en douter. Cela ne saurait surprendre de la part du personnel politique d’un pays dont la culture juridique n’est pas vraiment la qualité première. Quant à ceux dont c’est la profession, c’est-à-dire les juristes universitaires, ils n’échappent pas toujours au risque de mélanger les registres, de confondre délibérément ou non leurs préférences politiques et l’appréciation relativement objective qu’ils sont censés être capables de porter. Admettons, néanmoins, qu’une totale neutralité axiologique est particulièrement difficile à atteindre en matière de droit constitutionnel ou, si l’on préfère, de droit politique. Quoi qu’il en soit, il est tout de même possible de proposer une brève analyse de la situation présente en termes de droit constitutionnel, au-delà de l’écume des jours.  

 

Certains feignent de s’étonner de l’agitation présente et des controverses, souvent violentes, de ces derniers mois dans le débat public et au sein même d’une institution comme le Parlement ; controverses qui ne portent pas uniquement sur le fond des politiques publiques menées (ce qui est normal en démocratie) mais sur les processus constitutionnels de décision eux-mêmes (par quoi la France se singularise malheureusement de la plupart des démocraties matures). On semble négliger qu’au-delà des facteurs accessoires, le scénario actuel était presque écrit d’avance, cela pour des raisons d’abord structurelles, qu’il faut coupler ensuite avec des raisons conjoncturelles : le système de gouvernement français a été bâti sur le principe de ce qu’il faut bien appeler un parlementarisme négatif ; le choix (collectif) d’établir un gouvernement minoritaire en 2022 aboutit à un présidentialisme par défaut, souffrant d’emblée d’une légitimité fragile, qui se condamne presque immanquablement à être perpétuellement contesté.

 

 

1. Parlementarisme négatif

Le droit strict (si l’on entend par là, en reprenant le vocabulaire de Dicey, les règles du droit de la constitution, autrement dit les règles de droit positif), n’établit jamais, à lui seul, un régime politique ou plus exactement, un système de gouvernement, c’est-à-dire un agencement stable d’institutions et de règles contraignant pour les acteurs politiques. Cependant, les règles juridiques (toutefois passées au filtre des représentations intellectuelles qui permettent de les concrétiser), esquissent techniquement le cadre des habilitations et des contraintes qui, envisagées de manière coordonnée, permettent d’identifier le système global censé s’imposer aux gouvernants et aux gouvernés. Dans le cas français, il convient de qualifier la logique d’ensemble de ces principales règles de parlementarisme négatif en ce sens qu’elles permettent au gouvernement d’exister et, dans une certaine mesure, de gouverner sans légitimation positive de la part de la chambre principale du Parlement, l’Assemblée nationale.

 

Le premier et plus important élément technique du parlementarisme négatif à la française est le premier alinéa de l’article 49 de la Constitution de 1958 tel qu’il fut concrétisé, en plusieurs étapes, dans les années 1960 : le choix, par le Premier ministre Georges Pompidou (en accord avec le général de Gaulle), de considérer que le présent de l’indicatif (« Le Premier ministre engage… ») ne valait pas impératif s’est imposé malgré les critiques de l’opposition d’alors. Il fut confirmé dans les décennies suivantes (par Raymond Barre en 1976 et surtout par la gauche socialiste en 1988-1993, l’exercice du pouvoir la faisant revenir sur son hostilité initiale). On rappellera pour mémoire qu’un rapprochement a contrario avec le troisième (« Le Premier ministre peut… ») et le quatrième alinéa du même article (« Le Premier ministre a la faculté… ») aurait pu (ou dû) inciter les juristes à opiner en sens inverse.

 

Quoi qu’il en soit, personne ne prétend aujourd’hui remettre en question cette convention interprétative (Pierre Avril) qui arrange tout le monde (de droite comme de gauche) en haut lieu, mais dont les conséquences constitutionnelles systémiques sont potentiellement immenses. Prévaut donc le système de la confiance présumée : le gouvernement de la France peut juridiquement exister sans légitimation parlementaire positive initiale.

 

Cette règle facilite la formation de gouvernements minoritaires lorsque la configuration politique incite à y recourir. On observera toutefois que d’autres constitutions permettent tout aussi bien ceux-ci mais en exigeant néanmoins un vote positif d’investiture ou de confiance initial (exemples de l’article 63, al. 4 de la Loi fondamentale allemande ou de l’article 45 de la Constitution de la IVe République après la révision de 1954).

 

Mais il y a davantage : le système de la confiance (parlementaire) présumée favorise également l’emprise institutionnelle et politique du président de la République sur le gouvernement. C’est bien grâce à cette règle qu’un président nouvellement élu (ou réélu) peut librement nommer un gouvernement à sa main alors même que l’Assemblée nationale en place lui est politiquement hostile (cas de mai 1981 et mai 1988, une dissolution victorieuse dans la foulée permettant de valider ce premier choix) ou en attendant l’élection d’une nouvelle Assemblée dont le mandat est venu à son terme régulier (cas depuis mai 2002)[1].   

 

D’autres articles de la Constitution de 1958 (d’ailleurs complétée ou modifiée par la suite) s’analysent également comme des instruments techniques du parlementarisme négatif en ce qu’ils n’imposent pas in fine un vote des assemblées (par ex. l’art. 47, al. 3 sur le budget ; l’art. 47-1, al. 3 sur le budget de la Sécurité sociale ; l’art. 35, al. 3 pour l’engagement des forces armées avant un délai de quatre mois), ou bien leur vote positif (art. 13, al. 5 pour les nominations présidentielles) ou bien encore l’examen d’une proposition de résolution (art. 34-1, al. 2). Mais le plus important est, bien sûr, le fameux troisième alinéa de l’article 49, la question de confiance posée à propos d’un texte législatif, mécanisme qui suscite, aujourd’hui plus que jamais, tant de critiques comme chacun sait, et qu’il est superflu de présenter à nouveau ici. En pareil cas, la loi « est l’expression du silence général » a dit un homme d’esprit, ou du moins éventuellement l’expression de l’échec d’un vote de censure.

 

Parlementarisme négatif donc, tel est le cadre structurel (juridique) forgé par la Ve République.

 

 

2. Gouvernement minoritaire

Les commodités offertes par la logique du parlementarisme négatif rencontrent actuellement un facteur en soi purement politique (même s’il comporte, on le verra, une signification et des effets constitutionnels) : le choix, en juin/juillet 2022, après les élections à l’Assemblée nationale, de recourir à un gouvernement minoritaire (en maintenant le gouvernement formé le 20 mai précédent, dont la démission a été refusée le 21 juin[2]).

 

A qui est due cette décision ? Au président Macron, certainement, en tout premier lieu. Il faut toutefois ajouter qu’en acceptant ce choix, Madame Borne et tous les membres qui ont accepté en juillet 2022 de conserver leur poste gouvernemental l’ont validé.

 

Mais il convient surtout de se poser la question : cette décision était-elle inéluctable ? Les choses sont moins évidentes ici et le récit des semaines de mai-juillet 2022 n’a pas été clairement établi. Il faut se souvenir du délai jugé anormalement long (pour les standards de la Ve République, très éloignés ici de la plupart des démocraties parlementaires voisines) qui s’est écoulé entre la réélection d’E. Macron et la formation du gouvernement Borne (26 jours) — le choix de la personnalité appelée à Matignon étant lui-même jusqu’au bout très incertain. Cette longueur provenait d’une recherche confuse et non clairement avouée d’un élargissement des possibles soutiens du président réélu dans des conditions politiques voisines de son élection en 2017. Mais elle restait de toute manière suspendue aux résultats de l’élection parlementaire de juin et il était constitutionnellement absurde (quoique conforme à l’habitus présidentialiste régnant dans ce pays) que le gouvernement Castex annonce dès le 19 avril que son gouvernement allait en principe démissionner dès le lendemain de l’élection présidentielle.

 

Après les élections parlementaires qui, pour la première fois depuis 1962 (et à l’exception de celles de 1988), n’ont pas dégagé de majorité absolue d’une seule force politique, le président a reçu les chefs des principaux partis politiques (21-22 juin). Quels ont pu être les termes exacts de ces consultations ? Le président a lancé (en l’air…) l’idée d’un gouvernement d’union nationale. On sait qu’elle fut immédiatement et sèchement refusée par le Parti communiste et La France insoumise, ainsi que par le Rassemblement national. De son côté, le premier secrétaire du P.S. se contentait (publiquement) de signaler « sa disponibilité » pour peu que le président reprenne de la gauche deux de ses propositions (sur le montant du smic et la revalorisation des pensions de retraite), mais sans formuler de revendication ou de demande relative à la formation du ministère. L’idée d’un véritable contrat de gouvernement semble n’avoir pas même été évoquée un instant, ni d’un côté ni de l’autre. Le Président a-t-il même proposé à ses interlocuteurs une formule concrète ? L’offre présidentielle d’union (nationale ou plus restreinte) était-elle même sérieuse ? N’était-elle pas plutôt une simple habileté à destination de l’opinion pour donner le sentiment d’être ouvert ? N’aurait-il pas été plus pertinent de se concentrer concrètement sur le seul partenaire potentiel relativement plausible, c’est-à-dire le moins incompatible, d’un point de vue programmatique, avec le camp du président Macron, à savoir Les Républicains, dont l’appoint numérique à l’Assemblée était suffisant (au contraire du Parti socialiste) pour constituer une majorité absolue en sièges ? Ceux-ci, par la voix de leur président, M. Jacob, lui ont opposé dès le 21 juin une fin de non-recevoir. Mais peut-on considérer qu’une telle entrevue exploratoire était suffisante ? Ces (trop) rapides consultations n’ont pas été sérieusement prolongées. On peut même se demander si le Président Macron n’a été soulagé pour ne pas dire satisfait de ce refus immédiat.

 

Il ne nous appartient pas de juger qui est responsable de ce blocage mais force est de constater que la seule solution constitutionnellement logique pour espérer bâtir un gouvernement apte à travailler de manière organisée avec le Parlement, n’a pas été sérieusement considérée par les dirigeants politiques, de quelque côté qu’ils viennent.

 

 

3. Présidentialisme par défaut

Dès lors, si l’on veut raisonner en termes de catégories constitutionnelles, il convient de considérer que la situation née des élections de 2022 aboutit pour le moment à un présidentialisme par défaut, c’est-à-dire une configuration politico-institutionnelle dans laquelle les acteurs ont délibérément choisi de laisser au président de la République le principal rôle d’impulsion, de leadership politique, alors même que les ressorts à la fois constitutionnels et politiques sur lesquels il peut s’appuyer sont ceux d’une situation minoritaire : minoritaire électoralement au regard du score de M. Macron au premier tour de l’élection présidentielle (27,85% des suffrages exprimés) et du score de l’alliance des partis le soutenant aux élections à l’Assemblée nationale (25,75% des suffrages exprimés pour « Ensemble » au premier tour, 38,57% au second), minoritaire au Parlement (ses soutiens naturels n’obtenant que 245 à 250 sièges sur 577 à l’Assemblée nationale).  

 

On peut admettre qu’avant 2022 (hormis la législature 1988-1993), le présidentialisme était implicitement légitimé par la présence, confirmée aux élections en cours de mandat ou tenue juste après l’élection du chef de l’Etat, d’une majorité parlementaire, principiellement acquise à celui-ci. La meilleure preuve en est a contrario qu’en cas de résultat clairement inverse (1986, 1993 et 1997), par retournement du « fait majoritaire », les présidents avaient dû abandonner la direction effective de l’Exécutif et se résoudre à une cohabitation, tant leurs chances de tenter une politique de résistance frontale paraissait vouée à l’échec et aurait été certainement considérée comme illégitime.

 

En revanche, on ne saurait dire que le présidentialisme ait été légitimé en 2022, au contraire : le seul message objectif à retirer des élections parlementaires de cette année-là était bien que le corps électoral n’avait pas donné au président et aux députés se réclamant de lui les moyens de diriger seuls la politique de la nation ; il s’agissait donc d’une incitation adressée à des forces politiques opposées de s’entendre d’une manière ou d’une autre, comme cela est extrêmement courant ailleurs en Europe. En refusant une alliance de gouvernement en bonne et due forme, on privilégiait donc l’hypothèse hasardeuse d’une coopération au plan purement parlementaire et au cas par cas, sans esprit de suite. Et incidemment, on favorisait le maintien d’un présidentialisme par défaut mais minoritaire. 

 

Dans ces conditions, comment s’étonner du recours massif aux instruments de facilité qu’offre à l’Exécutif le texte constitutionnel de 1958 (édulcoré en 2008) ? Compte tenu de la situation de gouvernement minoritaire, il est tout à fait logique et d’ailleurs pas complètement nouveau[3]. C’est une autre question de savoir s’il était politiquement opportun d’y recourir, terrain sur lequel le juriste n’est pas vraiment fondé à se prononcer. Il n’en demeure pas moins qu’un présidentialisme par défaut, c’est-à-dire à la légitimité politique dès le départ objectivement faible, se place dans une situation d’autant plus délicate qu’il donne le sentiment d’avoir biaisé avec le message pluraliste des électeurs de juin 2022 et que, ce faisant, il attise la propension déjà bien française à la contestation tant au Parlement que dans la rue.

 

 

4. Les effets pervers du parlementarisme négatif

Le système de gouvernement pratiqué résulte certes toujours d’un ensemble globalement convergent de pratiques institutionnelles et politiques. Mais il est, dans le cas français, facilité techniquement par les règles juridiques qui sont celles d’un parlementarisme négatif. Sur un plan plus subjectif (ou, si l’on veut, engagé), on peut sans doute estimer avec réalisme que ces facilités présentent de judicieux avantages et permettent utilement de s’extirper de configurations politiques momentanément délicates. Mais ce faisant, on négligerait les effets en profondeur et de long terme qu’induit cette formule constitutionnelle.

 

Qui ne voit aujourd’hui que la France (son personnel politique, plus généralement ses « élites » comme ses citoyens) s’est déshabituée — bien plus que tous ses voisins de facture comparable — à prendre au sérieux les processus délibératifs tels qu’encadrés par le droit et qui constituent historiquement la gloire du modèle libéral occidental et de la démocratie constitutionnelle ? Au point que la variante française telle qu’elle s’est pratiquée et, à bien des égards, radicalisée depuis soixante ans, n’a pas su durablement civiliser la démocratie majoritaire : par-delà la ressemblance en surface avec les démocraties britannique ou allemande, qualifiées elles aussi de « majoritaires » par la science politique (formule que les juristes ont peut-être eu trop tendance à relayer), il est manifeste que la méthode française se fonde sur de tout autres pratiques. Dans ce « présidentialisme programmatique » (selon la judicieuse formule de Bruno Daugeron[4]), on n’attend rien de la délibération parlementaire et surtout pas que les parlementaires, au moins ceux de la majorité, n’infléchissent par trop les projets de l’Exécutif et de la technostructure administrative qui les a préparés quand ce n’est pas même conçus.

 

Dans ces conditions, les minorités s’abandonnent trop volontiers, dans la plupart des cas importants, non seulement à surjouer le conflit (en soi, il est cependant nécessaire, en démocratie libérale, qu’il soit mis en scène), mais surtout, dans la mesure où l’issue semble généralement certaine, à se réfugier dans l’obstruction et même, comme on l’a encore vu tout récemment, dans un chahut bien peu productif qui ne fait qu’alimenter la défiance envers les gouvernants — pas uniquement ceux du jour, mais même ceux de l’avenir — et, surtout, contribue à discréditer les processus délibératifs eux-mêmes.

 

Incidemment, le parlementarisme négatif et le présidentialisme (qui non pas en résulte automatiquement mais prospère sur lui, même par défaut, quand il se retrouve minoritaire comme actuellement) ont favorisé le choix de multiplier les ministres « issus de la société civile », sans légitimité institutionnelle autre que la confiance (provisoire) du président. Ne se rend-on pas compte qu’une telle pratique contribue à dévaloriser les assemblées, qui perdent leur vocation de vivier naturel des élites gouvernementales, lequel peut être un puissant facteur de responsabilisation des parlementaires eux-mêmes ? Et surtout que de tels ministres, à ce point étrangers à la culture délibérative et parlementaire, sont les moins propres à favoriser une coopération positive entre l’Exécutif et les représentants de la Nation, sans même parler de leurs maladresses voire de débordements verbaux (ou gestuels) dont, à l’extrême, certains ont parfois pu se rendre coupables ?  

 

« Il faut que les institutions achèvent l’éducation morale des citoyens » , avertissait, voici deux siècles, Benjamin Constant dans sa célèbre conférence sur la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes. Après lui, Walter Bagehot soulignait l’importance de la dimension éducative pour les individus des délibérations d’un Parlement libre. Sans s’exagérer trop naïvement les possibilités d’influence qu’offrent réellement, dans le monde d’aujourd’hui, les discussions parlementaires et, d’une manière générale, l’attitude des personnes qui agissent dans les institutions publiques, il reste que la culture de plus en plus antiparlementaire qu’ont généré six décennies de Ve République rencontre ses limites et est lourde de menaces pour la démocratie elle-même dans notre pays.

 

Et ce n’est pas sans inquiétude que l’on observe les remèdes avancés par les géniaux guérisseurs autoproclamés qui, tous, ne passent décidément pas par la case du Parlement : référendum d’initiative populaire, conventions citoyennes, tirage au sort, pour certains, appel démultiplié à l’arbitrage du juge constitutionnel pour d’autres… Qui ne voit que ces instruments, surtout les premiers nommés, seraient difficilement de nature à apaiser les débats publics, à inciter les gouvernants et gouvernés à privilégier les compromis réfléchis au lieu des slogans, de l’agitation et de la violence verbale quand ce n’est pas physique ? Qu’ils ne feraient probablement que renforcer le face-à-face presque sans intermédiaire entre un gouvernant solitaire et la masse hétérogène des porte-paroles d’intérêts sectoriels.

 

On voudrait croire qu’il n’est pas trop tard pour une prise de conscience des lourds inconvénients de la formule politico-constitutionnelle dans laquelle se complaisent les élites politiques françaises et qu’un certain sursaut pragmatique en matière d’institutions constitutionnelles reste possible pour sortir de l’ornière démocratique dans laquelle se trouve ce pays depuis trop longtemps. 

 

 

 

 

[1] Encore cette opération n’est-elle possible que grâce à la pratique institutionnelle routinisée (qui n’est nullement une règle juridique obligatoire) selon laquelle les premiers ministres présentent leur démission après chaque élection présidentielle ou parlementaire (v. notre article « La démission du Premier Ministre comme problème constitutionnel », Les Petites Affiches, n°79, 20 avril 2017, p. 10-12).

[2] On peut observer au passage qu’il y a là un point obscur du droit constitutionnel positif : que faire si le démissionnaire veut réellement partir ? Jusqu’à quand le président de la République a-t-il le droit de maintenir à son poste un Premier ministre de plein exercice ?

[3] C’est pourquoi nous ne pouvons pas suivre la thèse de Denis Baranger (« Le nouveau visage de l’article 49-3 », Blog de Jus Politicum, 16 novembre 2022). La situation était en effet la même au cours de la 9e législature (1988-1993) : celle de gouvernements conçus délibérément comme minoritaires par refus de former une alliance avec d’autres partis parlementaires. On peut bien juger qu’il s’agissait, déjà alors comme aujourd’hui, d’une dénaturation d’une supposée raison d’être du 49, al. 3, mais ce serait oublier non seulement qu’il avait déjà pu servir à des fins différenciées (en particulier mettre fin à l’obstruction de l’opposition) et surtout qu’un mécanisme technique (comme pratiquement tout énoncé constitutionnel textuel) peut vivre de façon autonome, éloignée de la possible intention de ses rédacteurs.

[4] B. Daugeron, « Les illusions du présidentialisme programmatique », Blog de Jus Politicum, 7 avril 2017.

 

 

 

 

 

Crédit photo: NASA/Keegan Barber CC BY-NC-ND 2.0